On peut espérer que l’apesanteur ne soit pas une contrainte incontournable

L’apesanteur, agréable en rêve mais très nuisible à la santé, doit et peut être évitée.
Après les radiations, l’apesanteur est le deuxième « health hazard » des voyages spatiaux. Apesanteur cela veut dire absence de poids, la masse du corps n’étant accélérée par aucune force de gravité, qu’elle résulte de la proximité d’une masse planétaire ou de l’accélération de la vitesse du vaisseau*. Rappelons que dans le système de propulsion interplanétaire chimique, « classique », le déplacement de ce dernier ne résulte que de l’impulsion initiale, donnée pour quitter l’orbite de parking terrestre vers le lieu de destination. Il n’y a donc aucune accélération pendant le voyage et les masses n’ont aucun poids.
Pour la santé de l’homme, cette absence de poids peut être considérée comme agréable (qui n’a rêvé de voler!) mais elle est aussi porteuse de (gros) risques : notamment perturbation de la circulation sanguine, pertes musculaires, pertes osseuses. En effet le cœur n’a plus besoin de lutter contre la gravité et pompe moins vigoureusement le sang qui est par ailleurs moins bien réparti dans le corps (afflux à la tête). Le danger est une certaine paresse du muscle cardiaque et le développement d’une accoutumance à une pression artérielle basse. Pertes musculaires : n’ayant plus d’efforts à fournir pour se mouvoir, les muscles fondent comme ceux d’un malade alité. La perte peut atteindre 20% sur un vol de 11 jours (donc beaucoup plus après un voyage de 6 mois vers Mars). Pertes osseuses : les os qui, dans un environnement soumis à une force gravitationnelle, portent le squelette ne portent plus rien dans l’espace et ils perdent en densité (11% sur 6 mois). Et cela n’est pas tout, les risques vasculaires augmentent, l’immunité est affaiblie, les bactéries gagnent en virulence et en pouvoir pathogène, la circulation libre des poussières peut provoquer des lésions à l’œil dont par ailleurs le volume se déforme (et l’acuité visuelle peut en pâtir), les fonctions digestives et d’excrétion sont perturbées. Enfin la modification des repères sensoriels captés par le corps peut donner le mal de l’espace avec effets durables.
Ces diverses détériorations corporelles sont de lourds handicaps pour une mission habitée vers une planète où la gravité reprendra ses droits. A la surface de Mars elle est de 0,38g ce qui n’est pas négligeable et les astronautes devront pouvoir y faire face immédiatement après 6 mois de voyage, d’autant que la masse du scaphandre et des équipements qu’ils porteront, restituera un poids à transporter sur leurs jambes équivalent à celui qu’ils portaient sur Terre (le centre de gravité étant toutefois différent). Le risque est un risque de fracture des os les plus sollicités, notamment ceux des hanches. Par ailleurs le cœur devra battre plus vigoureusement pour donner une pression artérielle plus forte ce qui entraînera un risque de syncope.
Les membres de l’équipage d’une mission habitée sur Mars devront donc lutter contre cet affaiblissement pendant le voyage. La première solution pour le contrer sera l’exercice physique. Cependant même avec un exercice physique intense (deux heures par jour), les astronautes de la Station Spatiale Internationale ont perdu de 0,4 à 1% de leur masse osseuse par mois (et cela ne traite pas tous les problèmes). On peut aussi envisager absorber des compléments chimiques pour renforcer l’assimilation / conservation du calcium. Les études préconisent l’absorption de bisphosphonate associé à de la vitamine D.
En changeant de paradigmes, la contre mesure la plus efficace serait la gravité artificielle. Elle est recommandée depuis le début des années 1990 par Robert Zubrin, président fondateur de la Mars Society. Pour la créer, il faudrait relier par un filin (tether) le dernier étage du lanceur à l’habitat du vaisseau spatial. Une fois l’impulsion transplanétaire donnée à partir de l’orbite de parking terrestre, les deux éléments se sépareraient, le filin attaché au deux éléments se déroulerait sur une longueur sensiblement plus grande que nécessaire et de petites fusées latérales aux deux masses impulseraient une rotation minime au couple, immédiatement suivie d’un rembobinage lent du filin qui se tendrait et dont le raccourcissement accentuerait la vitesse de rotation (cf le repli des bras d’un patineur faisant « la toupie »). Deux rotations par minutes pour deux corps séparés de quelques 170 mètres (bras de levier de 86 mètres) permettraient de restituer une gravité de type martien (0,38g) dans l’habitat. Il faudrait éventuellement une longueur de câble plus importante pour éviter un différentiel de gravité trop fort entre les pieds et la tête et pour également réduire les effets de la force de Coriolis qui se manifesteraient de façon trop prononcée dans un système centrifuge trop petit. Ceci dit, sur le principe, la solution est séduisante car elle ne requiert que très peu d’énergie.  En effet dans l’espace rien ne freine un mouvement qui a été initié et la rotation impulsée se maintiendrait indéfiniment.
La théorie existe; on attend les vérifications de faisabilité. Un petit test sur la mise en rotation a été mené avec succès par des étudiants de l’Ecole Centrale de Lille sous le contrôle de l’Association Planète Mars en 2013, dans le cadre d’un vol en apesanteur. Il faudrait également tester le déroulement du long filin, la stabilité du système (serait-elle perturbée par l’activité à l’intérieur de l’habitat ?) et les manœuvres d’arrêt de la rotation à l’approche de l’objectif.
Image à la Une: un vaisseau spatial à l’approche de Mars et toujours en rotation (mais sur le point de l’arrêter car la gravité martienne risque de bientôt perturber le mouvement!). Illustration Philippe Bouchet (Manchu) pour Association Planète Mars (branche française de la Mars Society).
* Renvoi du premier paragraphe:
En fait on devrait plutôt parler de chute libre, sans accélération, dont la cause est la gravité et la conséquence, l’apesanteur.  A proximité de la Terre on est sous influence gravitationnelle de la Terre et lorsqu’on s’en éloigne, on entre dans un espace ou l’influence gravitationnelle dominante est celle du soleil mais cette influence est faible. En orbite autour de la Terre, le vaisseau spatial tombe vers la Terre sans jamais l’atteindre. Sorti de l’emprise gravitationnelle de la Terre, le vaisseau spatial, comme la Terre ou Mars, tombe vers le soleil sans jamais l’atteindre, en suivant une orbite proche à celle de ces deux astres.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.