Microbes et pénuries, deux risques à prendre en compte

Exigüité (3/3). Les problèmes que posent ces risques me semblent beaucoup plus sérieux que les problèmes psychologiques.

Voyons d’abord les risques microbiens.

On pourrait dire qu’ils résulteront d’une insuffisance de « buffer effect » (qu’on pourrait traduire – mal – par « effet masse »). Les astronautes ne seront pas les seuls passagers de leurs vaisseaux. Ils emporteront avec eux des milliards de bactéries et d’archées sans oublier quelques virus, « inoffensifs » ou offensifs dormants, et ceci quels que soit les mesures d’asepsie qui seront prises. On peut juste éviter par une isolation et une surveillance stricte avant embarquement, qu’un astronaute monte à bord avec une maladie sur le point de se déclarer ou avec des salissures potentiellement dangereuses subsistant sur les parois où les équipements du vaisseau. Il y aura stérilisation de tout ce qui peut l’être mais pas des astronautes eux-mêmes ! Une fois embarqués leurs différents germes vont se mélanger, certains prospérer, d’autres s’affaiblir. Les matériaux dont sont constitués les divers équipements vont aussi évoluer, se dégrader, se mélanger aux fluides embarqués. Les systèmes de recyclage des gaz et des liquides (« ECLSS ») donneront une possibilité de contrôle mais présenteront aussi un risque de « mauvais mélange » et de propagation.
Dans un volume important comme celui de l’atmosphère terrestre, les micros déséquilibres locaux sont corrigés par les (des)équilibres voisins ou par l’intervention de l’homme avec des moyens biochimique. Le rééquilibrage naturel se fera très mal pendant la mission habitée par insuffisance ou absence de ce « buffer effect » propre aux grands volumes. L’équilibre biochimique existant au départ va petit à petit évoluer et il faudra le surveiller de manière à corriger activement, mais avec les seuls moyens du bord, tout déséquilibre naissant. Pour renforcer les moyens de détection au niveau d’un petit nombre de molécules et agir (dans la mesure du possible) avant que les dérives ne deviennent incontrôlables, L’ESA a développé en partenariat avec Biomérieux, un appareil nommé « MiDASS » (« Microbial Detection for Air System in Space ») qui sera, sur le plan biologique, un élément essentiel du voyage, avec, bien sûr, des éléments chimiques correcteurs. A noter qu’on voit bien les applications terrestres (hôpitaux) qui peuvent bénéficier de ces recherches.

Voyons ensuite les risques de pénuries.

Ils dérivent des choix que l’on doit faire concernant les hommes, les instruments et les consommables compte tenu de l’exigüité et de l’éloignement. Comme dit plus haut, les premiers équipages ne pourront comprendre que quatre personnes (ou même trois ?) et celles-ci ne pourront détenir toutes les qualifications. Ainsi en raison du volume limité de l’habitat, il n’y aura qu’un seul médecin/biologiste à bord. Les médicaments, les instruments médicaux, les machines et outils divers seront peut-être insuffisants malgré les précautions qu’on aura prises à prévoir les besoins. La nourriture sera peu variée même si on peut s’organiser pour qu’elle soit biologiquement adéquate.

On s’efforcera de pallier ces insuffisances par les communications avec la Terre mais ce ne pourront être que des télécommunications (notamment télémédecine même si les interventions directes seront impossibles) et, pour certains outils et objets, l’impression 3D. Cette dernière sera plus facile sur Mars que pendant le vol puisqu’on disposera alors de plus de matériaux (mais pas de tous les matériaux élaborés par l’industrie terrestre). Faute de place, la culture sous serre ne pourra être vraiment pratiquée que sur Mars (et au début seulement à titre expérimental).

Il faudra donc bien remplir la bulle car il n’y aura aucun réapprovisionnement possible. C’est un défi majeur de l’entreprise.

Liens :

http://planetaryprotection.nasa.gov/file_download/97/MIDASS-ESA.pdf

Image à la une: l’astronaute Sunita Williams, Commandante de l’expédition 33 de l’ISS (sept. à nov. 2012) en train de participer à un “nettoyage du dimanche”. Comme on le voit très bien ici, le problème est l’accessibilité de toutes les surfaces et tous les volumes de l’habitat. Photo NASA.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

2 réponses à “Microbes et pénuries, deux risques à prendre en compte

  1. Plutôt que de tout désinfecter et aseptiser, ne pourrait-on pas au contraire ensemencer l’habitat avec des bactéries non pathogènes. De plus en plus, on s’aperçoit que les flore en place, empêche de l’arrivée d’autres souches, y compris pathogène.
    Cela reviendrait à effectuer un près équilibrage de l’environnement.

    1. Il est très difficile de détruire totalement une population de bactéries. Il en reste toujours, et la prolifération repart. Ceci dit on a quand même intérêt à limiter les risques au maximum. Le plus important, à mon avis c’est de surveiller les équilibres et de tenter de les maintenir. Ensemencer le volume habitable ne me semble quand même pas une bonne idée car le moins que l’on puisse dire c’est que l’on maîtrise mieux l’asepsie que la lutte d’un type de bactérie contre un autre (mais je ne suis pas spécialiste). Peut-être un jour utilisera-t-on les phages, ces virus prédateurs de bactéries?

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