Une dictature de la santé physique?

Au moment où se pose la question de la surveillance des personnes par le biais de leur téléphone, de la surveillance des consommateurs qui fréquenteront les restaurants, les bistrots, les cafés, et alors que des personnes sont encore séquestrées – et le mot n’est pas trop fort quand les occupants d’appartements protégés dans des maisons sont enfermés à l’intérieur de ces habitations avec impossibilité d’en sortir car les portes sont bloquées – peut-être est-il alors temps de s’interroger sur une « dictature de la santé ».

La santé selon l’OMS

« La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

« La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ».

Ces deux affirmations solennelles de l’OMS posent un problème particulièrement aigu en cette période de pandémie.

Comment concilier cette définition très large de la santé avec le droit à la liberté de mouvement, à la liberté de réunion, à la liberté économique ? Toutes ces libertés sont des droits fondamentaux. Toutes contribuent au bien-être physique, mental et social de chaque personne. L’Etat a-t-il le droit de protéger le bien-être physique sauf à sacrifier le bien-être mental et social ? A-t-il le droit de décider que l’un des bien-être l’emporte sur les autres ? Qui peut décider quel constituant dudit bien-être individuel doit être sacrifié dans l’intérêt de la collectivité et de quel intérêt de cette collectivité ?

Le confinement privilégie l’éventuel bien-être physique par rapport au bien-être mental et social.

Le pouvoir politique est-il autorisé à favoriser la protection d’un des aspects de la santé au sens de l’OMS plutôt qu’un autre ? Peut-on imposer ce choix à la population sans tomber dans une sorte de dictature du bonheur tel que défini « subjectivement » par le pouvoir et quelques experts ?

Les réponses aux questions ci-dessus ne sont ni évidentes ni simples mais c’est une raison supplémentaire de veiller à réduire au maximum toutes les atteintes à la liberté des personnes sitôt que ces atteintes ne sont pas une condition sine qua non de la sauvegarde de la santé physique et de la vie de la grande majorité de la population. Le fait que la technique facilite la surveillance des personnes au nom du progrès rend plus impérative encore la nécessité de vérifier si la seule dimension physique de la santé est vraiment la valeur à laquelle doivent être sacrifiées toutes les autres libertés.

 

 

 

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

22 réponses à “Une dictature de la santé physique?

  1. Jules Romains ne disait-il pas, par la bouche du Dr Knock, que la santé est un état provisoire qui ne présage rien de bon ?

  2. « Il n’y a pas de santé en soi, et tous les essais pour définir ce type de choses ont échoué misérablement. C’est de ton but, de ton horizon, de tes pulsions, de tes erreurs et en particulier des idéaux et fantasmes de ton âme que dépend la détermination de ce que doit signifier la santé même pour ton corps. Il existe d’innombrables santés de la chair ; et plus on permet à nouveau à l’individuel et à l’incomparable de lever la tête, plus on se défait du dogme de l’”égalité des hommes”, et plus il faut que nos médecins se débarrassent du concept de santé normale, et en outre de régime normal, du cours normal de la maladie… »

    « Et alors seulement le temps sera peut-être venu de réfléchir à la santé et à la maladie de l’âme, et de placer la vertu propre de chacun dans la santé de celle-ci. Laquelle pourrait certes apparaître chez l’un comme le contraire de la santé pour un autre. La grande question demeure encore ouverte, celle de savoir si nous pourrions nous passer de la maladie. Même pour le développement de notre vertu ,et en particulier si notre soif de connaissance et de connaissance de nous-même n’aurait pas tout autant besoin de l’âme malade que de l’âme saine. Bref, si la volonté exclusive de santé ne serait pas un préjugé, une lâcheté, et peut-être un reste de barbarie et de mentalité arriérée des plus raffinés »

    (Nietzsche, le Gai Savoir)

  3. Excellent article Madame ! Ne les blâmez pas, ils ne savent pas ce qu’ils font, ils paniquent !

    En plus, il y a beaucoup trop de gauchos à tous les étages des autorités qui troublent, rien que par leur présence, la réflexion saine et les bonnes décisions.

    1. Bonjour,

      Il est assez comique de parler, dans la même phrase, de réflexion saine tout en traitant les « autres » de gauchos. Si on ne cherche pas à comprendre, on ne prend pas les bonnes décisions.

      1. Mais ça, chère Tulipe, nous ne le saurons jamais, car la courbe d’infection avait commencé à baisser avant le confinement par les seules mesures d’hygiène et de distanciation, et à ma connaissance la baisse ne s’est pas accélérée avec le confinement. Par contre il n’y a pas de doute que nous avons ruiné notre économie et de nombreuses existences.

  4. Qu’en est-il du bien-être mental du personnel soignant dans les hôpitaux d’Italie où de Chine? Où ils ont dû travailler bien plus que 8 heures par jour et devaient faire des choix terribles entre qui soigner et qui ne pas soigner.
    Qu’en est-il de la santé mentale des équatoriens qui voyaient des cercueils s’entasser dans les rues?
    Sans certaines mesures de confinement on aurait été dans le même cas.

    1. Les exemples que vous citez brièvement rejoignent la réalité vécue par des êtres humains sur lesquelles peu de monde s’attarde, et pourtant ce sont ceux-ci qui sont conscients de ce qui essentiel dans une vie. Voyez ce journal et d’autres qui, tout en fournissant des articles sérieux pour les faits rapportés, se pressent d’exploiter le sujet pour parler de la déprime des sportifs, des gens qui ne savent plus où promener leur chien, et autres faits divers étudiés sous la loupe. Plus futile encore, ils nous saturent la tête de modes d’emploi pour mieux vivre demain, dans un monde qui devra être débarrassé de « l’inutile », avant même que nous soyons sortis d’affaire. Les imbéciles se sentent maintenant indispensables et bénéficient chacun d’une tribune où débloquer. Il serait certainement préférable de donner la parole à des gens qui depuis longtemps savent vivre sans pistes de jogging ou cours de formations à la recherche de ses « multiples potentiels ». L’air pourrait alors être encore respirable quand le masque sera déclaré inutile.

  5. Ses droits fondamentaux le peuple les confie de plus en plus, bon gré mal gré, à l’intelligence artificielle.
    Dans ce pays on fait croire aux citoyens qu’ils ont encore leur mot à dire en les laissant voter plusieurs fois par an mais regardons les faits:
    – Il y a eu le passeport digital accepté en votation par un peuple de moutons.
    – On va nous imposer une vignette autoroutière électronique qui permettra de nous suivre dans nos déplacements. Pour nous faire avaler la pilule on nous offrira un susucre du style vignette électronique moins chère que l’autocollante.
    – Le Covid-19 est un beau prétexte, la santé, pour nous enfiler des applications permettant de savoir où et avec qui nous sommes. Dans quelques années le smartphone sera obligatoire pour tout le monde afin que nous puissions être pistés en temps réel.
    – Ajoutez à cela les caisses maladies qui ne cessent de nous offrir des avantages financiers sur nos primes moyennant la divulgation de données personnelles.
    La liste est encore longue de ces tendances allant toutes dans la direction d’un assujettissement inéluctable de l’Humain à la machine. “The writing is on the wall” mais on joue les aveugles pour ne pas sortir de notre zone de confort.

  6. “dictature de la santé physique”, toujours les grands mots, chère Suzette.

    Il me semble que vous auriez du être scientifique, ou Marie-Suzette Sandoz-Curie et non, dans le droit chemin…
    … enfin, ce n’est que mon avis 🙂

  7. La santé, le bonheur immédiat, la joie constante, … Des dictatures. Merci Madame Sandoz pour vos propos pertinents ( et souvent les commentaires aussi) Nous sommes parfois trop libres ou trop informés et cela crée des problèmes, hélas … St Augustin a dit : Aime (vraiment, 1Corinthien 13 de la bible) et fais ce que tu veux ! Ou Jésus a dit : Aime ton prochain comme toi même. Des défis probablement jamais atteints mais des raisons de vivre.

  8. Si l’on en croit l’article du “Temps” paru hier sous le titre “A Singapour, le traçage par app dégénère en surveillance de masse” (voir le site du temps: modific. Sandoz pour remplacer un lien actif), du “modèle” singapourien de volontariat au flicage de masse, le meilleur du pire n’est-il pas encore à venir?

    Le Panopticon, ce rêve de Jeremy Bentham, père fondateur de l’économie moderne, d’une prison idéale, sans gardiens, serait-il enfin réalisé?

  9. Je désire compléter la déclaration de l’OMS :

    « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quels que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale, et son âge… »

    « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » :

    Donc si à nonante-cinq ans on vit un état de complet bien-être physique, mental et social, cela signifie que ni les rhumatismes, les pertes de mémoire, les ecchymoses dues à une peau mince comme de la cellophane, et tout ce que je n’énumère pas ne sont pas une maladie. Bien sûr puisque « la vieillesse n’est pas une maladie », c’est logique ! Il serait donc possible aussi de rester dans ce fameux « état complet » idéal et réel jusqu’au bout, puis crever d’un coup sans souffrance aucune, comme une mouche écrasée avec un gros coup de marteau. Mais je suis quand même un peu d’accord avec les médecins auteurs de ce texte, qui ont une mère de 40 ans et une grand-mère de 55 ans (c’est possible aussi), la mise à l’écart des vieux de la vie sociale peut rendre malade, et c’est sans aucun doute une mystérieuse maladie puisque personne n’en est responsable.

    Les personnes séquestrées dans leur appartement protégé, dont Madame Sandoz témoigne, le seraient logiquement pour leur statut de « personnes à risque », c’est un flagrant exemple du risque « pour les autres » et non pas pour soi-même. Aucun règlement officiel n’édicte le confinement obligatoire des personnes à risque (dans les deux sens), encore moins par la force. Le personnel des lieux protégés qui agit ainsi est coupable de maltraitance au sens de la loi (aides au foyer ? Gérante du Centre ? Concierge ?..) En clinique psychiatrique la décision de fermer une division quand une personne peut se faire du mal à elle-même et/ou aux autres est prise en concertation (médecins, équipe d’infirmière, explications données à la famille…) Et pendant ce temps des gens sans cervelle ou sans scrupule agissent à leur gré ? C’est un cas de figure de plus qui dénote de l’indifférence pour le dernier genre oublié, lui aussi en « bonne santé ». Alors on va chanter comme Sardou : « Ce n’est pas une maaa-la-diiie… »
    « (…) vérifier si la seule dimension physique de la santé est vraiment la valeur à laquelle doivent être sacrifiées toutes les autres libertés » :

    Les « autres libertés » sont celles qui ont une probabilité de nous faire découvrir la liberté totale au ciel, après avoir vécu le bien-être d’une réunion entre amis. La dépression peut mener aussi au suicide, mais pour l’instant les données n’indiquent pas une courbe ascendante des décès pendant que les courbes dues au virus baissent. Et comment pourrait-on ajuster des mesures préventives autrement qu’en donnant une marge d’avance dans le sens de ce que nous souhaitons le moins ? Le virus a une capacité d’adaptation sensiblement plus rapide pour être mieux armé que nous. Nous ne disposons pas de l’instrument qui nous permettrait de mesurer le degré de prévention nécessaire et suffisant, pour « vérifier » maintenant si le déconfinement partiel dès le 11 mai est raisonnable. Le panier de « toutes les autres libertés » s’allégera déjà en rapport des impératifs économiques, de la scolarité, avec une reprise des transports publics en contradiction vis-à-vis de l’interdiction de groupement de personnes. Ces décisions sont prises un peu comme au Pocker où il y a une part de tactique et une de chance sur laquelle on n’a aucune prise. Il est à espérer que le couteau à double tranchant soit reçu du côté le moins aiguisé.

    1. Un commentaire plus long que l’article devrait être interdit selon les règles du bon sens et du respect des autres, surtout quand il est inutile, mais pas seulement.

      1. Bravo à Oct.19 pour sa critique des commentaires trop longs. Ce sont au reste toujours les mêmes qui s’étalent et deviennent illisibles, donc inutiles. Il faut savoir faire court, et le nommé Dominic, même sil a souvent beaucoup de bon sens, serait mieux apprécié s’il savait se résumer et se contenir.

      2. Certains lecteurs, pas toujours dénués de talent, ne se voient-ils pas déjà rédacteurs-en-chef adjoints du “Temps”? Ne confondent-ils pas article de presse et journal intime? Information et dissertation? En jargon journalistique, on appelle ça du pisse-copie. L’ennui, c’est que quand on n’a aucune expérience de ce métier – eh oui, le journalisme, comme la cuisine, ça s’apprend -, on néglige cette règle élémentaire qui consiste à tout dire en pas moins de trois lignes et en pas plus de cinq. Le reste est du remplissage.

        “Malheur à vous si vous avez du talent!”, dit le patron du journal parisien auquel Lucien de Rubempré vient offrir ses empressés et très incompétents services. “A votre place, j’utiliserais plutôt ma plume comme cure-dents et mon encre pour cirer mes souliers” (d’après Balzac, “Illusions perdues”).

  10. Au carrefour de la santé physique et de la santé mentale, en troisième dimension, mettons l’accent sur le bonheur sexuel, mis un peu à mal par le virus et ses facheuses incidences; Belle journée.

  11. Chère Madame,
    Je lis trop volontiers vos papiers (sans toujours adhérer aux idées qu’ils véhiculent, mais néanmoins!) pour ne pas souhaiter qu’ils gardent toute leur crédibilité. Or là, vous péchez!
    Le suivi par le biais des téléphones portables n’est d’aucune façon une surveillance (même la chatouilleuse Commission nationale d’éthique le dit), mais le moyen, si on le souhaite (il n’y aura aucune obligation), de contribuer à limiter l’épidémie, et à limiter les dégâts au cas où il s’avérerait qu’on est contagieux – pourvoir avertir les gens (même inconnus) qu’on a côtoyés. C’est donc une démarche à soutenir vigoureusement!
    Quant aux restaurants, j’imagine que ce n’est pas d’hier que vous réservez avec votre nom, sans craindre que le KGB ne vous piste… Pourquoi tant d’alarmiste face à une mesure (devenue malheureusement facultative aujourd’hui) qui là de nouveau vise à contenir (la reprise de) l’épidémie? Les choses ne vont pas se régler sans un minimum d’efforts constructifs de tous côtés!

    1. Les français ont introduit dans les années 50 une taxe PROVISOIRE, la vignette auto, 70 ans elle est toujours là, et plus personne ne la conteste aujourd’hui pourtant elle était contestée dans les années 50 !

    2. Avez-vous l’article du “Temps”, “A Singapour, le traçage par app dégénère en surveillance de masse”, paru le 7 mai dernier?

      Aucun discours, aussi lénifiant soit-il, sur le volontariat ne garantit que celui-ci ne vire au flicage de masse. Singapour n’en offre-t-il pas l’exemple?

    3. Dans votre diatribe, il me semble que vous oubliez ce qui s’appelle “La Protection des Données” née il y a plus de trente ans à la suite de l’Affaire des Fiches !
      Le suivi par le biais d’inscriptions dans un restaurant parce que votre désir vous y emmène ne dérange pas uniquement par le fait de s’y inscrire mais de savoir “comment ces fiches seront détruites” parce que détruire n’est pas déchirer et jeter dans une simple poubelle … (j’en parle en connaissance de cause ayant travaillé dans la basoche pendant 30 ans)
      Lorsque l’on réserve dans un restaurant, on donne déjà ses nom et numéro de téléphone, ce qui devrait suffire pour retrouver les convives.

    4. Cher Monsieur,
      Vous faites preuve de candeur. Apparemment la tactique du salami vous est inconnue? Vous abandonnez tranche après tranche qui, prises individuellement, ne vous coûtent rien. Quand vous vous apercevez que vous ne vouliez pas lâcher l’entier de votre salami il est trop tard et, même si vous pouviez récupérer les tranches lâchées vous ne pourriez plus reconstituer la pièce de charcuterie d’origine.

  12. Ah oui, chère Suzette qui copiez-collez le bas de page 8 ou un article qui vous sied, du Temps, à droite, j’ai bien pensé à vous.

    Notre ami Nicolas Bideau (non, pas Jack Nickolson, même s’ils sont sympa, son père et lui) nous dit que la Suisse va sortir renforcée de cette crise, qu’en pensez-vous?

    Allo, à vous, répondez

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