L’enfant, “ballon de foot” de l’égalité parentale

L’article du Temps du 9 novembre,  « Le difficile combat de Christine Bussat… La fondatrice de Marche blanche défend maintenant l’égalité parentale » cite, à propos de ce combat, un commentaire magnifique de Maître Anne Reiser, avocat, spécialiste du droit de la famille. Parlant de la garde partagée par défaut – autrement dit garde partagée de principe, sans étude spéciale de l’intérêt ou du bien de l’enfant – Me Reiser la compare plus ou moins au jugement de Salomon. Le Temps la cite en ces termes : « … en achevant de trucider les enfants en les coupant en deux. Si je devais défiler, ce serait pour le droit de l’enfant de voir ses parents et les gens qui l’aiment, sans graver dans le marbre son emploi du temps ».
Merci, Maître Reiser ! Vous osez dire, en spécialiste de la pratique du droit de la famille, que le problème à résoudre, ce n’est pas l’égalité parentale voire l’égalité entre hommes et femmes, mais le bien de l’enfant. Ce bien exige que l’enfant puisse avoir des contacts aussi harmonieux que possible avec chacun de ses deux parents, sans être toujours obligé de « déménager » à dates et heures fixes, de renoncer éventuellement à « voir des copains », parce que cette envie de les voir plutôt que d’aller chez son autre parent serait interprétée par le parent frustré comme une manœuvre de l’autre pour le couper de son enfant. Et comme on sait que rares sont les cas où les parents séparés ou divorcés ne pratiquent pas un peu de chantage affectif sur l’enfant, on mesure combien la garde partagée, réglée comme du papier à musique, risque d’emprisonner l’enfant entre ses deux parents.

Le bien de l’enfant ne se fonde pas sur l’égalité juridique entre ses parents, il l’emporte sur leur ego
Le fétichisme de l’égalité arithmétique entre les parents consacre en réalité le mépris du bien de l’enfant, alors que le bien de l’enfant présuppose une affection égale de la part de et pour chacun de ses parents. Il est aussi aberrant de partir de l’idée qu’un enfant peut se passer sans autre de l’un de ses parents que de croire que son bien réside dans un état d’enfant « ballon de foot » que chacun des parents renvoie à l’autre quand ça l’arrange ou dont la justice organise les « passes ».
Comme le montre le récit du jugement de Salomon auquel Maître Reiser faisait allusion, la « vraie » mère (= le « vrai » parent) est celle qui n’hésite pas à préférer son enfant à son « ego » …

Le 10 novembre 2015

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.