Comme le sujet revient sur le tapis depuis les Etats-Unis, je le reprends pour essayer de cerner le problème en droit suisse.
Il ne s’agit pas d’interdire l’avortement, mais de se demander s’il existe un droit à l’avortement.
Y a-t-il un lien entre le « droit à l’avortement » et le « droit de disposer de son propre corps » ?
L’avortement concerne-t-il exclusivement un élément du corps de la mère ou concerne-t-il autre chose que le corps de celle-ci, par exemple un être humain en devenir ?
Si j’en crois la définition du Petit Larousse 2019, l’avortement est « l’expulsion spontanée ou provoquée de l’embryon ou du fœtus humain avant qu’il soit viable ». Selon la même source, « l’embryon est un être humain pendant les deux premiers mois de son développement dans l’utérus maternel et prend le nom de fœtus du 3e mois de grossesse à la naissance ». Il ne s’agit donc pas d’une simple tumeur de la femme dont elle aurait pleinement le droit de se débarrasser parce qu’elle dispose de son propre corps. L’embryon d’être humain en devenir n’est pas « son » corps, c’est celui d’un autre. L’avortement concerne un autre être humain, selon la définition médicale même. Il peut y avoir une autorisation légale à empêcher cet être humain de naître et d’être viable, pour des raisons variées, et le droit suisse a opté pour une solution relativement pragmatique.
Le rôle de la sémantique
Toujours selon la même source, la grossesse est « l’état d’une femme enceinte », ou aussi « l’ensemble des phénomènes se déroulant chez la femme entre la fécondation et l’accouchement ».
Ces définitions mettent en évidence que la grossesse est un état qui ne concerne que la femme et son corps. Si l’on admet le principe de la libre disposition de son propre corps, il est logique que la femme prétende pouvoir librement procéder à une interruption de sa grossesse. Parler de l’avortement comme d’une interruption de grossesse permet de se concentrer sur le corps de la femme et d’éviter de faire allusion à l’être humain en devenir cause de la grossesse, mais ne signifie pas que cet être humain en devenir n’existe pas.
Le législateur pénal suisse a tenu compte de la sémantique
Les articles 118 à 120 du code pénal suisse ne parlent jamais d’avortement, mais uniquement d’interruption de grossesse et distinguent fondamentalement l’interruption de grossesse non punissable de l’interruption de grossesse punissable et la situation de la femme de celle de tiers (ex. : médecins) pratiquant l’interruption.
En ce qui concerne la femme, elle n’est pas punissable si elle demande ou pratique l’avortement pendant les douze semaines qui suivent le début des dernières règles et, après ce délai, si elle bénéficie d’un avis médical démontrant que l’interruption de grossesse est nécessaire pour écarter un état de détresse profonde ou le danger d’une atteinte grave à l’intégrité physique.
En ce qui concerne le médecin intervenant, même pendant le premier délai de 12 semaines, il doit être au bénéfice d’une demande écrite de la femme invoquant une situation de détresse et doit s’être entretenu de manière approfondie avec la femme et la conseiller.
Le législateur suisse a tenu compte de la femme et de l’être humain en devenir
Les mesures prises par le législateur cherchent à éviter que la femme interrompe sa grossesse sous contrainte ou que l’avortement soit une source de profit pour des tiers ! Il respecte la femme.
En subordonnant l’intervention des tiers à l’exigence d’une détresse ou d’un danger physique pour la femme, et en limitant la liberté de cette dernière aux fameuses 12 semaines puis en exigeant la preuve d’une détresse morale ou physique, le législateur suisse a aussi tenu compte, sans le dire expressément, du droit à l’existence d’un être humain en devenir qui n’est pas un simple élément constitutif du corps de la femme.
Un chose est claire, le droit suisse ne consacre pas un « droit » à l’avortement, mais respecte et la femme et le droit à la vie. Il tient compte d’une dimension éthique du problème de l’avortement sans interdire celui-ci.
On ne saurait mieux dire.
Finalement, il arrive que les textes les plus courts traduisent l’essentiel et uniquement l’essentiel, dans le cas du CP Suisse, on peut dire que la messe est dite.
Nous avons également en France que dans l’affaire de l’accident provoqué par P. Palmade, l’enfant décédé suite à l’accident alors qu’il est né ultérieurement au choc, juridiquement il y avait cette notion de respirations postnatale ou pas, bien que l’enfant né prématurément suite à une intervention de déclenchement de contraction par ajout d’hormones ou par césarienne, l’enfant était considéré comme entité vivante uniquement si il y avait des respirations postnatale, même si le fœtus était viable, vivant avant l’accident ou jusqu’à sa délivrance du corps de sa mère ou pas. Je ne sais pas si cette notion de respirations postnatale est également en vigueur en Suisse comme il l’est en France.
Dans tous les cas et sans vouloir faire du shoping juridique entre deux pays, une fœtus est considéré comme vivant dans cas et pas dans l’autre !
Merci beaucoup pour ce texte Madame, il remet parfaitement l’église au milieu du village et renvoie chaque femme a ses responsabilités et aux conséquences de ses choix. Un peu de réflexion à l’instant du choix entre les droits des uns et ceux des autres…
Ah! Et pendant ce temps-là, Monsieur était sorti prendre l’air… ou juste allé vérifier qu’il y a bien une Église au milieu du village?
Merci Madame de ces profondes précisions.
C’est une mise au point nécessaire pour préciser toutes les nuances juridiques sur ce sujet si délicat.
Merci Madame Sandoz.
François
Chère Madame,
Voilà une parfaite analyse du droit suisse en la matière. Il est toutefois un point que je ne comprends pas. Vous dites de la femme qu’«elle n’est pas punissable si elle demande ou pratique l’avortement pendant les douze semaines qui suivent le début des dernières règles». A quoi correspondent ces 12 semaines ? Pour moi. La vie de l’être à naître commence à la fécondation !
Cela dit, je note que le droit suisse à le mérite de ne pas reconnaître un droit à l’avortement. Celui-ci est toutefois légitimé lorsqu’il y a probabilité de malformation ou de non viabilité de l’enfant à naître ou lorsque, conformément au droit à l’intégrité de son corps, la femme à été violée ou fécondée sans son accord manifeste ou encore si sa vie elle-même est en danger. En droit, toute règle doit souffrir d’exceptions !
C’est exactement ce que prévoit le droit suisse en déclarant non punissable l’interruption de grossesse sur avis médical démontrant qu’elle est nécessaire pour écarter le danger d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou d’un état de détresse profonde.
Madame la Professeure, ce n’est pas la réponse que vous avez exposé dans votre note ; Avant 12 semaines, il s’agit d’un embryon et après 12 semaines, il s’agit d’un fœtus, la distinction se fait entre l’embryon et le fœtus, si j’ai bien compris et c’est ce que j’expliquait dans l’exemple de l’accident de Palmade, dans un cas, il s’agit d’un être vivant, disons considéré comme tel et dans l’autre cas, non.
C’est un peu comme si le droit suisse ne considère pas l’embryon comme un être vivant !
Désolée, je ne comprends pas ce que vous voulez dire.
dans un cas le fœtus est considéré comme être vivant et pas dans l’autre !
Pas du tout, je ne sais pas où vous allez chercher cette idée!
Le droit suisse, en instaurant le délai de trois mois, fait la distinction entre une structure vivante et l’être pourvu d’un système nerveux suffisamment développé pour éprouver des sensations (bien-être, douleur). Le cortex cérébral est fonctionnel dès 3 mois, le nombre de ses neurones est déjà complet à la naissance, puis les interconnexions et les réseaux se développent (stimuli du monde extérieur, relations affectives). Ce nombre commence déjà à décliner progressivement dès l’âge de vingt ans, mais sans diminution des facultés parce que le réseau qui se perfectionne compense largement les pertes matérielles. Puis à l’approche de la vieillesse il est possible de perdre plus vite que gagner, c’est l’évolution inverse…
L’avortement dans le délai de 3 mois est considéré biologiquement comme étant une interruption de la vie : celle d’une vie humaine ? De cela, on pourrait en discuter longtemps, en rapport des représentations sous l’angle scientifique, religieux, ou simplement en écoutant une femme souffrir après une perte volontaire ou non. Durant la deuxième période de six mois, tout le monde semble d’accord pour parler d’être vivant sensible et conscient. Le seul terme « être vivant » ne dit pas grand-chose, il est applicable aussi au monde animal. Il me semble que la loi, dans le cas Palmade, se pose la question de l’incidence de l’accident sur les chances du fœtus à naître viable, plus que de son existence présente. S’il existe une loi française faisant la distinction entre avant ou après la respiration autonome, est-ce qu’il faut comprendre qu’une fois ce seuil passé la vie du bébé lui est acquise ?
Je crois que c’est ce qu’avait voulu Mme Simone Veil, rien de plus.. mais depuis,les choses ont évolué, faut aller plus loin, et il semblerait que l’ IVG est devenu bien souvent un autre moyen de contraception…
Je ne crois pas que la réflexion se termine ici: que faite vous du fait qu’un foetus, être humain en devenir, ne peux vivre hors du corps de la mère par ses propres moyens que à partir du 5 ème – 6ème – 7ème mois (dépendant si l’on a la possibilité d’utiliser les moyens de la néonatalogie moderne ou pas) et encore avec un retard de développement massif des enfants concernés. Je connais plusieurs enfants nés si tôt et qui à 10 / 12 ans n’ont toujours rattrapé ce retard (au niveau physique et psychologique) et probablement ne le rattraperont plus jamais. En tant que tel ils ne sont pas considérés comme handicapés. Néanmoins en comparaison avec leur frère ou soeur ayant pu se développer dans le ventre de leur mère jusqu’à 8.5 – 9 mois, ils n’ont pas les mêmes facultés physiques ou psychologiques. Tout cela pour dire que séparer “le foetus” du corps de la mère ne correspond pas à la réalité du développement humain. Alors oui, je ne cite pas une étude médicale, il ne s’agit que d’anecdotes si on le veut.
Et que veut-on dire par détresse physique et ou psychologique? n’est-ce pas déjà une détresse majeure pour une adolescente, d’avoir eu un comportement ne considérant pas les conséquences possibles – grossesse – et devant porter les conséquences de cette erreur de jugement ou de cette incapacité à identifier des conséquences possibles (n’est-ce pas le propre de l’adolescence et d’un cerveau en plein développement) pour le restant de ses jours. Aucune femme ne prend une décision d’avortement à la légère et sans réflexion. Obliger une jeune fille ou jeune femme à garder un foetus a des conséquences dramatiques pour la mère et pour l’enfant. La mère ne pourra sans doute pas finir sa scolarité ou son apprentissage ou ses études et donc se retrouvera automatiquement au plus bas de l’échelle sociale et financière.
Là aussi je connais malheureusement plusieurs cas de jeunes filles qui ont dû garder le foetus. Dans quelques cas les parents les ont aidées et tout est bien qui fini bien, mais dans la plupart des cas, elles ont été “rejetées” leur vie et celle de l’enfant a été modifiée de manière drastique pour une erreur de jugement.
Nous sommes des êtres humains. Nous faisons des erreurs et nous apprenons par nos erreurs.
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La question qu’il faudrait poser, c’est pourquoi revenir sur cette loi; s’interroger sur la motivation de rouvrir un débat pour la troisième fois en moins d’un an. Je n’en vois pas le but mais repère la cible ratée: recrudescence de la violence et de la maltraitance sur les enfants en Suisse, augmentation du nombre d’incestes sur très jeunes mineurs, humiliations psychologiques graves, etc. (Sources statistiques fédérales, UNICEF et [Innocenceindanger]. Ce n’est pas l’explicitation du code ni les précisions répétées qui étonnent, mais bien certain ton moralisateur qui, tout nuancé, laisse deviner que, comme sur d’autres blogs abrités par Le Temps, le révisionnisme est à l’oeuvre. Quand je lis ce billet, je revois Simone Veil à l’Assemblée Nationale en 1974 (25 heures de débats!) je me demande si on est revenu aux années 50 ou 60, et j’observe que nombre de jeunes femmes suisses d’aujourd’hui sont à la merci d’un matriarcat redoutable, probablement frustré de sa libération sexuelle tant souhaitée. Encourager la vie à tout prix sans considérer les conditions de vie des enfants une fois nés ne me paraît pas de circonstance.
… et j’ajouterai un autre motif pour réfléchir avant tout acharnement à faire naître un enfant: j’apprends cet après-midi que plusieurs pharmacies importantes du canton de Genève sont en rupture de stocks pour nombre de médicaments de base et produits de soin, y compris pour nourrissons et enfants en bas âge. Peut-être un petit message à M. Le Président AB?