Le choix diabolique

Le problème posé par le renvoi des terroristes dans leur pays d’origine même si la torture ou la mort les y attend correspond au très vieux dilemme du choix diabolique : a-t-on le droit de sacrifier volontairement des personnes pour en protéger un plus grand nombre ? C’est un choix auquel les autorités sont parfois confrontées, auquel nos autorités ont été confrontées pendant la dernière guerre mondiale. C’est celui auquel les autorités doivent éventuellement faire face lors de prise d’otage. C’est peut-être le choix auquel nous sommes confrontés actuellement à cause des terroristes.

La réponse n’est pas simplement donnée par le respect du droit fondamental d‘une ou de quelques personnes isolées, car une population a aussi le droit fondamental d’être protégée par ses autorités. La réponse résulte de l’appréciation du risque éventuel encouru si l’on permet au droit fondamental de quelques personnes de primer celui d’une population.

Lorsqu’il s’agit de terroristes, il convient d’apprécier si le danger qu’ils représentent pour une population est plus grand quand ils restent – sous contrôle, on l’espère ! – dans son sein que lorsqu’ils sont renvoyés ailleurs, quel qu’y puisse être leur sort. L’appréciation nécessite évidemment, entre autres, la connaissance précise des exactions commises, de la dangerosité des intéressés, de leur degré de radicalisation etc. Pour certains terroristes, la vie est déshonorante alors que leur mort et celle des autres sont un pas vers la récompense.  Pour d’autres, moins radicalisés, la perspective d’être privés de liberté dans certaines prisons est moins affreuse que celle d’être incarcérés ou jugés ailleurs. La « douceur » de la peine pourrait alors jouer le rôle d’un « appel d’air».

La réponse ne peut pas résider dans un texte rigide, quel qu’il soit. Elle ne sera pas forcément toujours la même, elle doit être purement pragmatique, au cas par cas. Il se peut qu’en fin de compte elle se répète toujours, mais elle ne doit pas permettre aux terroristes ou à ceux qui les utilisent de compter à l’avance sur une solution plutôt qu’une autre. Les autorités doivent avoir la liberté d’apprécier ponctuellement le danger et d’y adapter la solution la moins mauvaise pour la population : garde ou renvoi.

 

 

 

 

Suzette Sandoz

Suzette Sandoz est née en 1942, elle est professeur honoraire de droit de la famille et des successions, ancienne députée au Grand Conseil vaudois, ancienne conseillère nationale.

2 réponses à “Le choix diabolique

  1. 195.1
    Loi fédérale sur les personnes et les institutions suisses à l’étranger
    (Loi sur les Suisses de l’étranger, LSEtr)

    du 26 septembre 2014 (Etat le 1er janvier 2018)

    Section 2 Subsidiarité, limitation et responsabilité de la Confédération
    Art. 42 Subsidiarité

    La Confédération peut soutenir des personnes physiques et morales à l’étranger qui ne sont pas en mesure ou qui ne peuvent raisonnablement pas être tenues d’assumer seules, ou avec l’aide de tiers, la défense de leurs intérêts.

    Il n’y a pas de soucis, la Confédération “peut” et non “doit”, pas fou, le législateur 🙂
    Il est toujours bon de voir ce que l’on a voté récemment!

  2. Dans le sujet que vous analysez, la question s’est déjà posée du sort des enfants de ces personnes. C’est une complication de plus qu’il serait malheureux de laisser de côté. A l’époque, dans le contexte d’une incarcération en Suisse, on faisait peu de cas de l’enfant séparé de son père ou sa mère, il était considéré que la rupture de relations avec la « personne mauvaise » servait indiscutablement les intérêts de l’enfant. Le psychiatre Gérard Salem s’était attaché à étudier ces cas de figure il y a une vingtaine d’années déjà*, en organisant et supervisant des rencontres à la prison. Il a démontré la nécessité de conserver le lien favorable à un bon développement de l’enfant, envers et contre les préjugés que l’on pourrait avoir. Il serait malheureux de ne pas vouloir se pencher sur cette question dès à présent, dans le cadre des décisions de rapatriement ou d’expulsion vers le pays où la personne radicalisée serait jugée. La Suisse, qui a pris son temps pour signer la Charte des droits de l’enfant, ne doit maintenant plus s’attarder pour confirmer sa volonté de prendre au sérieux son engagement dans ce domaine !
    (* Le Temps a consacré un article à des associations en Suisse qui ont pris le relais, dans lequel il aurait été à mon avis convenable de citer le pionnier de la cause qu’elles servent.)

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