La prolifération, catastrophe endogène dont nous risquons de ne pas sortir indemnes

Outre les catastrophes exogènes dont j’ai parlé la semaine dernière, la Terre a été et reste exposée à des catastrophes endogènes tout aussi graves puisqu’elles peuvent également provoquer des extinctions massives. En considérant notre chère planète comme un être vivant auquel il ne manque que la conscience*, ce qu’elle est en réalité puisqu’elle a généré le phénomène de la vie et qu’elle évolue en symbiose avec lui, on peut pousser la comparaison en voyant ces catastrophes comme des maladies résultant de dérèglements de son propre métabolisme (dont nous faisons partie).

*NB : à moins que cette conscience ne soit en fait la nôtre.

Du fait de sa configuration particulière (distance au soleil, masse, nature rocheuse, dynamo interne, atmosphère, eau), la Terre, très tôt, a généré la vie. Au début ce processus était évidemment discret, il n’avait même aucune incidence sur l’ensemble dont il faisait partie. Mais il semble qu’il ne connaisse pas d’autolimitation autre que celui de la concurrence des espèces qui l’expriment et on a assisté plusieurs fois à des dérapages du fait de la prépondérance de l’une ou de l’autre et du déséquilibre qui en est résulté aussi bien à l’encontre des espèces dominées que de l’ensemble de l’environnement planétaire.

Vers -2,4 milliards d’années, les ancêtres des cyanobactéries après avoir épuisé par photosynthèse les réserves de manganèse dissout dans l’eau des océans, s’attaquèrent à l’eau elle-même pour en extraire les électrons (en en rejetant de l’oxygène libre). Cette mutation connut un plein succès et très vite (peut-être un seul million d’années), l’oxygène, rejet métabolique non consommé à l’époque par quelque être vivant que ce soit, prit une place considérable dans l’atmosphère au détriment du gaz carbonique, du méthane et de l’hydrogène sulfuré. Il en résulta une chute de l’effet de serre et une glaciation spectaculaire, rapide et dramatique (dite « glaciation huronienne ») car elle recouvrit l’ensemble du globe (« snowball Earth »). Cette glaciation réduisit drastiquement la population des cyanobactéries (qui ne subsista que sur quelques îles volcaniques). C’était il y a 2,35 milliards d’années et il fallut attendre jusqu’à -2,22 milliards (130 millions d’années!) pour que le volcanisme rétablisse un “meilleur” équilibre gazeux (riche en gaz carbonique). Les cyanobactéries « se remirent au travail », l’oxygène finit par s’installer comme l’un des composants pérennes de l’atmosphère mais parallèlement des organismes procaryotes s’y adaptèrent avec un avantage énergétique très fort. Ainsi certaines archées réussirent à capturer des bactéries utilisant l’oxygène pour les enchaîner dans une relation d’endosymbiose. Cette association fut la base des eucaryotes qui avait un potentiel extraordinaire du fait de leur puissance énergétique. Ce sont eux qui en s’associant finirent par donner vers -600 millions d’années les premiers êtres vivants multicellulaires (édiacariens). Les cyanobactéries qui avaient permis l’évolution de se dérouler, étaient passées à l’arrière plan de la vie.

Aujourd’hui on retrouve l’amorce du même phénomène avec la prolifération incontrôlée de l’humanité. Les dégâts causés par l’explosion démographique sont évidents et malgré les quelques individus conscients du danger causé par le déséquilibre, il semble qu’inexorablement la biosphère actuelle aille à la catastrophe. Si tous considéraient ce monde vu de l’espace, si tous prenaient conscience de la fragilité de notre « pale blue dot » et de son caractère unique, et que nous n’avons pas (encore) de solutions de rechange, on pourrait espérer s’arrêter à temps. Cependant rien n’est moins certain. Certes, quoi qu’il arrive, la Terre ne disparaîtra pas mais elle pourrait se retrouver peuplée dans quelques siècles des résidus dégénérés d’une humanité déchue, dans un environnement occupé par d’autres espèces vivantes dominantes indifférentes ou hostiles (les arthropodes sont de bons candidats !).

Alors, que faire ?

Il faut faire prendre conscience à nos contemporains du risque dans lequel ils se trouvent. Certes notre intelligence et notre science peuvent beaucoup mais peuvent-elles suffisamment pour endiguer, nourrir, éduquer, dans des délais très courts, une population africaine, brésilienne, indienne qui va continuer à croître très fortement ? Allons-nous parvenir à générer suffisamment de ressources pour nourrir, vêtir tout le monde ? Pourrons-nous éviter la propagation de mouvements religieux primitifs et anti-progrès qui rendraient cette capacité scientifique impuissante ? Que va devenir notre biodiversité ? L’homme pourra-t-il vivre sans les espèces qui constituent une part importante de son équilibre écologique. Dans le monde actuel on se rend compte des déficits fonctionnels de la biosphère lorsque des espèces disparaissent. La surpêche du thon fait proliférer les méduses. Toutes une vie animale, microbienne, végétale dépend des éléphants, des girafes, des rhinocéros qui sont massacrés pour des raisons stupides. Que vont devenir l’atmosphère terrestre et la température quand nos poumons verts que constituent les forêts équatoriales auront toutes disparues, mal remplacées par des plantations de palmiers à huile et de cultures vivrières pour une population toujours plus nombreuses et de ce fait misérable. Qu’allons-nous devenir quand toute l’eau douce sera gaspillée dans la culture de plus en plus précaire et difficile de terres de plus en plus arides et quand l’Océan sera devenu une vaste poubelle de détritus plastiques étouffant les derniers poissons ? Qu’allons-nous devenir si les pauvres parmi les pauvres continuent à miser uniquement sur une descendance de plus en plus nombreuse pour les entretenir lorsqu’ils ne pourront plus travailler pour survivre ? Comment contrôler les maladies si nous détruisons la biodiversité végétale source de molécules essentielles pour nos médicaments ? Comment soigner les populations si nous devenons trop pauvres pour faire travailler nos laboratoires, concevoir de nouveaux médicaments et les diffuser à la surface du globe ?

Il est temps d’arrêter les bons sentiments qui nous imposent le respect des autres quoi qu’ils fassent. Il est temps de dire que certaines choses sont bonnes pour la planète et donc pour l’homme, et d’autres mauvaises. Il est temps de proclamer qu’une bonne économie n’est pas une économie qui distribue mais une économie qui produit pour distribuer et qui investit pour améliorer son efficience et donc diminuer son impact écologique. Il est temps de proclamer que la solution à nos problèmes n’est pas le retour à un âge d’or irréel mais la construction d’un futur raisonné et rationnel fondée sur la science et le progrès technologique. Il est temps aussi de préparer notre installation sur Mars. L’autonomie d’une implantation humaine pérenne n’y est pas pour demain mais l’entreprendre aujourd’hui constituerait quand même un « plan B » ainsi qu’un laboratoire extraordinaire pour l’étude du recyclage et l’adaptation aux milieux extrêmes dont nous avons besoin ici, sur Terre.

En attendant de pouvoir « peupler les étoiles », ne nous comportons pas comme des cyanobactéries, utilisons notre intelligence et soyons doux et respectueux avec notre mère la Terre.

lecture: “A new history of Life” par Peter Ward et Joe Kirschvink (Bloomsbury Press, 2015).

Image à la Une : « snowball Earth ». Comme souvent dans les phénomènes naturels, il y a auto-accélération. Dans ce cas, la réflectivité du globe s’accroît au fur et à mesure que la glace s’étend et l’ensemble de la planète devient plus froid ce qui accélère la glaciation.

Image ci-dessous :accroissement de la population mondiale depuis 1950 et prévisions telles que vues sur la base de chiffres 2015 par la “United Nations Population Division”. Vous remarquerez que nous tendons vers 10 milliards en 2050 (ligne médiane en rouge, tracé continu) contre 7 milliards aujourd’hui (40% de plus!). Il existe des hypothèses moins effrayantes mais leur réalisation n’est pas la plus certaine. NB: les deux tracés en tirés de couleur rouge encadrent les probabilités supérieures à 80% et les tracés en pointillés de même couleur, les probabilités supérieures à 95%.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.