Les grandes catastrophes exogènes, l’un des facteurs de personnalisation de nos environnements planétaires

Comme on l’a vu, la Terre fait partie d’un environnement spatial bien particulier. En outre, son histoire a été rythmée par une succession de grandes catastrophes, les unes exogènes (que l’on pourrait qualifier de « hard »), les autres endogènes (que l’on pourrait qualifier de « soft »), qui sont comme des aiguillages ayant fléché l’évolution de son environnement et de son contenu (y compris le processus biologique) dans des directions totalement imprévisibles mais inévitables, un peu comme l’eau qui coule depuis sa source et qui s’insinue dans les voies qu’on lui ouvre. Il résulte de cette histoire littéralement « à nulle autre pareille », un bijou très précieux, la vie terrestre actuelle (et éventuellement nous-même) dont la reproduction à l’identique ailleurs semble très fortement improbable. C’est dommage pour les « petits-hommes-verts » mais c’est ainsi.

Considérons d’abord les catastrophes exogènes

Au début de l’Histoire, Mars et la Terre étaient sans doute assez semblables, puisque situées dans la même « zone habitable » du système solaire, et gorgées d’eau. Il y avait certes déjà des différences en germe. La Terre était plus proche du Soleil donc plus chaude ; Mars avait une masse nettement inférieure puisqu’une grande partie des éléments qui auraient pu la constituer avait été absorbée par Jupiter ; la Terre était dotée d’un très gros satellite stabilisateur et générateur de fortes marées, la Lune. Les premières centaines de millions d’années durent cependant s’écouler de manière semblable. Les planètes se refroidirent (Mars plus rapidement car moins massive) perdant peu à peu l’énergie thermique emmagasinée du fait de l’accrétion. Le bombardement météoritique continuait mais avec des astéroïdes plutôt que des planétoïdes. Les impacts fréquents entretenaient un volcanisme puissant régénérateur de l’atmosphère. Mars cependant perdait plus rapidement son enveloppe gazeuse du fait d’une force de gravité plus faible. Sur Terre et peut-être sur Mars, le processus d’évolution pré-biotique était enclenché.

Une salve d’astéroïdes plus massifs que ceux reçus depuis l’accrétion, le « Grand Bombardement Tardif », vint perturber, réchauffer, rajeunir, les deux planètes. On était vers -4 milliards et les planètes existaient tout de même depuis 500 millions d’années. La chimie prébiotique en cours avait dû sensiblement évoluer depuis que la Terre, et peut-être Mars, avaient commencé à « fonctionner » en tant que « réacteurs ». Elle dut s’accommoder de cet événement brutal du fait de son niveau primitif mais il n’est pas exclu que le processus ait connu à ce moment un premier fléchage important, sur Mars comme sur Terre.

A partir de là les différences se révélèrent de plus en plus nettement, la surface de Mars s’asséchant puisque le solde net du volume de son atmosphère se réduisait constamment. Les éruptions volcaniques remplaçaient de moins en moins complètement les pertes gazeuses dans l’espace car la croûte planétaire s’épaississait très vite, alors que la Terre se stabilisait dans une répétition plus horizontale de ses cycles planétaires. La vie y apparut vers -3.8 milliards d’années. Vers -3,5 milliards, Mars sortait de l’âge du soufre (« Théiikien »), élément qui dominait les rejets volcaniques, et devenait de moins en moins active en s’enfonçant dans l’âge du fer (« Sidérikien »). La Terre malaxait son eau avec ses roches dans une tectonique des plaques sans doute encore verticale et sa croûte durcissait lentement.

Vers -3,2 milliards, une salve de gros impacts frappa à nouveau la Terre comme en témoigne notamment la couche de 30 cm de sphérules vitreuses, « S3 », de Barberton, en Afrique du Sud, datée de -3,243 milliards (l’extinction « KT » qui marqua la fin des dinosaures ne fait que 3 cm d’épaisseur !). Ce fut peut-être ce choc qui déclencha la tectonique horizontale des plaques qui fonctionne toujours aujourd’hui. La Terre était « mure » pour cette évolution. Sa croûte n’était pas trop épaisse et elle était ductile, sécable mais souple. Les extrémités des plaques commencèrent à glisser, entrainées par leur poids, sous les continents, se rompant en leur milieu immergé, créant un environnement idéal pour les échanges et les alliances entre éléments prébiotiques. Par ailleurs les nouveaux impacts n’étaient plus si terribles qu’ils puissent volatiliser les océans. Au contraire ils mélangeaient les eaux, permettant aux êtres vivants prospérant sur les lignes de fumeurs gris, de remonter vers la surface, vers la lumière du soleil et vers les rivages pour continuer leur évolution. Sur Mars, on vient de déceler la trace d’un impact comparable (pour le moment daté approximativement entre -3,5 et -3,2 milliards d’années) ayant causé un terrible tsunami. On ne connaît évidemment pas son effet sur le (possible) milieu prébiotique (ou vivant ?) local.

Les catastrophes extérieures, impacts météoritiques mais aussi sans doute quelques événements radiatifs (tempêtes de rayons gamma provenant de supernovæ proches? comme dans l’illustration choisie pour cet article ) se reproduisirent à intervalles irréguliers, chacune ajoutant sa touche de personnalisation à la planète concernée (les radiations touchant les deux planètes mais les impacts, l’une ou l’autre). On avança ainsi dans l’Histoire. Nous connaissons évidemment mieux les plus récentes, c’est-à-dire celles qui interférèrent avec une vie de plus en plus évoluée (qui se développa sur Terre à partir de l’ère cambrienne) dont le plus fameux (KT, mentionné ci-dessus) qui provoqua l’extinction des dinosaures il y a seulement 66 millions d’années. Ce qui est notable c’est qu’à chaque fois les cartes furent rebattues entre les espèces vivantes et que celles qui survécurent ne furent pas les espèces dominantes (épanouie à l’époque passée et non adaptée à survivre dans l’époque nouvelle).

Qu’en a-t-il été sur Mars ? S’il y a eu vie, les cartes ont été également rebattues à des époques variables avec des conséquences différentes sur des processus évoluant séparément sur des voies darwiniennes qui forcément leur étaient propres. Ce qu’on sait c’est que la tectonique horizontale des plaques ne s’étant pas déclenchée sur Mars, nous avons toujours en surface, sauf dans les zones volcaniques ou les basses Terres du Nord, réceptacle probable d’un Océan plus ou moins liquide (glace, débris alluviaux des Hautes-terres, nappages volcaniques), des roches très anciennes témoins de la solidification de la croûte de la planète (la fin de sa période hadéenne) et porteurs possibles de fossiles de son époque humide (phyllosien). Cela vaut le voyage !

Illustration de titre :

L’explosion en supernova d’une étoile « voisine » expose la Terre à un rayonnement gamma intense. La bulle en expansion de l’explosion (incolore mais figurée ici en bleu) prive l’atmosphère de son ozone et crée un brouillard (brun) de NO2 (dioxyde d’azote) ; les rayons Uv les plus durs parviennent à la surface du sol. Un événement de ce type causé par une étoile distante de 6000* années-lumière, a pu créer une extinction massive sur Terre, il y a quelques centaines de millions d’années. Crédit image : NASA

*NB: Notre galaxie, la Voie Lactée, a un diamètre de 100.000 à 120.000 années-lumière.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.