Nos ancêtres eucaryotes, des chimères tout à fait improbables

Trouver la vie ailleurs que sur Terre sous forme de procaryotes (bactéries ou archées) semble improbable ; la trouver sous forme d’être hybrides comme les eucaryotes dont nous sommes faits est encore plus difficile à imaginer.

Dans mon article précédent j’ai parlé des nombreuses conditions qu’a dû réunir un réacteur biochimique comme la Terre pour donner naissance à la vie en la « personne » de LUCA (« Last Universal Common Ancestor »), notre ancêtre commun à tous, il y a environ 4 milliards d’années. Après ce premier « miracle », il en a fallu un deuxième, l’hybridation d’un groupe d’archées et de bactéries par endosymbiose des secondes dans les premières, il y a sans doute un peu moins de 2 milliards d’années, donnant notre LECA (« Last Eukaryotic Common Ancestor ») et nous mettant sur la piste de la vie complexe dont nous sommes aujourd’hui l’expression la plus parfaite (sans faire d’anthropocentrisme, n’ayons pas peur de le dire !).

Le caractère vraiment extraordinaire de ces événements est que l’avènement de LECA tout comme celui de LUCA n’est arrivé qu’une seule fois dans notre très longue Histoire. Les deux ont bien sûr résulté d’une évolution darwinienne mais il faut bien les voir comme un croisement sans retour de deux trajectoires, celle de l’évolution de l’environnement planétaire sous l’effet de la vie elle-même (pour LECA, l’introduction en masse d’oxygène dans l’atmosphère terrestre par les cyanobactéries) et celle de l’évolution de la vie représentée alors exclusivement par des procaryotes, êtres unicellulaires cousins (archées et bactéries). Sur le plan biologique cette évolution était possible puisqu’elle est survenue, mais totalement improbable (on n’a d’ailleurs trouvé aucun fossile de cellule proto-eucaryote, ce qui renforce la probabilité de son caractère accidentel).

En effet, un procaryote, être vivant sans noyau (et sans organelle inclue), est comme tout autre être vivant, grégaire et symbiotique. Il peut s’associer à d’autres procaryotes pour former par exemple des tapis microbiens ou d’autres ensembles (microbialites) dont il ne reste que les rejets métaboliques (stromatolithes par exemple). Il peut aussi profiter des rejets métaboliques des autres êtres vivants et les faire profiter des siens propres. Il pratique donc la symbiose mais ne pratique ni l’endosymbiose ni la phagocytose, c’est-à-dire qu’il n’introduit aucun « partenaire » vivant à l’intérieur de son propre organisme et qu’il n’avale pas ses proies pour les consommer comme les eucaryotes peuvent le faire ; sa paroi cellulaire l’en empêche et « il ne fonctionne pas comme ça ». Il est structuré pour adapter sa nourriture à ses besoins par les enzymes qu’il émet à l’extérieur de lui-même et l’événement inouï qui est arrivé entre 1,5 à 2 milliards d’années, c’est qu’un groupe d’archées est parvenu à pratiquer une endosymbiose avec des bactéries. C’est-à-dire que des archées sont parvenues à faire entrer des bactéries, sans doute déjà fonctionnellement associées, à l’intérieur de leur membrane cellulaire sans que l’une ou les autres ne se détruisent. Elles les ont ensuite utilisées, après les avoir réduits biologiquement à la seule fonction qui leur était utile, comme des mitochondries ou des chloroplastes après avoir préservé leurs propres personnalités dans leur noyau. Cette coopération leur a donné une puissance phénoménale qui leur a permis de se développer en taille (un eucaryote est plus de 10.000 fois plus volumineux qu’un procaryote), ce qui “tombait à pic” car l’énergie de qualité supérieure dont elles avaient besoin pour prospérer pouvait à ce moment-là, leur être fournie par un gaz nouvellement abondant dans l’atmosphère et dans l’eau de l’Océan, l’oxygène, généré sur des centaines de millions d’années par des cyanobactéries (« algues bleues »). Le phénomène ne s’est pas reproduit par la suite. Il n’y a pas eu de second LECA comme il n’y avait pas eu de second LUCA.

Ensuite, toutes sortes d’accidents, ont permis des associations d’eucaryotes en organismes extrêmement divers avec spécialisation cellulaire, des êtres vivants complexes puis des animaux et des hommes. Cette histoire a été ponctuée de destructions massives dont seules quelques espèces à chaque fois survécurent. La vie a continué, surmontant ces obstacles, en empruntant les canaux de ces quelques espèces survivantes. Rien n’était écrit. Si l’astéroïde de Chicxulub n’était pas tombé sur Terre il y a 66 millions d’années (pour reprendre seulement l’événement catastrophique responsable de la dernière grande extinction « K-T », à la fin du Crétacé), la petite espèce de musaraigne ancêtre de tous les mammifères placentaire (qui porte le doux nom d’Ukhaatherium nessovi) et, in fine, de l’homme, n’aurait eu aucune chance de prospérer.

Ne rêvons pas! La vie complexe, consciente d’elle-même, est certainement extrêmement rare dans l’univers et, compte tenu des distances et du temps qui nous séparent des étoiles, il est extrêmement improbable que nous la rencontrions un jour ailleurs. Jacques Monod écrivait dans Le Hasard et la Nécessité: « Le hasard pur, le seul hasard, liberté absolue mais aveugle, à la racine même du prodige de l’évolution, cette notion centrale de la biologie moderne n’est plus aujourd’hui une hypothèse parmi d’autres possibles ou au moins concevables. Elle est la seule concevable, comme seule compatible avec les faits d’observation et d’expérience ». Cela laisse relativement peu d’espoir concernant notre possibilité de converser un jour avec nos amis extraterrestres qui n’existent très probablement que dans les bandes dessinées. Pour l’équivalent des bactéries, on verra (peut-être sur Mars !?).

Image à la Une : vue d’artiste (Carl Buell)  d’Ukhaatherium nessovi, ancêtre des 5100 espèces de mammifères placentaires (dont l’homme). Ce petit animal de 200 grammes dont les restes fossilisés ont été découverts en 1994 dans le désert de Gobi, est cousin de l’ancêtre des mammifères marsupiaux et de celui des mammifères monotrèmes.

Lecture: Nick Lane (professeur au Dept de Génétique, Evolution et Environnement de l’University College London): « The Vital question », sous-titré « Why is life the way it is » (Editions Profile Books).

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

2 réponses à “Nos ancêtres eucaryotes, des chimères tout à fait improbables

  1. Deux ” miracles ” sur quatre milliards d’années .. En moyenne donc 1 miracle tous les 2 milliards d’années. Rendez-vous dans 20 milliards d’années pour vérifier si la moyenne est respectée s’il y a eu 10 autres “miracles ” … Ou aucun .. Ou quelques centaines .. Qui sait. 😉

    1. Pour continuer sur votre mode ironique, je dirais que les miracles sont effectivement très rares! De plus le propre des miracles c’est que leur occurrence est en principe imprévisible. C’est dommage car nous en aurions bien besoin. En effet, ce à quoi on pourrait s’attendre aujourd’hui, dans le domaine de la vie, c’est à une extinction massive (y compris de l’humanité) causée par le développement sauvage de l’activité humaine à la surface de notre chère planète (sans même envisager l’impact d’un astéroïde énorme, toujours possible). Heureusement il y a une prise de conscience. C’est un espoir. Mais on ne pourra dire que c’est un miracle que si cette prise de conscience conduit, avant la catastrophe, à une action et surtout, un résultat positif. Cette action, à mon avis, c’est la poursuite du progrès technologique qui devrait nous permettre de maîtriser ce développement (et la démographie!). Aurons nous le temps? La réponse est plus qu’incertaine. C’est pour cela qu’il ne serait pas mal de se donner un “plan B” en commençant à nous installer sur Mars (et ce ne serait pas mal non plus pour l’hypothèse astéroïde!). L’autonomie de l’établissement que nous pourrions y créer sera longue et difficile à mener à bien mais si nous ne commençons pas maintenant, son éventualité sera encore plus incertaine.

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