Quand on considère l’histoire de la vie sur Terre, on constate de nombreuses inflexions de trajectoire imposées par les événements catastrophiques survenus (« extinctions massives »), les fluctuations du niveau de l’oxygène dans l’atmosphère ou la simple concurrence entre espèces. A divers niveaux, des taxons entiers d’être vivants sont sans fruit, d’autres poussent, se développent, occupant les niches écologiques laissées vides ou précédemment non occupées. Cela a conduit au développement d’un arbre phylogénétique dont les ramifications sont de plus en plus nombreuses et s’étendent dans des directions imprévues et imprévisibles.
Il faut bien voir que ces modifications sont sans retour (la vie ne fait pas réapparaître les combinaisons génétiques disparues) et que les victimes, comme les rescapés, sont largement les résultats du hasard (celui de la chute d’un astéroïde, de la survenance d’une supernova, d’une catastrophe endogène ou seulement de l’évolution du milieu). Quel chemin aurait pris la vie si la faune ediacarienne n’avait été victime d’une extinction massive il y a 540 millions d’années ? Les méduses seraient-elles un jour devenues intelligentes ? Si la prolifération cambrienne n’avait été si exubérante et ne s’était suicidée en causant un déséquilibre qui leur était néfaste dans la composition de l’atmosphère, les opabinia auraient-ils eu une descendance dominante ? Si les dinosaures n’avaient été quasiment effacés de la surface du globe par la chute d’un astéroïde il y a 65 millions d’années, nos petits ancêtres mammifères seraient-ils restés éternellement dans leur ombre en laissant « passer leur tour » ?
La vie « ailleurs », si elle a pu émerger de combinaisons chimiques de plus en plus complexes en surface d’un biogénérateur planétaire exposé favorablement aux rayonnements de son étoile, a dû suivre un cheminement tout aussi complexe et original que le nôtre. Il est impossible que ses embranchements aient été les mêmes que les nôtres et ceci dès la constitution de ses éléments les plus primitifs (protéines – mais quels acides aminés ? nucléotides – mais quelles bases azotées et quels sucres ? phospholipides – mais associés à quelles protéines et à quels glucides pour former les membranes des cellules ?). Il est donc également impossible que les êtres vivants qui pourraient la constituer aujourd’hui soient génétiquement proches des nôtres. Cela ne veut pas dire que fonctionnellement ils ne pourraient être semblables (sensibilité, mode de nutrition, mobilité, conscience, communication) puisqu’ils auraient pu être confrontés à des besoins et des difficultés comparables, mais ils seraient différents. Par ailleurs le stade de développement qu’ils auraient pu atteindre est tout à fait incertain. Il n’y avait nulle nécessité que la vie apparaisse sur Terre et les dinosaures auraient pu rester les maîtres de notre monde.
Il serait probablement vain de chercher la vie « ailleurs » sur une planète du système solaire autre que Mars puisque les conditions environnementales minimum n’auront sans doute jamais pu y être remplies (il est moins que certain que les conditions prévalant dans les océans sous-glaciaires des lunes des planètes géantes, privés de lumière du soleil, soient suffisantes). Sur Mars, cela a été possible dans les premières centaines de millions d’années. Mais, confrontée à la dégradation très forte de l’environnement dès -3,5 milliards d’années, la suite de l’histoire de la vie martienne s’est très probablement limitée à la simple survie, peut-être sans succès et en tout cas sans les floraisons robustes et exubérantes que nous avons connues sur Terre. Maintenant nous avons peut-être été les bénéficiaires d’une genèse martienne puisqu’il semble que la Terre ait été à ses débuts une planète-océan alors que l’eau liquide a toujours été plus rare sur Mars et que, pour son émergence, la vie a dû bénéficier d’alternances de présence et d’absence d’eau. Il est toujours possible qu’une météorite nous ait apporté le premier embryon de vie éclos sur Mars. Dans cette hypothèse les météorites “SNC”* trouvées sur Terre, dans lesquels certains de nos scientifiques estiment identifier (avec arguments tout à fait sérieux) des traces de vie passée, s’avéreront bien être les porteuses d’informations dont nous finiront par trouver confirmation sur Mars.
*Météorites shergottites, nakhlites et chassignites, notamment Nakhla 000541, Yamato 000593, ALH 84001 ou Tissint.
Pour ce qui est de chercher la vie « ailleurs », encore plus loin, c’est-à-dire dans la « zone-circumstellaire-habitable » d’une autre étoile située dans la « zone-galactique-habitable », attendons que les résultats de la recherche SETI ou mieux l’analyse spectrographique d’une atmosphère planétaire examinée à travers la lumière de son étoile*, révèlent la présence d’oxygène (ou d’un autre gaz en proportion anormale, pouvant témoigner d’une activité biologique). Il ne faut pas désespérer même si les premières dizaines d’années de recherche n’ont rien donné (car on ne sait ni où se trouvent les éventuels extraterrestres, ni quelles longueurs d’ondes électromagnétiques ils utilisent pour communiquer). Mais il faut bien avoir conscience que les planètes comme la Terre doivent être extrêmement rares et que la probabilité qu’une vie de type terrestre puisse se développer et subsister dans notre fenêtre de temps, est très faible. Pourquoi en effet y aurait-il « concordance des temps » ? Pourquoi maintenant plutôt que dans un million d’années, condition d’autant plus contraignante que très rapidement nous ne pouvons plus « voir » nos contemporains du fait de la limitation (courbure temporelle) que nous impose la vitesse de la lumière? Qu’est-ce qu’une distance de quelques cent années-lumière (les premières émissions radio remontent à 1914!) par rapport aux dimensions de l’univers dans lequel une galaxie assez banale comme la nôtre, a un diamètre d’environ 120.000 années-lumière ?!
*les hypothétiques vies extraterrestres voisines n’ont peut-être pas atteint un niveau technologique leur permettant d’utiliser le rayonnement électromagnétique pour communiquer.
Image à la Une : La faune d’Ediacara (prépondérante sur Terre il y a 600 millions d’années) telle que vue par Alain Bénéteau, paléontographiste. A noter que la vie sur Mars n’a peut-être atteint que le niveau des stromatolithes (“boules” de microbialithes au second plan à droite sur l’image).
lecture: “A new history of Life” par Peter Ward et Joe Kirschvink, chez Bloomsbury Press (2015). Les auteurs insistent notamment sur la concordance entre les fluctuations du pourcentage de l’oxygène dans l’atmosphère et l’évolution des espèces; les périodes de faibles pourcentages d’oxygène étant les plus défavorables à la vie existante mais les plus stimulantes pour la vie future.