Combien ça coûte ?

En voyant fleurir les projets de télescopes de nouvelle génération, beaucoup plus puissants que les précédents, l’on peut à juste titre se demander « combien ça coute ». La réponse est « pas aussi cher que ce que vous pouvez penser ».

Le premier des quatre VLT de l’ ESO* du Cerro Paranal (désert de l’Atacama), a couté 345 million de dollars (en 1998 i.e. 500 M d’aujourd’hui). L’E-ELT (ESO) du Cerro Amazones (Atacama), dont la construction a débuté en 2014 et dont la première lumière est attendue en 2024 devrait coûter 1,08 milliards d’euros (en 2012 i.e. 1,13 aujourd’hui). Le radiotélescope ALMA (NRAO, Etats-Unis ; ESO ; NRCC, Canada ; NAOJ, Japon ; ASIAA, Taiwan ; République du Chili) dont le réseau de 66 antennes de 12 et 7 mètres de diamètre se déploie actuellement sur le plateau de Chajnantor (Atacama), doit couter 1,4 milliards de dollars ; c’est le plus cher des systèmes d’observation à la surface de la Terre. Dans l’espace, le JWST (NASA + ESA*) qui doit remplacer Hubble devait coûter 1,6 milliards et coûtera finalement 8,8 milliards ; c’est le plus cher des systèmes d’observations opérant dans l’espace.

*NB : La Suisse est membre de l’ESO (European Southern Observatory) comme de l’ESA (European Space Agency).

On peut comparer ces coûts à ceux de la mission d’exploration robotique MSL (« Curiosity ») chiffrés à 2,5 milliards de dollars ou à ceux d’une mission habitée sur Mars, probablement une cinquantaine de milliards de dollars (à dépenser sur une douzaine d’années), ou au budget 2016 de la NASA, 19 milliards de dollars (0,5% des dépenses publiques de l’Etat fédéral américain), et à celui de l’ESA, 5 milliards d’euros. On peut aussi les rapprocher du prix du plus gros porteur d’Airbus, l’A380, qui est proposé, « sur catalogue », à 428 millions (l’équivalent d’un VLT).

Les dépassements successifs du budget du JWST ont fortement déplu aux décideurs politiques et trouver des financements pour les autres télescopes n’a jamais été chose facile. Mais au-delà du montant total, il faut bien voir que la réalisation (donc la dépense) s’étale sur une longue période, souvent une dizaine d’années (conception du télescope, préparation du terrain, conception et réalisation des instruments, construction – 4 ans pour l’E-ELT -).

Ensuite, pour tous ces actifs, l’amortissement se fait sur une durée longue. Il est difficile de prévoir l’obsolescence mais le temps d’utilisation des grands télescopes des années 1990 est encore l’objet d’une forte demande. Les constructeurs de l’E-ELT visent une durée de vie de trente ans, minimum. Le JWST et les autres télescopes spatiaux ont une durée de vie plus courte car on doit les alimenter avant leur lancement avec l’énergie nécessaire à leur fonctionnement et, pour certaines longueurs d’ondes, un liquide de refroidissement, mais leur durée de vie est quand même assez longue. Ainsi le JWST emportera la quantité d’énergie et de liquide de refroidissement nécessaires pour fonctionner pendant 10 ans.

Il faut donc voir ces grands télescopes comme des investissements qui certes coûtent cher mais qui représentent des montants acceptables dans notre système économique, d’autant qu’ils génèrent des revenus et offrent des retombées non directement chiffrables mais importantes. En effet, les propriétaires louent le temps d’utilisation très cher (en fonction de la demande qu’en expriment les universités, laboratoires ou centres de recherche). Les prix demandés peuvent couvrir une bonne partie des frais de fonctionnement et l’amortissement des équipements. La recherche nécessaire pour obtenir une optique satisfaisante, ou pour obtenir une informatique performante pour faire fonctionner les instruments peuvent aussi avoir des retombées dans d’autres domaines. Enfin les pays hébergeurs, comme le Chili ou Hawaï reçoivent du fait de ces installations, des paiements effectués pour la construction (infrastructure, transport) et pour l’hébergement des ingénieurs et des scientifiques. Ils peuvent aussi en profiter pour dynamiser leur propre activité scientifique y compris dans l’enseignement universitaire et créer pour leur propre population scientifique une intégration dans les cercles de recherche mondiaux les plus prestigieux et les plus productifs. Des régions totalement inhospitalières deviennent aussi des centres de ressources économiques, sans compter l’image de modernité qui peut aussi être exploitée pour d’éventuelle retombées touristiques.

Ces considérations économiques pourront peut-être adoucir les critiques de ceux qui pensent que toutes dépenses autres que celles ayant un objectif médical ou social, constituent un divertissement inacceptable. Il ne faut évidemment pas se faire d’illusions, l’humanité comprendra toujours une partie de sceptiques, de blasés, d’aveugles volontaires et de sectaires hostiles par principe. Le plus important étant que suffisamment d’hommes sur Terre soient convaincus du bien-fondé de cette recherche pour qu’elle continue. Pour cela il faut en parler.

Image à la Une : télescope JWST (image crédit NASA). Sous le télescope proprement dit avec son miroir segmenté de béryllium, on voit les feuilles du grand radiateur permettant de dissiper l’énergie thermique. La plateforme du télescope est située en dessous du radiateur (du côté éclairé).

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.