L’Interférométrie, exhausteur des ondes électromagnétiques

La taille des télescopes est limitée par toutes sortes de contraintes alors que nous avons besoin de réceptacles d’ondes de plus en plus grands pour voir de plus en plus loin. L’interférométrie donne une réponse à ce problème en permettant de créer un réceptacle virtuel dont la taille est égale à la distance entre ses éléments constituants les plus éloignés.

Pour expliquer l’interférométrie (théorisée par Hippolyte Fizeau en 1850 puis Antoine Labeyrie en 1970), on pourrait dire que les ondes reçues en même temps par un miroir donnent l’image de l’objet qui les émet même si une partie du miroir est cachée. En fait la résolution sera la même que si le miroir a la dimension de la distance entre ses éléments extrêmes, la différence étant que la quantité de lumière étant moins grande, l’image sera moins nette. On peut étendre le raisonnement à deux ou plusieurs miroirs (ou antennes) regardant la même source lumineuse (ou ondes électromagnétiques en général) comme si ces différents miroirs ou antennes étaient des points d’un plus grand réceptacle. La difficulté posée par ce système de collecte qu’on pourrait dire « segmenté » ou ponctuel est de coordonner la réception des ondes (lumineuses ou autres) pour qu’elles soient « vues » en même temps (ou comme dise les astronomes, pour annuler leur « différence de marche »). C’est justement ce que permet l’informatique et c’est ce qui a permis de construire depuis peu des télescopes travaillant en interférométrie puis des réseaux de télescopes interférométriques (ce qu’Antoine Labeyrie nomme des « hypertélescopes »), de plus en plus grands, dans les domaines optiques aussi bien que millimétriques et radio. Les réalisations les plus remarquables (et les plus récentes) sont le VLTI et l’ALMA.

En optique le « VLTI » (« Very Large Telescope Interferometer ») de l’ESO, est composé des quatre miroirs de VLT de 8,20 mètres et de leurs quatre « petits » télescopes mobiles auxiliaires de 1,8 mètres, situés au sommet du Cerro Paranal, à 2635 mètres d’altitude dans les Andes du Nord du Chili. Combiner leurs lumières lui permet d’obtenir la résolution qu’aurait un télescope de 140 à 200 mètres de diamètre (selon la position des petits télescopes auxiliaires). L’hypertélescope fonctionne avec une optique dont le réglage est extrêmement délicat, la lumière de chaque télescope passant dans des « lignes à retard » pour compenser la différence de chemin que les ondes lumineuses parties en même temps de la même source, doivent parcourir pour atteindre chacun des télescopes. La précision est de l’ordre du milliardième de mètre.

En ondes radio, « ALMA » (« Atacama Large Millimeter/submillimeter Array ») est composé de 66 antennes de haute précision situées sur le plateau de Chajnantor, à 5000 mètres d’altitude, également dans le Nord du Chili. Il est le fruit d’une collaboration mondiale (ESO, NSF –Etats-Unis, NINS – Japon, NRC – Canada, NSC et ASIAA –Taïwan, KASI -Corée). C’est l’un des plus grands projets astronomiques en cours de réalisation (à côté du SKA et de l’EHT). Les ondes radio présentent une difficulté particulière par rapport aux ondes visibles, c’est que plus la longueur d’onde est grande moins la résolution est bonne et plus grande doit être l’antenne (une antenne ALMA de 12 mètres aura une résolution de 20 secondes d’arc tandis qu’un miroir de VLT de 8,2 mètres – ondes visibles – aura une résolution de 50 millisecondes d’arc). C’est sans doute pour cela que l’interférométrie s’est vite imposée pour l’étude de cette partie du spectre des ondes électromagnétiques. Dans le cas d’ALMA les distances extrêmes entre les antennes, pourront varier entre 150 mètres et 16 km. Au mieux, on pourra donc jouir de l’équivalent d’une antenne de 16 km (mais dans cette configuration, il y aura une densité d’antennes très faible et donc même si la résolution sera excellente, l’intensité des images sera faible).

l’« EHT » (« Event Horizon Telescope ») auquel travaillent Shepherd Doeleman et son équipe, veut pousser encore plus loin la logique du système, en utilisant plusieurs dispositifs interférométriques ensemble sur la même longueur d’onde (1,3 mm): le South Pole Telescope, ALMA, le Large Millimeter Telescope (Mexique), le Submillimeter Telescope du Mont Graham (Arizona), le James Clerk Maxwell Telescope, le Submillimeter Array (les deux à Hawaï) et l’antenne de 30 mètres de la Sierra Nevada (Espagne), le cœur du système étant constitué par ALMA. Plus les antennes seront nombreuses plus les images gagneront en netteté. Les données seront enregistrées sur chaque site puis recombinées par un supercalculateur, donnant des images que pourraient recueillir un radiotélescope de 11.000 km de diamètre (résolution d’une vingtaine de microsecondes d’arc (µas)).

Le but est de voir (indirectement par les effets qu’il cause) le trou noir de notre galaxie, Sagitarius A* (« SgrA* ») autour duquel elle tourne et qui est situé à 27.000 années-lumière. Le rayonnement de 1,3 mm permet de presque percer le rayonnement radio de SgrA* qui devient transparent à lui-même à partir de 1 mm (on espère ensuite passer de 1,3 à 0,8 mm).

On voit bien avec l’interférométrie les progrès énormes que va pouvoir faire l’astronomie. Au-delà de l’EHT, la perspective est évidemment de placer des flottes de télescopes ou d’antennes en orbite autour du Soleil. Cela viendra !

Image à la Une : le sommet du Mont Paranal avec son VLTI (crédit : ESO).

Image ci-dessous : Quelques unes des antennes d’ALMA (crédit ESO).

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.