L’adhésion de la Suisse au gigantesque radiotélescope SKA a été célébrée à Davos ce 25 mai

C’est le 17 décembre 2021 que le Conseil Fédéral a approuvé le financement nécessaire, 24,7 millions de CHF, s’ajoutant aux 8,9 millions déjà engagés, pour que la Suisse devienne membre à part entière du SKAO* et participe à la construction et aux opérations de ce radiotélescope géant jusqu’en 2030 (fin des travaux de réalisation de l’ensemble qui ont commencé en juillet 2021) ; cette qualité devant lui donner accès en permanence aux données les plus récentes collectées.

*Square Kilometer Array Observatory (après Square Kilometer Array Organization).  

Suite à candidature, l’admission de la Suisse comme « full-member » a été formellement acceptée par les sept membres fondateurs de la « collaboration » (communauté scientifique) le 12 janvier 2022. Le nouveau membre (SKA-CH), premier des « non-fondateurs », a tenu à la suite de cette admission, le 25 mai 2022, une table-ronde (dirigée par Olivier Küttel*) dans le cadre du World Economic Forum de Davos, à laquelle participaient les personnes ayant œuvré pour l’admission. Il s’agit de la Secrétaire d’Etat pour l’éducation, la recherche et l’innovation, Martina Hirayama qui a « ouvert les cordons de la bourse » ; la Professeure Catherine Cesarski, astrophysicienne de renommée mondiale, présidente du conseil d’administration du SKAO ; Phil Diamond, astrophysicien, Professeur à l’Université de Manchester, Directeur Général du SKAO ; le président de l’EPFL, Martin Vetterli ; Michel Hübner, « Swiss Industry Liaison Officer » pour les organismes de recherche internationales (SERI/EPFL) ; et bien sûr le Professeur Jean-Paul Kneib, directeur du Laboratoire d’astrophysique de l’EPFL (LASTRO), directeur de son département eSpace et coordonnateur de l’équipe des scientifiques suisses qui utiliseront le SKAO. C’est le Professeur Kneib qui par ailleurs a monté le dossier sur lequel a pu se faire l’admission.

*Olivier Küttel est le Délégué du président de l’EPFL aux affaires internationales.

Ce n’est pas un événement mineur car le SKA est le radiotélescope le plus puissant et le plus sensible jamais construit à ce jour, de par sa surface de collecte (l’équivalent, du fait du nombre et de l’implantation de ses antennes, d’une seule antenne de 1 km2 de surface) et l’échelle des longueurs d’ondes (bande passante) qu’elles couvrira (50 MHz à 15 puis 30 GHz). Son objet principal est la compréhension de la formation des premières galaxies et étoiles. Mais il pourra aussi nous permettre de mieux comprendre le rôle du magnétisme cosmique, la nature de la toujours hypothétique matière noire, celle de l’énergie sombre et de sa force contraire, la gravitation, ainsi qu’éventuellement nous permettre de faire progresser la recherche SETI (au cas où nous capterions une émission radio ayant des caractéristiques ne pouvant être naturelles). L’avantage de la radioastronomie par rapport à la collecte des ondes lumineuses est qu’elle nous permet d’accéder à un niveau d’énergie beaucoup plus bas, donc de percevoir toutes sortes de phénomènes « froids » qui n’émettent pas de rayonnements lumineux (comme les nuages d’hydrogène galactiques et intergalactiques) ou dont les rayonnements lumineux ont été allongés par la distance et par le temps.

Pour être plus précis, voici la liste donnée par Catherine Cesarski dans sa présentation, des grands sujets et questions que le SKAO doit nous permettre de mieux étudier :

1) The Cradle of Life and Astrobiology: How do planet forms? Are we alone?

2) Strong-field Tests of Gravity with Pulsars and Black Holes: Was Einstein right with General Relativity?

3)  The Origin and Evolution of Cosmic Magnetism: What is the role of magnetism in galaxy evolution and the structure of the cosmic web?

4) Galaxy Evolution probed by Neutral Hydrogen: How do normal galaxies form and grow?

5) Galaxy Evolution probed in the Radio Continuum: What is the star-history formation of normal galaxies?

6) Cosmic Dawn and the Epoch of Reionization: How and when did the first stars and galaxies form?

7) Cosmology and Dark Energy: What is dark matter? what is the large-scale structure of the Universe?

8) The transient Radio Sky: What are Fast Radio Burst and how can we best utilize them?

Comme vous pouvez le constater, cela touche à tous les domaines de la radioastronomie ! La différence du SKA avec les autres radiotélescopes est encore une fois les moyens dont il disposera. A noter que l’installation des antennes dans le désert du Nord-Ouest australien et le désert Sud-africain du Karoo, a été choisie en raison de l’aridité (l’humidité n’est pas bonne pour l’observation astronomique en général puisqu’elle opacifie l’atmosphère) et l’isolement de ces régions (très faible population et rareté des sources radios que les gouvernements se sont engagé à maintenir en « radio quiet areas »). Il en effet très important de limiter au maximum les « bruits » qui pourraient interférer avec les émissions reçues.

Les autres membres à part entière du SKAO sont les fondateurs (« première pierre » en 1997) : Australie, Chine, Italie, Pays-Bas, Portugal, Afrique du Sud et Grande-Bretagne. La France est le prochain pays qui devrait rejoindre la collaboration (accord préliminaire le 11 avril de cette année). Suivront probablement l’Espagne, l’Allemagne, le Canada, puis l’Inde et la Suède. Les partenaires suisses au sein de SKACH comprennent 9 institutions : la Fachhochschule Nordwestschweiz (FHNW), l’Üniversität Zürich (UZH), l’Eidgenössische Technische Hochschule Zürich (ETHZ), la Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften (ZHAW), l’Universität Basel (UniBAS), l’Université de Genève (UniGE), la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO), le Centro Svizzero di Calcolo Scientifico (CSCS). Cela regroupe environ 70 scientifiques.

Avant de devenir membre à part entière la Suisse a déjà contribué, pendant la phase préparatoire (celle de l’« Organisation »), à sept des « Science Working Groups » y compris ceux qui s’intéressent à la cosmologie, aux ondes gravitationnelles et à l’évolution des galaxies. Par ailleurs l’expertise suisse dans le calcul-intensif (HPC), le traitement des données, les antennes et capteurs, la gestion du temps a été très appréciée par la communauté des fondateurs (la coordination de toutes ces antennes pose un défi considérable).

Si le SERI était présent à la table ronde en la personne de Michel Hübner, c’est que l’entrée de la Suisse dans le SKAO induira beaucoup de travail pour de nombreuses industries de pointe en Suisse. Parmi elles on peut à nouveau citer celles qui travaillent sur les horloges atomiques, puisque c’est une spécialité de « mon » Canton de Neuchâtel (le Laboratoire Temps Fréquence du Professeur Gaetano Miletti et Spectratime /Orolia de Pascal Rochat pour les horloges atomiques à maser). Au-delà, comme on entre dans la période des appels d’offres, il faut se préparer à y répondre et la Suisse pays des microtechniques, a un gros potentiel pour profiter des marchés qui se profilent.

Le SKAO est la seconde organisation intergouvernementale (« IGO ») dédiée à l’astronomie régie par un traité international après l’ESO (European Southern Observatory). Le traité qui l’institue a été signé le 12 Mars 2019, à Rome. Le projet a mis 30 ans à murir mais la construction physique n’a commencé, comme dit plus haut, que le 1er juillet 2021. Il comprend deux ensembles d’antennes. L’un, le SKA low array (Australie), aura 131000 antennes, de 2 mètres ; l’autre, le SKA Mid array (Afrique du Sud), aura 197 antennes, de 15 mètres. Ce dernier a incorporé son « précurseur », le télescope MeerKAT (64 antennes de 13,5 mètres). La coordination se fait à Jodrell Bank en Angleterre qui est le siège du SKAO. Et il y aura des centres régionaux (« SKA Regional Centers ») pour gérer les données. Le tout coûtera 2 milliards d’euros de 2020 (1,3 pour la construction et 0,6 pour le fonctionnement jusqu’à cette date – comme déjà dit, 2030). A noter que contrairement à un télescope utilisant les ondes lumineuses, un radiotélescope peut commencer à être utilisé à partir du moment où on dispose de suffisamment d’antennes pour recueillir une image de qualité. On aura donc des données intéressantes bien avant 2030.

Lors de la table-ronde, le Professeur Kneib a insisté sur le traitement des données. C’est en effet un très gros problème car les télescopes en recueilleront environ 650 petabytes tous les ans (un terabyte par seconde !). Il faut dès à présent imaginer des instruments nouveaux (supercalculateurs) et de nouvelles techniques (algorithmes) pour sélectionner et traiter ces informations et ce n’est pas le moindre défi. Heureusement la Suisse dispose de « cerveaux », notamment à l’EPFL, qui pourront s’appliquer à surmonter cette difficulté. Cela rejoint les considérations sur le « crossfeeding » développées par le président Martin Vetterli lors de la table-ronde. Le SKAO constitue un énorme progrès dans les moyens mis à disposition pour la connaissance de l’Univers mais c’est également un moteur de progrès très puissant pour ceux qui y participeront.

Illustration de titre :

Le 22 janvier, le SARAO, (South African Radio Astronomy Observatory) a publié une nouvelle image du centre de notre galaxie produite par le radio télescope MeerKAT (intégré au SKA), montrant les émissions radio sélectionnées à 1,284 GHz qui en proviennent, avec une clarté et une profondeur sans précédent (surface 6,5 deg2, résolution angulaire 4’’) : Le « 1.28 GHz MeerKAT Galactic Center Mosaic ». On ne peut qu’être émerveillé de sa qualité artistique. Crédit : Heywood et al. (2022). Le télescope MeerKAT est géré par le SARAO. C’est un équipement de la « National Research Foundation », une agence du « Department of Science and Innovation » de la République d’Afrique du Sud. La recherche scientifique sous-tendant l’image a été publiée dans The Astrophysical Journal.

NB: (1) pour apprécier la dimension de cette image (6,5 deg2), il faut se rappeler que la sphère de la voute céleste a, dans son ensemble, une “surface” de 41.153 deg2.

NB: (2) Le trou-noir central de notre galaxie (SgrA*) se trouve au centre du point blanc situé au centre de l’image. Nous sommes ici véritablement au centre de notre monde.

Liens :

https://skach.org/

https://www.skatelescope.org/

https://www.admin.ch/gov/en/start/documentation/media-releases.msg-id-86519.html

https://www.skatelescope.org/news/switzerland-joins-skao-as-eighth-member/

https://skao.canto.global/pdfviewer/viewer/viewer.html?v=SJOMFKK7GC&portalType=v%2FSJOMFKK7GC&column=document&id=psnfvpbbn15u57tkegqrbggb1b&suffix=pdf&print=1

https://espace.epfl.ch/event/espace-seminar-the-ska-observatory-and-the-universe-at-radio-wavelength-by-prof-jean-paul-kneib/?doing_wp_cron=1652803866.1155300140380859375000

https://www.unige.ch/sciences/physique/actualites/ska-sera-le-plus-grand-radiotelescope-jamais-construit/

https://www.skatelescope.org/news/founding-members-sign-ska-observatory-treaty/

https://archive-gw-1.kat.ac.za/public/repository/10.48479/fyst-hj47/index.html

Lire aussi mon article sur ce blog, du 21 Septembre 2019 : « Le radiotélescope géant SKA, un projet exaltant qui pose des défis à hauteur de son ampleur ».

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur : Index L’appel de Mars 22 05 25

Le radiotélescope géant SKA, un projet exaltant qui pose des défis à hauteur de son ampleur

La communauté mondiale des astrophysiciens s’est lancée dans un projet pharaonique qui pousse les limites de ce que l’on peut faire sur Terre, le télescope « SKA », « Square Kilometer Array ». Il s’agit de construire dans l’hémisphère Sud (Australie et Afrique du Sud) un ensemble d’antennes recueillant les ondes radio et fonctionnant en interférométrie. Cet ensemble sera gigantesque puisqu’il doit s’étendre sur deux continents, pour atteindre un km2 de surface de collecte ce qui lui permettra d’être 50 fois plus sensible que n’importe quel autre télescope radio. Il commence à voir un début de réalisation avec les sous-réseaux « ASKAP », « MeerKAT » et « MWA », trois « pathfinders » (précurseurs), en Australie et en Afrique du Sud, mais les défis sont importants et ils ne sont pas que technologiques bien que la réalisation du projet suppose l’application de technologies de pointe; ils sont aussi organisationnels et environnementaux en raison de son ampleur même.

NB : il n’est pas question ici de développer en profondeur un projet extrêmement complexe mais simplement d’attirer l’attention sur ce qui en fera un instrument très riche en potentialités et qui marquera l’histoire de l’astronomie.

Tout a commencé par des réflexions à la fin des années 1980 puis concrètement en 1993 avec la création d’un groupe de travail sur les grands télescopes et en 1997 avec le lancement d’un programme d’étude technologique en vue de la réalisation d’un « très grand radiotélescope ». Ensuite, en mai 2012, ce fut la signature d’un Memorandum of Understanding, puis la mise en place d’un « Project Office » (en Grande Bretagne, à l’Observatoire de Jodrell Bank, près de Manchester). Après d’autres (nombreuses) réunions et préparatifs, la décision fut prise de construire ce qui fut appelé le « SKA-1 » sur deux sites, en Australie Occidentale, à Mileura, près de Meekatharra, un endroit « perdu » au Nord de Perth dans le « désert de Murchison », pour les basses fréquences, et en Afrique du Sud, dans le désert du Karoo, au Nord Est du Cap ; le choix de l’hémisphère Sud et d’endroits peu peuplés étant justifié par les faibles interférences radio (« bruits ») provenant d’activités humaines.

Le coordinateur, SKAO (« O » pour « Organization »), vise à constituer une organisation intergouvernementale (« IGO »), la seconde en importance dans le domaine de l’astronomie après l’ESO (European Southern Observatory) qui s’appellera aussi le SKAO (mais avec “O” pour Observatory). Un traité international est en cours de signature pour la régir. En 2020 l’IGO SKAObservatory prendra la suite du SKAOrganization et entreprendra la construction puis la gestion du “télescope” mais cela n’empêche pas l’ « Organization » de fonctionner déjà, sous la forme d’un « Project Office » (« Bureau de projet ») car il faut finaliser la phase préparatoire! Pour accomplir cette phase, le « Bureau » a lancé en 2013 un appel budgeté à 200 millions de dollars (et financés par les agences nationales) à la communauté scientifique du SKAOrganization pour faire préciser la définition du projet par onze consortia internationaux : Assembly, Integration and Verification (AIV), Central Signal Processor (CSP), Dish (DSH), Infrastructure Australia (INFRA AU), Infrastructure South Africa (INFRA SAU), Low-Frequency Aperture Array (LFAA), Mid-Frequency Aperture Array (MFAA), Signal and Data Transport (SaDT), Science Data Processor (SDP), Telescope Manager (TM), Wideband Single Pixel Feeds (WBSPF). Les seuls noms de ces différents « groupes » aident à comprendre (un peu) la nature de leurs travaux puisque ce sont ceux de tous les domaines où il convient d’affiner les préparations.

NB: Les pays membres du SKAO ont fluctué avec le temps. Aujourd’hui, l’Australie, l’Afrique du Sud, la Chine, l’Italie, le Portugal, les Pays-Bas et le Royaume-Unis ont confirmé leur adhésion au SKAObservatory en signant le traité de l’IGO qui l’institue. L’Allemagne, l’Espagne et la France (CNRS avec l’Observatoire de Paris, l’Observatoire de la Côte d’Azur, l’université de Bordeaux et l’Université d’Orléans) sont membres spéciaux de SKAOrg. Comme la Suisse (EPFL, UniGE, UniZH, FHNV, CSCS), le Japon et la Corée, L’Inde et la Suède, également membres du SKAOrganization, ils se préparent à signer le traité de l’IGO du SKA Observatory mais n’en sont donc pas encore des membres confirmés. Le Canada est membre de SKAOrg depuis longtemps et décidé à continuer, mais refuse de signer un traité pour un projet scientifique, il deviendra membre associé de l’IGO. 

Techniquement le SKA doit couvrir continûment un spectre de fréquences (une « bande passante ») très large (longueurs d’ondes centimétriques à métriques) allant de 50 MHz à 14 GHz dans ses deux premières phases de construction et, dans une troisième phase, jusqu’à 30 GHz. La première phase, “SKA-1”, couvrira les fréquences basses (50 à 350 MHz, « SKA1-LOW ») et moyennes (350 MHz à 14 GHz, « SKA1-MID ») et doit permettre d’ici 2028 l’établissement d’environ 10% de la surface de collecte totale prévue. Plusieurs types d’antennes seront utilisés ; des antennes dipolaires pour les fréquences basses et des antennes paraboliques de 15 mètres de diamètre pour les fréquences allant de 350 MHz à 14 GHz (dans un premier temps). Bien entendu ces antennes ne seront que la « partie visible de l’iceberg » puisqu’il faudra coordonner leur fonctionnement, recueillir les données collectées (plus de 7 terabits/seconde !), les traiter (« traitement du signal »), c’est-à-dire les corréler, les stocker, les analyser, et tout cela sur des quantités énormes ce qui suppose des moyens informatiques extrêmement puissants (plusieurs centaines de pétaflop/seconde de vitesse de calcul). La clef de voûte de l’ensemble sera le « télescope manager » (TM) cité plus haut qui fait aussi l’objet d’un groupe de travail.

L’ensemble des antennes doit être implanté dans deux régions (Afrique du Sud et Australie), chaque station étant divisée en trois zones : un centre, réseau dense comprenant la moitié de la surface collectrice ; une région intermédiaire et une région extérieure, en bras spiraux. Plus on s’éloignera du centre plus la densité diminuera. Les antennes de fréquences basses seront réparties entre les zones centrale et intermédiaire, les régions externes ne contenant que des antennes à fréquences moyennes ou hautes. En Australie, l’observatoire basse fréquence comprendra 512 stations sur une base de 40 à 65 km. Chaque station comprendra 256 antennes, soit un total d’environ 130.000 antennes. En Afrique du Sud, l’objectif de la première phase est d’ajouter 133 antennes paraboliques aux 64 déjà installées dans le site précurseur MeerKAT. Elles seront disposées sur une base d’une envergure de 150 km. Le but ultime est d’étendre le SKA jusqu’à 10 fois cette taille, avec un million d’antennes basses fréquences et 2000 antennes paraboliques moyennes et hautes fréquences. Les travaux doivent commencer en 2023, et dès 2028, à l’achèvement de la première phase, on devrait avoir décuplé la capacité d’observation disponible sur Terre aujourd’hui en fréquences radio, et ceci pour un investissement proche de 1 milliard d’euros.

Pour le moment nous en sommes aux installations « précurseures » (« pathfinder »). C’est le cas de ASKAP en Australie occidentale (réseau de 36 antennes paraboliques) et c’est aussi le cas de MeerKAT en Afrique du Sud (réseau de 64 antennes paraboliques) et de Murchison Widefield Array  au Nord de Perth en Australie Occidentale (au Murchison Radio Astronomy Laboratory) pour les basses fréquences (70 à 300 MHz).

Les objectifs de SKA rejoignent assez largement ceux de CHIME et de DSA. Il s’agit de détecter la présence et l’évolution de l’hydrogène dans l’espace galactique et intergalactique lointain avec fort décalage vers le rouge, aux environs de 5 à 6 milliards d’années (il s’agit toujours d’observer la période pendant laquelle l’accélération de l’expansion a commencé à se manifester, quelques 7 milliards d’années après le Big-Bang), en ciblant la raie à 21 cm de l’hydrogène neutre (HI). Les télescopes plus anciens pouvant difficilement étudier cet élément au-delà de 2,5 milliards d’années. Il s’agit aussi d’observer la formation des premiers objets lumineux dans l’Univers, l’« Aube cosmique », après l’« Age des ténèbres », 100 à 180 millions d’années après le Big-bang, quand la concentration de matière sous l’effet de la force de gravité (s’exerçant sur les masses d’hydrogène et d’hélium) a provoqué l’apparition des premières étoiles et des premières galaxies. C’est à cette époque de concentration que se sont formés les vides entre les masses et que l’hydrogène s’est ionisé en conséquence de l’activité des premières étoiles. L’observation est difficile compte tenu de la distance et de l’environnement moins ancien beaucoup plus lumineux mais elle sera très utile car elle doit permettre d’obtenir une carte de l’Univers après le fond diffus cosmologique (CMB) et donc de mieux suivre son évolution en donnant une autre étape de référence dans son histoire. Il s’agit aussi de chronométrer simultanément autant de pulsars que possible, ces objets ultra-denses (étoiles à neutrons) qui émettent avec une périodicité extrêmement régulière (stabilité allant jusqu’à 10-16) des rayonnements radio très brefs et très rapides. Cette régularité en fait de véritables « phares cosmiques » et toute infime perturbation dans le temps de transmission du signal de l’un d’entre eux par rapport au temps de transmission du signal des autres, pourra indiquer le passage d’ondes gravitationnelles. Il s’agit encore d’étudier les champs magnétiques divers qui existent dans l’espace pour toutes sortes de raisons et par conséquent non seulement leur densité mais aussi leur source de magnétisation. Les mesures seront faites en observant les rotations imprimées par les champs ionisés sur la polarisation des ondes radio (rotation de Faraday).

NB : le signal provenant de sources radio est polarisé linéairement et sa direction de polarisation tourne lorsqu’il traverse un plasma magnétisé avant d’atteindre nos télescopes terrestres. Cette rotation dépend de la longueur d’onde observée et d’une grandeur (la « Rotation Measure », RM) qui dépend de l’intensité du champ magnétique traversé.

Le grand avantage du SKA par rapport aux meilleurs radiotélescopes actuels, c’est qu’il portera le nombre de sources radio avec une mesure RM, de quelques 40 000 à plusieurs millions. Un autre intérêt du SKA, d’autant qu’il aura un très large champs de vision avec une très large bande passante, est qu’il pourra percevoir un grand nombre de FRB (“Fast Radio Bursts” ou “Sursauts Radio Rapides”, voir mon article du 31/08/2019). Il l’a déjà « annoncé » en fournissant avec son précurseur australien ASKAP, les coordonnées d’un des premiers FRB identifié. Pour être plus précis (mais moins clair!), il faut mentionner que le Bureau du SKAO a constitué une structure de recherche en onze autres groupes de travail. Là aussi vous ne verrez que des noms mais ils donnent également une idée de tous les sujets qui vont être approfondis : Epoque de re-ionisation, Cosmologie, Physique fondamentale avec pulsars, Univers transitoire, Continuum extragalactique, magnétisme cosmique, berceau de la vie, hydrogène neutre dans les galaxies, raies spectrales extragalactiques, notre galaxie, physique solaire et héliosphérique. Vaste programme!

« Petit » problème : toutes ces installations utilisent des surfaces au sol très importantes. Même dans les régions désertiques il y a des gens et certains n’aiment pas qu’on vienne occuper leur territoire. Les indigènes nomades du désert du Karoo en Afrique du Sud ont ainsi exprimé leur opposition au projet. Ceci fait penser aux objections soulevées par les Hawaïens qui se sont élevés, pour des raisons religieuses, contre l’implantation du Thirty Meter Telescope au sommet du Mont Mauna Kea sur l’ile de Hawaï ou, pour des raisons « écologiques » (mais qu’on peut assimiler à des raisons religieuses!), sur le sommet de l’île de La Palma aux Canaries (« back-up » du Mauna Kea).

L’intérêt du SKA est donc son immense champ de vision et sa très large bande passante. C’est incontestablement une révolution en astronomie. Nul doute que si le projet est mené à son terme, il nous apportera une quantité extraordinaire d’informations et que nous acquerrons donc (entre autres !) une connaissance bien meilleure des masses d’hydrogène et de leur répartition, donc de la Matière en général qui nous entoure. Le seul vrai problème est d’ordre environnemental. Dans tous les domaines ce sujet est maintenant à prendre en considération puisque les populations en sont devenues conscientes et si elles ne le sont pas spontanément, nul doute que certains savent susciter leur attention et la stimuler. On est passé d’une indifférence totale il y a une trentaine d’années à une opposition de nature quasi allergique aujourd’hui. Raison de plus pour penser à l’espace, lieu immense et libre, pour à l’avenir y développer davantage nos observatoires, avec des groupes de télescopes coordonnés flottant dans le vide, comme celle du projet Darwin, ou avec des installations sur la face cachée de la Lune, à l’abri donc de toute pollution par l’activité terrestre et facilement accessible depuis la Terre ou, bien sûr, des installations à la surface de Mars.

Image de titre : cœur de SKA sur 5 km de diamètre MeerKAT. Vue d’artiste, crédit Wikipedia commons.

Image ci-dessous : vue aérienne des antennes du précurseur ASKAP de SKA. Crédit SKAO. Au premier plan les antennes basses-fréquences.

Photos ci-dessous: le Champ d’antennes paraboliques de MeerkAT, crédit SKAO.

Liens :

https://www.skatelescope.org/

https://switzerland.skatelescope.org/welcome/

https://ska-france.oca.eu/fr/ska/le-projet

http://savethekaroo.com/

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur:

Index L’appel de Mars 19 09 20