ATLAS, chef d’œuvre de Boston Dynamics, un compagnon robotique qui sera incontournable sur Mars

On connait bien les dangers auxquels les hommes seront physiquement confrontés sur Mars. Ils résulteront d’abord de l’isolement et de la gravité. L’isolement, parce qu’aucun transport depuis la Terre ou depuis Mars ne sera possible en dehors des fenêtres ouvertes par l’évolution respective des planètes autour du Soleil (cycles synodiques différents, de 26 mois pour Mars et de 12 mois pour la Terre). La gravité, plus faible (0,38g), parce qu’on ne sait pas comment lutter contre, en dehors de l’exercice physique (ou le port de vêtements pesants ou sollicitant les muscles) et parce que ce qui se passe à l’intérieur du corps restera toujours soumis à cette gravité différente (moins d’effort nécessaire à la pompe cardiaque pour pulser le sang vers le haut du corps et notamment le cerveau). On ne pourra en évaluer les conséquences que sur la durée, après les premières missions habitées. Au-delà, il faudra « faire-avec » toutes sortes de risques dont on pourra relativement bien se protéger à l’intérieur de la base habitée mais auxquels on restera exposé et vulnérable lors des « sorties », les mieux-nommées « EVA » (« extra-vehicular activities »).

Le remède à cette situation de danger présentée par « l’extérieur » mais en même temps d’impérieuse nécessité de pouvoir y exercer une activité, sera la robotique. Dans cette perspective les travaux de la Société Boston Dynamics* nous ouvrent des possibilités extraordinaires qui « tombent à pic » pour nous préparer à nous installer puis à vivre sur Mars.

*La société Boston Dynamics qui a commencé comme spin-off du MIT en 1992, est installée aux Etats-Unis. Après être « passée dans les mains » de Google, elle appartient aujourd’hui au chaebol Hyundai, via Hyundai Motor Group, pour 80%, et au financier Softbank (Japon) pour 20%. Ces vicissitudes s’expliquent par des “perspectives de rentabilité incertaines”.

Il faut dire en préambule que sur Mars toutes sortes de robots seront utiles sinon indispensables, et utilisables, dotés d’une programmation plus ou moins sophistiquée et d’une possibilité de recours à toutes sortes de données, ce qui permettra une intelligence artificielle plus ou moins développée selon les besoins.

Après l’incontournabilité de la nécessité de satisfaire le besoin d’activité à l’extérieur, la deuxième contrainte dimensionnante sera le besoin de mobilité car l’utilité principale des robots sera l’observation, l’exploration et la construction d’infrastructure sur une terre vierge. Enfin la troisième sera la robustesse car toute réparation sera coûteuse en disponibilité, en temps et en énergie.

Pour faire face à ces besoins, le robot que je pense le plus adapté (en dehors des véhicules robotiques « classiques ») sera l’humanoïde « ATLAS » (Agile Anthropomorphic Robot) de Boston Dynamics* assisté d’« animats » (« animal » +  « material », robots conçus pour se comporter comme des animaux). On en voit de temps en temps des vidéos et les plus récentes montrent qu’ils peuvent atteindre des performances extraordinaires (voir lien ci-dessous). Pour parler d’abord d’Atlas, l’intérêt n’est pas tant qu’il ressemble visuellement à l’homme mais qu’il peut effectuer à la place de l’homme toutes les taches physiques que l’homme devrait autrement effectuer lui-même : marcher sur un terrain inégal, sauter, escalader, porter, saisir, manœuvrer, manipuler, voir enfin via des caméras équipant sa tête avec retransmission de la chose vue sur écran à distance. On peut aussi sans doute envisager de renforcer son squelette ou de lui adapter un exosquelette pour porter des charges particulièrement lourdes. Quoique le transport puisse être effectué par des animats (voir ci-dessous), les manipulations de charges lourdes (déchargement d’un starship par exemple) peuvent nécessiter cette adaptation.

* Boston Dynamics n’est pas la seule société qui produit des robots humanoïdes. Tesla a décidé de suivre cette voie avec “Optimus”, ou la société Figure avec “Figure-1”. Cependant Boston Dynamics a beaucoup d’avance sur ses compétiteurs.

L’intérêt de cette intermédiation robotique sera de permettre à l’homme d’éviter de sortir de la Base habitée, donc de devoir enfiler, difficilement, une combinaison qui devra être pressurisée (et au travers de laquelle la main ne pourra pas intervenir, pour s’essuyer le front par exemple), d’être exposé dans cette combinaison au risque d’accrocs qui entraineraient une dépressurisation, d’être exposé aux radiations solaires et galactiques beaucoup plus sévèrement que dans la Base puisqu’il ne saurait être question de se déplacer avec la masse de matériaux protecteurs qui procureraient une sécurité totale. L’intérêt ce sera aussi d’éviter la nécessité et la complication d’équiper l’ouvrier d’un système support-vie (pour l’homme, gaz respirables, eau et stockage avec soi d’inévitables déchets corporels le temps de toute mission un peu longue). Ce sera encore d’être exposé à des températures très basses, qui nécessiteront un système de chauffage délicat incorporé au scaphandre (les robots devront pouvoir être chauffés pour maintenir leurs fluides fonctionnels liquides mais les marges de tolérance seront plus ouvertes). Ce sera encore d’éviter le risque de blessure grave pouvant provenir de micrométéorites, rares mais non exceptionnelles puisque l’atmosphère martienne n’est pas suffisante pour y faire barrière comme en surface de la Terre. Ce sera encore de limiter la fatigue physique des astronautes compte tenu de l’importance des gestes, manipulations, efforts qui seront nécessaires pour l’installation, l’entretien puis le développement des infrastructures de la Base, de son relai de communication, du site d’extraction des ressources locales, des véhicules, des équipements divers, de l’astroport. Ce sera encore de libérer les hommes de travaux répétitifs, consommateurs de temps et à faible valeur intellectuelle ajoutée. Ce sera encore de pouvoir apporter depuis la Terre dans un espace réduit, un maximum de « travailleurs » ne nécessitant pas les mêmes conditions de confort que les hommes (et donc bien davantage de force de travail sur Mars). Ce sera enfin de limiter les besoins en traitements médicaux en les remplaçant par des traitements mécaniques (avec évidemment modularité et redondance des pièces détachées) ou informatiques.

Alors, à ce stade, certains se demanderont pourquoi l’homme devrait-il aller physiquement sur Mars et pourquoi ne pas se contenter d’y envoyer des robots à sa place ? La réponse est que du fait de la finitude de la vitesse de la lumière, il y a un décalage temporel incontournable entre Mars et la Terre, qui va de 3 à 22 minutes dans un seul sens. On ne peut pas échapper à cette contrainte et on ne peut donc mener aucune action robotisée en direct sur Mars depuis la Terre. On doit programmer, constater le résultat, reprogrammer, sans cesse. Des hommes vivant dans une base martienne, donc au plus près de leurs robots, pourront agir sur le terrain constamment en direct via leur humanoïde (éventuellement évidemment assisté d’animats ou d’autres robots) qu’ils pourront considérer comme leur avatar. A cet égard, il faut bien voir que la situation sera totalement différente sur la Lune puisque la Terre n’en est qu’à 380.000 km et que, s’il y a bien un décalage temporel d’un tout petit peu plus d’une seconde entre les deux astres, cela n’empêche absolument pas une action directe depuis la Terre. La présence de l’homme sur Mars est donc indispensable pour l’explorer et l’exploiter ; elle ne l’est pas sur la Lune.

Je vois donc la population martienne future comme structurée en cellules de personnes humaines spécialisées, assistées de robots humanoïdes et autres pour la plupart de leurs actions extérieures. Leurs EVA ne seraient qu’exceptionnelles, pour contrôler ces machines, leur simple plaisir, le besoin physique de mener une action délicate (pour laquelle la programmation serait trop difficile ou trop complexe) seul ou avec d’autres humains (récupérer un homme blessé dans des conditions particulièrement délicates) ou d’autres nécessités (par exemple non-fonctionnement du parc robotique suite à une tempête solaire particulièrement forte qui aurait endommagé un centre informatique ne disposant pas de suffisamment de résilience ou de redondance).

Bien entendu ces humanoïdes seraient personnalisés pour chacun des humains qui les utiliseraient. On imagine bien que, puisqu’on le fait pour son ordinateur personnel (on a ses programmes, ses fichiers classés et on sait où ils se trouvent), on le ferait aussi pour son humanoïde personnel. Par ailleurs comme, vu à distance, un robot humanoïde ressemblera beaucoup à un autre, on aura intérêt à le distinguer visuellement des autres pour mieux le contrôler et le faire interagir à distance par écran interposé. Ça tombe bien car, étant donné le problème de poussière sur Mars et la vulnérabilité des articulations, il faudra les « habiller » aussi hermétiquement que possible.

A beaucoup d’égards, on pourra traiter l’humanoïde comme un homme, le faire monter sur un rover (l’avantage étant que le véhicule ne sera ni pressurisé, ni alourdi par une protection contre les radiations), télécommandé et il se rechargera en énergie en étant assis ; lui faire inspecter des parois raides et dangereuses (par exemple la partie haute de la coque d’un Starship avec un système de filins ou un échafaudage, ou bien l’aplomb d’une falaise sur laquelle on aurait aperçu une anfractuosité grâce à un hélicoptère ou un dirigeable) ; l’envoyer sur un hopper de Gruyere Space Program mener une mission lointaine avec une source d’énergie dédiée. Si un atlas se casse le poignet on pourra le lui remplacer car la plupart des pièces du robot sont imprimables en 3D, et ce sera évidemment préférable à une intervention chirurgicale sur un homme. Il faudra nettoyer le robot mais on n’aura pas besoin de lui faire prendre une douche (économie d’eau !) ; sans doute un bon coup de souffleur (ou sèche-cheveux !) pour lui enlever la poussière martienne ultrafine (d’abord à l’extérieur du sas) et quelques interventions plus méticuleuses en cas de problème (petit caillou coincé dans la chaussure !).

Il faudra également « nourrir » les robots. J’imagine que leur fonctionnement requerra beaucoup d’énergie (surtout qu’on leur demandera beaucoup !) et des rechargements fréquents puisque leur autonomie (batterie transportable) sera probablement limitée compte tenu du volume et de la masse*.  J’imagine bien que des atlas se rendent sur le site d’une intervention avec un rover non pressurisé sur lequel seront embarqués quelques animats, des outils et un ou deux kilopowers (réacteur à fission nucléaire portable). Après une durée de fonctionnement correspondant à leur capacité énergétique, ils viendraient se recharger à l’ombre de leur radiateur-parasol…comme on le fait nous-mêmes après l’effort sur la plage, sous des parasols également radiateurs (réflexion de la lumière solaire).

*mais on peut être créatif : les atlas-explorateurs qui par définition s’éloigneront beaucoup de la Base, pourront porter fixées à leurs épaules, de grandes ailes d’ange (ou de démon, selon votre point de vue) revêtues de panneaux solaires, qu’ils déploieront à l’envie.

Mais allons voir un peu plus à l’intérieur de « la bête » :

Comme le dit Boston Dynamics, ATLAS est une plateforme R&D, donc toujours un projet, fortement évolutif. Les recherches continuent à progresser dans les deux domaines de la physique et de la programmation (nous ne sommes pas au bout de notre émerveillement).

Dans le domaine physique les trois cadres sont :

1) La mobilité : le robot possède l’un des systèmes hydrauliques mobiles les plus compacts et réactifs au monde. Une batterie parfaitement adaptée, des vannes et une unité d’alimentation hydraulique lui permettent de fournir une puissance élevée immédiate mais dosable, à n’importe laquelle de ses 28 articulations.

2) La dynamique : Le système de contrôle avancé du robot permet une locomotion très diversifiée et agile tandis que les algorithmes raisonnent au travers d’interactions dynamiques complexes impliquant l’ensemble du corps et l’environnement pour planifier les mouvements. Sa vitesse maximum est de 2,5 m/s.

3) La légèreté et la modularité : le robot utilise des pièces imprimées en 3D qui lui donnent le rapport résistance/poids adéquat pour ses sauts. Pour une hauteur de 1,5 kg, son poids est de 89 kg (34 kg sur Mars).

Dans le domaine de la programmation, la recherche se situe dans la coordination de tout le corps et dans le mouvement dynamique :

4) Bibliothèque de comportements : les modèles de mouvements sont créés à l’aide de l’optimisation des trajectoires et intégration dans des routines complexes.

5) Perception en temps réel : ATLAS utilise des capteurs de profondeur pour générer des nuages ​​de points et détecter son environnement.

6) Contrôle prédictif modélisé : ATLAS utilise des modèles de dynamique pour prédire comment son mouvement évoluera dans le temps et il s’ajuste en conséquence.

 

ATLAS devrait être la pièce essentielle du dispositif robotique martien mais on peut également considérer deux animats comme ses assistants…et ceux de l’homme :

Bigdog (2004) est un robot porteur quadrupède utilisable pour les déplacements sur terrain accidenté. Il a été le premier à sortir du laboratoire de Boston Dynamics. Image: crédit Boston Dynamics) :

LS3 (2010) est l’équivalent de Bigdog pour transporter des équipements lourds et encombrants (crédit Boston Dynamics) :

Que fera donc l’« homme-aux-commandes », physiquement sur Mars ? Il sera le plus souvent assis à son bureau derrière son écran à surveiller son avatar, à voir au travers de lui et à lui donner des instructions pour lui-même et ses assistants robotiques. Mais il devra aussi, avec ses compagnons humains, entretenir sa « flotte » de robots, en construire et en programmer d’autres ; se concerter avec la Terre et au sein de la Base pour diriger le développement de cette dernière. Le ratio optimum êtres humains / robots sera facilement établi, c’est une question d’espace de stockage d’équipements et de ressources, d’énergie et de capacité d’attention de l’homme donc aussi des avancées possibles en autonomie des robots.

Au-delà, comme sur Terre, les hommes sur Mars auront besoin de se détendre, et encore plus que sur Terre, de faire du sport pour maintenir leur masse osseuse et musculaire. Nul doute que la Base sera bien équipée à cet effet (moins bien au début et mieux après). J’imagine aussi qu’ils liront sur leur tablette, qu’ils mèneront des études et des recherches, qu’ils écriront des lettres, écouteront de la musique, regarderont des films, nourriront leur corps et entretiendront leur santé. Tous ensemble, ils formeront une communauté pour faire avancer le développement de l’implantation humaine ou diverses recherches in situ…et aussi, en convivialité, pour lutter contre la solitude tout en permettant à chacun d’entre eux de s’épanouir et le moment venu de procréer d’autres hommes. Mais cela est une autre histoire !

Illustration de titre : ATLAS en train de travailler avec l’homme. Crédit Boston Dynamics

Liens (avec mes remerciements à mon ami Patrick) :

https://www.bostondynamics.com/atlas

https://youtu.be/E7qJQ2i47ZY

https://www.bostondynamics.com/

https://sciencepost.fr/video-le-robot-de-boston-dynamics-impressionne-sur-un-chantier-de-construction/

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Index L’appel de Mars 23 04 20

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Mars, la vie en double

On connait les dangers que les hommes devront affronter sur Mars. Parmi ceux-ci, on peut noter les impacts d’astéroïdes, l’absence d’air respirable, la très faible pression atmosphérique, des variations de températures quotidiennes de l’ordre de 100°C, la panne d’un équipement vital ou d’un autre, et bien sûr l’impossibilité de repartir sur Terre ou de bénéficier d’un secours en dehors des fenêtres synodiques espacées de 26 mois.

La conséquence c’est qu’il faudra penser à la possibilité d’une catastrophe à tout moment pour s’en prémunir. A cette fin on peut bien sûr envisager de s’installer en sous-sol, suffisamment profondément pour éviter les impacts susmentionnés, mais cela n’empêchera pas les accidents internes aux volumes viabilisés qui pourraient les rendre inhabitables, les pannes ou même un tremblement de Terre, peut-être peu puissant mais agissant sur un point faible de la structure sur laquelle l’habitat reposerait ou en contrebas duquel il se trouverait (au cas où la base serait construite dans une caverne).

La solution ce sera la redondance partout où elle sera possible.

Cela commencera avec les fusées pour revenir sur Terre. Le risque c’est que l’une (sinon évidemment les deux !) se pose mal à l’atterrissage ou que durant le long séjour en attendant la possibilité de retour, l’entretien soit défaillant ou insuffisant (et le seul test vrai de la possibilité de décollage d’une fusée, c’est son décollage effectif). La possibilité de retour physique sur Terre étant sinon indispensable (il le sera de moins en moins avec le temps et l’amélioration des capacités de vie sur Mars) du moins extrêmement utile, il sera nécessaire que lors de chaque fenêtre de tirs, au moins deux fusées soient lancées en même temps. D’ailleurs cela pourra servir pendant le voyage, pour créer une gravité artificielle dans chacune d’elle après mise en rotation du couple.

Ensuite, si l’on construit des habitats en surface, ils devront bien entendu être protégés par une couche de régolithe, aussi bien contre les impacts de micrométéorites que contre les radiations. En principe une couche d’un à deux mètres de régolithe devrait suffire mais les météorites capables de transpercer une telle épaisseur ne sont pas inenvisageables. On a observé en surface de Mars plusieurs cratères récents résultant d’impact de corps porteurs de cette énergie (voir illustrations de titre et ci-dessous). Cela implique donc une compartimentation des habitats permettant l’isolation immédiate des volumes viabilisés dont l’enveloppe serait frappée…et percée. Mais, en allant plus loin, il faudrait prévoir qu’un habitat puisse être détruit par une météorite et que donc les hommes qui l’occupaient puisse se réinstaller (s’ils n’ont pas péri) dans un habitat proche disposant des mêmes facilités de vie. A noter qu’il n’y a pas davantage de météorites qui approchent Mars que la Terre, en réalité moins, considérant que le puits de gravité terrestre est plus profond donc plus attractif que celui de Mars. Cependant dans l’environnement terrestre une bonne partie des météorites (les plus petits) sont totalement détruits dans l’atmosphère où ils brulent et sont consumés. Quand aux plus gros, ils peuvent « survivre » jusqu’au sol mais l’atmosphère joue aussi son rôle de chauffage et de freinage et beaucoup sont désagrégés avant d’atteindre le sol. L’atmosphère joue également un rôle de protection autour de Mars mais beaucoup plus faible (je rappelle que la pression atmosphérique est de 610 pascals au datum (équivalent du niveau de la mer) soit 6 millibars.

Pour l’énergie ce sera pareil. La source principale sera la fission nucléaire et, comme il est inenvisageable d’être à court d’énergie, les hommes devront disposer, dès le début, de deux réacteurs. Le second pouvant d’ailleurs ne pas être activé tout de suite, pour ne pas écourter sa durée de vie utile. En cas d’incident, on pourrait relayer le réacteur défaillant en attendant la mise en route du second, par des batteries, des panneaux solaires ou bien de petits générateurs brûlant du méthane dans de l’oxygène (le tout dans un volume viabilisé restreint et en maintenant une activité réduite à l’urgence).

Pour les hommes, ce sera encore pareil. En cas d’invalidation d’un dentiste, un autre dentiste doit pouvoir intervenir, de même le mécanicien qui connaît parfaitement le fonctionnement du rover ou du hopper doit pouvoir être remplacé « au pied levé » sans attendre qu’il récupère d’un accident, d’une maladie et, bien entendu, s’il décède.

Si l’on y réfléchit, aucune fonction ne doit pouvoir être dépendante d’un seul individu ou d’une seule machine. Toute fonction vitale doit être exercée ou exerçable de façon redondante. Cela implique donc beaucoup de personnes, d’équipements, de volumes viabilisés « en plus », donc des coûts en plus et des niveaux d’emplois-essentiels peu élevés en temps normal. Ce taux d’emplois-essentiels réduit ne sera pas un luxe mais une nécessité pour la sécurité de tous d’autant qu’en dehors des taches essentielles, les personnes disposant de temps « libre » pourront/devront exercer toutes sortes d’activités. Un dentiste (pour reprendre l’exemple) pourra aussi effectuer des travaux en mécanique de précision ou assister un chirurgien comme anesthésiste.

Maintenant, peut-être ne sera-t-il pas indispensable d’avoir exactement « un doublon » pour toute fonction. Il faudra estimer lesquelles pourront subsister en mode légèrement dégradé. Dans cet esprit, je me souviens d’une solution que j’avais trouvée très heureuse quand, jeune banquier, j’étais allé, avec deux autres collègues de mon établissement, négocier un accord cadre chez un confrère, importante banque d’investissement dont le siège était à Londres. Un jour, un de nos interlocuteurs étant défaillant, il fut remplacé au pied levé par un cadre dont l’âge le situait aux alentours de la retraite et dont l’expérience lui permettait d’entrer, sans autre, dans la négociation. J’appris par la suite que ce mode de fonctionnement n’était pas inhabituel au sein de cette société, plusieurs équivalents pouvant être mobilisés selon leur spécialité en cas de besoin, d’un replaçant ou d’un renfort. Sur Mars il y aura bien sûr beaucoup de retraités car après une longue vie sur cette planète, certains voudront y rester d’autant que la ré-acclimatation à une gravité plus forte ne sera pas facile. Nul doute qu’on puisse compter sur eux en cas de besoin, et ce pendant de longues années (j’ai moi-même été « cyberconsultant » après avoir cessé ma vie « active »).

Un autre facteur à considérer pour alléger les contraintes résultant de l’obligation de redondance est la modularité liée à la standardisation des éléments utilisés dans les équipements ou les constructions. Comme expliqué plus haut, il faut pouvoir à tout moment utiliser un élément quelconque dans une pluralité de fonctions aussi étendue que possible. Un volume viabilisé ou un véhicule doivent pouvoir être adaptables à plusieurs fonctions et un longeron en métal ou une poutre être utilisables dans toutes sortes de constructions différentes. Au bout du processus, l’impression 3D sera l’outil à tout faire. On le voit aujourd’hui quand une société comme Relativity Space est capable de construire 85% (en masse) d’une fusée avec ce seul outil, en 60 jours seulement. Sur Mars, on recourra massivement à cette solution. On pourra donc avoir un minimum de stocks d’éléments standardisés modulables et toute une batterie (redondance) d’imprimantes 3D avec leurs stocks d’« encres métalliques » à disposition (extraites du sol martien et raffinées sur place).

En réalité on arrive avec ce raisonnement, à la marge de ce qu’on peut appeler la redondance. La question de l’utilité multiple se pose en effet à chaque niveau de complexité, la véritable redondance, c’est-à-dire la possibilité d’utiliser un élément de rechange standardisé immédiatement, n’existant qu’à un niveau élevé de complexité ne nécessitant pas d’adaptation longue pour le nouvel usage. Cependant elle existe dans une certaine mesure à tous les niveaux, même à celui de la poudre de métal utilisée par l’imprimante 3D. Plutôt que de rechercher les variétés de ces poudres pouvant les rendre plus appropriées à tel ou tel usage dans un environnement martien, il sera préférable de rechercher les caractères communs pouvant être portés par une poudre plutôt qu’une autre et stocker la poudre qui aura le plus d’applications possibles.

Vous avez donc compris le sens du titre de mon article. Oui, Mars ce devra être la vie en double puisqu’il faudra toujours penser au remplacement, à la substitution. Même si, hélas, les vies humaines qui seraient emportées par la chute d’un astéroïde ne pourront pas être remplacées après avoir été dupliquées !

Illustration de titre : IPGP-CNES, N. Starter. Crédit NASA. Illustration réalisée à l’occasion de l’impact du 24 décembre 2022.

Illustration ci-dessous : (crédit NASA, capture d’écran). Un cratère de météorite « frais » sur Mars. Image réalisée à partir des données recueillies par l’orbiteur MRO de la NASA. L’impact a été enregistré par la sonde InSight le 24 décembre 2021 et identifié par MRO le 11 février 2022. L’astéroïde devait avoir une taille de 5 à 12 mètres. Il a formé un cratère de 150 mètres dans sa longueur et de 21 mètres dans sa plus grande profondeur. Les éjecta ont été projetés jusqu’à 37 km. Un tel impact pourrait statistiquement survenir tous les 20 ou 30 ans quelque part n’importe où sur la planète :

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Variations sur l’impermanence des choses et la force de l’esprit

Notre Hébergeur, Tempus-Omnipotens, qui avait lancé sa plateforme de blogs le 4 septembre 2015, a donc décidé, certainement “dans sa très grande sagesse”, de la détruire, un peu comme les bouddhistes thibétains du grand-véhicule passent la main sur leur mandala de sable pour l’effacer une fois qu’ils l’ont achevé pour bien exprimer l’impermanence des choses de ce monde.

Il est vrai que toute permanence n’est qu’illusion ou, pour être plus positif, que tout (matière et énergie) n’est que mouvement, fluctuation, passage d’un champ de forces à l’autre, d’une fraction de temps à une autre, à l’occasion duquel une modification de la réalité peut se produire ou non, conduisant à toujours plus d’entropie et peut-être à « quelque-chose ».

Revenons sur Terre ou plutôt considérons le système que nous formons ensemble, vous-mêmes, chers lecteurs, avec moi-même via les articles de ce blog ouvert dès l’Origine, en 2015, et avec la Direction du Temps.

Nous avons atteint les 5400 commentaires (pour 420 articles). C’est important car peu ont manqué de substance. Tous ensemble, par nos échanges, questions, réponses, confrontations, nous avons contribué à créer une réflexion tangible car lisible, sur les « grandes questions » essentielles qui se posent à l’homme aujourd’hui et sur les moyens concrets de sortir de notre berceau pour un jour mieux pouvoir y répondre. C’est cela le mandala de sable que nous avons réalisé ensemble. Même vouée à disparaître, cette construction n’est pas rien car elle nous a profité aussi bien individuellement que collectivement. Elle a « été » et elle a enrichi l’intellect de chacun de nous.

Je voudrais donc vous remercier, vous tous, d’abord les commentateurs fidèles bien sûr mais aussi les épisodiques, les exceptionnels par leur parole, et même les simples spectateurs muets mais attentifs, par la chaleur de leur nombre et leur attention inexprimée mais réelle, chacun ayant à sa façon apporté sa contribution.

Ce qui fait d’abord l’intérêt des blogs par rapport aux articles de journaux, ce sont précisément les échanges, les réactions immédiates, les interventions, les réponses, comme si nous étions sur l’Agora de nos ancêtres, avec en plus la trace écrite qu’il en reste. D’un autre côté, leur intérêt par rapport aux échanges sur plateaux de télévision ou de radio, c’est la possibilité pour chacun de mieux réfléchir avant de s’exprimer, de « tourner sept fois la langue dans sa bouche » (ou « sa plume dans l’encrier ») comme le dit l’expression populaire. Cela permet à chacun de fournir d’avantage d’arguments ou d’être plus pertinent, de choisir ses mots, de vérifier ses sources, de revenir pour compléter sa pensée déjà exprimée. L’avantage du blog sur le tweet c’est qu’on peut nuancer son expression au-delà d’une interjection enveloppée ou d’un ressenti brutal et donc mieux s’expliquer aux autres et ainsi mieux se comprendre soi-même. Et c’est enfin mieux qu’une simple lettre aussi bien écrite soit-elle car toute personne intéressée en profite et peut participer à l’échange pour y ajouter son grain de sel.

Je suis convaincu que lorsque l’homme sera sur Mars, cette relation pourra continuer sans que le décalage de temps résultant de la finitude de la vitesse de la lumière pose des problèmes insurmontables. Le blog est l’avenir des relations sociales tant que nous resterons les uns et les autres à une distance raisonnable. Et avec 22 minutes-lumière maximum, dans un seul sens, la distance Terre-Mars restera un éloignement acceptable (compte tenu bien sûr du temps de réflexion et d’écriture puis du temps de voyage de la réponse). Comme je n’ai pas l’intention de partir plus loin que Mars, nous pourrons continuer sous d’autres cieux que ceux du Temps, à échanger et à nous enrichir mutuellement l’esprit dans les mêmes conditions optimales. NB : Si je ne pars pas (le Starship ne vole toujours pas et je suis conscient du temps qui passe) je suis convaincu que d’autres partiront.

Lorsque cette colonie sur Mars, à laquelle j’aspire, sera établie, on pourra dire que la «cognosphère*» humaine aura généré son premier alter-ego extraterrestre. Les deux communautés pourront se féconder mutuellement de leur vécu ou de leurs observations réciproques mais finalement la différence de lieu ne changera pas grand-chose pour les problèmes qui nous motivent. Les personnes qui partagent nos préoccupations et intérêts ou notre passion, peuvent tout aussi bien vivre sur Mars que sur Terre. Elles resteront dans la même proximité puisque disposant de quasiment les mêmes possibilités de communiquer. Et comme sur Mars nous aurons certainement (car ce sera vital) une copie des « data-bases » terrestres, nous aurons les mêmes sources pour nous nourrir, réfléchir et spéculer. La seule différence ce sera les conditions environnementales permettant le travail et la réflexion et sur ce point il est moins que certain que les conditions terrestres soient plus favorables que les conditions martiennes.

*ensemble des têtes pensantes et communicantes.

Comme j’y ai fait allusion plus haut, on peut élargir notre cercle au-delà des commentateurs. Ceux-ci sont ceux à qui j’ai d’abord naturellement pensé mais il y a aussi les autres, les lecteurs fidèles mais discrets, au premier rang desquels évolue la cohorte des abonnés-silencieux. J’en connais certains comme on a aperçu des météores, et qui de temps en temps me font part directement de leurs observations ou de leurs sentiments, sans pour autant recourir à l’écrit sur le blog. Je peux donc vous assurer que cette nébuleuse qui forme l’essentiel en nombre des quelques 700.000 visiteurs au total ayant effectué quelques 1.750.000 incursions dans notre monde, existe bel et bien et qu’elle nous enveloppe de sa chaleur lointaine, un peu comme la Ceinture d’Astéroïdes (qui est en réalité la Ceinture des Abonnés) mais aussi les Ceintures de Kuiper ou encore les Nuages de Oort pour les plus lointains et les plus froids. Ses éléments constituants ne sont pas lisibles eux-mêmes mais ils participent néanmoins à notre système en lisant mes articles et vos commentaires. Et de temps en temps, quand l’envie de participer est trop forte, l’un ou l’autre se risque à envoyer un message et devient alors visible en rejoignant notre communauté vivante car inter-communicante, un peu comme une comète décroche de son nuage glacé et descend jusqu’à nous.

Nous avons même eu quelques objets interstellaires qui n’avaient jamais lu un article du blog mais qui ont interféré en passant, en donnant leur avis sur quelque chose ou n’importe quoi (tout n’est pas publié !), et en repartant aussitôt très loin dans l’infini d’où ils venaient et qui sans doute les appelait, à moins que leur vitesse ne leur ait pas permis de s’arrêter chez nous. Je les salue aussi comme on lance une bouteille à la mer ou plutôt une balise dans l’espace en réaction à un espoir diffus, pour qu’eux-mêmes se rapprochent à nouveau (maintenant sous d’autres cieux), si la trajectoire de leur réflexion le leur permet et au cas où notre force gravitationnelle, qui s’est exercée sur eux une première fois lors de ce passage, puisse un jour les faire revenir…si bien sûr ils ont alors quelque chose de pertinent à dire.

Il y a eu aussi dans un passé dont nous nous sommes maintenant heureusement un peu éloignés, un accident extraordinaire comme le fut l’extinction de l’Ordovicien-Silurien. Je fais référence à la supernova de l’étoile-massive hélas proche, nommée Sylvia Ekström qui, enflant considérablement à partir de son domaine de compétence, l’astrophysique, pour faire intrusion dans la planétologie, l’exobiologie et même l’astronautique, était parvenue à son stade d’implosion avant explosion, en faisant du « battage » à propos de son livre « Nous ne vivrons pas sur Mars ni ailleurs ». J’avais trouvé très mauvaises les raisons qu’elle avançait dans ce livre telles qu’elles avaient été publiées dans la Presse, sur l’impossibilité de transporter notre vie humaine ailleurs que sur Terre. Je m’étais malheureusement permis de les critiquer avant d’avoir lu son « chef-d’œuvre » moi-même, car je pensais en avoir suffisamment compris la teneur et le sens, rien que par ce qu’en rapportaient les autres. Je ne m’étais pas trompé car ma lecture n’a fait finalement que conforter la mauvaise opinion que j’avais des arguments utilisés baignant dans un océan de certitudes infondées et d’a-priori bancals. J’aurais cependant dû être plus prudent car notre planète a bien failli brûler à cette occasion comme si un sursaut gamma l’avait touchée. Mais le rayonnement brutal de cette étoile hostile s’est vite éteint, la vie a repris, nos échanges ont recommencé à fleurir et à produire leurs fruits.

Alors aujourd’hui ce blog est à nouveau confronté à une onde de destruction massive. Mais cette fois, elle est annoncée et certaine. Après la date fatidique du 30 juin 2023, il ne peut rien rester dans le cadre actuel de ce monde que nous avons construit puisque ce cadre lui-même aura disparu. Notre Univers est plein de systèmes ou d’astres morts. Certains ont été détruits comme le sera le nôtre. Beaucoup d’autres sont peut-être (je dirais volontiers « sans-doute ») totalement stériles parce qu’ils n’ont jamais été porteurs des ingrédients nécessaires. De toute façon on ne peut pas compter sur eux ; trop lointains, nous n’en connaissons encore que ce que nous en dit leur lumière. Et puis nous avons nos spécificités. Il n’y a donc pour nous qu’une seule possibilité, migrer ailleurs, comme un jour certains d’entre nous iront sur Mars. Il ne tient qu’à moi mais aussi à vous-même que notre propre système continue dans ce contexte à tourner autour de son Soleil brûlant mais nourricier que sont les connaissances accumulées par tous, les publications scientifiques paraissant dans le monde entier, vos commentaires toujours renouvelés et l’esprit critique de chacun. Je serai le 30 juin, pour ma part, aussi prêt que possible à partir pour transplanter notre blog sous de nouveaux cieux.

Toute construction matérielle est fragile comme nous le rappelle le mandala de sable. Mais les constructions intellectuelles peuvent s’avérer plus solides, comme l’est l’esprit de ceux qui dessinent le mandala en se nourrissant aux mêmes sources intellectuelles et en le perfectionnant à chaque représentation qu’ils en font. C’est ce que j’espère et que je souhaite. Dans ces conditions, si notre transition pour sortir de l’orbite du Temps réussit, on pourra une fois de plus dire avec Pangloss que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, en attendant d’en découvrir un autre et peut-être un jour la clef de tous les mystères.

Aux étoiles !

Illustration de titre : vue d’artiste de notre système planétaire encoconné dans son Nuage de Oort. Crédit : Pierre Carril, Novapix (ref : a-com99-90007). Pierre Carril est un des meilleurs illustrateurs spatiaux. Il a notamment obtenu des contrats de l’ESA (magnifique illustration du programme Aurora).

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 23 04 20

Et pour continuer à lire les nouveaux articles de ce blog après le 30 juin:

https://www.contrepoints.org/

La réutilisabilité des fusées conçue et réalisée par SpaceX a révolutionné le marché, et ça continue !

La Direction du Temps a décidé ce 3 mai de fermer son espace dédié aux blogs sur letemps.ch à compter du 30 juin. Ce blog que vous lisez va donc perdre son support et son cadre. Les articles déjà publiés et les commentaires resteront lisibles jusqu’à la fin de l’année 2023 à l’adresse https://www.letemps.ch/blogs .

Cette décision est le résultat de l’évolution de la politique éditoriale du média. Elle ne peut être discutée même si on peut la déplorer (ce qui est mon cas). Je laisse la Direction du Temps s’en expliquer auprès de vous, chers lecteurs, par un article dans le Journal, si elle le juge utile.

Le moment est donc venu de vous remercier de m’avoir accompagné pendant près de huit années, qui pour moi ont été merveilleuses, dans cette œuvre collective (mes articles, vos commentaires, nos échanges). Je me suis fait des amis, vous aussi sans doute, et nous formons aujourd’hui une grande famille. Comme dans toute famille les éléments constitutifs s’entendent plus ou moins bien mais comme ils partagent quand même des intérêts communs, ils ne peuvent s’empêcher de discuter à leurs propos, ce qui in fine devient un enrichissement pour tous.

Ce n’est pas parce que le Temps va nous couper la lumière que pour autant ma passion pour l’Espace, notre Univers, les questions fondamentales qui nous habitent tous (sans oublier “ma” toute petite planète Mars que je considère comme notre Porte vers l’Infini), va cesser de s’exprimer. Vous pourrez me retrouver sur le média en ligne contrepoints.org qui déjà me publiait de plus en plus souvent. Contrepoints est un journal libéral qui correspond très bien à mon orientation politique (que nul doute mes lecteurs attentifs ont bien remarquée). C’est un média important, le plus important dans son domaine avec plus de 2 millions de visiteurs uniques par mois et vous me retrouverez au milieu des meilleurs auteurs libéraux francophones de notre époque, ce dont je suis très fier.

Mes articles sont également publiés sur le site internet de la Mars Society Switzerland (adresse https://planete-mars-suisse.space/fr/blogs/blog-pierre-brisson ) mais je devrai faire un ajustement technique avant que cette page soit opérationnelle puisqu’elle est alimentée à partir des Blogs du Temps. Il existe une page “forum” sur ce site mais pour le moment les commentaires sous article ne fonctionnent pas (ce n’était pas nécessaire puisqu’il y avait le blog du Temps!). Sans doute vais-je passer par un blog WordPress personnel dont je vous communiquerai les coordonnées la semaine prochaine.

Continuons ensemble, jusqu’à Mars peut-être un jour! Mais d’ores et déjà, suivez moi sur Contrepoints.

Comme la plateforme des Blogs du Temps continue à fonctionner pour quelques semaines, je reprends le fil de mes articles. Cette semaine je vais encore vous parler du Starship car je n’ai pas fini de dire tout ce que je voulais à son propos.

La réutilisabilité des fusées conçue et réalisée par SpaceX a révolutionné le marché, et ça continue !

Imaginez que l’on jette les avions à la mer à chaque fois qu’on en utilise pour traverser l’Atlantique. C’est un peu ce qui se passait avant l’arrivée de SpaceX sur le marché et la mise en pratique de l’idée géniale d’Elon Musk de récupérer puis de réutiliser le lanceur (premier d’une fusée de deux, trois ou quatre étages).

Depuis les V2 allemands de la Seconde guerre mondiale et les années qui suivirent, une fusée lancée était une fusée perdue (non pour l’objet de sa mission mais pour ses éléments constitutifs). On était dans un contexte où la pollution était une notion inconnue, où l’on disposait d’autant de métal que l’on souhaitait et où les usines tournaient sans trop de problème d’approvisionnement en métaux ou ergols (carburant + comburant). Sur cette lancée, si l’on peut dire, les fusées américaines de la grande époque de la Conquête de la Lune (fin des année 60/début des années 70) étaient également jetables et elles donnaient satisfaction puisqu’on ne comptait pas les dollars dépensés (et qu’on jetait aussi à peu près tout).

L’euphorie des premiers succès passés, on se dit que, tout de même, on pourrait pour les seuls vols habités, faire des fusées comme des avions. Cela donna la navette spatiale, « the Shuttle », qui fut en service entre 1981 et jusqu’en 2011 (« retraite » un peu forcée après 135 vols, pour des raisons de sécurité). Cet avion-fusée rendit de grands services (ne serait-ce que le sauvetage du télescope Hubble !) mais il s’avéra coûter extrêmement cher en entretien. Il s’agissait notamment de réviser la totalité des tuiles de protection thermiques une à une après chaque vol. Et ce fut d’ailleurs un bloc de mousse de protection qui avait heurté une de ces tuiles au décollage qui provoqua la catastrophe de la navette Columbia (7 morts !).

Elon Musk, quand il lança ses premières fusées en 2010, était animé par l’Objectif Mars comme Tintin l’avait été par l’Objectif Lune. Et, sans aucun complexe (c’est un de ses traits de caractère) il voulut que sa fusée soit récupérable et réutilisable (il fallait évidemment qu’elle le soit pour revenir de Mars). Il commença ses lancements en 2006 et en 2015 il réussit sa première récupération (après plusieurs échecs ou demi-succès, mais on sait que c’est comme cela qu’il « fonctionne »). On était au 20ème vol et c’était un Falcon-9 (le seul lanceur dont la société disposait. Aujourd’hui SpaceX a lancé 217 Falcon-9 et Arianespace seulement 84 Arianes-5 (depuis 2006). Sur les 217 lancements, 175 lanceurs de Falcon-9 sont revenus se poser sur Terre et il y a eu 152 réutilisations. Il n’y a eu aucune récupération d’Ariane. La différence est claire et la conséquence de la différence c’est le coût, aggravé par le fait que moins on lance plus le lancement coûte cher puisqu’on fait moins d’économies d’échelle. Au bout du compte un lancement de Falcon-9 coûte moitié moins cher (67 millions de dollars) qu’un lancement d’Ariane-5. NB : Une autre fusée plus puissante de SpaceX, le Falcon-Heavy (poussée par 3 groupes de 9 moteurs Merlin), permet d’emporter des charges plus lourdes mais elle a été encore peu utilisée (6 lancements dont le dernier est intervenu ce 30 avril, un “sans-faute”).

Le deuxième étage du Falcon-9 n’était pas récupérable mais cela n’avait pas vraiment de sens pour plusieurs raisons.

Premièrement la combustion des ergols du premier étage se termine très rapidement (trois minutes dans le cas du Starship) car il s’agit de s’arracher de la gravité terrestre à partir d’une vitesse nulle et pour ce faire non seulement de gagner en vitesse mais aussi en altitude, le plus vite possible (avec le meilleur rapport ergols consommés/puissance délivrée). Après son utilisation, le premier étage se trouve donc, à la verticale, très proche de son site de lancement. Au contraire le deuxième étage va prendre de la vitesse essentiellement à l’horizontal, en prenant lentement de l’altitude en fonction de la vitesse qui le soustrait de plus en plus à la gravité. Il faudrait beaucoup d’ergols pour revenir sur le site de lancement, très éloigné, et à une vitesse initiale beaucoup plus élevée (peut-être pourrait-on le faire après une orbite complète ?).

Deuxièmement, le deuxième étage dans une fusée classique est un exhausteur d’altitude qui ne comporte ni beaucoup de métal (il est moins chargé en ergols), ni beaucoup de moteurs. Il est donc de ce fait moins intéressant à récupérer.

Troisièmement, toujours dans une fusée classique, le deuxième étage en porte un autre (un “inter-étage” ou, plus complexe, un module de service) qui lui-même en porte un autre (la capsule ou le satellite ou la sonde) même si l’expression « deuxième étage » est réservée exclusivement à l’exhausteur d’altitude. Le problème de la récupération est ainsi segmenté en plusieurs sous-problèmes. Si on lance un satellite, on ne va pas le récupérer ce qui ne sera pas le cas d’une capsule si elle porte des passagers. Quant au module de service, il peut aller très haut, très loin, à une distance où il ne sera pas plus récupérable que la sonde qu’il a lancée.

Pendant la mise en place chez SpaceX de l’innovation/révolution qui consistait à récupérer le premier étage, les institutionnels, NASA ou ESA, regardaient sans comprendre qu’ils étaient en train de perdre le marché, obnubilés par leur crainte que la fiabilité du lanceur récupéré ne serait jamais suffisante et par le fait que pour revenir se poser sur le sol terrestre, un lanceur devait utiliser entre 10 et 15% des ergols embarqués.

Vue l’évolution des coûts et donc des prix des lancements, vu également l’allongement du « track-record » positif de SpaceX, ces mêmes institutionnels finirent par se dire que cette réutilisation des lanceurs n’était peut-être pas une mauvaise idée. Mais le retard accumulé est considérable. A ce jour aucune fusée de la NASA construite par ULA (United Launch Alliance = Boeing + Lockheed Martin) n’est récupérable et l’ESA n’envisage la récupération/réutilisation que pour les années 30. D’ici là tout le marché, sauf protection très coûteuse, sera pris par SpaceX. C’est d’ailleurs presque déjà le cas sauf pour les lancements d’institutions ou de sociétés captives pour des raisons politiques (l’ESA utilise forcément les services d’Arianespace).

Mais Elon Musk voulait aller plus loin. Il voulait aller sur Mars et c’est pour cela qu’il décida de créer un lanceur lourd adapté pour ces missions lointaines avec un nouveau concept de deuxième étage qui devient un second étage inclusif des autres. Ce second étage fait en effet un bloc de tous les segments supérieurs de la fusée car il a besoin de conserver les différentes fonctions de ces éléments jusqu’au bout. Si l’on veut envoyer des hommes sur Mars, il faut s’organiser pour qu’ils puissent revenir et donc que le second étage qui va les emporter sur Mars puisse en revenir, en bon état, avec le minimum d’entretien sur place et qu’il puisse être approvisionné sur place en ergols pour bénéficier de l’énergie suffisante pour le voyage (moins que pour l’aller car la gravité martienne est nettement plus faible que la gravité terrestre). Par la même occasion, il faut que ce vaisseau spatial puisse revenir avec un module de propulsion type deuxième étage propulsif classique, avec un module de service classique pour assurer toutes sortes de fonctions nécessaires à l’habitat mais pas seulement (correctif d’attitude notamment) et avec un habitat. Il faut enfin qu’il puisse être récupéré et réutilisé afin de réduire les coûts. A noter qu’il est totalement exclu d’apporter sur Mars les ergols nécessaires au retour sur Terre car il faudrait doubler la masse qu’il conviendrait d’arracher à la gravité terrestre à l’aller (ergols suffisant pour repartir de Mars plus les réservoirs pouvant les contenir). Cela reviendrait à « trimbaler » avec soi un corps mort inutile pendant la moitié du voyage (qu’il faudrait en plus maintenir pendant deux ans à des conditions de températures particulièrement basses).

C’est ainsi donc qu’est né le concept de ce Starship et de son lanceur SuperHeavy dont on peut espérer que le second vol orbital, dans deux mois, soit plus long que le premier. Avec lui, le deuxième étage et les autres sont intégrées et la récupération rentre dans la fonction elle-même du vaisseau spatial.

Lire ici la très intéressante interview d’Elon Musk qui m’a été communiquée le 30 avril, par mon ami Jean-François P : https://twitter.com/ufotinik/status/1652644402534273025

Si le Starship peut voler, le concurrent, également conçu et fabriqué selon des principes traditionnels par ULA, nommé « SLS » (Space Launch System), celui qui a mené à bien la première mission Artemis autour de la Lune, deviendra complètement obsolète. En effet il n’aura pas une capacité d’emport comparable. Sa capsule, Orion a un volume pressurisé de 19,57 m3 dont un volume habitable de 9 m3 alors que le Starship aura un volume viabilisable de 1100 m3, habitable pour plus de 800 m3. Par ailleurs Orion serait totalement incapable de repartir de Mars après y être descendu. Il faudrait qu’il reste en orbite en étant assisté d’une annexe légère, comme l’était le module lunaire (« LEM ») du temps d’Apollo pour descendre sur Mars puis remonter à l’orbite. Inutile de dire que ses capacités d’emport ne pourraient être qu’extrêmement limitées en volume et en masse (2 personnes et quelques équipements, comme un rover plié pour les transporter). En second lieu le coût du SLS se monte à plus de 4 milliards de dollars alors que celui du Starship atteint juste le milliard. Bien sûr, cela est un coût initial et il baissera si l’on construit plusieurs fusées mais c’est mal parti pour le SLS étant donné qu’il n’est et ne sera jamais réutilisable.

Donc le SLS n’est qu’une solution provisoire en attendant que le Starship soit prêt. Quant à l’Europe/ESA, on en reparlera plus tard quand elle aura réussi aussi à faire son lanceur réutilisable. Mais pour le moment elle n’est définitivement pas dans la course et ne tiendra dans les années qui viennent, que parce que la différence de prix entre celui de sa fusée Ariane-6 et celui d’une Falcon-9 ou Heavy sera payée par les impôts des contribuables.

Illustration de titre :

Retour spectaculaire sur Terre de deux des trois corps de propulsion du Falcon-Heavy en avril 2019. Crédit SpaceX.

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