A la recherche d’un cousin de LUCA notre ancêtre ultime

LUCA, notre « Last Universal Common Ancestor »*, a-t-il été unique dans l’Univers ? C’est pour tenter d’obtenir une réponse à cette question que l’exploration attentive et approfondie de Mars est essentielle.

*LUCA a probablement vécu il y a près de 4 milliards d’années.

La Vie sur Terre (la seule que nous connaissons) est apparue dans des conditions que l’on ignore. On peut constater l’inanimé d’une part avec la présence d’éléments plus ou moins élaborés utilisés par la Vie, l’animé d’autre part et, de ce seul fait, la preuve d’un passage d’un état à l’autre, mais non connaître le processus du passage, même si on en suppose les conditions et certaines phases. Le plus grand prodige c’est le résultat, la Vie, c’est-à-dire un processus continu de transformation de la matière par des organismes puisant leur énergie et leurs éléments constituants dans leur environnement, pour se reproduire presque à l’identique mais pas tout à fait ce qui leur permet de s’adapter aux conditions extérieures et donc d’évoluer.

L’expression de la Vie la plus simple et la plus ancienne c’est la cellule autonome procaryote, bactérie ou archée, qui comprend une enveloppe (membrane) qui sépare et protège un intérieur d’un extérieur mais en même temps permet le contact et les échanges, et à l’intérieur les éléments essentiels au fonctionnement et à la reproduction, c’est-à-dire à la continuité de la Vie. La bactérie ou l’archée ne comprennent que les éléments dont elles ont strictement besoin pour satisfaire cette pulsion homéostatique*. Elles se débarrassent des autres. Ce sont des modèles de rationalité et d’économie. Des êtres certes qui n’ont pas la complexité des eucaryotes métazoaires avec tout un jeu d’organes complémentaires ou même celle des eucaryotes unicellulaires avec leur noyau et ses mitochondries, mais des êtres déjà extraordinairement élaborés et ajustés à leur fonction. Il s’agit pour ces procaryotes de se reproduire plus vite que « les autres » pour disposer du terrain et donc des aliments pour se perpétuer et de l’espace pour projeter leurs descendances. L’instrument de base est l’ADN, la matrice et le modèle qu’il faut transmettre à la génération suivante et qui contrôle « tout » c’est-à-dire la production de protéines et le processus de captation d’énergie pour faire fonctionner l’ensemble de la cellule, ainsi que le mécanisme de reproduction.

*cf: “L’ordre étrange des choses” d’Antonio Damasio

LUCA est l’ancêtre dont nous descendons tous. Tous les êtres vivants sur Terre ont en commun un assemblage génétique qui remonte jusqu’à lui. Il est le seul de ses frères ou cousins cellulaires à avoir transmis ses gênes à une descendance, même s’il a pu faire partie d’une communauté pendant sa très courte vie. A partir de lui la Vie a proliféré en se divisant toujours plus, à commencer par l’embranchement bactéries / archées et jusqu’à la diversité extrême des espèces que nous constatons aujourd’hui. Pour comprendre LUCA c’est-à-dire l’assemblage merveilleux dont toute vie découle, il nous faut connaître l’avant LUCA au plus près de LUCA.

Ses prédécesseurs sont des éléments de plus en plus complexes (composition chimique, polymérisation, choix d’un énantiomère) fonctionnant ensemble dans la nature puis à l’intérieur d’une membrane, peut-être des cellules douées d’une capacité reproductive mais évidemment moins performantes que LUCA puisqu’elles n’ont pas laissé de descendance si ce n’est par l’intermédiaire de LUCA. Il s’agit donc de savoir quels ont été les éléments ultimes de la construction et celui qui a déclenché l’étincelle qui a mis en route le moteur qui ne s’est ensuite jamais éteint. Sur Terre, la tâche est très difficile. Les roches les plus anciennes, remontant à l’époque ou l’alchimie de la Vie a produit son chef-d’œuvre, son LUCA, sans doute non avant -4 milliards d’années (-4Ga) et probablement entre -4 et -3,8 Ga, sont extrêmement rares, n’occupant que quelques tout petits km2 au Nord-Ouest de l’Australie ou au Nord du Groenland. L’érosion a été terriblement abrasive, la tectonique des plaques a recyclé presque tout ce qui pouvait l’être, en dépit de la flottabilité des masses continentales au-dessus de la croûte de la planète. La taphonomie (science de la transformation des êtres vivants après leur mort) est très difficile du fait de cette histoire compliquée et à l’extrême (vestiges de plus de 3,5 Ga) les doutes sont forts. Pour tenter de les lever on doit associer l’étude visuelle (morphologie des biomorphes) à l’étude chimique (présence de matière kérogène, abondance de l’isotope 12 du carbone, traces d’activités métaboliques) en prenant en compte l’évolution que la forme ou la composition ont pu subir du fait du temps, en prenant un soin extrême à écarter toute contamination du fait de l’histoire de la roche examinée ou de la manipulation lors de l’examen lui-même, et en affermissant les hypothèses en discutant les indices.

Sur Mars, la situation est très différente car la vie planétologique s’est considérablement ralentie depuis l’époque où la Vie est apparue sur Terre et a pu par analogie commencer sur Mars, puisque les conditions environnementales antérieures des deux planètes étaient très semblables*. La tectonique des plaques s’est arrêtée très tôt, empêchant le recyclage et la transformation des roches de surface, l’érosion aqueuse, forte par intermittence, n’a plus été généralisée et l’érosion éolienne bien que non nulle est évidemment restée faible puisque la densité de l’atmosphère est devenue nettement plus faible. Il y a eu beaucoup de volcanisme mais les laves ont laissé indemnes des millions de km2 de surface. On peut donc supposer que si le processus de Vie était enclenché vers -3,5 Ga et avait donné naissance à un LUCA local, il a pu continuer, en évoluant uniquement à l’occasion de chaque épisode humide, donc au ralenti par rapport à ce qui s’est passé sur Terre et en préservant de ce fait des types plus archaïques (et aussi plus robustes).

*NB: elles n’étaient cependant pas identiques, essentiellement parce que Mars bénéficie d’une irradiance solaire moindre, d’une masse planétaire moindre, probablement de moins d’eau, peut-être aussi d’un mixe atmosphérique un peu différent et enfin parce qu’elle souffre d’une absence de Lune.

Maintenant il y a deux alternatives : soit le processus de Vie a démarré, soit il n’a pas démarré pendant la période favorable des quelques centaines de millions d’années autour de -4Ga. S’il n’a pas démarré, on trouvera un jour jusqu’où l’environnement planétaire martien a conduit l’évolution des éléments organiques prébiotiques (non-biologiques ou presque-biologiques) et, connaissant les particularités de l’environnement martien par rapport à celui de la Terre à cette époque, on comprendra mieux pourquoi il a réussi sur Terre et les difficultés qu’il a dû surmonter pour y apparaître. S’il a démarré sur Mars, soit on trouvera un jour des êtres vivants martiens descendant de cet autre LUCA, soit des fossiles de ces êtres vivants. Dans un cas comme dans l’autre nous aurons des preuves et des indication sur la force adaptative (et éventuellement les limites) de la Vie une fois qu’elle a commencé. Puisque l’érosion a été moins forte sur Mars que sur la Terre, on peut aussi espérer que la taphonomie des objets les plus anciens (remontant à l’hypothétique LUCA martien) soit moins difficile (même si le temps passé et l’irradiation de la surface du sol ont pu évidement induire des évolutions importantes).

Par ailleurs, si la Vie a commencé sur Mars, il sera passionnant de voir avec quels éléments elle s’est constituée. Au tout début de notre Vie terrestre, nous avons deux branches, celle des bactéries et celle des archées. Elles présentent des différences fortes, au niveau des membranes plasmiques et de la paroi cellulaire, dans le mode de réplication de l’ADN ou dans celui de l’expression des gènes. Il n’y a aucune raison pour qu’une Vie martienne ne présente pas des différences aussi fortes ou même plus. Il n’y a aucune raison que la Vie martienne n’utilise pas d’autres acides aminés que les nôtres, que le sucre ou la base azotée de ses nucléotides soient exactement les mêmes, que son mode de respiration conduise aux mêmes échanges d’énergie que sur Terre en passant par l’ATP. Tout ceci sera très important pour comprendre et apprécier le processus vital en général, savoir ce qui est irréductiblement nécessaire et ce qui l’est moins. Cela nous donnera aussi une compréhension plus abstraite de la Vie comme processus d’évolution de la matière.

La recherche biologique est une motivation fondamentale de l’exploration humaine. Cela justifie toutes les dépenses que nous pouvons effectuer pour aller examiner en dehors de la Terre, le sol et le sous-sol de la planète accessible où la répétition de l’événement est le plus probable, c’est à dire Mars. Mais il ne faut pas rêver. Pour que ces dépenses soient vraiment efficaces, le retour de quelques échantillons ne sera pas suffisant, surtout si la Vie n’a pu véritablement s’étendre à l’ensemble de la surface de Mars, ou si elle revêt des formes et une composition inattendues. Il faudra une présence humaine avec tous les équipements d’investigation de pointe dont nous pouvons disposer et beaucoup d’intelligence appliquée au plus près du terrain, sur Mars.

Illustration de titre: microstructures parmi les premières traces incontestables de vie terrestre. In “Microfossils of sulphur-metabolizing cells in 3.4 billion-year-old rocks of Western Australia (Strelley Pool), par David Wacey et al. publié le 21/08/2011 dans Nature Geoscience, DOI:10.1038/NGEO1238

Conférence le 22 mai à 18h00 à l’EPFL (en Anglais) sur le thème ‘Logistic & economic challenges to realize a Martian village”. Accès libre mais inscription demandée.

Pour (re)trouver dans ce blog un article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur:

Index L’appel de Mars 19 05 10

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

4 réponses à “A la recherche d’un cousin de LUCA notre ancêtre ultime

  1. La conquête de nouveaux horizons n’a jamais été motivée par la science en priorité , celle de Mars n’y fera pas exception . Les difficultés à surmontées pour un vol habité sont très loin d’être résolues si l’on suit les dernières déclarations des dirigeants de la NASA , plus experts que Mars society .
    Une aventure humaine vers la planète rouge ne sera pas envisageable avant 2037 selon les spécialistes avertis avec des tests préalables au cours de missions lunaires .
    La première mission martienne aura bien des préoccupations plus vitales que de chercher des poux dans les entrailles de cette planète ! Et une présence permanente n’est en tout cas pas garantie .
    Peu importe que LUCA ait une apparence plutôt qu’une autre , nous ne savons même pas correctement identifier celui de la Terre et cette quête peut se dérouler ici bien avant de la mener ailleurs .
    Ce que nous savons avec certitude est que les atomes et molécules complexes sont présents partout dans l’univers et que selon le principe de l’évolution, la vie prend forme quand les conditions sont réunies avec ces mêmes ingrédients de base , mais nous ignorons encore la phase critique qui sépare le “bouillon de culture primitif” et le premier LUCA . Cette réponse doit être trouvée sur Terre pour ensuite la découvrir ailleurs .
    Des missions extraterrestres scientifiques robotisées feront le travail aussi bien que des experts humains .
    Il ne faut pas confondre ces deux aspects de la conquêtes spatiale .

    1. Cher Monsieur Giot, voici mes réponses:
      1) Vous dites “La conquête de nouveaux horizons n’a jamais été motivée par la Science en priorité , celle de Mars n’y fera pas exception”. Qu’en savez-vous? De toute façon je ne prétend pas que la Science soit la seule raison d’aller sur Mars.
      2) Vous dites que “les dirigeants de la NASA sont plus experts que la Mars society”. Ma réponse est “pas forcément”. Les experts de la NASA ne sont pas les meilleurs experts de Mars ni des vols habités. Ils réunissent certes beaucoup des meilleurs scientifiques mais certains de ces “meilleurs” ne font pas partie des experts de la NASA. Nora Noffke est une excellente paléobiogéologue, de renommée mondiale, et elle n’a pas été entendue quand elle a suggéré, au début de la mission, que le rover Curiosity s’approche de ce qu’elle estimait être un tapis microbien fossilisé. Pour ce qui est des vols habités, demandez à Elon Musk ce qu’il en pense. Lui et son équipe travaillant sur le BFR sont certainement meilleurs experts que l’équipe d’ingénieurs en astronautiques travaillant sur le SLS. En ce qui concerne la Mars Society, c’est Robert Zubrin qui a lancé l’idée de produire sur Mars le carburant nécessaire au retour sur Terre (ISPP), pas la NASA (qui ensuite a repris l’idée).
      3) Contrairement à vous je suis certain que la première mission humaine sur Mars aura un aspect biologique, ne serait-ce que pour satisfaire aux exigences de la “Planetary protection (backward)”.
      4) Evidemment qu’une présence humaine permanente n’est pas garantie sur le long terme. Je ne prétends pas que nous devions partir sans ticket de retour comme le voulaient les promoteurs de Mars-One mais je pense que nous avons de bonnes raisons de penser que nous pourrions réussir (voir différents articles de ce blog).
      5) Vous dites “selon le principe de l’évolution, la vie prend forme quand les conditions sont réunies”. Vous êtes bien optimiste! Il faudrait d’abord connaître les “conditions”. De plus, à mon avis (et jusqu’à preuve du contraire) il n’y a rien d’automatique. L’apparition de la vie sur la Terre, est le résultat de conditions planétologiques de base particulières et d’accidents cosmiques difficilement répétables (présence de la Lune par exemple ou une certaine forme de tectonique des plaques). Qu’il y ait eu complexification des molécules dans l’environnement terrestre me semble dans la logique de ce qui est arrivé dans l’espace, après que la métallicité soit devenue suffisamment importante dans notre région de l’univers (donc seulement depuis quelques 5 milliards d’années), mais que cela ait pu conduire à l’assemblage en cellules auto-reproductrices, n’a rien d’évident. C’est pour cela qu’il est intéressant d’aller voir sur Mars ce que des conditions environnementales assez proches ont donné.
      6) je suis désolé mais les robots sont beaucoup moins adroits, rapides et judicieux que les humains (surtout scientifiques spécialistes). L’étude des échantillons de roches anciennes est une science extrêmement délicate. Demandez aux spécialistes de l’étude des météorites. La difficulté de l’étude est renforcée par le fait que sur Mars on ne sait pas a priori quelle forme pourrait prendre l’expression de la vie (et les robots n’en ont aucune idée, sauf celles qu’on leur donnera, sans savoir nous-mêmes, avant que la mission soit lancée).
      7) Trouver la vie sur Mars nous dirait précisément que le phénomène n’est pas si exceptionnel. Ne pas la trouver nous dirait le contraire. Trouver un stade avancé de l’évolution vers la vie, sans l’aboutissement, nous permettrait de mettre en valeur certaines différences entre les planètes.
      Tout n’est pas si simple, Monsieur Giot, et l’homme reste un meilleur scientifique que le robot (ils sont complémentaires mais la présence de l’homme apporte une énorme différence)!

      1. Giot is a Bot?
        That’s the Question… 🙂

        P.S. J’admire autant votre passion que votre patience, cher Pierre

    2. Toujours aussi négatif M. Giot! Sans vouloir dénigrer la NASA, il faut reconnaître qu’elle “cafouille” pas mal depuis quelques temps, les difficultés à mettre au point une “resucée” relativement directe de la Saturn V (le SLS) en est l’illustration. Même dans les années 60, c’est en fait un obscur technicien qui a eu l’idée du rendez-vous en orbite lunaire qui a permis de réaliser le pari de Kennedy, pas les grands pontes de la NASA de l’époque, von Braun compris. Et aujourd’hui, Elon Musk entre autres “privés”, avec SpaceX est plus imaginatif et productif que cette agence gouvernementale (qui fait d’ailleurs appel à ses lanceurs et autres modules), … et lui croit et travaille à des missions habitées sur Mars bien avant 2037! Il est au moins aussi “averti” compte tenu des succès qu’il a déjà obtenus que les dirigeants de la NASA auxquels vous faites référence!

Les commentaires sont clos.