Le sismomètre SEIS1 est le fruit de la recherche scientifique française avec la collaboration de la Suisse3. L’équipe est menée par Philippe Lognonné2. SEIS est le principal instrument de la mission Insight de la NASA. Il a enregistré le premier tremblement de Mars ce 7 avril 2019 (sol 128 de la mission InSight). Ce que cet enregistrement nous dit est porteur d’espoir mais aussi de difficultés. L’information dominante est que la structure interne de Mars ressemble plus à celle de la Lune qu’à celle de la Terre. Cela a plusieurs implications.
(1) « Seismic Experiment for Interior Stucture »;
(2) P.I. (responsable scientifique, « Principal Investigator »), Université Paris-Diderot et Institut de Physique du Globe de Paris;
On peut lire sur le site internet de SEIS ce qui particularise les tremblements de Lune :
« Sur la Lune…les ondes sismiques…sont…diffractées dans toutes les directions par une immensité de structures de toutes tailles. Exposée sans protection au martèlement des impacts météoritiques depuis des milliards d’années, la croûte lunaire, bien loin d’être homogène, est effectivement intensément concassée. En se réverbérant de manière incessante sur les fractures de cette enveloppe morcelée et brisée, les trains d’ondes se complexifient et se dispersent dans le temps. Au lieu d’enregistrer un signal clair, sur une période assez courte, un sismomètre…capte au contraire un signal diffus et déstructuré, qui s’étale sur des intervalles de temps plus longs».
Si on obtient le même type de résultats sur Mars, c’est donc que la croûte de la planète a été pareillement « intensément concassée » par les impacts et qu’elle l’est restée. Cela peut s’expliquer par une histoire météoritique tout aussi riche que celle de la Lune et aussi par le fait que depuis au moins 4 milliards d’années il n’y a plus eu de tectonique des plaques pour renouveler cette croûte.
Apparemment les sismologues ne désespèrent pas, malgré tout, de pouvoir interpréter correctement les signaux de leur sismomètre déposé en surface le 19 décembre dernier et mis en service le 5 avril, c’est-à-dire localiser leur source et constater par leur déplacement depuis elles jusqu’au capteur, la structure de la planète. On peut simplement craindre que la lecture ne puisse être aussi précise que sur Terre compte tenu des nombreuses interférences parasites.
Un deuxième point à noter c’est que le premier tremblement de Mars clairement identifié comme tel, était extrêmement faible, tellement faible qu’on ne peut lui assigner aucune magnitude (vous connaissez certainement la fameuse échelle ouverte de Richter ; sur cette échelle le tremblement enregistré n’atteindrait pas l’échelon 1). Cela peut témoigner bien sûr d’une activité sismique faible, ce qui ne serait pas étonnant sur une planète plus petite que la Terre (1/10ème de sa masse), qui s’est refroidi (on pourrait dire « a séché ») beaucoup plus vite et profondément qu’elle, en générant donc une croûte beaucoup plus épaisse, d’un seul tenant, et qui de plus n’est pas exposée à l’attraction d’un astre compagnon aussi massif que la Lune l’est pour la Terre (qui exerce de ce fait sur cette dernière des forces de marée non négligeables).
On peut espérer bien sûr d’autres événements, soit un tremblement interne nettement plus important, bien sûr possible puisque la collecte de données ne fait que commencer, soit l’impact d’une météorite importante. Un tel impact aurait le même effet déclencheur d’ondes sismiques qu’un tremblement et si celles-ci ne témoigneraient pas d’une activité interne, elles pourraient du moins décrire par leur cheminement, la structure interne de la planète.
De toute façon les résultats de SEIS seront intéressants car ils permettront sûrement de mieux connaître cette structure, avec des données beaucoup plus nombreuses et précises qu’aujourd’hui (on dispose de la dimension de la planète, de sa vitesse sur orbite, de sa masse et de la mesure de la précession de ses équinoxes) et aussi parce qu’il est important de bien connaître toutes les différences de Mars avec la Terre pour mieux apprécier les particularités de cette dernière (notamment mieux comprendre l’effet dynamo interne qui génère notre champ magnétique global).
Avec la sensibilité proprement extraordinaire de SEIS, nous saurons aussi quelle dangerosité présentent les astéroïdes pour les hommes qui un jour s’installeront sur Mars. Il est important de connaître sur une surface donnée et sur une durée donnée, le nombre d’impacts et l’énergie cinétiques dont ils sont toujours, actuellement, porteurs. Cela nous dira encore mieux que l’observation d’une carte montrant ces impacts, quel type d’habitats il faut privilégier (totalement enterrés ou construits en surface et avec quelle protection) et quelles mesures, il conviendra de prendre lorsqu’on s’éloignera beaucoup de la base (refuges).
Nous sommes au tout début de la sismologie martienne, on peut dire « aux prémices » puisque les sismographes précédemment posés remontent aux Vikings et qu’ils n’avaient pas fonctionné. Tout commence; grâce à la performance déjà accomplie par l’ensemble des équipes de la mission InSight.
(3)NB: avec l’ETH Zürich la Suisse est en effet un partenaire important de la mission franco-germano-américaine (la sonde allemande HP3 est le second instrument embarqué sur InSight). C’est son « Gruppe für Seismologie und Geodynamik », « GSG », qui est responsable de l’« eBOX », cœur informatique de l’instrument SEIS. Les signaux reçus du sismomètre proprement dit, déposé au sol et relié physiquement à l’atterrisseur par câbles, sont transmis à cette boîte qui se trouve à l’intérieur de l’atterrisseur en température stabilisée (les variations de températures pourraient perturber les prises de mesures). Elle renferme neuf cartes électroniques dont deux réalisées par le GSG. L’une contrôle l’alimentation en énergie, la seconde assure l’acquisition des données et le contrôle général de l’instrument. C’est le Service sismologique suisse (SED), de cette même ETHZ qui analysera les données en vue d’élaborer un catalogue de sismicité martienne.
Les cartes qui contrôlent les pendules à très large bande (les « VBB », « Very Broad Band », qui donnent une sensibilité extrêmement étendue au sismomètre (fréquence de 0,1 à 1000 Hz), lui permettant de couvrir l’ensemble du spectre possible des ondes sismiques martiennes) et assurent leur rétroaction (remise en place des éléments de pendules dès qu’ils ont été actionnés par un événement) sont françaises (IPGP+EREMS). Une autre carte pour une sismologie plus classique et redondante (capteurs à courte période, « SP », sensibles à des ondes sismiques de fréquence allant de 1 à 40 Hz,) est anglaise (Imperial College, Oxford). Les Allemands sont chargés du contrôle de mise à niveau de l’instrument par rapport au sol (que l’on comprend comme étant aussi très important !).
La très grande sensibilité de l’instrument (notamment résultant de ses pendules VBB) n’a de sens que s’il est très bien protégé de tout « bruit » extérieur (mouvement, température, pression). C’est le rôle de la cloche de confinement sous vide créée par les équipes françaises du CNES, de l’IPGP, de l’Université Paris-Diderot et de la SODERN.
Image à la Une : Image du premier tremblement de Mars enregistré par SEIS pendant le sol 128 (128ème jour martien de la mission InSight).
Image ci-dessous: l’instrument suisse eBOX, cœur de SEIS:
Lire mon premier article sur SEIS (daté des 1er mai et 26 novembre 2018) :
« InSight va ausculter Mars pour nous permettre de mieux la comprendre »
Conférence le 22 mai à 18h00 à l’EPFL (en Anglais) sur le thème ‘Logistic & economic challenges to realize a Martian village”. Accès libre mais inscription demandée.
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