Transposons-nous par la pensée à l’époque, j’espère prochaine, où l’on aura décidé de construire des îles-de-l’espace de type « Île-3 » (cylindre de 32 km de long et de 8 km de diamètre) autour du Point de Lagrange L5 avec des matériaux lunaires, comme le préconisait le physicien Gerard O’Neill dans les années 1970.
Avant d’introduire dans ce type d’habitat, une population humaine nombreuse et de ce fait impossible à évacuer en urgence, il faudra le tester pour en équilibrer l’écologie de telle sorte qu’il soit vivable. Pour ce faire je pense que la meilleure solution sur le plan écologique mais aussi économique serait, après avoir terraformé les 400 km2 de sol du premier cylindre, ou plutôt les 800 km2 des deux premiers (côte à côte en rotation sur eux-mêmes en sens contraire pour une meilleure stabilité), d’y introduire des populations d’animaux (version alternative de l’arche de Noé). L’un des cylindres serait climatisé aux températures moyennes / froides, l’autre le serait aux températures chaudes / moyennes. On y trouverait des grands bassins et des rivières, des forêts et des savanes. On y apporterait quelques couples de chaque espèce en nombre correspondant à leur rapport écologique le plus équilibré sur Terre. Il y aurait des grands mammifères et des petits, des oiseaux, des poissons, des insectes et des microbes, des végétariens et des carnassiers, des omnivores, des insectivores, des charognards, tout ce qu’il faut pour « faire un monde », tout sauf l’homme. A noter que plus le volume de l’habitat sera grand, plus l’instabilité de son écologie sera réduite, les micro-déséquilibres pouvant être compensés par la stabilité du reste de l’écosystème (effet tampon). Il sera donc probablement moins difficile de réguler le volume d’île-3 que celui d’île-1 (beaucoup plus petit).
Nous serions les démiurges et les observateurs de ce paradis terrestre avant Adam et Eve. Nous en réglerions la température, l’équilibre atmosphérique gazeux (pression, teneur en oxygène mais aussi en azote, CO2, méthane, et autres gaz), l’hygrométrie. Nous en contrôlerions la population en prélevant les vies animales en surnombre et en introduisant celles qui s’avéreraient manquer (les moustiques sont-ils nécessaires au Paradis ?) ou être insuffisantes et nous ferions de même avec les espèces végétales. Nous en contrôlerions le microbiome en observant la naissance des déséquilibres et en nous efforçant d’y faire face (sans aucun doute le plus difficile !). L’observation d’une telle biosphère serait pour les écobiologistes de toutes disciplines un terrain d’étude et d’expérimentation extraordinaire. Biosphère-2 supposait la présence de l’homme et l’ambition de l’inclure dès le début dans le système a peut-être été une erreur (mais nous aurons demain de plus en plus de capteurs qui nous permettront d’intervenir en amont de déséquilibres difficilement réversibles). Il est sans doute préférable de commencer sans lui en procédant par ajustements/apports successifs d’autres êtres vivants, de telles sortes que des copies de cet « Eden-2 » deviennent un jour habitables, par l’homme, en toute sécurité.
Bien sûr, l’habitat serait accessible aux chercheurs et techniciens divers nécessaires à son fonctionnement et à son réglage ou rééquilibrage continuel et de plus en plus précis (“pilotage”) mais ce serait toujours l’objet de missions courtes, rendues possibles par l’accessibilité de L5 à partir de la Terre en toutes périodes de l’année, pas de séjours longs. Mais in fine, l’horloge d’Eden-2 resterait éternellement fixée au milieu du « Sixième Jour ».
Parallèlement, Eden-2 pourrait faire l’objet de visites virtuelles de Terriens non nécessaires au fonctionnement de l’île, visites rendues très faciles par la présence de capteurs en tous lieux. On pourrait même, à un certain stade, envisager des séjours physiques de petits groupes de chasseurs ou de touristes stationnés dans des lodges. Ces visites pourraient être source de revenus importants qui financeraient au moins partiellement la gestion de l’ensemble. Surtout, Eden-2 puis d’autres îles de l’espace dédiées, deviendraient des conservatoires de notre faune et de notre flore (les seuls de l’Univers accessible ?) ou seraient élevés en particulier les animaux et les plantes menacées et devenues rares sur Terre, l’avantage étant que l’accès en serait par nature strictement contrôlé (plus de braconniers pour tuer les éléphants ou les rhinocéros!). Elles pourraient fonctionner en symbiose avec les banques de gènes et de spores établies sur Mars (du type Svalbard Global Seed Vault). Elles pourraient aussi servir de réserve d’animaux qui seraient exportés après sevrage vers d’autres îles de l’espace. On peut imaginer ainsi qu’une autre île de la région L5, achète un couple d’éléphants. On ferait gravir aux éléphanteaux la « montagne » à l’une des extrémités du cylindre menant vers l’embarcadère qui se trouverait au niveau de l’axe de rotation. Plus les animaux monteraient vers cet axe, plus leur masse aurait un poids léger jusqu’à devenir nul (puisque la force centrifuge serait à ce niveau devenue nulle). On les conditionnerait alors pour leur transfert et un taxi les emporterait avec une très faible impulsion (très faible masse d’énergie, donc faible coût) n’importe où dans la région.
Dieu ayant été imprudent en introduisant l’homme au Paradis, comme l’Histoire l’a si bien prouvé, les Nouvelles Terres habitées par l’homme seraient ainsi créées en dehors du Paradis, dans des îles de l’espace séparées. Il faut toujours tirer leçon de l’expérience!
Image à la Une : illustration de Rick Guidice, réalisée sur les indications de Gerard O’Neill, représentant l’intérieur d’un cylindre « île-3 ». Crédit Rick Guidice/NASA-Ames Research Center.
Bonjour,
J’apprécie votre blog. Un régal. Bravo ?
Une question : comment s’organiseraient les cycles jour/nuit dans ces iles ?
Merci!
Comme vous l’avez remarqué, la lumière ne parvient pas directement à l’intérieur des cylindres (pour protéger cet intérieur de certaines radiations trop intenses). Leur axe de rotation est dirigé vers le soleil et de vastes miroirs rectangulaires sont fixés à l’axe, à l’extrémité du cylindre opposée au soleil. Au long de la journée (durée choisie arbitrairement mais vraisemblablement de 24 heures), les miroirs s’écartent progressivement du cylindres puis s’en rapprochent, comme les pétales d’une fleur, laissant entrer une lumière croissante puis décroissante à l’intérieur du cylindre. Pour mieux comprendre vous pouvez aller voir l’illustration de Rick Guidice que j’ai choisie comme “image à la Une” de mon billet du 7 juin 2016 (“Au-delà de Mars, les îles de l’espace”). On peut régler les saisons avec le même dispositif, en raccourcissant les journées.
Une des “beautés” de ces îles de l’espace, c’est la modularité de l’environnement interne que leur structure permet.