« ISRU » pour « In Situ Resources Utilization » est le concept qui, bien qu’il ait pu l’ignorer, a toujours été essentiel à l’Homme pour explorer avec succès les terres lointaines. C’est ainsi que Lewis et Clark purent mener avec succès la première expédition du gouvernement des Etats Unis au travers du continent Nord-Américain (de 1804 à 1806) ; c’est ainsi que Roald Amundsen, avec ses chiens de traineaux, pu prendre l’avantage sur Robert Falcon Scott, avec ses poneys, pour traverser le continent Antarctique (1911/1912). A un autre niveau les colons européens ne purent vraiment prospérer dans les pays où ils voulurent s’installer, qu’en acceptant de cultiver les produits locaux ou en élevant les animaux qui y avaient « toujours » vécu. Nos explorateurs futurs réussiront d’autant mieux qu’ils voyageront dans le même esprit. Cette transposition est une des idées géniales du fondateur de la Mars Society, l’ingénieur en propulsion Robert Zubrin. Elle a révolutionné la conception des missions habitées en les rendant possibles avec les technologies d’aujourd’hui.
Alors, sur Mars que peut-on trouver dont on puisse se servir ?
La réponse est « à peu près tout », moyennant bien sûr « quelques » adaptations.
L’atmosphère d’abord. Contrairement à la Lune, sa rivale aux yeux des décideurs des politiques d’exploration, Mars dispose d’une atmosphère. Elle est certes ténue (pression en moyenne moins de 1% de celle de la Terre) mais c’est « mieux que rien » et surtout elle est constituée pour 95% de gaz carbonique et pour 2% d’azote (laissons de côté les autres « petits » gaz). Or qui dit gaz carbonique (CO2) dit oxygène, carbone et indirectement méthane (CH4). Il est en effet très facile d’obtenir ces deux molécules à partir du CO2 omniprésent. Il suffit d’ajouter un tout petit peu d’hydrogène (réaction dite « de Sabatier »). Et notez que cet hydrogène on peut l’extraire de l’eau martienne. L’oxygène, vous savez ce qu’on peut en faire. On peut d’abord le respirer en ajoutant de l’azote (martien) afin d’obtenir un mélange relativement stable (risque d’embrasement de l’oxygène pur) et d’éviter l’hyperoxie. Par ailleurs le méthane brule dans l’oxygène et les deux constituent un couple parfait carburant / comburant pour alimenter les réservoirs des fusées de retour sur Terre. C’est autant qu’il ne sera pas nécessaire d’emporter de la Terre et cela tombe bien car nous avons précisément un problème de masse, aussi bien au départ (pas de lanceur pouvant emporter plus de 130 tonnes en orbite basse terrestre) qu’à l’arrivée (pas de possibilité de descendre plus de 20 tonnes en surface de Mars, masse maximum que permettent d’emporter les 130 tonnes ci-dessus). En fabriquant notre carburant et notre comburant sur place (nos « ergols »), on réduit de plus de moitié la masse qu’il est nécessaire d’arracher à la gravité terrienne. Il faut évidemment « sauter » sur cette idée. Malheureusement comme beaucoup de « bonnes idées », même évidentes, celle-ci n’a pas été encore adoptée sans réserve par l’« establishment » de l’aéronautique (les establishments sont souvent à la traine) bien qu’elle ait été en principe acceptée par l’administration de la NASA sous le précédent président (Georges W. Bush)*. L’Administrateur de la NASA de l’époque, Mike Griffin était, il est vrai, un proche de Robert Zubrin. Aujourd’hui la NASA prépare un test pour la production d’oxygène. Un générateur expérimental de ce gaz, « MOXIE », est prévu à bord de la mission « Mars 2020 ». Il est dommage que l’on doive attendre encore pour faire la démonstration de la faisabilité de la production du méthane !
Le sol ensuite. Le sol de Mars contient tous les matériaux dont nous aurons besoin pour faire tous les objets dont nous aurons besoin ; le fer bien sûr mais aussi le carbone et l’hydrogène à partir desquels on pourra faire des plastiques, l’argile qui permettra les céramiques, la poussière qui une fois mouillée puis séchée donnera un excellent bêton, le « duricrete », et bien sûr on pourra faire pousser, dans des serres, ce qu’on voudra, soit dans le sol de Mars (après l’avoir débarrassé de ses sels de perchlorates et l’avoir fertilisé, bien sûr !), soit « hors sol » si cela s’avère trop difficile. La clé pour l’ISRU du sol ce sera l’impression 3D. Archimède disait : « donnez-moi un levier et je soulèverai le Monde » ; en le paraphrasant, je dirais : « donnez aux astronautes qui se poseront sur Mars, une imprimante 3D et ils recréeront un Monde ». Bien sûr c’est un peu exagéré car il faudra beaucoup de temps avant que Mars dispose d’un artisanat et d’une industrie autonome lui permettant de fabriquer les instruments les plus sophistiqués et dont la vie de l’homme moderne ne peut se passer, mais fondamentalement la perspective semble vraiment crédible.
Pour faire fonctionner les machines martiennes, les sources d’énergie « locale » ne manqueront pas non plus. Ce sera le soleil, d’abord. Bien que l’irradiance ne soit dans la région de Mars, que la moitié de celle reçue à la distance de l’orbite terrestre, elle sera quand même suffisante pour permettre l’utilisation de panneaux solaires. On peut imaginer utiliser aussi la géothermie même s’il faudra probablement forer très profondément pour trouver des différentiels de températures intéressants. On pense encore à la pile à combustible à méthanol puisqu’on pourra produire facilement du méthane. Malgré tout, comme il n’y a pas de carburants fossiles, une source d’énergie nucléaire (petits réacteurs à fission, type KRUSTY et MegaPower) serait plus qu’utile pour obtenir des puissances importantes et continues. Elle sera difficile à produire sur Mars (même si on doit aussi y trouver des minerais contenant de l’uranium)…mais on y parviendra un jour. Et puis on trouvera encore d’autres solutions.
L’ISRU a donc un bel avenir. On peut penser que grâce à elle, à l’impression 3D et au génie humain, l’évolution vers l’autonomie d’une colonie martienne sera beaucoup moins difficile et moins longue que certains le pensent encore aujourd’hui.
* image à la Une : Crédit image : NASA.
**effet Leidenfrost : http://www.nature.com/ncomms/2015/150303/ncomms7390/full/ncomms7390.html#close
Ci-dessous : photo de Robert Zubrin lors de la démonstration d’une production de méthane et d’oxygène par réaction de Sabatier (1990).