Petites considérations philosophiques au treizième jour de la première mission Artemis

Ce lundi 28 Novembre, le vaisseau Orion de la NASA assisté de son module de service ESM de l’ESA, est passé au point le plus distant de son orbite autour de la Lune. La NASA a naturellement pris de nouvelles photos du couple que la Terre forme avec la Lune. C’est l’occasion de réfléchir à ce que nous sommes, à nos limites donc à notre fragilité mais aussi à nos capacités, que nous devons toujours mieux exploiter.

Nous avons déjà vu des photos de la Terre depuis l’espace mais celles-ci sont particulières car elles sont prises d’un vaisseau à bord duquel demain des hommes voyageront, pour la première fois depuis la fin du programme Apollo en 1972. Maintenant que la mission Artemis I est partie et parvenue jusque-là, il est certain qu’Artemis II décollera et ira aussi jusque-là. Et les hommes à bord verront de leurs yeux ce que nous voyons aujourd’hui.

Nous sommes, sur cette photo, à 432.117 km de la Terre donc bien plus près que la sonde Voyager 1 ne l’était le 14 février 1990 lorsqu’elle a pris sa propre photo (ci-dessous) de la Terre depuis plus de 6 milliards de km et à propos de laquelle Carl Sagan avait évoqué notre « pale blue dot », cette petite lumière infime (au sein de laquelle d’ailleurs Terre et Lune sont indissociables). Il est évident que depuis l’environnement de notre étoile voisine la plus proche, Proxima Centauri, située à seulement 4,23 années-lumière, mais quand même 40 mille milliards de km (40.000.000.000.000 !), nous ne verrions plus rien du tout, avec les mêmes moyens d’observation ou d’ailleurs avec quelques moyens d’observation visuels que ce soit. Et bien sûr que nous ne distinguerions même plus notre Soleil des lueurs environnantes si nous nous éloignions jusqu’au centre de notre galaxie, situé à quelques 25.000 années-lumière (1.000.000.000.000.000.000 km).

Ce mardi nous étions donc tous sur cette photo de la NASA montrant la Terre et la Lune, à la fois très loin et en même temps tout près. Regardez ces deux astres immobiles et forcément silencieux puisque dans le vide. Nous étions là, à cet instant, tous autant que nous sommes, vous, moi et les 8 autres milliards d’êtres humains, saisis dans le calme d’un travail délicat de réflexion fruit de notre cerveau, ou de réalisation par nos mains d’un ouvrage plus ou moins difficile, ou bien dans le tumulte de la rue ou même pour certains dans la brutalité de la guerre, ou encore en contemplation de notre océan et de ses vagues qui s’écrasent sur la plage, un des symboles pendant des millénaires de l’infini et de l’éternité. Comme le disait Carl Sagan, nous sommes vraiment tous là, comme l’ont déjà été les plus de 30 milliards d’êtres humains qui nous ont précédés et dont les restes sont retournés à cette Terre, avec tous les animaux, toutes les plantes, tous les insectes, tous les êtres vivants ou ayant jamais existé.

Et nous sommes évidemment fragiles puisque nous sommes tout petits par rapport à cet Univers, tous rassemblés sur cette petite bille bleue perdue dans un espace infini sinon illimité, ou existent et rodent des monstres d’une puissance énorme, forcément inconscients et à l’occasion violents. Je veux bien sûr parler des étoiles à commencer par notre Soleil, bienfaiteur aujourd’hui mais dangereux demain lorsqu’il vieillira et déjà avant, s’il nous « gratifie » d’un « événement Miyake » à l’occasion d’une de ses colères magnétiques qui ferait disjoncter ensemble toutes nos centrales électriques. Je veux parler également du trou-noir central de notre galaxie, qui tient ensemble par sa masse, des milliards d’étoiles dont notre petit Soleil et qui lui, également, est aussi terrible qu’il est vivant car il nous dévorera tous, un jour très lointain. Je veux parler encore de toutes les étoiles voisines qui voguent avec le Soleil autour du centre galactique dans une ronde si longue mais si rapide (250 km/s pour effectuer une seule rotation en 225 millions d’années, pour le Soleil !) qu’elles peuvent un jour pénétrer dans notre système pour le bouleverser complètement parce que nos trajectoires et nos vitesses sont quelque peu différentes. Je veux enfin parler des myriades de petits astres que sont les comètes et les astéroïdes qui forment les Nuages de Oort qui enserrent notre système solaire comme une coque ou, plus proche, la Ceinture de Kuiper comme un tore, ou encore plus proche la Ceinture d’Astéroïdes comme une roue ou, plus rares mais imprévisibles, les astéroïdes venus d’autres systèmes stellaires, comme Borissov, et qui pourraient être projetés dans le nôtre ; tous ces projectiles qui un jour peuvent nous frapper et nous détruire.

Oui notre Univers est dangereux tout autant que merveilleusement beau du fait de sa grandeur et de la puissance des divers éléments qui l’habitent. Son immobilité et sa placidité apparentes sont trompeuses tout simplement parce que son échelle de temps, tout comme ses distances, est immense, totalement démesurée par rapport à notre échelle de temps humaine. Mais au sein de cette immobilité apparente, les dérèglements ou tout simplement le début ou l’achèvement des évolutions peuvent être extrêmement rapides (comme par exemple l’implosion d’une étoile géante en fin de vie) et, pour nous, les conséquences soudaines et ultra-rapides, tout aussi bien qu’infiniment longues et de ce fait, imperceptibles. Physiquement nous ne faisons tout simplement « pas le poids ».

Et cependant intellectuellement nous le faisons ce « poids » car nous disposons de l’intelligence et de la mémoire, de la capacité de faire et de communiquer, donc de la capacité de construire et de progresser. Ainsi nous avons la capacité de prendre cette merveilleuse photo de la Terre et de la Lune et d’y réfléchir pour savourer nos accomplissements mais aussi pour voir ce que nous devons faire à partir de là, pour aller plus loin et pour faire mieux.

Bien sûr, entre nous sur ce petit caillou, nous nous devons de maintenir la paix mais nous devons aussi prendre conscience de nos faiblesses et imperfections pour éviter l’injustice, les tensions trop fortes et in fine la guerre, en faire prendre conscience aux autres, accepter nos différences pour réfléchir ensemble à ce qu’il convient de faire dans notre intérêt commun. Il faut sans aucun doute mieux gérer nos ressources rares pour ne pas épuiser notre planète, être plus respectueux de cette Vie sous toutes ses formes et peut-être unique, en tout cas extraordinaire, et à laquelle nous participons. Nous devons aussi être raisonnables et constater que nous sommes très nombreux et que nous « pesons » trop lourdement dans cette biosphère qui n’était pas faite que pour nous. Je suis né à une époque où il y avait 2,2 milliards d’êtres humains sur Terre et nous avons aujourd’hui dépassé les 8 milliards. On nous dit que vers 2050 nous aurons atteint le pic des 10 milliards et qu’ensuite nous devrons faire face à la décroissance. Certes mais le pic n’est pas encore passé et tous les désordres qui peuvent venir avec, non plus. En même temps nous avons détruit 70% des espèces animales « sauvages » en moins d’un siècle. Nous sommes sur le Titanic et nous ne savons pas si nous avons déjà heurté l’iceberg.

Il est donc vital, pour nous aujourd’hui, non seulement de prendre soin du vaisseau spatial Terre au bord duquel la Nature nous a placé, mais aussi de chercher un refuge « au cas où », comme Noé dans notre antiquité mythique. Et pour des raisons différentes, nous devons protéger ce que nous avons de plus précieux, notre mémoire et notre capacité à continuer à faire progresser la technologie et la science par le fonctionnement de notre raison sur la base de tout le savoir accumulé au cours des années, sans oublier nos richesses culturelles et notre capacité à créer toujours plus de beauté. C’est pour cela que certains d’entre nous, une toute petite poignée d’entre nous, une graine, une partie infime de notre humanité mais possédant la quintessence de ce savoir, de notre travail et de notre sensibilité, doit un jour aussi prochain que possible, partir ailleurs, partir pour Mars, pour y préserver le feu que Prométhée a arraché pour nous aux Dieux et aller savourer en paix une des pommes que nous avons cueillie au Jardin d’Eden. Ce ne sera pas facile mais il faut commencer, entreprendre cette aventure, maintenant pour nous donner demain une chance de survivre !

Illustration de titre :

Photo de la NASA prise par une caméra située au bout d’une aile de panneaux solaires fournissant son énergie au Module Européen de Service de la capsule Orion.

Liens :

https://blogs.nasa.gov/artemis/

https://royalsocietypublishing.org/doi/full/10.1098/rspa.2022.0497

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