Les mondes lointains de la Ceinture de Kuiper et des Nuages de Oort nous donnent une idée des dimensions de l’Univers

Bien au-delà de la Ceinture-d’astéroïdes qui délimite le système solaire interne et encore au-delà de l’orbite de Neptune où s’arrête le « royaume » de nos huit planètes, s’étendent les régions très lointaines de la Ceinture de Kuiper et des Nuages de Oort. C’est dans ces confins que je voudrais vous conduire aujourd’hui.

La Ceinture de Kuiper, imaginée en 1940 par Kenneth Edgeworth et théorisée en 1951 par Gerard Kuiper, est le tore d’astres assez hétérogènes mais d’une manière générale glacés qui existaient dans la nébuleuse primitive lorsque le processus d’accrétion planétaire s’est amorcé autour du jeune Soleil mais qui ont été « chamboulés » très vite par la progression de Neptune, suivie par Uranus, vers l’extérieur du système sous la pression gravitationnelle de Jupiter et de Saturne. Elle se trouve entre Neptune (à 30 unités astronomique, « UA »*) et le Nuage de Oort (« intérieur », de 2000 à 5000 UA ; « extérieur », de 10.000 UA à « plus de » 100.000 UA). A noter que Proxima-Centauri, notre plus proche voisine, se trouve à 4,244 années-lumière, soit 270.000 UA. Dans le cadre du « Grand-Tack » (« Grand-rebroussement »**), l’astrophysicien Alessandro Morbidelli et ses collègues ont montré que Neptune qui se trouvait lors de sa formation entre Saturne et Uranus, aurait été éjectée au-delà de cette dernière par la pression gravitationnelle de Saturne. La perturbation résultant de cette intrusion dans ce qui allait devenir la Ceinture de Kuiper fut aussi grave pour cette dernière que celle qui intervint dans la Ceinture d’Astéroïdes un peu plus tôt quand Jupiter y fit irruption peu après qu’elle eut commencé à se former. Les astéroïdes qui s’y trouvaient dans un processus d’accrétion très lent (froid, faible vitesse de rotation autour du Soleil et faibles masses) se trouvèrent dans leur majorité, soit expulsés vers l’extérieur (Nuage intérieur de Oort) soit propulsés vers le centre du système, en passant par les orbites des planètes inférieures, soit tout simplement absorbés par la planète géante.

*une UA est égale à la distance moyenne Terre/Soleil soit 150 millions de km.

**terme qui doit parler aux Neuchâtelois qui prennent le train entre Neuchâtel et La Chaux-de-fonds !

Les astres de la Ceinture de Kuiper, nommés communément « KBO » (pour « Kuiper Belt Object ») sont donc soit de petits astéroïdes dont l’évolution n’a pu être trop poussée, soit des planétoïdes plus importants qui se trouvaient en formation dans la partie la plus interne de la Ceinture. Cette Ceinture comprend des millions de KBO dont des centaines de milliers d’objets de 100 km ou plus et quelques-uns comme Pluton qui sont beaucoup plus gros (1000 km et plus) mais, en tout, ils ne doivent pas représenter plus de 10% de la masse terrestre (contre 7 à 10 masses terrestres avant l’intrusion de Neptune). Ils sont composés de roches silicatées, avec du méthane, de l’ammoniac, et surtout de beaucoup de glace d’eau. Le tout est relativement instable car les collisions ne sont pas exceptionnelles. On les connait par les comètes qui s’en détachent ou se décrochent de leur orbite de ce fait et, depuis peu, par l’observation sur place, grâce à la sonde New-Horizons de la NASA qui a pu prendre in situ des photos remarquablement précises de Pluton, de Charron puis d’Arrokoth (initialement Ultima Thulé), KBO classique sans doute représentatif. A noter que les comètes sont identifiées par leur périodicité qui compte tenu de leur vitesse observée, donne forcément la distance de leur aphélie (la périodicité des comètes provenant de la Ceinture de Kuiper est autour d’une vingtaine d’année).

Dans la situation actuelle, on distingue la Ceinture « classique » soit celle que l’on s’attendait à trouver à cette distance quand on l’a théorisée et qui s’étend entre 40 et 50 UA du Soleil, la Ceinture des astres « épars » qui s’étend jusqu’à quelques 1000 UA (en débordant un peu sur la classique) et enfin les objets « détachés » qui se sont formés en-dehors de l’influence de Neptune car ils évoluent beaucoup plus loin que les autres, ne s’approchant des 40 UA à leur périhélie, que peu de temps dans le parcours de leur orbite. A l’intérieur de la Ceinture-classique il faut encore distinguer les astres « froids » qui ont une orbite circulaire dans le plan de l’écliptique solaire, des astres « chauds » qui ont été perturbés par Neptune et qui ont une orbite plus ou moins excentrique et en dehors de l’écliptique, et parmi les astres froids on peut encore faire des distinctions en fonction de l’influence que Neptune a sur eux (c’est-à-dire de la résonnance de déplacement sur orbite qui existe entre eux et Neptune). Parmi les astres épars, on doit mentionner Eris, le plus gros d’entre eux (2326 km de diamètre contre 2370 pour Pluton mais ce dernier est un peu moins massif). Pluton qui est en résonnance 2:3 avec Neptune n’est pas un astre épars mais, de par sa situation, un astre classique « chaud ». Sedna est l’un des astres détachés avec un périhélie de 76 UA et un aphélie de 1200 UA. Parmi les astres épars on en a détecté plusieurs d’une taille importante, ce qui nous conduit à classer comme « planètes naines » tout comme Pluton, outre Eris, Haumea, Makémaké, Gonggong, Quaoar (quel choix de noms absurde !) et bien sûr Charon le compagnon de Pluton, qui ont des diamètres allant de 1000 à 1500 km. Sedna et Orcus sont un peu plus petits (diamètre légèrement inférieur à 1000 km). Une caractéristique intrigante de ces astres épars (et même de Pluton) est l’excentricité de leur orbite. Leurs périhélies sont très éloignés du Soleil et, comme leurs aphélies, déportés très nettement d’un même côté du système solaire. Cela a conduit à penser que, « de l’autre côté », un objet très massif les équilibre, la fameuse « Planète-9 » dont on cherche la preuve par l’observation depuis 2016 où on l’a théorisée (Constantin Batyguine et Michael Brown du CalTech). La masse de cet astre doit être importante (actuellement estimée à 3 ou 4 masses terrestres) et il doit être très éloigné pour justifier l’équilibre. Mais la Planète-9 n’est pas facile à détecter parce que, relativement aux autres, son périhélie devrait être extrêmement éloigné du Soleil, qu’elle se déplace de ce fait extrêmement lentement et que, comme tous les objets transneptuniens, elle doit avoir une luminosité, par réflexion, très faible. Depuis juillet 2019, « on » (Jacub Scholtz de l’Université de Durham et James Unwin de l’Université d’Illinois) envisage qu’elle puisse être un mini trou-noir, ce qui la rendrait encore plus difficile à « voir » (pour une telle masse, son diamètre serait celui d’une balle de tennis et elle ne serait visible que lors de l’absorption de matière !).

L’intérêt de ces astres KBO c’est qu’ils se sont formés très loin du Soleil donc qu’ils ont été peu modifiés par les radiations (en particulier la chaleur) qui en émanent. Dans cet esprit ce sont surtout les plus petits qui sont évidemment les moins modifiés, qui peuvent donner le meilleur témoignage du matériel de la nébuleuse protoplanétaire, à partir duquel se sont constitués les astres les plus massifs, les planètes et le Soleil.

Encore plus loin que la Ceinture de Kuiper, les Nuages de Oort, ne sont pour l’instant qu’une hypothèse (car on n’a rien pu observer en direct de cette région) toutefois solide car confortée par quelques expériences de comètes. Le premier à avoir envisagé ces « nuages » est l’astronome estonien Ernst Öpik, en 1932, puis l’idée a été reprise par le Hollandais, Jan Oort en 1950. Ils seraient aussi composés d’astres glacés mais ces astres auraient été très peu influencés par ce qui se passe « en-dessous » d’eux ; l’un, le nuage « extérieur » encore moins que l’autre, le nuage « intérieur » qui a dû recevoir quelques « projections » à l’époque de l’intrusion de Neptune dans la Ceinture de Kuiper. Ils font indubitablement parti du système solaire mais ne lui appartiennent que par l’effet d’une force de gravitation très éloignée donc très faible. Cette force est tellement faible que de nombreux éléments de ces nuages n’ont pu être entrainés par leur vitesse à descendre dans le disque de l’écliptique. Ils restent en quelques sortes « en suspension » (mais de ce fait à la merci d’une déstabilisation quelconque, même faible, y compris du passage d’une étoile voisine*). Physiquement ils sont composés de « tout ce qui reste » de matière ou d’éléments volatiles au-delà de la Ceinture de Kuiper et qui n’a pas été emporté/arraché par la force de gravité des étoiles voisines (mais dans cette zone le système solaire peut aussi saisir quelques opportunités pour s’enrichir du « matériel » enveloppant les autres étoiles !). De temps en temps une comète à longue période arrive jusque dans notre voisinage et nous en déduisons, en fonction aussi de sa vitesse, qu’elle vient de cette région très lointaine. On en déduit aussi que certains d’entre eux doivent être assez massifs (sans atteindre la taille de planétoïdes).

*Il y a 7,3 millions d’années l’étoile Algol est passée à 9,8 al du Soleil, Gliese 710, naine-orangée voisine, pourrait pénétrer le Nuage jusqu’à 13000 à 19000 UA du Soleil, dans 1,3 million d’années (d’après projections Gaia faites en 2016). Nos voisins n’ont pas toujours été les mêmes !

Aucun des astres qui composent les nuages de Oort n’a pu être observé in situ (trop faible luminosité) et nul instrument créé par la main de l’homme n’est jamais parvenu jusqu’à ce « nuage ». « Voyager 1 », la sonde de la NASA qui a quitté la Terre en 1977 et la machine créée par l’homme qui s’est éloignée le plus de nous, vogue actuellement à 22 milliards de km, c’est-à-dire à seulement 151 UA de la Terre, toujours dans la Ceinture de Kuiper, un peu au-delà de l’héliopause (vers 120 UA dans cette direction) mais toujours bien loin du Nuage de Oort intérieur. A la vitesse de 17 km/s (60.000 km/h), elle ne l’atteindra que dans 300 ans et elle atteindra le nuage extérieur dans 3000 ans ! A noter que le milieu défini par le vent solaire, l’héliosphère qui se termine par l’héliopause, s’arrête bien avant la limite jusqu’où s’exerce la force de gravité de notre étoile.

Le système solaire est donc une énorme sphère définie par un disque à son équateur dont le diamètre est d’environ 2 années-lumière alors que nous ne sommes même pas à une demi-heure lumière de Mars quand elle est au plus loin. La Ceinture d’astéroïdes est à une heure-lumière (entre 2,2 et 3,2 UA), Neptune est à 04:30 heures-lumière mais le Nuage de Kuiper s’étend de 04h30 à 6 jours-lumière et le nuage de Oort, de 6 jours-lumière à deux années-lumière (plus ou moins). Tous ces astres semblent très éloignés de nous et cependant à l’échelle de notre galaxie dont le diamètre est de 100.000 années-lumière, nous voyageons de concert, tout près les uns des autres. Notre bulle commune tourne autour du centre de la Voie Lactée, à 26.000 années-lumière, tout comme la Terre tourne autour du Soleil à seulement 8 minutes et quelques secondes-lumière, et tandis que notre système a fêté son 4567 millionième anniversaire à l’échelle de notre année terrestre actuelle, nous sommes peut-être au début de notre 20ème année galactique (en réalité probablement moins, compte tenu de la variation de la distance au centre galactique) qui devrait durer quelques 240 millions d’années terrestres, entrainés à la vitesse de 220 km/s (800.000 km/h) par le Soleil. Ces chiffres donnent le tournis et la mesure de notre insignifiance ! Et pourtant nous devons à notre corps extraordinaire et à notre esprit partie sublime de ce corps, nous devons à tous nos prédécesseurs dans la chaine de la vie, nous devons à tous les penseurs, à tous les chercheurs qui nous ont précédés, nous devons à tous ceux qui ont travaillé pour produire les ressources nécessaires pour qu’ils aient pu penser et chercher et que nous puissions continuer, le merveilleux niveau de connaissances et de compréhension que nous avons acquis de ce monde. En sommes-nous bien conscients et apprécions-nous à sa juste valeur cette chance et le fruit de cette évolution et de ce travail tout au long des siècles et des millénaires qui nous ont précédés ? Sommes-nous désireux, serons-nous capables de continuer, c’est-à-dire de transmettre nos connaissances et nos capacités pour qu’une conscience issue de nous soit toujours présente dans cet Univers lorsque nous aurons accompli notre vingtième année galactique, peut-être celle de l’accès à notre maturité ? Je l’espère de tout cœur, c’est-à-dire que plus précisément j’espère que nous saurons dominer la crise d’adolescence tardive qui nous éprouve en ce 21ème siècle de notre ère chrétienne, pour donner toutes les fleurs que nous avons le potentiel de faire éclore, y compris celles que l’on peut imaginer au-delà de notre chétive espèce humaine.

Illustration de titre : la coque des nuages de Oort enveloppe le système solaire.

Illustration ci-dessous : la comète Siding Spring passe à proximité de Mars. Photos du télescope spatial Hubble. La comète se trouve à 140.000 km de Mars le 19 octobre 2014. Avec une période de 740.000 ans, elle provient du Nuage de Oort. Crédit NASA, ESA, J.-Y. Li (PSI), C.M. Lisse (JHU/APL) et Hubble Heritage (STScl/AURA).

Lectures:

The structure of the clouds of comets surrounding the solar system, and an hypothesis concerning its origin, by J.H. Oort, in Bulletin of the Astronomical Institutes of the Netherlands, Jan 13th 1950:

http://adsabs.harvard.edu/full/1950BAN….11…91O

What if Planet 9 is a Primordial Black-hole?

https://arxiv.org/abs/1909.11090

Pour retrouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 21 01 22

 

Ultima Thulé

Ce 1er Janvier, à 06h33 du matin, après 13 années de voyage, la sonde New Horizons de la NASA a survolé un petit corps de la Ceinture de Kuiper, surnommé Ultima Thulé, à une distance de 3500 km et à une vitesse de 14,4 km/s (51.000 km/h). On en a découvert 10 heures après, la première image.

Le nom de Thulé donné par le géographe grec Pythéas à une île mythique perdue dans le Nord de l’Océan Atlantique, à six jours de navigation de l’île de Bretagne, évoque le froid, le lointain, l’inconnu. Ultima Thulé, superlatif créé au Moyen-Age, évoque donc un lieu encore plus froid, plus lointain, plus mythique. Le concept s’applique fort bien à ce rocher glacé identifié le 26 juin 2014 par le télescope Hubble et situé aujourd’hui à 43,28 UA (UA = Unité Astronomique = 150 millions de km) du Soleil (soit 6,84 milliards de km), contre 32,91 UA pour Pluton lors du survol (1,55 milliards de km de différence). On est au centre de cette Ceinture de Kuiper, composée de millions de petits corps glacés (KBO pour Kuiper Belt Objects) orbitant autour du Soleil (100.000, sans doute, de plus d’un km) et qui s’étend de 30 à 50 UA, mais ces petits corps sont quand même séparés par de grandes distances tant la bande dans laquelle ils circulent autour du Soleil est immense (plus de 40 milliards de km, parcourus en une année de 298 de nos ans terrestres par Ultima Thulé) et New Horizons n’en a croisé aucun depuis qu’elle a traversé le système de Pluton et a pénétré dans la Ceinture il y a trois ans et demi. Mais l’espace n’est évidemment pas vide et dans la région d’Ultima Thulé, la voûte céleste, parsemée d’autant d’étoiles que le ciel terrestre mais sans aucune pollution lumineuse, le Soleil n’apparaissant que comme la plus grosse d’entre elles, doit offrir un spectacle absolument magnifique.

NB : le « bestiaire » des objets transneptuniens est complexe. Pluton est situé dans la Ceinture de Kuiper (elle évolue entre 29,7 et 49.4 UA). Au-delà, on trouve les nuages de Oort, intérieur (entre 100 et 3.000 UA) et extérieur (entre 20.000 et 100.000 UA) ; la plus proche étoile, Proxima Centauri, se trouve à 270.000 UA (soit 4,24 années-lumière) ; navigant entre la « Ceinture » et les « Nuages », on a connaissance de quelques « objets-épars » dont les planètes naines Sedna, Eris (plus massive que Jupiter), Makemake, Haumea et, on espère découvrir peut-être, encore plus loin, l’hypothétique Planète-Neuf (périhélie 200 à 350 UA, aphélie 500 à 1200 UA).

Un objet lancé vers le ciel par Pythéas lorsqu’il avait une trentaine d’années (vers -350 avant J.C) et qui aurait acquis la vitesse actuelle de New Horizons, aurait parcouru quelques 7000 UA et aurait donc franchi le Nuage de Oort intérieur mais se trouverait encore très loin du Nuage de Oort extérieur. En explorant la Ceinture, on est donc aux limites de ce que permet la science astronautique actuelle.

L’objectif principal de New Horizons, lancée le 19 janvier 2006, était le survol de Pluton, qui a effectivement eu lieu le 14 juillet 2015. L’objectif secondaire pour « la suite » se posait dès le début puisqu’on savait qu’on allait traverser la Ceinture de Kuiper, mais il a fallu convenir au printemps 2014 qu’on ne parvenait pas à détecter quelque objet que ce soit susceptible d’être atteint dans la trajectoire de New Horizons ou à peu près dans celle-ci, compte tenu des disponibilités restantes en hydrazine pour l’infléchir. Aucun grand télescope terrestre (Keck ou Subaru, sollicités) ne voyait quoi que ce soit. Il est vrai que la magnitude apparente de ces astres est très faible puisqu’ils sont petits, se déplacent relativement lentement, ne génèrent aucune lumière et en réfléchissent très peu du Soleil très lointain. La magnitude limite perceptible par l’œil nu est de 6, celle perceptible par une paire de jumelle de 10, celle de Pluton de 13,7, celle perceptible par le télescope Hubble de 31. Les responsables de New Horizons demandèrent donc l’aide à ce dernier au printemps 2014. Hubble trouva effectivement très vite, dès juillet de la même année, deux possibilités intéressantes, PT1 (Possible Target 1) d’une magnitude de 26,8 et PT3 à peu près de même luminosité, et ce fut PT1 (2014 MU69 d’après sa date de découverte) qui allait devenir « Ultima Thulé », car il était plus proche que PT3 de la trajectoire et New Horizons et l’atteindre nécessitait une moindre correction (donc moins d’hydrazine).

Ultima Thulé intrigue, comme tout objet appartenant à une famille inconnue. Sur la première image, encore floue (voir titre), il apparaît de petite taille, une trentaine de km de bout en bout et d’une largeur maximum de 16 km, peut-être de faible cohésion, et d’une très faible luminosité (« rougeoyant »). Les objets de Kuiper (« transneptuniens ») auxquels on pense depuis 1930 (Frédérick Léonard), n’ont été théorisés qu’en 1980 (Julio Fernandez) et 1988 (Martin Duncan, Tom Quinn et surtout Scott Tremaine). La première découverte au télescope de l’un d’entre eux date de 1992. Ils sont composés essentiellement de matière gelée (eau, azote, dioxyde de carbone, méthane et monoxyde de carbone) enrobant de la matière rocheuse (ce qui caractérise aussi Pluton). Ultima Thulé intéresse évidemment en raison de cette nouveauté et aussi parce qu’il est le témoin d’une époque de notre système solaire très ancienne où les éléments constitutifs de ce système étaient encore très peu transformés par le phénomène de concentration de masse sous effet de la force de gravité. En effet ces petits corps n’ont que très peu subi l’influence du Soleil, très lointain, et seulement indirectement, l’influence de Neptune lorsque celle-ci a été éjectée de sa position initiale entre elle-même et Saturne, ce qui les a repoussés encore plus loin du Soleil. Ultima Thulé est parmi eux un corps tout à fait représentatif, normal ou banal à tous points de vue, décrivant autour du Soleil une orbite à peu près circulaire en quelques 298 ans (Pluton 288) soit à une vitesse moyenne de 4,45 km/s (à comparer aux 30 km/s de la Terre ou au 24 en moyenne de la Planète Mars).

Le passage a été rapide mais New Horizons (478 kg) est bien équipé. Les photos prises de Pluton le prouve et pourtant la distance était trois fois plus grande (10.000 km contre 3.500 km). Du fait de cette proximité on devrait obtenir plus de précision dans les détails (70 mètres par pixel au lieu de 183 pour Pluton). Les équipements (30 kg) comprennent une caméra opérant dans le visible et l’infrarouge ; un spectromètre imageur ultraviolet; une caméra avec téléobjectif (LORRI pour Long Range Reconnaissance Imager) ; deux spectromètres pour analyse chimique. Les données captées sont stockées et débloquées périodiquement mais l’envoi vers la Terre est difficile (antenne parabolique à grand gain de 210 cm de diamètre avec un faisceau d’émission radio de 0,3°, complétée par une antenne moyen gain avec un faisceau de 14°). Le débit ne peut être que de 2 kb/s. Il a fallu neuf mois pour transmettre les données recueillies sur Pluton. Dans les quelques secondes où cela était possible compte tenu de la vitesse de survol, quelques 900 clichés d’Ultima Thulé ont été pris (en tout, environ 7 gigabits de données) et il faudra également très longtemps (on parle de 20 mois) pour les décharger tous et recomposer les images mais in fine on devrait avoir quelque chose d’assez précis (et non seulement visuellement mais aussi en termes de composition chimique et physique).

A cette distance pas question d’utiliser l’énergie du soleil. L’énergie de la sonde provient donc d’un générateur thermoélectrique à radio-isotopes (RTG) produisant de l’électricité à partir de la chaleur résultant de la désintégration radioactive de 10,9 kg de dioxyde de plutonium 238 (238PuO2). Elle donne une puissance étonnamment basse de 200 W, qui suffit cependant au chauffage de la sonde (par ailleurs très bien isolée thermiquement) et au fonctionnement des instruments (28 W seulement !). A cela s’ajoute 77 kg d’hydrazine pour le contrôle de l’orientation et les corrections de trajectoire par 16 petits propulseurs (le tout compris dans les 478 kg). Sur ces 16 propulseurs, 4, chacun d’une poussée de 4,4 Newtons sont utilisables pour les corrections de trajectoires et 12, chacun d’une poussée de 0,8 Newton, pour modifier le pointage de la sonde (nécessaire pour la prise de photos ou la collecte de données puis pour leur transmission à la Terre).

La mission New Horizons n’a coûté que 700 millions de dollars. C’est la première du programme New Frontiers (moins de 1 milliards de dollars, pour les missions d’exploration du système solaire de coût intermédiaire), comme ensuite Juno (pour Jupiter) et OSIRIS-REX (pour l’astéroïde géocroiseur Benou). Son P.I. (responsable scientifique) est Alan Stern, membre du SwRI (Southwest Research Institute) et de l’APL (Applied Physics Laboratory) de l’Université John Hopkins (Maryland). Le projet a été sélectionné par la NASA en Novembre 2001.

Après Ultima Thule, New Horizons continuera évidemment son chemin, à la condition (probable) de ne pas heurter un obstacle et en transmettant probablement jusqu’en 2035 (épuisement probable du carburant et/ou du combustible nucléaire). La mission a déjà fait l’objet d’une première extension jusqu’en 2021 (à l’intérieur de laquelle nous nous trouvons).

https://www.space.com/42860-new-horizons-beyond-pluto-ultima-thule.html?utm_source=notification

https://www.nasa.gov/mission_pages/newhorizons/main/index.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/New_Horizons

http://pluto.jhuapl.edu/Mission/Where-is-New-Horizons.php#Current-Position

Image à la Une: Première image d’Ultima Thulé reçue de la sonde New Horizons et transmise par la NASA au public le 1er janvier 2019. Elle doit être affinée avec les données qui vont être reçues au cours des prochains jours (faible débit de l’émetteur). L’illustration à droite indique le sens de rotation de l’objet. Crédit NASA/JHUAPL/SwRI/. Illustration explicative de James Tuttle Keane.

Image ci-dessous: orbite d’Ultima Thulé et trajectoire de la sonde New Horizons, crédit NASA.

Pour (re)trouver dans ce blog un article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur:

Index L’appel de Mars 01 01 19