Bien au-delà de la Ceinture-d’astéroïdes qui délimite le système solaire interne et encore au-delà de l’orbite de Neptune où s’arrête le « royaume » de nos huit planètes, s’étendent les régions très lointaines de la Ceinture de Kuiper et des Nuages de Oort. C’est dans ces confins que je voudrais vous conduire aujourd’hui.
La Ceinture de Kuiper, imaginée en 1940 par Kenneth Edgeworth et théorisée en 1951 par Gerard Kuiper, est le tore d’astres assez hétérogènes mais d’une manière générale glacés qui existaient dans la nébuleuse primitive lorsque le processus d’accrétion planétaire s’est amorcé autour du jeune Soleil mais qui ont été « chamboulés » très vite par la progression de Neptune, suivie par Uranus, vers l’extérieur du système sous la pression gravitationnelle de Jupiter et de Saturne. Elle se trouve entre Neptune (à 30 unités astronomique, « UA »*) et le Nuage de Oort (« intérieur », de 2000 à 5000 UA ; « extérieur », de 10.000 UA à « plus de » 100.000 UA). A noter que Proxima-Centauri, notre plus proche voisine, se trouve à 4,244 années-lumière, soit 270.000 UA. Dans le cadre du « Grand-Tack » (« Grand-rebroussement »**), l’astrophysicien Alessandro Morbidelli et ses collègues ont montré que Neptune qui se trouvait lors de sa formation entre Saturne et Uranus, aurait été éjectée au-delà de cette dernière par la pression gravitationnelle de Saturne. La perturbation résultant de cette intrusion dans ce qui allait devenir la Ceinture de Kuiper fut aussi grave pour cette dernière que celle qui intervint dans la Ceinture d’Astéroïdes un peu plus tôt quand Jupiter y fit irruption peu après qu’elle eut commencé à se former. Les astéroïdes qui s’y trouvaient dans un processus d’accrétion très lent (froid, faible vitesse de rotation autour du Soleil et faibles masses) se trouvèrent dans leur majorité, soit expulsés vers l’extérieur (Nuage intérieur de Oort) soit propulsés vers le centre du système, en passant par les orbites des planètes inférieures, soit tout simplement absorbés par la planète géante.
*une UA est égale à la distance moyenne Terre/Soleil soit 150 millions de km.
**terme qui doit parler aux Neuchâtelois qui prennent le train entre Neuchâtel et La Chaux-de-fonds !
Les astres de la Ceinture de Kuiper, nommés communément « KBO » (pour « Kuiper Belt Object ») sont donc soit de petits astéroïdes dont l’évolution n’a pu être trop poussée, soit des planétoïdes plus importants qui se trouvaient en formation dans la partie la plus interne de la Ceinture. Cette Ceinture comprend des millions de KBO dont des centaines de milliers d’objets de 100 km ou plus et quelques-uns comme Pluton qui sont beaucoup plus gros (1000 km et plus) mais, en tout, ils ne doivent pas représenter plus de 10% de la masse terrestre (contre 7 à 10 masses terrestres avant l’intrusion de Neptune). Ils sont composés de roches silicatées, avec du méthane, de l’ammoniac, et surtout de beaucoup de glace d’eau. Le tout est relativement instable car les collisions ne sont pas exceptionnelles. On les connait par les comètes qui s’en détachent ou se décrochent de leur orbite de ce fait et, depuis peu, par l’observation sur place, grâce à la sonde New-Horizons de la NASA qui a pu prendre in situ des photos remarquablement précises de Pluton, de Charron puis d’Arrokoth (initialement Ultima Thulé), KBO classique sans doute représentatif. A noter que les comètes sont identifiées par leur périodicité qui compte tenu de leur vitesse observée, donne forcément la distance de leur aphélie (la périodicité des comètes provenant de la Ceinture de Kuiper est autour d’une vingtaine d’année).
Dans la situation actuelle, on distingue la Ceinture « classique » soit celle que l’on s’attendait à trouver à cette distance quand on l’a théorisée et qui s’étend entre 40 et 50 UA du Soleil, la Ceinture des astres « épars » qui s’étend jusqu’à quelques 1000 UA (en débordant un peu sur la classique) et enfin les objets « détachés » qui se sont formés en-dehors de l’influence de Neptune car ils évoluent beaucoup plus loin que les autres, ne s’approchant des 40 UA à leur périhélie, que peu de temps dans le parcours de leur orbite. A l’intérieur de la Ceinture-classique il faut encore distinguer les astres « froids » qui ont une orbite circulaire dans le plan de l’écliptique solaire, des astres « chauds » qui ont été perturbés par Neptune et qui ont une orbite plus ou moins excentrique et en dehors de l’écliptique, et parmi les astres froids on peut encore faire des distinctions en fonction de l’influence que Neptune a sur eux (c’est-à-dire de la résonnance de déplacement sur orbite qui existe entre eux et Neptune). Parmi les astres épars, on doit mentionner Eris, le plus gros d’entre eux (2326 km de diamètre contre 2370 pour Pluton mais ce dernier est un peu moins massif). Pluton qui est en résonnance 2:3 avec Neptune n’est pas un astre épars mais, de par sa situation, un astre classique « chaud ». Sedna est l’un des astres détachés avec un périhélie de 76 UA et un aphélie de 1200 UA. Parmi les astres épars on en a détecté plusieurs d’une taille importante, ce qui nous conduit à classer comme « planètes naines » tout comme Pluton, outre Eris, Haumea, Makémaké, Gonggong, Quaoar (quel choix de noms absurde !) et bien sûr Charon le compagnon de Pluton, qui ont des diamètres allant de 1000 à 1500 km. Sedna et Orcus sont un peu plus petits (diamètre légèrement inférieur à 1000 km). Une caractéristique intrigante de ces astres épars (et même de Pluton) est l’excentricité de leur orbite. Leurs périhélies sont très éloignés du Soleil et, comme leurs aphélies, déportés très nettement d’un même côté du système solaire. Cela a conduit à penser que, « de l’autre côté », un objet très massif les équilibre, la fameuse « Planète-9 » dont on cherche la preuve par l’observation depuis 2016 où on l’a théorisée (Constantin Batyguine et Michael Brown du CalTech). La masse de cet astre doit être importante (actuellement estimée à 3 ou 4 masses terrestres) et il doit être très éloigné pour justifier l’équilibre. Mais la Planète-9 n’est pas facile à détecter parce que, relativement aux autres, son périhélie devrait être extrêmement éloigné du Soleil, qu’elle se déplace de ce fait extrêmement lentement et que, comme tous les objets transneptuniens, elle doit avoir une luminosité, par réflexion, très faible. Depuis juillet 2019, « on » (Jacub Scholtz de l’Université de Durham et James Unwin de l’Université d’Illinois) envisage qu’elle puisse être un mini trou-noir, ce qui la rendrait encore plus difficile à « voir » (pour une telle masse, son diamètre serait celui d’une balle de tennis et elle ne serait visible que lors de l’absorption de matière !).
L’intérêt de ces astres KBO c’est qu’ils se sont formés très loin du Soleil donc qu’ils ont été peu modifiés par les radiations (en particulier la chaleur) qui en émanent. Dans cet esprit ce sont surtout les plus petits qui sont évidemment les moins modifiés, qui peuvent donner le meilleur témoignage du matériel de la nébuleuse protoplanétaire, à partir duquel se sont constitués les astres les plus massifs, les planètes et le Soleil.
Encore plus loin que la Ceinture de Kuiper, les Nuages de Oort, ne sont pour l’instant qu’une hypothèse (car on n’a rien pu observer en direct de cette région) toutefois solide car confortée par quelques expériences de comètes. Le premier à avoir envisagé ces « nuages » est l’astronome estonien Ernst Öpik, en 1932, puis l’idée a été reprise par le Hollandais, Jan Oort en 1950. Ils seraient aussi composés d’astres glacés mais ces astres auraient été très peu influencés par ce qui se passe « en-dessous » d’eux ; l’un, le nuage « extérieur » encore moins que l’autre, le nuage « intérieur » qui a dû recevoir quelques « projections » à l’époque de l’intrusion de Neptune dans la Ceinture de Kuiper. Ils font indubitablement parti du système solaire mais ne lui appartiennent que par l’effet d’une force de gravitation très éloignée donc très faible. Cette force est tellement faible que de nombreux éléments de ces nuages n’ont pu être entrainés par leur vitesse à descendre dans le disque de l’écliptique. Ils restent en quelques sortes « en suspension » (mais de ce fait à la merci d’une déstabilisation quelconque, même faible, y compris du passage d’une étoile voisine*). Physiquement ils sont composés de « tout ce qui reste » de matière ou d’éléments volatiles au-delà de la Ceinture de Kuiper et qui n’a pas été emporté/arraché par la force de gravité des étoiles voisines (mais dans cette zone le système solaire peut aussi saisir quelques opportunités pour s’enrichir du « matériel » enveloppant les autres étoiles !). De temps en temps une comète à longue période arrive jusque dans notre voisinage et nous en déduisons, en fonction aussi de sa vitesse, qu’elle vient de cette région très lointaine. On en déduit aussi que certains d’entre eux doivent être assez massifs (sans atteindre la taille de planétoïdes).
*Il y a 7,3 millions d’années l’étoile Algol est passée à 9,8 al du Soleil, Gliese 710, naine-orangée voisine, pourrait pénétrer le Nuage jusqu’à 13000 à 19000 UA du Soleil, dans 1,3 million d’années (d’après projections Gaia faites en 2016). Nos voisins n’ont pas toujours été les mêmes !
Aucun des astres qui composent les nuages de Oort n’a pu être observé in situ (trop faible luminosité) et nul instrument créé par la main de l’homme n’est jamais parvenu jusqu’à ce « nuage ». « Voyager 1 », la sonde de la NASA qui a quitté la Terre en 1977 et la machine créée par l’homme qui s’est éloignée le plus de nous, vogue actuellement à 22 milliards de km, c’est-à-dire à seulement 151 UA de la Terre, toujours dans la Ceinture de Kuiper, un peu au-delà de l’héliopause (vers 120 UA dans cette direction) mais toujours bien loin du Nuage de Oort intérieur. A la vitesse de 17 km/s (60.000 km/h), elle ne l’atteindra que dans 300 ans et elle atteindra le nuage extérieur dans 3000 ans ! A noter que le milieu défini par le vent solaire, l’héliosphère qui se termine par l’héliopause, s’arrête bien avant la limite jusqu’où s’exerce la force de gravité de notre étoile.
Le système solaire est donc une énorme sphère définie par un disque à son équateur dont le diamètre est d’environ 2 années-lumière alors que nous ne sommes même pas à une demi-heure lumière de Mars quand elle est au plus loin. La Ceinture d’astéroïdes est à une heure-lumière (entre 2,2 et 3,2 UA), Neptune est à 04:30 heures-lumière mais le Nuage de Kuiper s’étend de 04h30 à 6 jours-lumière et le nuage de Oort, de 6 jours-lumière à deux années-lumière (plus ou moins). Tous ces astres semblent très éloignés de nous et cependant à l’échelle de notre galaxie dont le diamètre est de 100.000 années-lumière, nous voyageons de concert, tout près les uns des autres. Notre bulle commune tourne autour du centre de la Voie Lactée, à 26.000 années-lumière, tout comme la Terre tourne autour du Soleil à seulement 8 minutes et quelques secondes-lumière, et tandis que notre système a fêté son 4567 millionième anniversaire à l’échelle de notre année terrestre actuelle, nous sommes peut-être au début de notre 20ème année galactique (en réalité probablement moins, compte tenu de la variation de la distance au centre galactique) qui devrait durer quelques 240 millions d’années terrestres, entrainés à la vitesse de 220 km/s (800.000 km/h) par le Soleil. Ces chiffres donnent le tournis et la mesure de notre insignifiance ! Et pourtant nous devons à notre corps extraordinaire et à notre esprit partie sublime de ce corps, nous devons à tous nos prédécesseurs dans la chaine de la vie, nous devons à tous les penseurs, à tous les chercheurs qui nous ont précédés, nous devons à tous ceux qui ont travaillé pour produire les ressources nécessaires pour qu’ils aient pu penser et chercher et que nous puissions continuer, le merveilleux niveau de connaissances et de compréhension que nous avons acquis de ce monde. En sommes-nous bien conscients et apprécions-nous à sa juste valeur cette chance et le fruit de cette évolution et de ce travail tout au long des siècles et des millénaires qui nous ont précédés ? Sommes-nous désireux, serons-nous capables de continuer, c’est-à-dire de transmettre nos connaissances et nos capacités pour qu’une conscience issue de nous soit toujours présente dans cet Univers lorsque nous aurons accompli notre vingtième année galactique, peut-être celle de l’accès à notre maturité ? Je l’espère de tout cœur, c’est-à-dire que plus précisément j’espère que nous saurons dominer la crise d’adolescence tardive qui nous éprouve en ce 21ème siècle de notre ère chrétienne, pour donner toutes les fleurs que nous avons le potentiel de faire éclore, y compris celles que l’on peut imaginer au-delà de notre chétive espèce humaine.
Illustration de titre : la coque des nuages de Oort enveloppe le système solaire.
Illustration ci-dessous : la comète Siding Spring passe à proximité de Mars. Photos du télescope spatial Hubble. La comète se trouve à 140.000 km de Mars le 19 octobre 2014. Avec une période de 740.000 ans, elle provient du Nuage de Oort. Crédit NASA, ESA, J.-Y. Li (PSI), C.M. Lisse (JHU/APL) et Hubble Heritage (STScl/AURA).
Lectures:
The structure of the clouds of comets surrounding the solar system, and an hypothesis concerning its origin, by J.H. Oort, in Bulletin of the Astronomical Institutes of the Netherlands, Jan 13th 1950:
http://adsabs.harvard.edu/full/1950BAN….11…91O
What if Planet 9 is a Primordial Black-hole?
https://arxiv.org/abs/1909.11090
Pour retrouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :
Index L’appel de Mars 21 01 22
La masse de l’hypothétique « Planète 9 » serait de cinq à dix fois celle de la Terre et non pas du Soleil ! Le modèle de la balle de tennis dans le cas où ce serait un mini-trou noir corrobore ce fait, car si toute la masse du Soleil devenait un trou noir, son rayon serait tout de même de 3 km.
Les chercheurs de l’Institut de physique de l’Université de Berne penchent plutôt pour un astre ayant 10 masses terrestres, semblable à un petit Neptune d’un rayon de 3,66 fois celui de la Terre, croisant à 700 UA. Comme pour la découverte de Neptune en 1846 par le calcul, on attend encore son Urbain Le Verrier qui déterminera sa position actuelle pour savoir où l’observer, cela même si sa luminosité propre (en IR) ne serait que de quelque six millièmes (0,006) de celle de Jupiter, provoquée ici aussi par le mécanisme de « contraction » de Kelvin-Helmholtz que nous avons vu , dans l’article du 16 janvier, être à l’oeuvre pour Jupiter qui rayonne ainsi plus qu’il n’absorbe d’énergie solaire.
Vous avez tout à fait raison. Parler d’une planète dont la masse serait supérieure à celle du Soleil n’a aucun sens car elle serait forcément une étoile, ou un trou noir. Excusez-moi. C’était encore une faute d’inattention! J’aurais dû me relire plus attentivement. Je corrige.
Voici le lien vers l’article des chercheurs de l’Université de Berne, « Evolution and magnitudes of candidate Planet Nine » :
https://arxiv.org/pdf/1602.07465.pdf
Un sujet à suivre !
Quel article passionnant pour les amoureux d’astronomie !
Une fois de plus un article passionnant avec des commentaires attentifs qui rendent les sujets abordés captivants. « Grand bien » a votre blog.
Ai tardé, cher Pierre, mais, félicitations pour votre “mea culpa” sur le livre non lu.
C’est la preuve d’un grand artiste.
Vous le savez, je suis tout sauf banquier, mais votre passion aide le monde et sert aussi à la sauvegarde de la planète et malgré toutes les critiques, et c’est pour ça que je suis un fan de vos blogs 🙂
Pluton était considéré comme une planète (la 9ème) du système solaire jusqu’à une période récente. Pour moi, c’est bien une planète bien que son axe de rotation autour du soleil ne soit pas sur le plan de l’écliptique. Les débats ont été “animés” pour la considérer ou non comme une planète. Qu’est-ce qui a amené les scientifiques à ne plus la considérer comme une planète du système solaire ?
Désolé Monsieur Manouélian mais Pluton est bel et bien sortie de la catégorie des planètes pour se retrouver dans la bonne compagnie des astres qui lui ressemble par la masse, celle des planètes naines (ce n’est quand même pas si mal!)
Pluton est une “planète-naine” et non une “planète” pour les raisons suivantes :
1) on venait (en 2006) de découvrir des astres comparables dans la Ceinture de Kuiper (Sedna, Eris,…);
2) elle est nettement plus petite que la plus petite des planètes, Mercure (2372 km de diamètre contre 2439 km de rayon pour Mercure.
3) Une planète est supposée éliminer de son voisinage tout objet d’une taille comparable. Ce n’est pas le cas de Pluton qui « baigne » dans un espace encombré des autres objets de la Ceinture de Kuiper (TNO).
Par contre Pluton est définitivement dans une catégorie autre que les astéroïdes puisqu’elle possède une masse suffisante pour que sa pression interne l’emporte sur les autres forces de cohésion interne des corps solides et la maintienne en équilibre hydrostatique sous une forme sphérique.
Merci pour votre réponse instructive.
Très belle conclusion de cet article , et merci de partager votre passion, si simplement.
Comme les précédents, un article très intéressant pour lequel je vous remercie même s’il anéantit, sûrement pour de bon, mes espoirs de voyages interstellaires.
Longtemps, je les ai crus irréalisables à cause de la limite de la vitesse de la lumière qu’on ne peut dépasser mais je gardais espoir qu’Einstein se fût trompé ou que, du moins, nous puissions le contourner.
Parce que je croyais que l’espace interstellaire était vide. Or, avec un nuage de Oort qui s’étend à la moitié de la distance qui nous sépare de notre voisine, il ne me paraît plus vide du tout.
De ce fait, il serait inconscient de voyager à des vitesses aussi “basses” que 0.1 c.
À 0.1 c (30.000 km/s), la collision avec on objet de seulement un gramme, même en négligent d’éventuelles corrections relativistes, dégagerait une énergie équivalente à l’explosion de cent tonnes de TNT, de quoi endommager sérieusement le vaisseau spatial le mieux conçu.
Voila, à moins de l’émergence d’une technologie dont je n’ai pas encore la moindre idée, nous resterons donc confinés sur notre petit mais tellement beau système solaire.
Cher Monsieur Louis, ne vous désespérez pas. Bien que les objets des nuages de Oort soient à compter par milliards, ils sont aussi très distants les uns des autres (plusieurs millions de km) et petits (au total leur masse ne devrait pas excéder quelques masses terrestres). En effet, l’espace sphérique qui nous entoure est vaste à cette distance. Souvenez-vous que nous parlons d’une coque sphérique de quelques 4 années lumière de diamètres soit quelques 38.000 milliards de km, et épaisse de plusieurs dizaines de milliers d’Unités Astronomiques. Donc on pourrait circuler sans trop de risques dans cette zone (avec un radar tout de même!).
D’ailleurs, comme vous pouvez le constater, la coque est bel et bien percée car nous pouvons très bien observer l’espace lointain au travers elle.
Une dernière information concernant la probable « Planète 9 », encore à découvrir à l’orée du Nuage de Oort, mais qui devrait en faciliter l’identification : si cette planète est bien située vers 700 UA du Soleil, la « constante solaire » à son niveau est 700² = 490’000 fois plus petite que la valeur standard de 1361 W/m² pour la Terre à 1 UA [ N.B. : pour calculer toute l’énergie solaire reçue par la Terre, il faut retenir ¼ de cette valeur, soit 340 W/m² reçus effectivement au sol de toute la planète ; ce ¼ est le rapport entre la surface du disque planétaire quasi circulaire qui intercepte la lumière solaire et la surface effective de la planète quasi sphérique ], c-à-d. seulement 2,8 mW/m² (et donc 0,7 mW/m² reçu au sol par la « Planète 9 », attention, ce sont bien des milliwatts !).
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On a vu dans l’article précédent du 16 janvier, traitant de Jupiter, que sa « contraction » de ~1 mm par an était responsable d’une dissipation progressive de son énergie gravitationnelle par le mécanisme de Kelvin-Helmholtz, et donc d’un rayonnement propre, principalement dans l’infra-rouge (IR), de précisément 7,485±0,160 W/m² mis en évidence pas la sonde Cassini. C’est là une valeur supérieure à ce que Jupiter absorbe du rayonnement solaire (en moyenne 6,21 W/m²) ; et donc, finalement, il émet plus d’énergie (en moyenne 13,78 W/m²) qu’il n’en reçoit effectivement du Soleil [ en moyenne 12,50 W/m², une valeur qui est juste un peu moins de ¼ du fait de son fort aplatissement de la « constante solaire » de 50,26 W/m² à 5,204 UA du Soleil ], une partie de cette émission globale étant bien sûr aussi due à l’énergie réfléchie grâce à son albédo important de 50,3%, soit 6,29 W/m².
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En prenant ici également une contraction de ~1 mm/an pour la « Planète 9 » (l’équivalent d’une petite Neptune, avec un rayon de 3,7 fois et une masse de 10 fois les données de la Terre), on calcule que son rayonnement thermique propre d’origine interne serait de ~1000 fois plus élevé que le faible rayonnement reçu du Soleil, soit ~0,7 W/m² au sol. Dans le domaine IR, on devrait ainsi pouvoir finalement la détecter. Selon les chercheurs bernois déjà mentionnés plus haut, la « luminosité intrinsèque » de la « Planète 9 » serait ~0,006 fois celle de Jupiter (un rayonnement de 0,7 W/m² contre 13,78 W/m² et un rayon de 23’572 km contre 69’911 km, ces deux rayons devant naturellement être élevés au carré).
Un ami lecteur (très attentif !) m’a fait remarquer deux choses. Premièrement, il semble – et c’est bien de ma faute – que j’aie interverti les parts absorbée et réfléchie. En effet, l’émission thermique totale en IR est composée du rayonnement propre de 7,485 W/m² et de la partie absorbée de 6,21 W/m² (et non pas de la partie réfléchie de 6, 29 W/m² grâce à l’albédo planétaire, aussi nommé sphérique, ou bolométrique, ou de Bond, de 50,3%, donc différent de l’albédo géométrique) qui est aussi transformée par l’atmosphère de Jupiter en rayonnement IR. Le total émis en IR est donc de 13,70 W/m² et non pas de 13,78 W/m², comme écrit ci-dessus. C’est tout à fait fortuitement que les deux valeurs restent très proches puisque, avec un albédo de 50,3%, la partie absorbée représente 49,3% du rayonnement solaire reçu.
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Deuxièmement : il est manifeste que certaines des valeurs données ci-dessus pour Jupiter diffèrent de celles que l’on peut lire dans l’article des chercheurs de Houston, Liming Li, et al., paru dans « Nature Communications » de 2018 (https://www.nature.com/articles/s41467-018-06107-2) rapportant les résultats des mesures faites sur place par la sonde Cassini qui est passée au plus près de Jupiter le 30 décembre 2000. Les deux nouvelles valeurs, de 0,503 pour l’albédo et de 7,485 W/m² pour l’émission thermique propre de Jupiter, ne sont pas en cause, mais les valeurs de la « constante solaire » pour Jupiter, de la partie absorbée et de la partie réfléchie sont différentes que celles que j’ai utilisées ci-dessus. Je dois m’en expliquer.
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Un petit rappel préliminaire de données astronomiques : les orbites des planètes sont des ellipses, avec une certaine excentricité. La Terre a une petite excentricité de 0,01671 alors que celle de Jupiter est de 0,0489, donc trois fois plus forte. De ce fait, la distance de la Terre au Soleil varie de 0,98328 UA au périhélie en début janvier à 1,01672 UA à l’aphélie en début juillet, le demi-grand-axe de son orbite étant de 1 UA, par définition (*). Quant à Jupiter, il se trouve à 4,9493 UA à son périhélie et à 5,4587 UA à son aphélie, son demi-grand axe étant de 5,204 UA. Or, en décembre 2000, Jupiter avait dépassé son périhélie (atteint en mai 1999) et se trouvait à 5,046 UA du Soleil. Alors que la valeur standard de la « constante solaire » pour Jupiter, fixée par définition à la distance de 5,204 UA est de 50,26 W/m² (la valeur que j’ai retenue dans mes calculs), elle varie de 45,67 W/m² à l’aphélie à 55,59 W/m² au périhélie, soit de -9,1% à +10,6%, ce qui est une forte amplitude. Pour ce qui est de la Terre, la variation de l’irradiance solaire va de -2,9% à +3,7%, soit de 1321 W/m² à l’aphélie à 1412 W/m² au périhélie autour de 1360,8±0,5 W/m² ; mais la définition de la « constante solaire » de la Terre reste bien la valeur standard de 1361 W/m² à 1 UA du Soleil ayant une « luminosité nominale » de 3,828 10^26 W (la fourchette ci-dessus de ±0,5 W/m² est due à la valeur de la « luminosité moyenne » elle-même du Soleil qui est de 3,8275±0,0014 10^26 W, car l’activité solaire fluctue légèrement de ±366 ppm, ou ±0,0366% !)
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À la distance de Jupiter au Soleil le 30 décembre 2000, lorsqu’ont été faites les mesures de Cassini, la « constante solaire » de Jupiter valait momentanément 53,48 W/m². C’est à partir de cette valeur que l’irradiation reçue effectivement par toute la planète en décembre 2000 était de 13,306 W/m² (au lieu de 12,50 W/m²), la partie absorbée de 6,613±0,160 W/m² (au lieu de 6,21 W/m²) et la partie réfléchie (toujours avec un albédo de 0,503) de 6,693±0,160 W/m² (au lieu de 6,29 W/m²). La chaleur interne produite et mesurée par Cassini étant toujours de 7,485±0,160 W/m², la radiation totale émise à ce moment-là était de 14,098±0,031 W/m² (au lieu de 13,70 W/m²). Les auteurs rappellent que la meilleure valeur retenue antérieurement à ces mesures par Cassini (depuis 1981, soit à partir des sondes Voyager) était de 5,444±0,425 W/m², la nouvelle valeur étant plus grande de 37,5±8,8%. J’espère que maintenant tout est clair pour le lecteur.
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(*) L’unité astronomique (UA) a été définie en 2012 comme valant exactement (et précisément, donc sans incertitude sur les derniers chiffres) 149’597’870’700 m ; on sait aujourd’hui que cette valeur exacte ne correspond finalement pas tout à fait au demi-grand-axe de l’orbite terrestre qui vaut à ce jour 1,000 000 112 4 UA, soit 16,815 km de plus ! Cela n’est pas grave, car les éléments de l’orbite terrestre évoluent constamment et périodiquement : par exemple, l’excentricité de l’orbite terrestre (précisément 0,016 710 22 en l’an 2000), qui détermine la forme de l’orbite elliptique, oscille continûment entre un minimum de 0,005 et un maximum de 0,058, voire 0,07, en diverses longues périodes, de 95’000 ans, de 125’000 ans, de 413’000 ans (l’un des cycles de Milankovitch) et encore de 9 millions d’années, et va actuellement en décroissant ; elle sera diminuée de moitié dans les 10’000 ans à venir, ce qui changera bien sûr aussi le demi-grand-axe qui va raccourcir, l’orbite terrestre tendant à devenir un peu plus circulaire et les saisons venant à être de longueurs plus égales. Mais l’UA reste une unité de longueur fixe, une constante utile pour donner les distances astronomiques.
Merci cher Monsieur pour cette mise au point. Je crois que personne ne vous saura grief de cette correction. De toute façon les principes restent les mêmes et ce qui compte c’est, in fine, de donner les meilleurs chiffres que l’on puissent donner aujourd’hui.
Bonjour Pierre, un peu hors sujet dans ce blog, quoique il touche aussi votre passion pour l’espace et ce qui y gravite.
Quel est votre avis sur ce phénomène appelé Oumuamua?
https://www.letemps.ch/sciences/oumuamua-objet-spatial-detecte-2017-un-signe-vie-extraterrestre-affirme-un-physicien
Merci d’avance pour votre avis personnel (entre la technique pure et la croyance de vie(s) extra-terrestre).
Je ne voudrais pas être désagréable avec Avi Loeb qui est une personnalité reconnue dans son domaine de l’astrophysique et de la cosmologie. Je ne voudrais pas non plus parler d’un livre qu’il vient de publier sur le sujet et que je n’ai pas lu (si vous voyez ce que je veux dire). Je peux seulement dire que je serais très étonné (mais ravi) que son hypothèse soit bonne.
C’est très difficile de porter un jugement puisque le passage a été très rapide et qu’on n’a pas pu observer l'”objet” de près. D’ailleurs c’est parce qu’il a été si rapide qu’on en a déduit qu’il provenait de l’extérieur du système solaire, sa vitesse étant supérieure à la vitesse des comètes les plus lointaines et ne lui permettant pas d’être retenu par la force de gravité du Soleil.
Un autre indice de son origine extérieure pourrait être le fait qu’il n’a (à ma connaissance) pas dégazé de produits volatils; or un astre provenant des Nuages de Oort ou même de la Ceinture de Kuiper, doit comprendre une certaine quantité de matières volatiles et donc apparaître comme une comète en approchant du Soleil. Ce pourrait aussi être un corps qui a éclaté lors de son passage près d’une source gravitationnelle extrêmement forte, certains fragments ayant été absorbés par la source et d’autres ayant pu, du fait de leur capture, en réchapper (même vitesse pour une masse plus petite).
Mais au delà de convenir que puisqu’il provient de l’extérieur du système, ce serait un objet construit par une intelligence extra-terrestre, je demande à voir davantage et a priori, je doute. Donc, étant donné la personnalité d’Avi Loeb (qui est aussi un des promoteurs du projet Breakthrough Starshot pour aller voir de près Proxima Centauri avec des voiles propulsées par la lumière laser), je recommande la lecture de son livre, sûrement passionnant.
A mon avis le débat restera ouvert jusqu’à ce qu’un second objet de ce type soit découvert.
SVP, en quoi la vitesse de cet objet apparemment élevée poserait-t-elle un problème? Y-t-il des vitesses limites des objets dans l’espace?
Plus l’origine est lointaine, plus la vitesse est grande en approchant du Soleil. En effet la force de gravité, exercée dans ce cas par le Soleil, est une accélération. Plus la masse est d’origine lointaine plus sa vitesse sera élevée mais, étant dans le même système elle effectuera une ellipse avec le centre de gravité comme l’un de ses foyers. Donc tout objet des Nuages de Oort déstabilisé pour une raison quelconque, va tomber vers le Soleil selon une trajectoire en ellipse dont l’aphélie sera son origine et son périhélie un point à proximité du Soleil. Un objet qui arrive à proximité du Soleil à une vitesse telle qu’il ne sera pas arrêté par la force de gravité du Soleil a donc son origine en dehors du système solaire.
Bien sûr les objets artificiels qui bénéficieraient d’une accélération propre, pourraient l’ajouter à celle du Soleil et s’affranchir de sa force d’attraction.
Si je puis intervenir… Il est avéré que l’excentricité de la trajectoire, mesurée sur un arc, certes restreint, mais de près d’un mois, entre le 18 octobre et le 20 novembre 2017, était de 1,188, selon les données publiées dans “Nature” du 21 décembre 2017 ! Avec une excentricité de 1 la trajectoire est exactement parabolique, au-delà de 1 elle devient hyperbolique, donc elle vient et repart à l’infini.