Le télescope EUCLID doit nous en dire plus sur l’énergie sombre qui étire toujours plus vite le tissu de notre Univers

En 2023, un nouveau télescope spatial de l’ESA, « EUCLID », doit quitter la Terre pour orbiter autour du point de Lagrange Terre-Soleil « L2 ». Son objectif est l’étude de l’Univers ancien, recouvrant largement la période où l’accélération de l’Expansion a commencé à se manifester en opposition à la force de gravité. Le motif sous-jacent est de tenter de comprendre ce qu’est l’énergie-sombre dont on déduit l’existence par la réalité de cette accélération et le bénéfice collatéral sera de vérifier aussi la réalité et l’importance de la matière-noire.

Si l’on ne prenait en compte que la force de gravité, l’expansion de l’Univers résultant de l’explosion primordiale, le Big-bang, devrait ralentir (s’épuiser) avec le temps. L’accélération sur-corrige très légèrement cette tendance. Mais on n’est pas arrivé à cette compréhension facilement et on a besoin aujourd’hui de précisions.

Einstein avait introduit une constante cosmologique « Λ », (lambda) dans ses équations dès 1917 (deux ans après la première version publiée de sa Relativité-générale), en lui affectant une valeur telle que dans ses calculs l’Univers restât statique car il refusait l’idée d’un univers en expansion que donnaient naturellement ses calculs. En 1922, Alexander Friedman montra que les équations d’Einstein restaient valables avec un Λ quelconque. En 1927, se fondant sur la théorie d’Einstein et sur la constatation faite par l’astronome Vesto Slipher en 1920 de l’éloignement des astres lointains (décalage vers le rouge de leur lumière), Georges Lemaître démontra que l’Univers devait être en expansion avec en conséquence au début (en remontant le temps) un « atome primitif » (qui devint le « Big-Bang »). Le concept d’expansion fut confirmé en 1929 par Edwin Hubble qui s’appuyait également sur les travaux de Slipher. Il montrait, comme Lemaître, que plus les galaxies étaient lointaines plus le décalage vers le rouge de leur lumière était marqué (elles s’éloignent à une vitesse proportionnelle à leur distance). Il en tira sa « loi de Hubble », devenue plus tard « Loi de Hubble-Lemaître » et même « Loi de Lemaître »* avec sa « constante », H0 qui de fait remplaçait Λ. En 1931, Einstein reconnut son erreur et, en proposant un modèle d’Univers en expansion continue (espace-temps Einstein-de Sitter), retira son Λ.

*Hubble avait semble-t-il une tendance à orienter fortement les projecteurs sur sa personne.

Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles mais l’on commença à spéculer sur les modalités de l’expansion. Était-elle vraiment « continue » ? En 1998, les astrophysiciens Saul Perlmutter, Brian Schmidt et Adam Riess parvinrent à démontrer qu’en fait l’expansion accélérait très légèrement (ils obtinrent le Prix Nobel pour cela, en 2011). Finie la crainte du Big-Crunch qui aurait pu survenir par épuisement de l’impetus initial donné par le Big-Bang (lente évolution décroissante du paramètre H0 dans le temps). Mais en même temps cela eu plusieurs conséquences : (1) H0 ne pouvait plus être une « constante » et sa variabilité dans le temps la rétrocédait en « paramètre » ; (2) on pouvait « réactiver » la constante cosmologique Λ ; (3) il fallait trouver la cause de cette accélération.

C’est ainsi que fut introduit le concept d’énergie sombre (et le nouveau modèle standard de l’Univers, le « modèle ΛCDM », avec “cdm” pour “cold dark matter”). En même temps on affinait le calcul de la vitesse d’expansion et on tomba sur un autre mystère qu’il faut absolument éclaircir pour aller plus loin. En effet, on obtient 67,4 km/s/Mpc (Mpc = Megaparsec) en observant le Fond Diffus Cosmologique avec le télescope Planck et en même temps 73,3 km/s/Mpc (travaux de la Coopération H0LICOW) en utilisant le déplacement des « chandelles-standards » que sont les supernovæ « Sn1a » qui parsèment la profondeur de l’espace.

C’est ce mystère que le télescope EUCLID doit nous aider à résoudre.

Pour ce faire, il va étudier à une très grande échelle, l’effet de masse des galaxies sur la lumière des sources plus lointaines (cisaillement gravitationnel), couplé à la spectroscopie pour constater les redshift (décalage de la lumière reçue vers le rouge). Il va aussi étudier les grandes structures de l’Univers en les comparant dans l’Univers très lointain et moins lointain. Dans le premier cas, comme toute lumière est magnifiée et courbée par la masse, les galaxies situées au-devant d’autres (dans notre ligne de vue) rapprochent de nous la lumière de ces dernières (effet de loupe-gravitationnelle). Du fait de sa courbure, cette lumière est répartie en croissants autour de la galaxie-loupe. L’effet est d’autant plus fort que la masse de la loupe est importante. Et cette masse est forcément complète, c’est-à-dire qu’elle comprend aussi bien la fameuse « matière noire » que la matière visible (baryonique). EUCLID va étudier l’effet des lentilles gravitationnelles faibles aussi bien que fortes, et leur effet visuel sur les formes des galaxies cachées. Par ailleurs, en analysant par spectroscopie la lumière de ces croissants de lumière, on obtiendra un redshift donc une distance. Dans le second cas, l’effet de l’énergie noire, sur la durée, devrait donner aux grandes structures (amas de galaxies, filaments cosmiques) des aspects différents aux époques différentes, que l’on pourra comparer.

EUCLID étudiera ces phénomènes sur une très grande profondeur d’espace et de temps (jusqu’à 10 milliards d’années) et sur une très grande surface de voûte céleste (15.000 degrès2 à comparer aux 41.253 degrés2 de l’ensemble de la voûte céleste, pour les deux hémisphères). Cela facilitera les comparaisons et les étalonnages. On pourra voir à la fois l’effet progressif de l’accélération de l’expansion de l’Univers et l’effet plus ou moins fort de l’énergie sombre, ce qui permettra de mieux comprendre cette dernière. On devra pouvoir déterminer l’accélération de l’expansion à 1% près et les (éventuelles) variations d’accélération à 10% près.

EUCLID, (mauvais) acronyme pour « EUropean Cosmic aLl sky Investigator of the Dark universe » a été initié en 2008 par le « Concept Advisory Team » de l’ESA. Le projet, approuvé en 2011, pour la modique somme de 500 millions d’euros (mais le maximum pour ce type de projet), fait suite à la mission Planck dont l’objet était d’étudier le Fond Diffus Cosmologique (CMB), la limite de ce qu’on peut voir, le fond du tableau en quelque sorte. EUCLID va étudier la dynamique qui, à partir de ce fond, a permis à l’Univers de se déployer jusqu’à nous.

Les deux maîtres d’œuvre sont Thales Alenia Space (module) et Airbus (télescope). EUCLID disposera d’un miroir de 1,2 mètres qui permettra de recueillir les ondes lumineuses (instrument VIS, construit par un consortium d’instituts dirigé par le Laboratoire de science spatiale Mullard, de l’University College de Londres) et celles de l’infrarouge proche (deux instruments NISP, construits par un consortium d’instituts dirigé par le Laboratoire d’Astrophysique de Marseille – LAM ; leurs détecteurs sont fournis par la NASA). Le module de charge utile (« payload ») et le télescope lui-même sont en carbure de silicium, comme pour le télescope Gaïa. Cela présente l’avantage de la plus grande stabilité possible aux différences de températures. Comme le dit l’ESA, « Les détecteurs de NISP – spectrographe et photomètre – bénéficieront du plus grand champ visuel sur un instrument infrarouge ayant jamais volé dans l’espace ».

Derrière les constructeurs, il y a une communauté scientifique et technique impressionnante. Le « Consortium EUCLID », « EC », regroupe des scientifiques et des ingénieurs de 14 pays européens (dont la France et la Suisse avec l’EPFL et l’Uni. de Zurich) ainsi que le Canada et les USA. Il comprend 1500 membres et il est structuré avec un « lead » (ECL, Euclid Consortium Lead) et par un board (ECB). Avec les constructeurs et l’ESA, le Consortium forme la « Coopération EUCLID ».  Il tient une réunion annuelle (les « Euclid Meetings »). Le dernier, organisé par le LASTRO de l’EPFL a eu lieu à Lausanne en juin 2021, virtuellement (covid oblige !).

Le lancement se fera de Kourou en mars 2023 avec une fusée Ariane 6-2 (on avait prévu une fusée Soyouz et il y a sans doute quelques aménagements à faire car le pliage de la sonde était parfaitement adaptée à la coiffe de son transporteur !). La destination sera encore une fois le point de Lagrange Terre-Soleil L2, à seulement 1,5 millions de km de la Terre. Ce « point » présente l’avantage d’être plus loin du Soleil que nous le sommes et dans l’ombre de la Terre. Pour bien capter les rayonnements infrarouges, le télescope devra garder une température de -190°C (ce qui implique bouclier thermique et liquide cryogénique) et son positionnement devra être réglé très finement puis maintenu totalement stable (propulseurs au gaz froid). Du fait des « consommables », il ne pourra être utilisé que 6 ans.

Le montage se termine, presque tout est prêt. On attend avec impatience que ce petit bijou puisse fonctionner !

Illustration de titre : vue d’artiste du télescope EUCLID (crédit ESA).

PS: j’attire votre attention sur la conférence que Claude Nicollier va donner au Club 44 (La Chaux-de-Fonds) ce jeudi 7 avril, “L’espace des possibles – En quête de nos origines avec Hubble et son successeur”. Je rappelle qu’outre son passé, bien connu, d’astronaute, Claude Nicollier est aussi astrophysicien et professeur (honoraire) à l’EPFL (eSpace) : Club 44

Liens :

https://www.lefigaro.fr/sciences/le-satellite-europeen-euclid-va-tenter-de-resoudre-le-mystere-de-l-energie-noire-dans-l-univers-20220125

https://fr.wikipedia.org/wiki/Euclid_(t%C3%A9lescope_spatial)

https://www.euclid-ec.org/

https://sci.esa.int/web/euclid

https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/cosmologie-energie-noire-acceleration-expansion-univers-defie-encore-cosmologie-62378/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Constante_cosmologique

https://sciencepost.fr/mesure-quantite-de-matiere-univers/

https://shsuyu.github.io/H0LiCOW/site/

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_noire#:~:text=En%20cosmologie%2C%20l’%C3%A9nergie%20noire,comme%20une%20force%20gravitationnelle%20r%C3%A9pulsive

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Index L’appel de Mars 22 03 13

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

7 réponses à “Le télescope EUCLID doit nous en dire plus sur l’énergie sombre qui étire toujours plus vite le tissu de notre Univers

  1. Une petite précision : Einstein a voulu introduire sa constante cosmologique non pas pour prévenir une expansion de l’Univers, mais une contraction due à la gravitation. Il voulait garder un univers indéfiniment statique, sans évolution temporelle. La constante, positive, devait, selon lui, exactement compenser l’effet de la gravitation. Friedmann et Lemaître ont, indépendamment, montré que son univers serait ainsi de toute façon instable, ne pouvant pas rester indéfiniment juste sur le fil du rasoir, la moindre fluctuation le faisant basculer soit vers la contraction soit vers l’expansion. Les deux évolutions sont possibles selon que la densité de l’Univers est plus forte ou plus faible que la densité critique, sauf dans le cas particulier d’un univers (quasiment vide) de De Sitter, toujours à constante cosmologique positive, et donc toujours en expansion, quelle que soit sa densité. C’est un modèle qui a régné au tout début du Big bang et qui se réalisera dans un futur lointain, lorsque l’Univers sera indéfiniment dilué et que le paramètre de densité totale sera exactement égal à celui de la constante cosmologique et égal à un : Ωtotal = ΩΛ = 1. L’énergie sombre, si c’est bien elle qui est sous-jacente à la constante cosmologique, a une densité constante, malgré l’expansion ; ce qui pose le problème de la conservation ou non de l’énergie ! Mais le Professeur André Maeder, de l’Université de Genève, a proposé une autre solution que l’énergie sombre : https://arxiv.org/abs/1710.11425 , ce qui lèverait cette difficulté majeure.

  2. merci; j’aime vous lire, tout comme j’aimais mes bons prof de science; la connaissance évolue, rien n’est acquis, ce que détestent boomers et autres mandarins ! ce futur télescope va donc être voisin de celui lancé récemment ?

    1. Merci de votre aimable commentaire!
      Ne vous inquiétez pas, il y a de la place au point de Lagrange L2.
      Ce point tout comme L1 et L3 sont des points instables mais les sondes sont positionnées sur une orbite dont les dimensions de l’ellipse dépend de la vitesse de parcours et qui est ajustée périodiquement en fonction de la dérive subie. La consommation d’énergie nécessaire pour cette correction est très faible et les ergols nécessaires peuvent être embarqués sans problème pour une mission de plusieurs années.
      Le grand axe des orbites fait plusieurs centaines de milliers de km* ce qui laisse de la place pour beaucoup de sondes.
      Le calcul des orbites possibles est très complexe. Je vous recommande de lire l’article de Wikipedia à ce sujet.
      *pour Gaia qui évolue aussi autour de L2, les dimensions sont 270.000 km x 707.000 km x 370.000 km. Les orbites (dites “de Lissajous”) sont en effet très déformées par les influences gravitationnelles (comme une montre molle de Salvador Dali).

  3. Bonjour,
    Peut-être pourriez vous répondre à une question ‘Simpliste’ qui pourrait me convaincre de porter un intérêt à cette soi-disant “accélération de l’Expansion” ?
    Je met un pétard dans un paquet de semoule, à Détonation + t , Si je me situe sur un grain de la couronne d’éjection ( Un grain au hasard du milieu) , et si ma vitesse d’éjection est > à C ( je peux pas voir l’autre moitié de la couronne ) alors où que je regarde , je constate que les grains qui sont le plus loin s’éloignent le plus vite… Les Grains les plus Loin étant ceux qui m’ont doublé vite, ou ceux que j’ai doublé vite … et ça fonctionne même sur les cotés = perpendiculaire à ma trajectoire….
    Quand l’on observe une super-nova ( et si on oubli l’expansion de l’univers ) alors on peut calculer une vitesse d’éjection supérieur à C… de même que l’onde de choc d’une bombe nucléaire va plus vite que la vitesse du son … Au final , cette expansion qui défie et empêche toute logique, ne serait t-elle pas que le résultat d’un bon calcul sur une mauvaise théorie ?
    BREF : Qu’est-ce qui différencie notre vision de l’univers, de la vision que l’on pourrait avoir sur un grain de semoule éjecté à v > C ? Qu’elle est l’observation scientifique qui nous a poussé à adopter la dérive de l’Expansion dont vous parlez ? Alors qu’avec un minimum d’imagination, on peut facilement comprendre que ce que l’on voit est normal : J’ai même pas besoin de mettre la semoule dans l’espace, même freinée par l’air , mes observations sont identiques ! et je n’en déduit pas pour autant une “accélération” de l’expansion de ma semoule…
    Cordialement,

      1. Bonjour,

        Ma constatation est très simple , si l’on considère un univers sans expansion , et si je suis sur un astéroïde d’inertie moyenne éjecté par une Supernova, alors où que je regarde autour de moi, je peux constater que plus ce que je vois est loin, plus cela s’éloigne vite (parce que cela a été éjecté en même temps que moi, les morceaux inerties faibles se sont éloignés bien plus vite que le mien, et le mien s’est éloigné bien plus vite que les morceaux à grande inertie – Idem où que je regarde ! ) … Cette simple constatation n’est pas incompréhensible, c’est la vérité ! plus ce que je vois est loin, plus cela s’éloigne vite !
        Sauf Erreur : On a déduit l’accroissement de l’expansion de l’univers de cette même constatation ( Prix Nobel de physique 2011 ) ! Ma question : qu’elle différence ?
        ————————————————————————————————————
        La compréhension s’arrête où l’on le veut : Quand vous voyez ,de loin, des poissons dans un aquarium rond, au milieu vous les voyez/déduisez à leur taille et vitesse normale, dés qu’ils s’approchent des bords, vous avez l’impression qu’ils sont plus gros et plus rapides : Il n’y a rien à comprendre … C’est une constatation … ( Qui comme vous pourriez me le dire est très bien calculée par les lois de DESCARTES )… Aujourd’hui, quand vous voyez de loin des galaxies, où les planètes les plus excentrée paraissent trop grosses et rapides pour respecter les lois de la gravitation, vous oubliez DESCARTES ( Oubliez la soi-disant courbure de l’espace temps… ) et inventez en plus la matière noire … Moi, je vous demande simplement : pourquoi cela ne peut pas être la même chose ?

        Mes questions sont peut-être trop simples… Mais si j’avais trouvé des réponses dans ‘l ‘espace pour les Nuls’ , je ne vous la poserais pas à vous … Je ne vous embêterais pas avec ça…

        Cordialement,

  4. En fait la réponse que je cherche est très simple, si cela peut vous aider à comprendre :
    Si la vitesse d’éloignement des galaxies lointaines est proportionnelle à leur distance , alors on retombe dans le cas où l’on est sur un grain d’un paquet de semoule dans lequel on a mis un pétard …
    => Univers trop jeune ou mesure pas assez précise : on peut rien en déduire !
    Si pour une étoile lointaine le rapport d/v est bien supérieur au rapport d/v d’une étoile plus proche, alors on va pouvoir envisager sérieusement l’exitance d’une expansion de l’univers ( Accepter Univers = baudruche que l’on gonfle ou trouver une autre explication logique au phénomène ) …
    Si pour une étoile lointaine le rapport d/v est inférieur au rapport d/v d’une étoile plus proche, alors l’univers ‘visible’ que l’on connait se rétracte sous l’effet de la gravitation… ( comme la semoule, au bout d’un moment, dans l’espace )
    C’est un prix Nobel de Physique , et en ce qui me concerne, j’ai énormément de mal à avoir des données pour trancher sur l’une de ces trois hypothèses : on a la conclusion / pas la logique de déduction de l’accroissement de l’expansion de l’univers… ni les données …

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