Tout le monde connaît la mission Kepler de la NASA qui a fait des découvertes sensationnelles d’exoplanètes, par ailleurs parfaitement médiatisées. Comme elle va s’arrêter par la force des choses en 2018 ou début 2019, après dix ans de collecte de données, il est temps de faire le point. Il est de toute façon remarquable de constater les résultats au regard des difficultés surmontées.
La mission a été lancée le 7 mars 2009 et le télescope est devenu opérationnel le 12 mai 2009. C’est la dixième des douze du programme « Discovery » dont le concept fut lancé en 1992 par l’Administrateur de la NASA Daniel S. Goldin, la dernière étant InSIGHT, lancée le 5 mai 2018 vers Mars. La motivation de la création de Discovery était de réaliser de petits projets « plus vite, mieux et moins cher » (« faster, better, cheaper »). Comme pour toutes les missions d’exploration spatiales, le « faster » s’est avéré difficile à appliquer car les ingénieurs et les scientifiques conçoivent des projets dès que les progrès de la connaissance le permettent mais ils ne peuvent ensuite que les faire entrer dans une file d’attente (financement, aménagements techniques et agenda des lancement). Pour Kepler le concept a été présenté dès 1994 sous le nom de « FRESIP » (FRequency of Earth Sized Inner planets). Il est devenu « Képler » en 1996 après plusieurs modifications pour le rendre moins cher (dont la localisation dans l’espace). Il ne fut sélectionné (l’élément « better ») qu’en 2001. A noter que c’est sans doute la découverte en 1995 de la première planète extrasolaire par les astronomes suisses Michel Mayor et Didier Queloz qui renforça l’intérêt du projet aux yeux des décideurs. Pour ce qui est du « cheaper », le budget était de 600 millions de dollars. Comme souvent on a dépassé les 450 millions unitaires théoriques du programme Discovery mais à moins de 1 milliard on reste dans des montants acceptables par rapport au cadre.
Képler a été réalisée et mise en service par le JPL de la NASA avec Ball-Aerospace pour la construction du satellite et Ames Research Center pour les installations au sol et la gestion. Sa durée primaire était de 3ans ½ (donc jusqu’en novembre 2012) ce qui était parfaitement adapté à sa méthode d’observation. Elle a connu pas mal de mésaventures techniques par la suite mais a pu continuer son travail.
L’objet étant essentiellement d’identifier des planètes habitables, il s’agissait (1) de déterminer combien de planètes, de taille équivalente ou supérieure à la Terre, se trouvent à l’intérieur ou à proximité de la zone habitable des étoiles situées dans la profondeur de la zone observée (donc de masses et de types spectraux très variés); (2) de mener cette recherche dans la zone habitable de la Galaxie (GHZ), un anneau autour de son centre, qui contient notre système solaire et dans lequel on estime que la métallicité est suffisamment forte et l’occurrence des supernovæ suffisamment faible, ceci implique que les observations se fassent dans la direction du déplacement du Soleil autour du Centre galactique ; (3) de déterminer les propriétés des étoiles qui abritent des systèmes planétaires.
La méthode d’observation utilisée est celle dite « des transits » qui se fonde sur les baisses de luminosité des étoiles du fait du passage d’une planète du système stellaire visé, entre l’étoile de ce système et nous-même (baisse de luminosité de 0,01% pour une étoile de type solaire lors du passage devant elle d’une planète de la taille de la Terre et de 1% lors du passage d’une planète de type Jupiter). La distance de la zone favorable au point de vue de la température compatible avec une eau liquide (« habitable ») est évaluée en fonction des modèles de radiation stellaire (irradiance).
principe de détection par la méthode du transit
Le champ d’observation de Képler est de 105 degrés carré soit 0,28% de la surface apparente du ciel, soit 12 degrés en diamètre (la taille du poing observé bras tendu), à l’origine (dans la première partie de la mission) perpendiculairement au plan de l’écliptique (vers le Nord) de telle sorte que le soleil ne pénètre jamais dans l’ouverture du télescope. La surface du champ est très supérieure à celui de Hubble (10 minutes d’arc, soit 1/5 de degré) et Hubble n’observe que rarement un champ stellaire en continu alors que c’est le principe même de Kepler pour appliquer la méthode des transits. Sur 500.000 étoiles dans ce champ, 150.000 ont été sélectionnées, pour être observées simultanément en permanence pendant les 3 ½ ans, avec variation de luminosité contrôlée toutes les 30 minutes. Cette « persistance » et cette « continuité » sont nécessaires pour vérifier que les fluctuations de luminosité expriment bien le passage d’une planète, pour ne pas « rater » son retour devant l’étoile et pour vérifier le rayon de son orbite en supposant que la planète est de type terrestre autour d’une étoile de type solaire et orbite dans sa zone habitable. Pour assurer le moins de perturbations possibles et lui offrir un maximum de visibilité, on a placé Képler sur l’orbite de la Terre, dans son sillage, avec une vitesse un peu inférieure (parcours de l’orbite en 372,5 jours). On avait envisagé auparavant une localisation au point de Lagrange L2 dans l’ombre de la Terre et l’observatoire aurait pu donc fonctionner sans pare-soleil mais cela aurait impliqué une consommation supérieure d’énergie (panneaux solaires inutilisables). Ce choix s’est effectivement avéré important (positivement et négativement) après la mission primaire. La distance des étoiles étudiées se situe entre 600 années-lumière (dans cette zone du ciel moins de 1% se trouve à moins de 600 al) et 3000 al car au-delà l’observation d’une planète de la taille de la Terre n’aurait pas été possible. Képler se comporte en quelque sorte comme un phare inversé, collectant plutôt qu’émettant la lumière dans une sorte de très long pinceau. A noter que cette approche est très différente de celle de TESS (lancé le 18 avril 2018) qui recherche les planètes à moins de 300 a.l. et sur la totalité de la surface du ciel mais qui aussi peut voir des fluctuations dans la lumière d’étoiles 30 à 100 fois plus brillantes que celles vues par Képler (donc beaucoup plus d’étoiles proches de type solaire).
Orientation de Kepler pendant la mission primaire, lorsque ses trois roues de réaction fonctionnaient (crédit NASA/ Lab for Atmospheric and Space Physics, Colorado). Vous remarquerez que l’objectif est tourné vers le Nord de l’écliptique (qui est inclinée par rapport au plan galactique vers la direction de déplacement du soleil)
Techniquement le miroir primaire de Képler est de 1,4 mètre de diamètre et l’ouverture de l’objectif de 95 cm. La précision de ses caméras à capteurs utilisant des CCD était théoriquement d’une sensibilité de 20 ppm mais elle s’avéra être de 29 ppm or le signal d’une planète de type terrestre passant devant une étoile de type solaire de magnitude 12 est de 80 ppm. Cette sensibilité moins bonne que prévu nécessite davantage de transits (pour confirmer l’observation) et a fait dès le début envisager une prolongation de mission au-delà des 3½ ans prévus. Le télescope est refroidi à l’azote liquide pour limiter le « bruit thermique ». L’énergie du télescope est fournie par des panneaux solaires de 10,2 m2 délivrant une puissance de 1100 watts et l’observatoire disposait au départ de 11,7 kg d’hydrazine pour son contrôle d’attitude. Son orientation fixe était stabilisée sur 3 axes avec quatre roues de réaction (dont une de « secours »).
Tout s’est bien passé pendant la mission primaire mais l’observatoire a souffert de la panne d’une première roue de réaction en juillet 2012 et d’une deuxième en mai 2013. En août on dut conclure qu’on ne pouvait le réparer ; le pointage fin et stable d’origine n’était plus possible. En novembre 2013 une solution fut trouvée et on entra dans la phase « K2 » (« second light »). On avait constaté que les photons du Soleil pouvaient maintenir la stabilité du télescope pourvu qu’il soit parallèle / horizontal et non plus vertical par rapport au plan orbital (et en utilisant les deux roues de réaction restantes) mais, pour éviter que la lumière solaire pénètre dans l’ouverture du télescope resté pointé sur une cible fixe (toujours pour le transit !), l’orientation devait être modifiée tous les 83,5 jours. La lumière d’une même cible ne pouvait donc être recueillie aussi longtemps que pendant la période primaire.
Schéma d’explication de K2 (Kepler second light), crédit NASA Ames/W Stenzel. Vous voyez l’équilibrage de l’observatoire par les photons du soleil et le changement de position périodique sur l’orbite héliocentrique. L’observatoire est désormais couché sur son orbite.
Depuis janvier 2014 le télescope spatial fonctionne donc en mode dégradé. L’observation de 3 transits consécutifs dans ce contexte ne permet d’identifier que les planètes ayant une période orbitale très courte (moins de trente jours !) ou de confirmer des observations précédentes. En mars 2018 les responsables de la mission ont estimé que l’hydrazine utilisée par de petits propulseurs et nécessaire pour stabiliser le télescope était en voie d’épuisement. Toutefois faute d’une jauge dans les réservoirs il est difficile d’évaluer la date de fin de la mission. Celle-ci pourrait intervenir courant 2018 ou au plus tard en 2019.
Képler a cependant bien « travaillé ». En Mai 2018, il avait identifié plus de 2619 exoplanètes (soit 2327 dans le cadre de la mission Képler et 292 dans le cadre de la mission K2) dont 30 planètes de moins de deux fois la taille de la Terre et en zone habitable, sur un total de 3726 exoplanètes identifiées par toutes les méthodes d’observation (dont 2935 identifiées par la méthode des transits). 2244 + 480 autres signaux sont à l’étude (« candidats » pour être reconnus comme émanant de planètes). Ce beau résultat doit cependant être affecté de “bémols”. La méthode des transits n’a permis pendant la période K2 que d’ajouter des planètes très proches de leur étoile, donc en ce qui concerne les planètes « habitables », que celles qui orbitent autour de naines rouges, par nature hostiles à la vie. Par ailleurs pendant les deux missions la sensibilité a exclu les forts contrastes et privilégié encore les naines rouges. Enfin la profondeur du champ n’a été vraiment favorable pour l’observation des planètes de type terrestre que pour les étoiles proches et non jusqu’au 3000 années-lumière théoriques (plus on s’éloigne, plus les différentiels de lumière sont difficiles à observer).
Képler a été un précurseur, ce premier travail doit être poursuivi par TESS, par CHEOPS et, espérons-le, par WFIRST. Il convient à cette occasion de noter l’importance de l’interaction des instruments en astronomie. Pour confirmer que l’effet d’atténuation de la luminosité de l’étoile est bien dû à une planète, l’observation est répétée en utilisant les autres moyens (télescopes) existants : imagerie (avec coronographe, pour les planètes proches du Soleil et éloignées de leur étoile), astrométrie (pour les planètes massives, Gaïa), vitesse radiale (planètes massives proches de leur étoile, HARPS, spectromètre ELODIE, sur télescope Alpes de Hte Provence utilisé par Queloz et Mayor ), lentille gravitationnelle (WFIRST). Notre époque informatisée et mondialisée, avec télécommunications ultra-rapides facilite ces coopérations qui sont accélératrices de progrès.
image à la Une: les découvertes de Kepler (points jaunes). Les autres sources sont en bleu, clair ou foncé. Crédit NASA. Vous remarquerez que les planètes Kepler ont des périodes orbitales (“années”) très courtes (>90% moins de 100 jours) ce qui est dû au biais observationnel de la méthode de transit (il faut par définition un multiple de cent jours pour confirmer une planète dont l’année dure cent jours). Les grosses planètes (taille de Jupiter) ont été observée par d’autres méthodes (surtout “vitesse radiale”).
NB: le texte a été soumis pour contrôle à Claire Saravia, responsable de la communication pour Kepler, au Goddard Space Flight Center de la NASA.
Merci pour ces articles d’explication. Ils sont tres utiles pour ceux qui, comme moi, sont fascines par le cosmos, sa beaute et ses mysteres.