Gravité, énergie, biologie, défis à l’astronautique

L’astronautique ce sont les missions robotiques ou habitées dans l’Espace. On ne peut envisager les mener que dans notre environnement « proche », autant dire le système solaire et peut-être un jour quelques étoiles voisines, l’ensemble s’étendant à l’intérieur d’une sphère d’un rayon d’environ 10 années-lumière, maximum * (100 mille milliards de km), dont nous serions le centre, cette sphère n’étant qu’un point par rapport aux 100.000 années-lumière de diamètre de notre galaxie.

*ma proposition mais ce n’est qu’un ordre d’idée. Le rayon pourrait n’être que de 7 ou 8 années-lumière.

Pourquoi ce domaine restreint? Parce que nous sommes contraints par la masse (soumise à la gravité et occupant un volume) que nous devons transporter (et à laquelle nous devons donc appliquer une énergie) pour observer ou pour vivre et pour nous déplacer…sans oublier que, compte tenu de l’hostilité et des dimensions de l’espace, nous sommes aussi contraints par nos capacités biologiques.

*Les missions habitées répondent à une pulsion humaine, celle d’aller voir et toucher mais aussi au besoin d’efficacité, un homme étant beaucoup plus réactif qu’une machine et capable d’initiatives. Le transport d’un corps humain vivant et opérationnel est ce qu’il y a de plus difficile dans l’exploration car il s’agit d’extraire ce corps de l’environnement où (et dont) il est né tout en en conservant les fonctions vitales essentielles. 

(1) La gravité

La gravité est une contrainte dont les missions robotiques ou habitées ne peuvent s’abstraire puisqu’on habite toujours sur une planète (avant d’habiter une éventuelle « île de l’espace » à la Gerard O’Neill). Devoir s’extraire du puits de gravité terrestre nous force à limiter drastiquement les masses dont nous pouvons disposer pour l’exploration. Par ailleurs, vivre sur une super-Terre de masse double (par exemple) de celle de la Terre serait probablement insupportable à long terme pour un être humain. Un exosquelette n’aurait aucun effet sur nos organes ou nos fonctions internes. Le cœur devrait lutter plus que notre physiologie ne nous le permet pour irriguer l’ensemble du corps. En sens inverse une gravité trop faible, par exemple celle de 0,16g sur la Lune, pourrait être catastrophique, sur le long terme, dans la perspective d’un retour sur Terre. Plus précisément un séjour long sur la Lune serait sans doute très dommageable pour la santé indépendamment des exercices qu’on pourrait faire pour conserver sa force musculaire et osseuse, compte tenu de la surpression du sang dans le cerveau qui résulterait de la faible gravité locale (dans la mesure où le cœur même affaibli continuerait à y propulser le sang plus que nécessaire). On peut évidemment se poser la question de savoir si la gravité martienne de 0,38g serait suffisante pour le bon fonctionnement, sur le long terme, de nos organes internes lorsque nous nous serions installés sur cette planète. Pour le moment nous n’avons pas de réponse mais il semble évident que le problème serait moins grave que sur la Lune.

(2) L’énergie

Pas d’astronautique sans énergie, pour vaincre la gravité et procurer la vitesse nécessaire au franchissement de distances considérables. L’ennui c’est qu’à la source d’énergie correspond le plus souvent (sauf l’énergie solaire ou la gravité des astres approchés) une masse et des réservoirs pour les contenir, toujours des moteurs ou des dispositifs pour les utiliser. Le deuxième problème c’est que la source d’énergie s’épuise en échange de l’énergie cinétique qu’elle libère (sauf encore l’énergie solaire et la gravité des astres approchés) et que les moteurs qui les utilisent s’usent en fonctionnant. Elle est donc limitée en masse, en volume et en durée d’utilisation et cette limite est une contrainte incontournable, qui peut être aggravée par le gâchis ou par la panne.

Pour préciser, on peut distinguer entre les énergies consommables (chimique et nucléaire) et les énergies utilisables (solaire et gravité) mais elles ne sont pas ou peu remplaçables. Du fait de contraintes propres à chacune, les choix s’imposent inévitablement.

L’énergie chimique ne nous conduira pas bien loin (mais sûrement jusqu’à Mars) à cause du volume énorme des ergols qu’il faut bruler mais elle est indispensable au décollage, à l’injection sur orbite interplanétaire et à l’atterrissage sur une planète (si elle est rocheuse !) du fait de sa capacité à libérer une poussée considérable très rapidement (on parle d’Isp – impulsion spécifique – élevée), sans polluer au point que pourrait le faire une explosion atomique.

L’énergie nucléaire est sûrement promise à un bel avenir mais elle s’épuise elle aussi avec le temps. Les sondes Voyagers parties dans les années 1970 et qui sont aujourd’hui aux confins du système solaire sont équipées d’un moteur au plutonium qui touche à sa fin de vie; les réserves de plutonium de Curiosity arrivé sur Mars en 2012, seront épuisées en 2020. En tout cas elle ne peut être utilisée dans l’atmosphère des planètes et ne peut donc servir qu’au fonctionnement des vaisseaux et au corrections de trajectoires pendant les vols interplanétaires.

L’énergie photonique fonctionne bien si l’on est proche du soleil (ou d’une autre étoile !), moins bien si on s’en éloigne. Cette énergie ne peut être utilisée pour décoller de la Terre, à cause cette fois de sa très faible Isp, mais seulement à partir de l’orbite de parking. Comme son Isp est très faible elle s’éloignera très lentement de cette orbite. On attendra que l’accélération continue ait suffisamment augmenté sa vitesse pour venir charger le vaisseau (surtout les passagers qui ne supporteraient pas de rester longtemps dans le piège à radiations que constituent les champs magnétiques qui enveloppent la Terre dans sa coque, générant la fameuse Ceinture de Van Allen). Les lasers peuvent donner une impulsion initiale très forte mais ils consomment eux-mêmes beaucoup d’énergie, d’autant plus qu’ils sont plus puissants. Il faut aussi noter qu’on ne transportera pas ses lasers avec soi (la masse toujours !) et que si on va « quelque part » on aura besoin d’une source d’énergie sur place pour freiner et éventuellement arrêter le vaisseau.

La gravité des astres approchés est une autre source d’énergie. Elle a été utilisée notamment pour le programme Voyager qui a profité de la position exceptionnelle des planètes lors de la mission pour utiliser l’effet d’accélération (« de fronde ») qui se manifeste lorsqu’on « tombe » vers elles, pour aller de l’une à l’autre, jusqu’à Neptune avant de continuer leur route vers l’extérieur du système solaire. Elle est évidemment limitée par la distance minimum à laquelle on peut approcher l’astre en fonction de la vitesse lors de l’approche, et aussi par la gravité même de l’astre approché.

(3) La biologie

Les Radiations

On sait à peu près se protéger des radiations solaires (SeP) même fortes (SPE dont les CME) parce qu’on peut assez bien bloquer le rayonnement des protons qui les constituent en quasi-totalité mais on n’a pas encore les moyens de se protéger vraiment des radiations galactiques dures (HZE). Aucun blindage n’est vraiment efficace contre elles compte tenu de la force énergétique des particules lourdes (numéro atomique “Z” élevé) dont elles sont constituées en petite partie (2%). Pendant les voyages interplanétaires et éventuellement interstellaires, on recevra une dose qui au bout d’un certain temps excédera les capacités d’absorption de notre corps. On peut ainsi difficilement envisager (pour le moment) de voyager plusieurs années dans l’espace interplanétaire (mais on peut envisager d’y voyager plusieurs mois, jusqu’à un refuge…par exemple la surface de la planète Mars).

Le contrôle environnemental

Le corps humain doit être maintenu en (bon!) fonctionnement par un système de support vie adéquat et nous pouvons créer tant bien que mal une bulle plus ou moins auto-régénératrice à l’intérieur de laquelle on pourra se chauffer, respirer et se nourrir, dans des conditions microbiennes acceptables (voir mes billets sur MELiSSA). C’est ce qui nous a permis de commencer à entreprendre des voyages ou des séjours dans l’espace. Mais l’instabilité des systèmes de support vie ou la masse des remèdes chimiques qui seraient nécessaires pour contrer cette instabilité, imposent une limite aux durées de voyage (un an ?)…jusqu’à un refuge planétaire.

Par ailleurs, enverra-t-on une sonde robotique dans l’espace pour n’en avoir des retombées que dans plusieurs dizaines d’années ? J’en doute, compte tenu de la durée de nos vies humaines.

Alors que faire de ces limites ? On voit bien qu’elles ne se manifestent que lorsqu’on les approche. Il faut donc les approcher au plus près, progressivement, apprendre à les connaître, si possible en jouer comme l’aurait fait le rusé Ulysse, pour aller aussi loin que possible, Mars, d’abord et maintenant ! Le but est d’aller un jour encore plus loin, toujours plus loin, et pouvoir dire encore longtemps comme dans l’ouverture des épisodes de Star Trek, « to boldly go where no man has gone before! »

Image à la Une: Un vaisseau ITS d’Elon Musk posé, un jour futur, à la surface d’Encelade, une des lunes de Jupiter. Crédit SpaceX (présentation faite par Elon Musk au 67ème IAC le 27 septembre 2016 à Guadalajara, Mexique).

Espace, Temps, Vitesse, défis à l’astronomie et l’astronautique

Je parlerai aujourd’hui des problèmes posés par l’immensité de l’Univers, le temps que l’on ne peut que mesurer, la vitesse de nos différents vecteurs qui est limitée absolument par celle de la lumière. Ils constituent aujourd’hui des lignes d’horizons infranchissables dans le domaine de l’astronautique et aussi dans celui de l’astronomie. Ils n’en laissent pas moins ouvertes des perspectives de développement infinies.

L’immensité de l’Univers.

C’est la donnée qui constitue l’obstacle le plus formidable à l’astronautique et à l’astronomie, celui qui commande tous les autres. Comme on le voit à l’occasion des discussions sur les exoplanètes, les dimensions de l’Univers nous écrasent. Il faudrait parcourir 45.000 milliards de km pour atteindre le système de Proxima Centauri, étoile la plus proche du Soleil, auquel appartient Proxima-b, objet du projet d’exploration Breakthrough Starshot, et Pluton dans notre système, n’évolue qu’à une distance de 6 à 9 milliards de km. Par ailleurs, la Voie Lactée a un diamètre de 100.000 années-lumière ; la Galaxie d’Andromède, sa plus proche voisine, est située à 2,5 millions d’années-lumière et l’origine de l’univers, qui est de ce fait le point le plus lointain dont nous pouvons recevoir un message, se trouvait au moment de l’émission de ce message à 13,8 milliards d’années-lumière c’est à dire que la lumière qui en provient et que nous percevons aujourd’hui a mis pour nous atteindre trois fois là durée de la vie entière de notre soleil. Ces chiffres donnent le vertige en regard de nos faibles moyens et de la courte durée de nos vies.

L’astronomie s’en accommode évidemment beaucoup mieux que l’astronautique mais elle y est cependant également confrontée. Pour voir de plus en plus précisément de plus en plus loin, elle s’efforce de valoriser de mieux en mieux le moindre photon de lumière  recueilli dans des télescopes ou réseaux de télescopes de plus en plus puissants. Hubble distingue individuellement des astres de magnitude apparente* 30 et JWST sera encore plus performant. Au sol, les télescopes de plus en plus puissants corrigent de mieux en mieux leurs faiblesses (sans pouvoir néanmoins collecter toutes les longueurs d’onde). Ainsi avec l’instrument MUSE (conçu par le Centre de Recherche Astrophysique de Lyon), le VLT pourra obtenir simultanément un spectre pour chacun des points du champ de vue sur lequel il travaillera. D’autres télescopes veulent cartographier l’immensité plutôt que la percer de plus en plus profondément, tel Gaïa de l’ESA. La mission en cours de ce dernier, situé au point de Lagrange terrestre « L2 », montre cependant la limite (actuelle) de l’exercice bien que le mécanisme d’ajustement et de prise de vue soit beaucoup plus rapide que les autres. Le télescope a une puissance de séparation de quelques millièmes de secondes d’arc, et bientôt de quelques millionièmes de secondes d’arc (on pourrait voir un tabouret et bientôt une pièce de monnaie sur la Lune). C’est un instrument formidable même s’il est moins puissant que Hubble puisqu’il ne discerne les astres “que” jusqu’à la magnitude 20. Cependant, après trois ans d’opération, il n’a pu mesurer « à plat » (on pourrait dire aussi en “2D”) la position « que » d’un milliard d’étoiles et « en 3D » (c’est-à-dire en incluant une évaluation de distance), de 2 millions d’étoiles (en attendant 10). C’est très peu sur les 100 milliards que compte la Voie-Lactée et sa vision ne porte que sur environ un petit quart de cette galaxie. Comme souvent en science, il faudra donc extrapoler à partir de l’échantillon obtenu. A noter que cet échantillon est toutefois bien supérieur à la « collecte » précédente, les 114.000 étoiles de la mission Hipparcos terminée en 1997 et heureusement il nous permet de voir beaucoup plus loin, jusqu’au centre galactique.

*NB: l’œil nu ne peut distinguer d’astres au-delà de la magnitude 6. Neptune (au mieux 7.8) et Pluton (au mieux 13.7) sont au-delà de ce seuil mais pas Uranus (au mieux 5.3). Par contre une très bonne paire de jumelles peut permettre d’aller jusqu’à la magnitude 10 (ce qui ne peut toujours pas permettre de voir Pluton!). Dans l’autre sens, les astres les plus visibles ont des magnitudes négatives (Mars, au mieux -2.9 ; Vénus -4.6)

Le Temps.

C’est la seconde contrainte qui domine l’astronautique. Nous venons de nous éveiller au monde et ne disposons déjà, peut-être, que de peu de temps avant une catastrophe telle que nous devions chercher refuge « ailleurs » ou que nous ne disparaissions corps et biens. L’espèce humaine ne s’est différenciée de celle des singes qu’il n’y a seulement quelques petits millions d’années (7 ?), juste deux fois ce qu’il a fallu à la lumière pour nous parvenir de la Galaxie d’Andromède, notre plus proche voisine ! A la plus grande vitesse imaginable, celle que nous procurerait la lumière des rayons lasers gonflant une voile spatiale comme veulent en construire les promoteurs du projet Breakthrough Starshot (soutenus par Stephen Hawking), il faudrait vingt ans pour rejoindre Proxima Centauri mais, à la vitesse que procurerait une propulsion chimique classique, il en faudrait 20.000 !

Pour l’astronomie le temps constitue aussi un obstacle incontournable puisque la vitesse de la lumière (ou des ondes électromagnétiques dans leur ensemble), l’unique messager de nos informations, est limitée absolument et ne nous permet donc de voir que dans notre passé.

La vitesse.

En astronautique, tout espoir de vitesse générée par l’énergie que nous pouvons activer est comme chacun sait, limité par celle de la lumière. Ses 300.000 km par seconde sont insurpassables et pour l’atteindre, notre vaisseau devrait avoir une masse nulle. Le projet Breakthrough Starshot  nous fait espérer une vitesse égale à 20% de celle de la lumière (pour des « nano-masses » !). Mais à 60.000 km/s, l’impact de la moindre poussière pourrait déjà avoir des effets terribles sur la coque de notre vaisseau ou notre voile spatiale. Par ailleurs, à partir de 10% de la vitesse de la lumière, l’effet relativiste résultant du différentiel de vitesse entre les personnes restées sur Terre et les voyageurs spatiaux deviendrait notable, le temps s’écoulant plus lentement pour ces derniers. On voit les problèmes que cela poserait au retour si le vaisseau était habité ! Mais il n’est pas encore opportun de s’inquiéter car actuellement la plus grande vitesse que nous ayons obtenue (par propulsion chimique assistée par la gravité de certaines planètes) par rapport au Soleil n’est que de 17,26 km/s (celle de Voyager 1, aujourd’hui aux confins du système solaire).

En astronomie les problèmes sont différents puisqu’il n’est pas question d’« aller vers ». Cependant la vitesse impose aussi un obstacle. Du fait de l’expansion de l’univers, les éléments qui le composent s’éloignent les uns des autres à une vitesse d’autant plus grande qu’ils sont plus lointains…jusqu’à atteindre la vitesse de la lumière. Ainsi nous pouvons encore voir les galaxies dont la distance croît entre nous à une vitesse juste inférieure à celle de la lumière mais d’autres déjà plus lointaine ont “disparu des radars”. Et puis, comme dit plus haut, il y a la finitude de la vitesse de la lumière qui nous interdit de voir l’état de nos voisins dans le même temps que nous (Antarès, l’étoile géante rouge la plus « proche », a peut-être déjà explosé en supernova et nous ne le savons pas encore car la lumière que nous recevons d’elle aujourd’hui en est partie il y a 600 ans). D’un autre côté la vitesse nous renseigne aussi sur la distance (une tendance vers le rouge exprime par effet Doppler-Fizeau une vitesse d’éloignement d’autant plus grande que la lumière reçue est lointaine). Ce « défaut » nous est donc indispensable pour connaître l’univers en 3D.

Ces contraintes cependant ne nous empêchent ni de progresser dans la Connaissance (l’analyse des effets Doppler ou la mise en oeuvre du concept de “spectographe intégral de champ” de MUSE ), ni d’envisager de « sortir de notre berceau » (il y a peut-être une vraie seconde Terre dans la sphère des 10 années-lumière dont nous sommes le centre, et plein d’autres endroits où nos astronautes pourrons “poser les bottes” de leurs scaphandres). Dans ce qui nous est accessible, tant reste encore à découvrir ! La semaine prochaine je vous parlerai des autres problèmes qui, à la différence de ceux-ci, ne concernent que l’astronautique.

Image à la Une : le champ ultra-profond de Hubble (« Ultra Deep Field ») tel que visible en juin 2014 après 841 images prises entre 2003 et 2012 dans toutes les longueurs d’onde captables par le télescope (de l’ultraviolet à l’infrarouge). Le télescope visait une toute petite région de la galaxie du Fourneau (visible dans notre hémisphère Sud) à travers un trou sans étoile de notre environnement. La lumière a pris plus de 13 milliards d’années pour nous parvenir de ces astres. Crédit image : NASA, ESA, H.Teplitz et M. Rafelski (IPAC / CalTech), A. Koekomoer (STScl), R. Windhorst (Arizona State University et Z. Levay (STScl).

Mars, de nombreuses falaises de glace renforcent les possibilités d’habitabilité de la planète

Une étude parue dans Science cette semaine* fait état de nombreuses « falaises » de glace d’eau coupant des terrains lisses de dépôts accumulés à la surface de Mars à des latitudes moyennement élevées (autour de 55°, surtout dans l’hémisphère Sud). Cela met en évidence la richesse en eau (solide et non liquide) accessible et confirme la possibilité pour l’homme de s’établir sur cette planète.

Ce n’est pas la première fois qu’on constate la présence de glace d’eau à la surface de Mars mais la particularité de cette découverte est le caractère à la fois massif et facilement accessible de cette ressource (une fois sur Mars, évidemment!). Les constatations proviennent de l’observation de données recueillies par divers instruments à bord de l’orbiteur MRO (« Mars Reconnaissance Orbiter ») de la NASA. Les scientifiques ont d’abord remarqué visuellement, dans les photos prises par la caméra HiRISE (High Resolution Imaging Science Experiment) de l’orbiteur, des lignes bleutées de plusieurs km de long, orientées vers le pôle et surplombant des puits chaotiques (huit à ce jour dont sept dans l’hémisphère Sud). Ils ont pu en déduire que les lignes correspondaient à des « escarpements » (en Anglais « scarp ») d’une centaine de mètres de hauteur et de pente forte (45 à 55°). Ils les ont faites analyser par le spectromètre CRISM du même orbiteur (Compact Reconnaissance Imaging Spectrometer for Mars) puis par un autre instrument de MRO, SHARAD (Shallow Radar). Cela a permis de constater que le bleu correspondait à la ligne d’absorption de la lumière réfléchie par l’eau (CRISM) et ensuite que la glace commençait très près de la surface (un à deux mètres en moyenne) et s’enfonçait d’une trentaine de mètres en dessous du sol (SHARAD), la base, au contact du socle rocheux, étant cachée par des éboulis. L’observation sur la durée ainsi que des examens thermiques ont ensuite pu prouver que les dépôts n’étaient pas saisonniers mais relativement stables (retraits saisonniers probablement de l’ordre du millimètres seulement).

La glace n’est pas totalement pure car elle contient quelques débris rocheux (sans doute morainiques) et un peu de poussière qui délimite des strates périodiques mais elle est presque aussi pure que celle des calottes polaires. NB c’est d’ailleurs les chutes observées de rochers de l’ordre du mètre, qui permettent d’apprécier la vitesse de recul du front de glace.

L’origine des dépôts est relativement récente car la surface du sol à proximité de ces falaises est très peu cratérisée. Elle doit résulter des dernières périodes de forte obliquité (inclinaison de l’axe de rotation sur le plan de l’écliptique) qui se reproduisent environ tous les 120.000 ans. En effet la planète n’étant pas stabilisée comme l’est la Terre par la Lune, cette obliquité varie de façon cyclique beaucoup plus forte en fonction du différentiel d’attraction gravitaire du Soleil au différentes latitudes de la planète (phénomène de précession). Lorsque l’axe s’incline aux environs de 35° (son maximum dans ce type de cycle), les calottes polaires sont exposées trop sensiblement aux rayonnements solaires et se subliment très largement dans l’atmosphère. L’eau s’y condense et compte tenu des faibles températures, retombe en neige en surface aux latitudes moyennes alors très peu exposées aux rayonnements solaires. Avec le temps et l’accumulation, la neige se tasse et se transforme en glace. Le processus n’est pas continu car en raison de l’aridité, les tempêtes de poussière doivent toujours sévir et certaines périodes doivent être plus chaudes ou moins neigeuses (en fonction notamment de l’excentricité de l’orbite).

NB : il est possible qu’à l’occasion de cette densification de l’atmosphère par la vapeur d’eau, la plage de températures permettant l’eau liquide s’étende quelque peu permettant un certain écoulement en surface…mais cela est une autre histoire.

Ensuite, lors du redressement de l’axe de rotation sur le plan de l’écliptique, la glace non protégée ou mal protégée se sublime aux latitudes basses et moyennes et retombe en neige aux pôles mais les plaques de glace situées en hautes latitudes doivent persister très longtemps (aux environs de 55°, la glace est stable à une profondeur de seulement 10 cm de profondeur). Les banquises pourraient donc rester cachées jusqu’à la prochaine période de forte obliquité et c’est probablement ce qui se passe en de nombreux endroits (où l’on trouvera de la glace très ancienne). Mais il peut y avoir des raisons pour lesquelles des failles verticales se manifestent (la glace n’est pas homogène) et ces failles peuvent mettre à nue de la glace pure qui va se sublimer. On note d’ailleurs que partout où l’on a observé ce type de relief, des failles ont été repérées près du front d’escarpement et aussi que l’escarpement dominait un piedmont puis un chaos résultant de la libération des moraines par l’effondrement jusqu’au socle rocheux sous-jacent puis la disparition par sublimation progressive du front. Par ailleurs le vent peut aussi jouer son rôle érosif et dégager des plaques de poussière mettant à nue la glace pure.

Les résultats de cette étude sont à rapprocher des découvertes des buttes glaciaires repérées dans l’Ouest d’Utopia Planitia, entre 40 et 50° de latitude Nord, à l’Est de Nili Fossae (cf mon article sur ce sujet). La différence est, dans le cas des buttes, un manteau protecteur plus épais, sans doute d’origine volcanique et une sublimation superficielle laissant un sol poreux de plusieurs mètres ne contenant plus ou peu de glace. Il s’agit pour la NASA de découvrir jusqu’à quelle latitude le phénomène des falaises de glace s’est produit (initialement la recherche n’a porté que sur les zones de latitude supérieure à 50°). Il est certain que tout phénomène similaire repéré à des latitudes plus basses serait encore plus intéressant puisque les conditions de vie en hiver aux environs de 55° sont évidemment assez dures (donc plus consommatrices en énergie). Si on en découvre à moins de 50°, on doit toutefois s’attendre à ce qu’ils soient moins spectaculaires c’est-à-dire que la sublimation s’effectuant plus vite et le sol superficiel étant moins froid, l’accessibilité à la glace soit moins bonne. Ce seraient en quelque sorte des intermédiaires entre les « falaises » et les « buttes ».

Contrairement à ce qui a été rapporté par la presse en général, il faut noter que visuellement on ne sera pas face à de vraies falaises, car les pentes ne sont pas assez fortes pour justifier ce terme, mais il est quand même certain qu’on devrait voir de la glace vive sur une hauteur impressionnante et que la pente des premiers mètres avant le sommet doit être très raide.  Cela ajoutera surement de la variété au paysage martien et surtout facilitera beaucoup la vie des futurs colons (encore plus que les buttes puisque la glace y sera plus accessible). Sur le plan scientifique, on pourra toujours rechercher si la pression a pu générer de l’eau liquide sous la banquise (et chacun sait que cet élément est un vecteur puissant pour toutes sortes de transformations). Par ailleurs les strates permettront d’avoir une lecture de l’histoire récente de Mars donc de mieux connaître ses cycles, notamment celui de l’eau, et de remarquer des phénomènes globaux particuliers (épisodes volcaniques) ou même d’autres événements non cycliques que l’on pourrait rapprocher d’événements climatiques terrestres et qui serait le témoignage d’une activité particulière solaire ou galactique. Ce serait une autre opportunité pour que l’étude de Mars soit utile à la compréhension de la Terre.

*“Exposed subsurface ice sheets in the Martian mid-latitudes” par Colin M. Dundas et al. in Science 359, 199 (2017) DOI: 10.1126/science.aao1619, publié le 12 janvier 2018. Colin Dundas est géologue à l’Astrogeology Science Center de l’US Geological Survey

Image à la Une : ligne de front d’un escarpement glaciaire. La couleur bleue a été renforcée (crédit NASA, MRO, HiRISE)

Image ci-dessous : effondrements (au premier plan) dégageant un front de glace. Les vagues de terrain parallèles dans la zone effondrée témoignent du recul progressif du front. Crédit NASA/MRO/HiRISE.

Mars, des défis psychologiques redoutables mais exaltants

Les premières missions pour Mars nous lancent des défis psychologiques redoutables mais nous pouvons être confiants, nous trouverons des hommes suffisamment forts pour les affronter. Les vrais problèmes seront plutôt d’ordre technique, le bon fonctionnement du lanceur, surtout lors du départ de la Terre ou lors de l’EDL, et le bon fonctionnement du système de support vie.

Lorsque les astronautes quitteront la Terre pour Mars, ils auront pleine conscience qu’ils se trouvent embarqués pour un séjour de plus de deux ans hors de chez eux. Compte tenu de la position respective des astres et des contraintes de la « mécanique céleste », le voyage durera de nombreux mois (6 mois à l’aller, 6 au retour) et le séjour sur Mars durera 18 mois (configuration énergétique, scientifique et, pour l’équipage, biologique, optimum). Ceci implique que les voyageurs seront privés de contact physique avec leurs proches pendant cette longue durée de temps et ceci implique aussi qu’après trois ou quatre semaines sur Mars, ils ne pourront plus changer d’avis et choisir d’écourter leur séjour, ni recevoir aucun secours, quoi qu’il arrive.

Le fait que pendant le voyage, il n’y aura pas ce qu’on pourrait appeler un « extérieur-habitable », est un inconvénient incontestable. Pas question en effet de se « dégourdir » les jambes en allant se promener « ailleurs » ; pas question de contempler un paysage changeant et « vivant » (aussi belles soient-elles, les étoiles ne danseront jamais dans le ciel et très vite la Terre ne sera plus qu’un point parmi d’autres) ; pas question de ne pas subir la promiscuité des autres. Durant deux fois six mois, chacun sera réduit à vivre à l’intérieur de « quatre murs » (en l’occurrence la paroi d’un cylindre) avec toujours les mêmes partenaires. A noter que la situation sera différente une fois arrivé sur Mars car si la « société » y sera toujours aussi réduite, l’aspect « extérieur-habitable » sera totalement différent (la sortie impliquant toutefois le port obligatoire d’un scaphandre). En effet les quatre ou six membres de l’équipage disposeront alors pour eux seuls de la surface entière de la planète (en fonction du moins des possibilités de mobilité motorisée et de la nécessité d’éviter de trop s’exposer aux radiations spatiales).

Pour atténuer le problème du confinement pendant le vol, il faudra certainement que chacun exerce la plus grande prudence dans ses interactions avec les autres (afin d’éviter le piège de l’« enfer » sartrien). La vie privée devra être très strictement respectée ; les contacts avec les proches ou les collègues restés sur Terre, aussi fréquents que possible (pour améliorer la diversité des échanges) même si le « time-lag » sera de plus en plus long au fur et à mesure que le vaisseau s’éloignera de la Terre (de 3 à 23 minutes-lumières, dans un seul sens, une fois sur Mars) ce qui empêchera les interactions directes. L’accès aux divertissements digitaux diffusés depuis la Terre (jeux ou films, plateformes d’échanges) devra évidemment être totalement libre, individualisé et le choix aussi riche que possible.

Un problème de santé pourra s’avérer déstabilisant puisque les soins seront rendus difficiles par l’éloignement, surtout pendant le voyage (peu d’équipements, au plus un seul médecin à bord, pas de télémédecine en direct du fait du time-lag) et également sur Mars du moins jusqu’à ce que la société martienne se soit développée en nombre d’habitants, en compétences, et dispose d’un stock étendu d’équipements et de médicaments (ou de matières chimiques et de laboratoire adéquats pour les produire).

Sur place les épreuves et les dangers (outre ceux relatifs à la santé) seront nombreux et d’autant plus potentiellement stressants que les astronautes auront le sentiment d’être largement seuls pour les affronter et les surmonter. Ils le seront effectivement. Pas de « coup de main » possible, personne non plus pour « prendre votre place » pour résoudre un problème. De nombreux facteurs pourront peser sur le moral ou créer des frustrations. On peut évoquer la fatigue, l’éventuelle détérioration physique malgré les exercices, l’obligation de vivre dans une gravité faible ou de porter un scaphandre pour sortir, la faible irradiance pendant l’hiver austral, le manque de couleurs, surtout le vert et le bleu, l’absence d’eau liquide dans le paysage, un manque possible de satisfaction professionnelle (un échec dans la recherche, dans la construction d’une infrastructure importante ou la mise en route d’un process important), un équipement ou un instrument important, cassé et non réparable. Le découragement menacera de gagner même les plus positifs. Peu de consolations seront possibles (non seulement éloignement des proches mais aussi régime alimentaire peu varié).

Ceci dit il ne faut pas exagérer la difficulté. Il n’y aura ni temps-mort, ni ennui pendant une mission habitée sur Mars car les astronautes seront des personnes extrêmement motivées. Ils auront par nécessité le souci du fonctionnement le plus parfait possible de leur vaisseau et de leurs équipements divers, dont celui nécessaire à leur survie. A l’aller ils seront également très occupés par la préparation de leur mission sur le sol de Mars, au retour par l’interprétation des observations et des donnés qu’ils auront recueillies et tout le temps, par leurs communications avec la Terre qui les sollicitera sans cesse pour obtenir des rapports sur l’état du vaisseau, leur état personnel et sur leurs recherches. Par ailleurs l’aventure, le fait de se retrouver dans un univers inconnu et vierge, immense à l’échelle de l’homme, avec un potentiel de développement quasiment illimité, et pouvant révéler des connaissances essentielles pour l’humanité (sur le plan exobiologique notamment), le fait d’être des pionniers entreprenant une action pour la première fois dans des domaines passionnants, le fait d’avoir des problèmes à résoudre et y parvenir, peuvent se révéler des facteurs excellents pour soutenir ou doper le moral.

De ce point de vue je pense que les simulations qui ont eu lieu sur Terre (« Mars 500 », achevée en Novembre 2011 par exemple ou même le séjour long dans l’ISS de l’astronaute Scott Kelly en 2015 / 2016) n’ont absolument pas pu recréer les conditions d’une mission habitée. Les hommes enfermés de juin 2010 à novembre 2011 dans les locaux de l’« Institut des Problèmes BioMédicaux » (« IPBM »), à proximité de Moscou, ne pouvaient ignorer qu’ils étaient sur Terre et qu’ils pourraient sortir en cas de besoin extrême ; par ailleurs leur simulation en « bac à sable » ne pouvait absolument pas restituer l’espace martien du fait de ses très petites dimensions. Quant à Scott Kelly, il savait qu’il pourrait toujours rentrer sur Terre en cas de problème grave. A contrario le pseudo isolement pour des motifs beaucoup moins exaltants que l’exploration d’une autre planète, pouvait générer l’ennui ce qui pouvait induire toutes sortes de friction sociales et de stress.

Alors, toujours partant ? Personnellement oui; mais je ne serai vraisemblablement pas choisi, question d’âge! Plus généralement, je pense que les premiers vols ne seront pas pour les faibles, physiquement comme mentalement, mais pas non plus pour les tièdes, les indécis, les blasés et ceux qui n’auraient rien à faire sur Mars. Il faudra des hommes d’acier, de corps et d’esprit, et nous les aurons !

NB : On se situe ici au début de l’exploration spatiale par vols habités, alors qu’il n’y a pas encore de base permanente sur Mars.

Image en tête d’article : l’astronaute Scott Kelly au travail dans un module de l’ISS (crédit image : NASA). Il a bouclé (en Mars 2016) une mission de 342 jours dans l’espace. On peut imaginer que l’habitat utilisé pendant le voyage vers Mars sera tout autant « encombré » que celui de l’ISS et que les taches de vérification et d’entretien  seront constantes.

Image ci-dessous : Columbia Hills (crédit image : NASA et Olivier de Goursac), le cadre de vie des explorateurs pendant 18 mois; une vue grandiose mais non humanisée, qui pourrait être ressentie comme froide et hostile.