Mais que feront donc les hommes sur Mars ?

L’hostilité du milieu et l’absence totale d’infrastructures justifieront l’emploi de multiples machines qui devront permettre de TOUT construire/créer/produire/stocker/recycler. L’éloignement ne permettra pas un approvisionnement constant depuis la Terre (les livraisons ne pourront avoir lieu que tous les 26 mois, en fonction de la position respective des deux astres) et de toute façon les masses transportables seront extrêmement limitées pour des raisons énergétiques et financières (actuellement 20 tonnes par lancement avec le SLS de la NASA en préparation et, avec l’ITS d’Elon Musk, une centaine de tonnes). On ne fera donc venir de la Terre que ce qu’il est strictement impossible de produire sur Mars. Heureusement, cependant, les colons disposeront sur place de quasiment toutes les matières premières requises pour créer/produire les infrastructures et les commodités dont ils auront besoin. Ils auront également accès, par les ondes, à toutes les connaissances accumulées et à toutes les réflexions possibles de l’humanité sur les situations nouvelles qu’ils affronteront.

Les colons devront prendre en compte ces contraintes et ces avantages, et leur établissement sur la planète ne pourra se faire que progressivement en fonction des progrès réalisés dans la construction des infrastructures et la production des premières commodités (atmosphère, eau, nourriture, énergie) puis leur recyclage. La composition de la population et sa croissance seront donc fonction des besoins analysés pour la réalisation de ces infrastructures, la production de ces premières commodités, les contacts avec la Terre ; elles évolueront en fonction des réalisations effectives. Dans l’ordre (avec des chevauchements !), il faudra survivre, vivre, explorer, construire, enfin produire (intellectuellement) pour exporter (c’est-à-dire payer les importations) et pour s’épanouir. Cela implique la présence sur Mars de spécialistes dans toutes sortes de métiers (base d’une université martienne). A noter que Mars souffrira pendant longtemps d’une insuffisance (« shortage ») de population (coût des transports depuis la Terre et difficultés de la vie sur Mars) et que les travaux physiques à l’extérieur des bulles de vie seront à effectuer dans un environnement très dur. Il y aura donc une robotisation maximum de toute activité et les humains seront pour beaucoup des « slashers », c’est-à-dire que la même personne aura souvent plusieurs activités, surtout au début quand certaines spécialités ne seront pas pratiquées tous les jours (chirurgie) compte tenu du petit nombre de personnes présentes.

Dès leur arrivée sur Mars les premiers colons, qui vivront dans des habitats importés de la Terre, devront produire et recycler les commodités (énergie, eau, air respirable, aliments), et parallèlement étudier les conditions d’extraction des ressources nécessaires à la construction des différents éléments de la base, situées à proximité et identifiées au préalable par les satellites qui orbitent en permanence autour de Mars. Il faudra ensuite transformer ces matières premières en produits semi-finis puis en divers équipements plus ou moins sophistiqués. Il s’agit de partir de zéro pour aller au sommet de ce que peut réaliser le génie manufacturier de l’homme. Ce n’est pas rien et cela exigera les compétences les plus fines, les plus complètes et les plus opérationnelles. Les premiers Martiens seront donc des ingénieurs en énergie (fonctionnement du RTG ou des panneaux solaires) ou en chimie, des agronomes spécialistes des cultures sous serre et hors-sol, des géologues, des spécialistes du forage et de l’extraction minière, des biologistes pour s’assurer de l’innocuité des matériaux martiens (la présence d’éventuels facteurs pathogènes), des pilotes de drones/dirigeables explorant pour eux à distance et prélevant des échantillons, des pilotes de rovers pressurisés pour aller sur le lieu des gisements identifiés, des bricoleurs pour assembler et réparer tout ce qui est démonté, cassé ou grippé, des spécialistes des télécommunications et de la robotique, des informaticiens, des électriciens, des plombiers, des opérateurs d’imprimantes 3D, des spécialistes de l’air conditionné, des nutritionnistes pour utiliser au mieux les ressources alimentaires rares, des microbiologistes pour contrôler les populations microbiennes, des médecins (un médecin généraliste, un chirurgien, un orthopédiste, un oncologue, un ophtalmologue, un dentiste protésiste, un pharmacien anesthésiste), quelques infirmières, des spécialistes du recyclage qui superviseront la collecte des déchets, le nettoyage et le fonctionnement des équipements de recyclage, de telle sorte que rien de produit par l’homme ne puisse se perdre et que tout puisse être réutilisé, des spécialistes de la propulsion pour veiller au bon fonctionnement des véhicules de retour sur Terre.

Dans une seconde phase, qui viendra très vite se superposer à la première (dès l’arrivée de la seconde mission), on commencera à construire des abris pressurisées et viabilisés, avec des ressources martiennes. Il faudra des mineurs pour extraire les matériaux des gisements précédemment identifiés, des opérateurs de véhicules de chantier, des chimistes pour évaluer les propriétés des matériaux, des spécialistes de physique des matériaux pour évaluer leur résistance aux conditions extérieures et leurs variations selon ces conditions, des spécialistes du travail des métaux, ou de la production de plastique, ou de verre, des ingénieurs de travaux publics, des architectes pour construire en toute sécurité des habitats soumis à des différentiels de pression extrêmes et prévoir une utilisation aussi intelligente que possible d’un espace habitable rare ; des maçons, des cuisiniers, des couturières et des tailleurs, des logisticiens et gestionnaires de stocks, des chercheurs intéressés par le milieu martien, planétologues, climatologues, exobiologistes, une équipe de cinéastes et journalistes pour rendre compte de l’avancement de la construction de la base et des recherches et faire rêver les Terriens.

Enfin, plus tard, des banquiers, assureurs et toute personne qui pourra s’offrir le voyage et qui pensera pouvoir en tirer profit pour lui-même et pour les autres. De toute façon, la société martienne sera une société du travail et de la responsabilité, les oisifs (touristes, rêveurs divers ?) seront les bienvenus, s’ils ont les moyens financiers, vérifiés (cautionnés ?), d’y séjourner…et puis un jour il y aura des enfants, qu’il faudra prendre en charge et éduquer. Ils seront dans un environnement propice.

Image à la Une : des géologues après collecte d’échantillons de roches, admirent une mini tornade (dust-devil) qui passe entre leur rover et la base : illustration Philippe Bouchet (Manchu) / Association Planète Mars

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

5 réponses à “Mais que feront donc les hommes sur Mars ?

    1. Effectivement. Je pense qu’il y aura rapidement une culture martienne compte tenu de l’environnement si particulier et si diffèrent qui sera celui des hommes qui s’installeront sur cette planète. Ceci dit, à la différence des anciennes cultures qui se développaient dans un espace relativement clos, je pense que cette culture martienne sera largement partagée par les hommes restés sur Terre qui voudront y avoir accès. En effet si elles ne seront pas immédiates en raison de la distance lumière qui séparent les deux planètes, les communications par ondes électromagnétiques seront constantes et faciles.

    2. Cela ouvre de grandes interrogations. Les “colons” martiens resteront-ils rattachés à leurs pays d’origine, et dans ce cas soumis aux institutions et lois de ceux-ci (quid s’il y a incompatibilités entre diverses lois nationales?) ou y aura-t-il une “Autorité martienne” reconnue par tous qui établira ses propres lois et règlements? Peut-on envisager que ces colonies prennent rapidement leur indépendance (comme en son temps les Etats-Unis vis-à-vis de la Grande-Bretagne), alors qu’elles continueront probablement pendant assez longtemps à dépendre étroitement pour leur survie d’agences gouvernementales terrestres? Vastes questions sur lesquelles il serait bon de se pencher avant que des situations potentiellement conflictuelles se créent!

      1. Je pense qu’il y aura très rapidement une très large autonomie compte tenu de la difficulté de faire respecter un ordre quelconque dans un lieu qui n’est accessible que tous les 26 mois et sur lequel de toute façon on ne peut envoyer beaucoup de personnes à la fois. Par ailleurs les colons seront certes dépendants de la Terre mais il serait moralement inacceptable de ne pas leur permettre de survivre pendant la période intermédiaire où leur autonomie sera impossible. Cela leur donnera un fort levier sur les pouvoirs terrestres. Enfin il faudra veiller au maintien de l’ordre et cela ne pourra se faire qu’avec les moyens et le personnel local. Quant aux lois elles devront prendre en compte les contraintes environnementales particulières. On peut supposer que tout commencera par une sorte de règlement intérieur qui sera ensuite affiné par un conseil d’administration composé de représentants de la population et des entités finançant la colonie.

        1. Tout dépendra je pense du degré “d’intégration” des populations qui seront envoyées sur Mars et si leur sentiment d’appartenance à une communauté martienne l’emportera sur leur “loyauté” vis-à-vis de leurs patries d’origine. En tout cas, je répète qu’il serait bon de régler ces questions (comme celle de la propriété des terres et ressources par exemple) avant que des conflits surgissent en raison de faits accomplis non acceptés par tous. On n’aimerait pas voir des hostilités se développer sur Mars, … même si ce nom était dans l’Antiquité celui du dieu de la guerre!

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