Mars notre Nouvelle Frontière

A Noé Dieu dit : « De tout ce qui vit, de toute créature, tu feras entrer dans l’Arche deux membres de chaque espèce pour leur conserver la vie avec toi. »

Mais qu’emporteront donc les nouveaux Noé avec eux pour mettre à l’abri dans le « Svalbard Global Seed Vault » martien (voir billets précédents) ? Ce seront des hommes organisés, conscients des besoins auxquels ils devront répondre, de ce dont ils disposeront et des contraintes environnementales qui s’imposeront à eux. Ils auront donc des principes sûrs qui guideront leurs choix et leurs actions, d’autant qu’il est probable que Dieu ne leur donnera cette fois ci aucune consigne.

Leur premier principe sera de prendre tout ce qu’ils estimeront nécessaire au redémarrage de l’humanité après la destruction, supposée, de la vie sur Terre. Leur second principe sera d’emporter non seulement ce qui permettra de nourrir les corps mais aussi les esprits. Or la culture aujourd’hui ne se limite pas à ce qu’elle était il y a plus de 4000 ans (selon la tradition biblique) ; il faudra prendre avec soi les enregistrements de toutes les cultures passées et présentes, toutes les images, tous les sons et toutes les formes, la représentation de toute la beauté créée et tout le savoir accumulé depuis l’aube des temps, en particulier celui construit depuis la Renaissance, au long des siècles de réflexion et de recherche scientifiques qui en sont issues. Leur troisième principe sera de prioriser les manuels permettant de comprendre et d’utiliser les technologies mères, celles qui permettront de fabriquer les équipements nécessaires à la production d’énergie et à la fabrication des autres équipements. Leur quatrième principe sera de choisir les supports permettant de transporter le maximum d’informations dans le minimum de volume et de poids. Leur cinquième principe sera de choisir les supports ayant la plus grande fiabilité et la plus grande longévité (ou présentant le plus de facilité à être reproduits). Le sixième principe sera de choisir ces mêmes supports en ayant à l’esprit que leur utilisation devra être la plus aisée possible. Enfin leur septième et dernier principe sera de maintenir leur dépôt dans le meilleur état de conservation possible et à la pointe du progrès de telle sorte qu’il n’y ait aucune perte en cas d’interruption de la production et de la réflexion sur Terre.

Ce sera donc bien une Global Seed Vault au sens strict mais aussi une encyclopédie, un musée, en bref le trésor de l’humanité (ou « the gist of it » comme on dirait en Anglais). A part les graines et les embryons d’êtres vivants, ce sera un univers virtuel. On peut penser que sa gestion sera complexe et nécessitera une équipe d’administrateurs, de chercheurs et de techniciens. Ces personnes hautement qualifiées seront une population qui justifiera, dès le début, le maintien d’une base permanente sur Mars.

Ces hommes seront des conservateurs ou des gardiens mais ils seront aussi potentiellement les ensemenceurs de la Nouvelle Terre que deviendra Mars à partir du moment où l’Arche sera constituée sur son sol. Leur présence sur Mars ne pourra être que le noyau « technique » de la nouvelle branche de l’humanité mais construire cette « cache » et y stocker ces graines n’aurait aucun sens si on ne développait pas à côté, sur le sol martien, une population qui les utiliseraient pour se développer elle-même et acquérir un jour, le plus tôt possible, son autonomie par rapport à la Terre.

En réalité, dans un deuxième temps, aussi proche que possible d’aujourd’hui dans l’intérêt de la survie de l’humanité, ce sera Mars toute entière qui devra devenir une Global Seed Vault avec des hommes suffisamment nombreux et « armés » technologiquement mais aussi culturellement, pour être collectivement la graine d’une humanité nouvelle. Après l’époque des premiers gardiens, viendra celle des aventuriers, des hommes d’affaires, des rêveurs et des poètes. Mars sera alors notre « Nouvelle Amérique » dans le sens de « Nouvelle Frontière », un espace vierge immense porteur des espoirs de renouveau et des possibilités les plus extraordinaires à qui voudra « entreprendre ».

Ce programme peut paraître fou à ceux qui ne considèrent que l’horizon terrestre et qui se croient bien à l’abri de « tout » sur notre petit point bleu perdu dans l’univers mais la Nature nous a donné Mars comme bouée de sauvetage « au cas où », et ce serait folie de l’ignorer si nous avons les moyens technologiques de la saisir comme opportunité de redéploiement, d’expansion et source de nouvelles richesses.

Mars comme seconde Arche de Noé (3/3).

Image à la Une: credit Greg Whitton, photo d’un paysage d’Islande. Voir son site: www.gregwhitton.com NB: bien sûr, sur Mars le ciel est moins chargé de nuages mais le relief peut y être assez semblable. Il n’y a pas encore de végétation mais la première génération de couverture végétale, lichens, mousses et herbes rases, pourrait donner le même effet visuel.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.