Pour l’installation de l’homme sur Mars, le “tipping-point” peut maintenant être atteint

Comme beaucoup de processus psychologiques collectifs, celui du désir planétaire de l’installation de l’homme sur Mars se déclenchera lorsque le principe atteindra son « tipping-point ». Mais la pression des écologistes-régressifs le permettra-t-elle?

Le tipping-point, bien décrit par Malcolm Gladwell en 2000* et que l’on peut traduire en Français par « point-déclencheur » (mieux que « point d’inflexion »), est un phénomène que l’on peut observer communément. Je l’ai expérimenté plusieurs fois dans ma vie de banquier d’entreprises**. Ce peut être un phénomène négatif. En temps « normal » les banques se pressent pour proposer et accorder des concours à telle entreprise bénéficiant généralement d’une bonne réputation, en fonction de performances passées satisfaisantes sinon brillantes, l’avenir étant vaguement prévisible mais par définition incertain. Des indices de détérioration se révèlent souvent avant que celle-ci se manifeste au grand jour mais ils ne sont pas forcément lisibles, ni compréhensibles ou encore ils peuvent être sous-estimés ou dissimulés. On voit bien que les ventes sont moins bonnes, que la dette augmente mais on se dit que c’est un mauvais moment à passer, que la société « en a vu d’autres », que les confrères continuent à prêter, que le client constitue un élément important du « fonds de commerce » dont il serait dommageable de se passer. On continue donc et puis d’un seul coup, un grain de sable se présente, un petit crédit n’est pas renouvelé par une banque marginale. On passe immédiatement d’une confiance aveugle à une défiance incontrôlée. On voit soudainement que le roi est nu, que la société n’a pas en réalité les perspectives de redressement qu’elle a fait miroiter. Tout le monde le constate, tout le monde veut partir, la panique gagne, les financements nouveaux sont refusés alors que la société a besoin de toujours plus d’argent pour survivre. Les premières banques à se manifester, les plus mobiles, parviennent à se faire rembourser, les autres, celles qui hésitent, restent « collées » malgré toutes les protections juridiques dont elles peuvent disposer. Tout s’arrête et il faut bien prendre sa perte, en grinçant des dents.

**NB: la référence bancaire peut surprendre mais chacun fera les rapprochements qui lui « parlent » le mieux.

Symétriquement, vous pouvez surement vous souvenir ou imaginer un exemple positif avec retournement de situation très rapide, comparable, après de longs mois ou années de lutte ou de démarchage pour essayer de convaincre. La « prise » de la mode « bio » en est un, avec une très longue maturation (j’achetais déjà bio en 1975 et ce n’était pas facile !) et soudainement, il y a deux ou trois ans, une sortie au grand jour. On assiste aujourd’hui à une diffusion exponentielle du phénomène, y compris dans les grandes surfaces, jadis paradis exclusif des nourritures industrielles. Il y a certainement eu un phénomène déclencheur. Fut-ce une prise de conscience de la fragilité de notre environnement et de la nécessité de le respecter due au réchauffement climatique ou bien de la mauvaise qualité diététique de nombreux produits industriels ? En tout cas on a passé là un tipping-point.

Le tipping-point c’est un peu le pop-corn qui explose, l’accumulation qui finit par déclencher un changement majeur. Dans la psychologie de groupe ce n’est pas un phénomène individuel, plutôt un phénomène grégaire, un phénomène viral ou, si l’on veut être plus aimable, un phénomène de formation de consensus, qui se combine avec un événement souvent unique et peu important en lui-même, la « goutte-d’eau » ou l’étincelle. Une situation/une réflexion est mure, la graine s’en détache, elle est parfaite, un coup de vent l’emporte et elle tombe sur un terrain favorable où elle prolifère.

Certains penseront que je divague bien loin du sujet de l’installation de l’homme sur Mars et d’autres, à raison, le contraire. Pendant des décennies l’idée du vol vers Mars a trotté dans la tête d’individus considérés comme les plus excentriques (et ils l’ont été), à commencer par Constantin Tsiolkovski, père de l’astronautique au début du XXème siècle. Mais les personnes « raisonnables » (qui très généralement sont d’ailleurs de « grandes-personnes ») ne voulaient pas y croire, ni prendre le temps d’y penser, laissant le sujet aux enfants et aux rêveurs. Puis, portée précisément par ces rêveurs (ayant tout de même quelques compétences en ingénierie), la réflexion a fait son chemin, s’est transformée en pulsion recueillie par des politiques; l’homme est allé sur la Lune, il en est revenu et il a abandonné, il a construit l’ISS, plus « raisonnable », il veut revenir sur la Lune, il développe ses technologies et son savoir-faire et il prend confiance.

Nous en sommes là. Que va-t-il se passer ?

Parvenir jusqu’au tipping-point n’est pas une évidence ; il n’y a aucune obligation, aucune automaticité. Le mouvement porteur doit être suffisamment fort et l’événement déclencheur suffisamment brillant. On peut faire la comparaison dans le domaine planétologique, entre les intrusions magmatiques conduisant à des « dykes », ces accumulations de matière en fusion dans le sous-sol immédiat, que l’on ne verra jamais, et les intrusions de même matière qui percent la croûte terrestre et conduisent à une éruption en surface. Combien de dykes dans l’histoire ! Pensez au mécanisme d’Anticythère qui n’a rien donné ! Pensez à la naissance de l’automobile électrique au 19ème siècle, qui est retournée aux limbes jusqu’à ce jour !

Alors Mars ? Nous avons le sous-jacent, jadis le lanceur Saturn V, demain le BFR et son Starship ; nous avons l’argent pour commencer l’aventure (le terme est choisi à dessein) et nous poser sur Mars, nous avons les technologies de support-vie en cours de développement avancé par plusieurs groupes de recherche et principalement par MELiSSA, nous avons dans le public, une envie. Le « magma » est là et il pousse mais le fait-il suffisamment ? Exerçant une pression en sens contraire, la croûte tenant le sol est épaisse et solide. Le mouvement que j’appellerais « écologique-régressif » de plus en plus puissant en raison de la détérioration de l’environnement terrestre, incontestable, cherche partout des responsables à tous nos maux et beaucoup parmi ses têtes pensantes, par peur du progrès technologique ou simplement par ignorance des lois économiques, imaginent un retour à la charrue et à la pêche à la ligne (pour ceux qui ne sont pas vegans !) en dépit d’une évolution démographique qui ne le permet absolument pas (et qu’ils ne condamnent pas vraiment) et refusant de considérer les potentialités offertes par le progrès (auquel par principe ils refusent de croire). Dans cet esprit, la conquête de Mars est bannie comme inutile et nuisible car dispendieuse, polluante et faisant diversion. Ce qu’ils ne voient pas ou qu’ils refusent de voir, car ils sont trop attachés à la glèbe dont nous sommes tous issus, c’est que nous sommes déjà dans l’Espace tout en restant enfermés dans notre vaisseau Terre. Il faut juste oser sortir de ce dernier et cela n’est pas incompatible avec la gestion écologique précautionneuse de notre planète de naissance, bien au contraire. Vivre sur une planète aux ressources encore plus limitées que les nôtres et dont l’environnement est beaucoup plus hostile, comme l’est Mars, serait une excellente occasion de mettre au point ou de perfectionner des technologies d’économie écologique et de recyclage qui deviennent indispensables sur Terre. Mars plutôt qu’une lubie inutile, c’est un atelier à notre disposition ; c’est l’espérance de l’ouverture non d’un nouveau monde mais plutôt du monde au-delà de notre berceau, le « grand-monde ». C’est la solution conservatoire pour la continuité de notre vie humaine. Ce n’est pas la destruction, c’est la poursuite de la création. L’univers nous appartient car l’être intelligent et capable de structurer son environnement tout en ayant les moyens de se déplacer dans l’espace, y est sans doute extrêmement rare sinon unique. Le grand-monde devient accessible, la porte vient de s’ouvrir mais il faut vouloir franchir le seuil sans croire que de ce fait notre lieu d’origine va être saccagé.

Si les écologistes-régressifs sont trop puissants, nous considèrent toujours comme leurs ennemis ou des fous et parviennent à faire triompher leur point de vue auprès de ceux qui vivent au jour le jour par contrainte ou par choix, des indécis, des timorés, de ceux qui refusent la révolution copernicienne qui consiste à considérer que la Terre fait partie de l’Espace, nous pourrions ne jamais atteindre notre tipping-point positif. Mais eux peuvent atteindre le leur, ils semblent ne pas en être loin, et les deux sont incompatibles. Nous resterions alors en deçà du seuil, nous nous enfoncerions dans une économie administrée hostile au progrès et nous aggraverions notre risque de mourir étouffés par la prolifération de notre population sur une surface terrestre de plus en plus dévastée, après avoir renoncé à développer davantage nos technologies libératrices (car en dépit de ce que ces extrémistes pensent, une sortie “par le haut” de nos problèmes écologiques est possible**). Mais si, malgré les indices alarmant d’obscurantisme que l’on voit un peu partout apparaître, les « Martiens de cœur » et les amoureux du grand-large persévèrent en dépit des critiques et des quolibets et, réunissant suffisamment de partisans et de soutiens, triomphent, notre « magma » parviendra en surface et nous construirons une nouvelle base à notre vie, sous une autre voûte étoilée.

Le tipping-point allumant l’ardeur des foules et déclenchant la volonté de partir pour Mars, sera peut-être la mise au point du BFR d’Elon Musk. Si cette « merveilleuse machine » parvient à voler, demain les mêmes qui considéraient notre projet comme sans importance voire nuisible, prétendront qu’ils l’ont toujours soutenu, qu’ils en étaient les précurseurs…mais nous aurons passé notre tipping-point et c’est cela qui compte!

Image à la Une : annonce du livre de Malcolm Gladwell par Oleg Pynda.

*Editeur : Little, Brown & Cy

**A (re)lire : Suren Erkman: “Le climat est instrumentalisé” in Le Temps (2 septembre 2018)

ou Vers une écologie industrielle , du même auteur.

** A consulter, le site d’ESTEE, une entreprise animée par des écologistes intelligents et créatifs: http://est2e.com/

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Index L’appel de Mars 19 03 17