Les limitations du JWST pour l’étude de l’atmosphère des exoplanètes

Un des espoirs exprimés dans les médias à propos du JWST est l’étude de l’atmosphère, éventuelle, des exoplanètes rocheuses de masse terrestre situées dans la zone habitable de leur étoile. C’est un objectif qu’il serait passionnant d’atteindre mais il faut bien voir les limitations de nos moyens. Même avec ce merveilleux télescope (Webb = JWST) maintenant arrivé à destination au point de Lagrange L2 (le 24 janvier), ce sera extrêmement difficile.

Ce que nous voulons faire c’est analyser la lumière de l’étoile sans puis avec sa planète par spectrométrie (décomposition du rayonnement électromagnétique reçu, à l’aide d’un spectromètre suivi d’une analyse des éléments de ce rayonnement). Le but est, en comparant les spectres, de pouvoir en déduire ce qui est propre à la planète puisque celle-ci est trop petite et trop lointaine pour être vue indépendamment de son étoile. Il y a deux situations exploitables possibles, le passage devant l’étoile (« transit primaire ») et le passage derrière elle (« transit secondaire ») car, juste avant de disparaître, la planète offre à l’observateur et dans la même image (elles sont du fait de la distance, indissociables), la totalité de sa surface. On peut ainsi comparer le très fin halo de l’atmosphère qui l’entoure (transit primaire) avec la totalité de la lumière reflétée par la planète (transit secondaire). Ces deux situations nous donnent en fait trois spectres pour deux astres.

Le problème c’est que les planètes dont la masse est proche de celle de la Terre, sont minuscules observées à des dizaines d’années-lumière de distance et la différence de spectres entre l’étoile seule et l’étoile avec sa planète, est quantitativement extrêmement faible. Par ailleurs, il faut que le plan de l’écliptique dans lequel se situe la planète par rapport à son étoile soit à peu près dans l’alignement du nôtre ; autrement il n’y a pas de transit perceptible donc exploitable.

Il faut bien comprendre qu’en raison de leur taille, on ne voit jamais directement ces petites exoplanètes de type terrestre mais simplement l’effet qu’elles ont sur l’étoile dont elles dépendent, soit parce que leur centre de gravité commun évolue en fonction du déplacement sur orbite de la planète (méthode des vitesses radiales), soit parce que leur luminosité décroit lorsque la planète passe au-devant de son étoile dans son alignement avec la Terre (méthode des transits), soit parce que le rayonnement fait un sursaut en intensité après le passage devant une seconde étoile distante, du fait du passage en suite de la première étoile de la planète qui en dépend (effet de micro-loupe gravitationnelle).

On n’a donc une chance de capter ces spectres de planètes que lorsqu’elles sont d’une masse non négligeable par rapport à l’étoile et lorsque les transits sont fréquents, puisque dans ces conditions l’effet est plus visible et que l’on peut vérifier son observation assez rapidement (en effet pour un observateur distant la Terre ne passe devant le Soleil qu’une fois par an !). C’est le cas des jupiters-chauds devant des étoiles comme le Soleil (grosse planète proche devant étoile de taille moyenne) ou des petites planètes de masse terrestre qui orbitent des naines-rouges (petite planète proche devant étoile petite mais relativement grosse par rapport à la planète). Avec le JWST on aura d’autant plus de chances d’obtenir un résultat exploitable que le rayonnement utilisé sera le rayonnement infrarouge (plutôt que le rayonnement lumineux) car dans cette partie du spectre électromagnétique il y a moins de différence d’intensité entre le rayonnement de l’étoile et celui de la planète. Le contraste moins écrasant facilitera l’observation.

Le résultat c’est que cette technique va d’abord être utilisée sur les planètes de l’étoile Trappist-1, qui est située à « seulement » 40,5 années-lumière (AL) et qui a fait beaucoup parler d’elle lors de sa découverte en 2015 car elle compte dans son système plusieurs (7) planètes rocheuses de taille terrestre dans sa zone habitable. C’est une bonne cible pour cette raison et aussi parce que sa luminosité (dite « ultra-froide », presque celle d’une « naine-brune ») est 2000 fois plus faible que celle du Soleil et que sa taille est très petite, pratiquement celle de Jupiter. Mais il ne faut pas trop en attendre. En effet (1) l’étoile Trappist-1 étant une petite naine-rouge, son faible rayonnement implique que sa zone habitable est extrêmement proche de l’étoile, au point que toutes ses planètes tournent autour à une distance inférieure à celle de Mercure par rapport à notre Soleil. La conséquence de cette proximité est que la rotation des planètes sur elles-mêmes est bloquée par force de marée et qu’elles présentent toujours la même face à l’étoile. Il en résulte que cette face est évidemment chaude, trop pour la plus proche (400K), sans doute d’une température « acceptable » par d’éventuels êtres vivants à partir de la deuxième, mais aussi qu’elle est soumise aux rayonnements erratiques de ce type d’étoile. Ils peuvent être très violents et à cette courte distance, ils seraient probablement disruptifs pour la complexification des molécules organiques nécessaires pour aller vers la vie. Par ailleurs (2) cette violence a surtout illustré la jeunesse de l’étoile (la mise en route de sa fusion) et à cette époque les rayonnements ont pu chasser tous les éléments volatils (atmosphère et eau liquide) de cette zone très proche. Si cela a bien été le cas, les planètes seraient alors totalement « déshabillées », sans eau liquide et sans atmosphère, et l’étude ne serait évidemment pas concluante du tout.

Ce qu’il nous faudrait, c’est analyser le spectre de l’atmosphère des planètes de type terrestre qui orbitent au sein de la zone habitable des étoiles les plus proches de notre système solaire, celles qui sont situées à un maximum de 10 AL, de préférence de type solaire. Ce sont ces systèmes que nous pouvons envisager un jour de visiter en poussant nos technologies à l’extrême ou au moins avec lesquels nous pourrions communiquer dans des délais raisonnables (un échange sur 20+ ans) si par extraordinaire ils comptaient des planètes habitées. J’ai déjà dit combien les voyages interstellaires seraient difficiles mais si nous avions dans ce rayon une planète avec une atmosphère « intéressante » du point de vue exobiologique, nous ferions les efforts justifiés pour l’étudier davantage et nous commencerions par y appliquer sérieusement notre programme SETI.

Il faudrait donc que le JWST, après avoir fait ses tests sur Trappist-1, examine avec le plus grand soin l’atmosphère des planètes des systèmes d’Alpha Centauri, de 61 Cygni, d’Epsilon Eridani, d’Epsilon Indi, de Tau Ceti (cf mon article sur ce blog du 28/08/2021). Le problème est que les planètes de ces systèmes les plus intéressants pour nous puisque centrés sur des étoiles de type solaire (sauf Proxima Centauri, du système d’Alpha Centauri) vont être très difficiles à déceler. En effet, comme dit plus haut, le contraste des spectres planète/étoile sera très faible, les transits des planètes devant leur étoile sont peu fréquents (si elles sont comparables à la Terre, une fois par an) et rien ne nous dit que le plan de leur écliptique est en alignement avec le nôtre. Reste les planètes de type terrestre orbitant dans la zone habitable de nos naines-rouges voisines, comme probablement Proxima Centauri b. Puisque cette exoplanète est la plus proche de notre système solaire, cela vaut la peine de l’étudier très attentivement.

Illustration de titre : la Mission Plato (Planetary Transits and Oscillations of Stars), the ESA M3 mission in the Cosmic Vision 2015 – 2025: https://platomission.com/2018/04/27/planetary-atmospheres/

Lire aussi :

The Transiting Exoplanet Community early release science (ERS) program for JWST, par Jacob B. Lean et al. Publications of The Astronomical society of the Pacific, 130:114402 (20pp), 2018 November, doi.org/10.1088/1538-3873/aadbf3

Ciel et Espace (revue de l’Association Française d’Astronomie), N°580, Novembre 2021, pages 63 et 64 (Dossier de David Fossé).

The future of spectroscopic life detection of exoplanets, par Sara Seager, PNAS, 04/08/14, https://www.pnas.org/content/111/35/12634  https://doi.org/10.1073/pnas.1304213111

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Index L’appel de Mars 22 01 15