Si le Starship de SpaceX peut voler, Mars sera à notre portée

La capacité du Starship que SpaceX est en train de finaliser* nous permet d’envisager la faisabilité de l’installation de l’homme sur Mars. En effet ce vaisseau spatial pourra déposer sur le sol de la planète plusieurs dizaines de personnes ou cent tonnes d’équipements dans un volume viabilisé de 1100 m3.

*même s’« il ne faut pas vendre la peau de l’Ours », on peut maintenant évoquer avec un indice de confiance élevé, la probabilité qu’il puisse voler.

La progression satisfaisante du processus de réalisation du Starship nous permet d’envisager d’apporter sur Mars les équipements nécessaires à la caractérisation précise de l’eau martienne, nécessaires à son extraction (puisqu’elle se présente sous forme de glace sous un mort-terrain d’épaisseur à définir mais qui ne devrait pas dépasser quelques mètres), nécessaires à son transport et nécessaires à son utilisation, comme nous l’avons vu la semaine dernière.

Comme chacun peut le comprendre la solution à ces problèmes de l’eau est vitale non seulement pour la vie à long terme mais aussi pour la réussite d’une mission habitée puisqu’au-delà du recyclage de l’eau pour les besoins humains (qui devrait atteindre un pourcentage d’au moins 80%), les hommes auront besoin d’eau pour obtenir l’hydrogène nécessaire à la production des ergols pour pouvoir revenir sur Terre (dans le cadre d’une réaction de Sabatier pour obtenir du méthane et de l’oxygène, après électrolyse de l’eau).

J’ai évoqué ce problème de l’eau la semaine dernière mais dans l’étude à laquelle je me référais et à laquelle je me réfère encore aujourd’hui, les auteurs mentionnent tout ce qu’il conviendra de faire également pendant les toutes premières missions et que permettent d’envisager le Starship avec ses capacités de transport extraordinaires. Il s’agit au moyen d’une première mission entièrement robotisée, de tester les technologies essentielles, de bien vérifier l’habitabilité biologique de la planète, de prospecter les ressources locales nécessaires à la vie, donc celles qui permettront de déterminer l’implantation de la base, de prépositionner des équipements ou des ressources utiles qu’on ne pourra pas obtenir immédiatement du sol martien, et commencer à édifier quelques infrastructures utilisables par la suite (car pendant longtemps on reviendra au même endroit afin de ne pas gâcher le capital physique accumulé).

Tester les technologies essentielles, c’est d’abord mesurer les doses et l’intensité de dose des radiations solaires et cosmiques au niveau du sol à l’endroit où l’on veut implanter la Base. On peut même imaginer évaluer le degré de protection contre ces mêmes radiations, procuré par le régolithe en fonction de la profondeur, puisqu’on procédera à des forages. En cas de besoin, on pourrait même en déduire la prévision d’implantation de certains locaux sous le gisement de glace pour bénéficier d’une protection particulière.

On pourrait également tester lors de cette première mission robotisée, une production expérimentale de végétaux comestibles, de façon limitée puisque l’homme ne pourra intervenir en direct. Mais cela serait suffisant pour tester l’alimentation en eau (par hydroponie), l’alimentation en gaz respirables, les quantités de lumière qu’il convient d’ajouter à la lumière naturelle, les réglages nécessaires de la température, la protection contre les radiations, la protection contre les micrométéorites sur une surface en verre (ou altuglas, ou autres semblables), l’effet de la gravité sur la croissance, l’adéquation du support matériel utilisé pour l’ISRU, l’efficacité des protections sanitaires contre les maladies phytosanitaires.

Il faudra également tester les techniques que l’on utilisera pour la construction. Possibilité réelle d’excavation, effet de la poussière sur les équipements (utilisation d’équipements ou de produits annulant les effets de l’électricité statique), possibilité réelle de l’hydratation pour créer du duricrete et capacités mécaniques de ce « béton martien », protection contre les micrométéorites (exposition de plaques de matériau permettant de mesurer et d’enregistrer la masse et la vitesse donc l’énergie des particules reçues).

Il faudra encore, bien s’assurer de la viabilité pour l’homme, de la surface de Mars sur le plan biologique. Il s’agit de tester les techniques de transformation chimiques des sels de perchlorates en matières sans effets négatifs pour la vie et les techniques de protection des zones débarrassées de ces sels (donc du transport par le vent avec la poussière). Il s’agit aussi de vérifier qu’il n’y a pas sur Mars de molécules organiques qui pourraient être dommageables à la vie humaine. Rappelons-nous que les prions, par exemple, sont des molécules dont on ne soupçonnait pas l’existence avant 1982. Je veux dire qu’il serait intéressant de constater par exemple que la production de nourriture dans les conditions martiennes n’entraîne pas des malformations de protéines (du fait des radiations ?) qui pourraient avoir des conséquences aussi néfastes que les prions sur Terre. En dehors de cela, on n’aura évidemment pas épuisé le sujet de la vie sur Mars et autant on ne risque probablement pas de rencontrer de vie martienne en surface du fait de la forte irradiation subie depuis très longtemps, autant on ne connaît rien de ce qui peut « exister » en sous-sol (même si les émissions de méthane sont extrêmement faibles).

Il faudra enfin tester la production d’ergols à partir de l’atmosphère martienne. On pourra tenter une hydrolyse de la glace martienne (mais on pourrait au tout début de l’implantation de l’homme, utiliser au moins en partie de l’eau importée de la Terre) et surtout de la production de méthane à partir de l’atmosphère martienne et de l’eau (réaction de Sabatier). Le test requerra une pompe, des filtres, des réactifs (nickel ou ruthénium), un peu d’énergie (RTG ou Kilopower ?), des réservoirs, des capteurs…et “un peu” de plomberie !

Simultanément, pendant la première mission robotisée, il faudra explorer les environs du site choisi a priori pour l’installation de la base à partir des orbiteurs. Cette exploration minutieuse à l’aide de rovers et de drones hélicoptères servira, outre la vérification des propriétés du gisement de glace comme développé la semaine dernière, à procéder à une étude géologique précise pour savoir de quelles autres ressources minérales on pourra disposer (fer, silice, alumine, phosphates, souffre, bore, etc…). Il faudra faire une étude géomorphologique du sol (avec radars) pour déterminer la surface d’atterrissage optimale pour le premier vaisseau habité. On pourra aussi déblayer le site choisi comme future « plateforme d’atterrissage » à l’aide d’un rover équipé d’une lame de bulldozer embarqué dans les soutes d’un des deux starships robotisés, aplanir le sol et monter des remblais de protection pour limiter les projections de poussière et pierres sur les premières installations lors des atterrissages suivants.

Lorsque l’on aura bien repéré et analysé le site d’atterrissage et le site de l’implantation de la Base (aussi proche que possible mais avec une distance de sécurité d’au moins un km), on pourra prépositionner les équipements qui seront utiles pour les vols suivants (habités). Il s’agit notamment des engins de construction ; de traitement des matériaux martiens (pour l’extraction, la production de duricrete, de briques) ; de capteurs d’énergie (un réacteur à fission non activé, de panneaux solaires emballés) ; des éléments de structure de la serre (je vote pour un Biopod d’Interstellar Lab) qui pourront être montés ou activés dès l’arrivée des premiers hommes ; d’autres produits qui ne souffriront pas du temps restant avant cette mission habitée (y compris du sel, du sucre mais aussi des réactifs divers ou compléments pour l’industrie du verre, comme le bore, ou de l’acier, comme le carbone), et bien sûr des protections antiradiations dont on aura toujours besoin que ce soit dans la construction ou pour porter sur soi (veste et casque d’Astrorad). On pourra encore commencer à produire quelques infrastructures dans la mesure de disponibilités d’équipements robotisés capable de les réaliser et de temps pour le faire. Dans tous les cas, on veillera à la polyvalence et à la modularité des éléments ou des outils utilisés. Un élément quelconque doit pouvoir servir à autant d’objets que possible “afin de maximiser la flexibilité opérationnelle et d’optimiser l’allocation des masses qui seront transportées depuis la Terre” comme le disent les auteurs.

Ensuite un des deux starships, vidé de sa charge utile, pourra repartir vers la Terre, si l’on a pu produire suffisamment d’ergols pour son vol de retour au cours des 18 mois passé sur Mars. Ce n’est pas l’hypothèse retenue par les auteurs de l’étude sur laquelle je me fonde, car ils estiment sans doute que les premiers équipements embarqués ne permettront pas la production d’ergols en quantité suffisante de façon entièrement robotisée. Ce serait pourtant intéressant de le tenter pour tester la rentrée dans l’atmosphère terrestre à la vitesse impliquée par un retour de Mars (plus élevée que lorsqu’on vient de la Lune). Il faudra en effet vérifier la bonne capacité de résistance du revêtement de tuiles thermiques avant que des hommes voyagent à bord (et après un atterrissage sur / suivi d’un décollage de Mars). Je pense personnellement qu’on pourra, comme le préconise Robert Zubrin, faire fonctionner la réaction de Sabatier par moyens robotiques et stocker suffisamment de méthane et d’oxygène pour revenir sur Terre sans équipage, surtout que le vaisseau restera présent pendant 18 mois sur Mars avant de pouvoir repartir (sauf urgence, voir ci-dessous) ce qui donne le temps de produire une quantité non négligeable d’ergols.

Au cas où l’on n’aurait pas totalement confiance dans le fonctionnement des équipements robotisés pour la méthanation, ou s’ils ne fonctionnaient pas une fois sur place, on pourrait du moins envisager d’extraire de la glace, de l’électrolyser et de stocker l’hydrogène (même s’il y aura des fuites, il en restera toujours un peu) et l’oxygène en quantité suffisante, toujours par moyens robotiques, avant l’arrivée de l’homme (32 mois après l’arrivée des vaisseaux robotisés sur Mars). Cela servirait toujours !

NB : on pourrait tenter de sauver une partie de l’hydrogène sous forme de « powerpaste » en le mélangeant à de l’hydrure de magnésium comme l’a démontré possible l’institut de recherche allemand IFAM. Dans le cas d’échec de la méthanation, ou si les réservoirs du starship ne peuvent être remplis ou bien si l’électrolyse échouait, les deux vaisseaux resteraient sur le sol de Mars comme l’envisagent de toute façon les auteurs de l’étude. Ils serviraient alors d’annexes à l’habitat ou d’ateliers aux astronautes de la mission suivante habitée. Leurs équipements intégrés seraient également bienvenus pour ces hommes puisqu’ils fourniraient une redondance. In fine l’ensemble des vaisseaux sera une source de matériaux.

Ces premières missions robotisées seront donc capitales pour décider ou non de nous établir sur Mars. Nous approchons de « l’heure de vérité » car je suis certain que si le Starship peut voler, atterrir et repartir avec des ergols produits par ISRU, Elon Musk trouvera un moyen pour aller sur Mars. Et si les tests de vie sur Mars nous « donnent le feu vert », il est certain que des hommes prendront le risque du voyage puis de l’isolement, puis de la vie avec des ressources limitées, pour décider de s’installer sur la planète pour la durée d’une mission (30 mois tout de même entre départ et retour sur Terre) puis pour plus longtemps. Je connais suffisamment (indirectement) Elon Musk et je connais suffisamment les Américains pour n’avoir aucun doute là-dessus. Et probablement quelques Européens prendront aussi le risque de les accompagner (puisque l’ESA a décidé que l’aventure était pour les cow-boys). Le déclencheur de tout cela sera le parcours par le Starship de sa première orbite autour de la Terre, prévue pour cette année. Un événement très encourageant a eut lieu ce 09 février avec la mise à feu statique réussie du SuperHeavy Booster 7. Faire fonctionner ensemble les 31 moteurs était un énorme défi. Une étape importante a donc été franchie. Nous vivons une époque formidable !

Illustration de titre : magnifique vue d’artiste d’un Starship atterrissant sur (ou décollant de) Mars. (SpaceX Illustration).

 

Article de référence :

Mission Architecture Using the SpaceX Starship Vehicle to Enable a Sustained Human Presence on Mars (Architecture de mission utilisant le Starship de SpaceX pour rendre possible une présence humaine durable sur Mars). Lien : https://doi.org/10.1089/space.2020.0058

Publication en septembre 22 dans New Space, revue scientifique du groupe Mary Ann Liebert. Les 19 auteurs sont membres d’organisation et d’universités américaines de premier plan :

NASA Ames Research Center (dont l’auteure principale Jennifer Heldmann); Bechtel Corp.; NASA Kennedy Space Center; Honeybee Robotics; Purdue University; Planetary Science Institute, Tucson; United States Geological Survey…et Margarita Marinova, Docteure en Sciences planétaires du CalTech, ancienne de SpaceX où elle était « Senior Mars Development Officer » (que je mets en exergue parce qu’elle est auteure en second…et que je la connais pour avoir longuement discuté avec elle en compagnie de Richard Heidmann, fondateur de l’Association Planète Mars – France, sur introduction de Robert Zubrin).