La présence furtive de méthane sur Mars continue à intriguer planétologues et exobiologistes

Le 23 juin la NASA a informé le public que le rover Curiosity avait relevé dans le cratère Gale la plus forte émission de méthane jamais constatée sur Mars. Cette information est surprenante et importante mais il ne faut pas en tirer de conclusion hâtive.

Tout d’abord il faut placer cette émission dans un contexte. La proportion de méthane (CH4) constatée a été de 21 « ppbv » (parties par milliard en volume). Les plus fortes émissions précédentes, également mesurées par Curiosity (plus précisément par le « TLS », Tunable Laser Spectrometer, de son laboratoire embarqué « SAM », Sample At Mars) ont été de 7,2 ppbv mais sur la durée, le fond d’émissions est inférieur à 1 ppbv (entre 0,2 et 0,7). Surtout, le maximum enregistré n’est « rien » par rapport aux proportions de méthane présent dans l’atmosphère terrestre (1750 ppbv en moyenne) et cette dernière est beaucoup plus dense (plus de 100 fois) que l’atmosphère martienne. Il faut donc relativiser mais ce n’est pas facile de « garder la tête froide » car le méthane est un gaz au contenu évocateur très fort. Sur Terre il est pour sa plus grande part (plus de 90%) le produit de la vie animale (rejet métabolique résultant de la fermentation des molécules organiques dans le système digestif des animaux et généralement parlant, de l’activité microbienne dans les milieux anoxiques).

L’histoire de la détection du méthane sur Mars est pour le moins déconcertante et défie encore l’entendement. Cela a commencé entre 1999 et 2003 par des observations à partir des télescopes terrestres qui ont indiqué une proportion allant de 20 à 30 ppbv (mais l’observation depuis la Terre est difficile car la signature spectroscopique du méthane se déplace en fonction du déplacement de Mars sur son orbite et parce que les rayonnements reçus par ces télescopes passent par l’atmosphère terrestre elle-même chargée en méthane). Cela a continué en 2009 par la constatation que la présence du gaz dans l’atmosphère suivait un cycle saisonnier (disparaissant en fin d’automne et réapparaissant en fin de printemps) alors qu’il aurait dû se diluer dans l’atmosphère et subsister pendant quelques 340 ans (destruction progressive par le rayonnement ultraviolet). Ensuite on a observé dans le cratère Gale les émissions relativement fortes de fin 2013 (quatre pics atteignant les environs de 7 ppbv) puis on est retombé à des niveaux extrêmement faibles (moins de 1 ppbv). Lorsque l’orbiteur TGO (ExoMars Trace Gas Orbiter) de l’ESA (lancé en Octobre 2016) est devenu opérationnel en avril 2018, il n’a d’ailleurs rien perçu alors qu’il avait été en partie prévu pour la détection des gaz rares et principalement le méthane, au point que certains ont considéré que les premières observations résultaient d’une erreur d’interprétation des données spectrographiques. Puis soudainement on a ce nouveau pic annoncé par la NASA, supérieur à 20 ppbv…littéralement sans lendemain puisque le lundi 24 le taux était retombé à moins de 1 ppbv !

Les causes des émissions de méthane martien ne sont pas connues et cette nouvelle observation ne nous fait pas progresser mais on peut cerner les possibilités à partir de ce qui se passe (ou s’est passé) sur Terre. Ces possibilités sont soit d’ordre géologique soit d’ordre biologique avec pour les deux une variante possible résultant d’un « effet retard ». De toute façon il s’agit de l’union de carbone provenant du gaz carbonique avec de l’hydrogène, donc de « molécules organiques ».

Les causes géologiques peuvent être d’abord la serpentinisation de l’olivine, roche magmatique très ancienne, riche en magnésium et en fer (mafique) et très abondante en surface de Mars depuis l’aube des temps. La transformation de l’olivine en serpentine ((Mg, Fe, Ni)3Si2O5(OH)4) au contact d’eau chaude et sous forte pression, libère des carbonates, de l’hématite (Fe3O4) et de l’hydrogène. A son tour l’hydrogène peut s’allier au gaz carbonique atmosphérique pour former en présence de fer (par exemple de l’hématite) du méthane. A noter que cette dernière réaction est la fameuse « réaction de Sabatier » que Robert Zubrin a recommandé d’utiliser pour produire sur Mars le carburant nécessaire pour faire revenir sur Terre les vaisseaux spatiaux qu’on y enverra. Quoi qu’il en soit du futur de ce gaz, l’abondance d’olivine, de gaz carbonique et de chaleur (dans des régions de failles comme Nili Fossae) pourrait très bien être à l’origine du méthane martien. Ceci dit, à côté de la serpentinisation de l’olivine il y a d’autres causes géologiques possibles mettant en jeu la chaleur du sous-sol, l’hydrogène de l’eau et le gaz carbonique de l’atmosphère. C’est le volcanisme par contact de remontées magmatiques avec de la glace de surface ou proche de la surface ou sa variante, le thermalisme. Marginalement ce pourrait être aussi l’apport de météorites riches en méthane. Toutes ces causes ne sont d’ailleurs pas exclusives.

Pour ce qui est de la cause biologique, on peut toujours, jusqu’à preuve du contraire, penser à une population microbienne en sous-sol de Mars. Elle serait visiblement peu active mais ses rejets métaboliques auraient à l’occasion de mouvements sismiques accès à la surface de la planète.

Le facteur « retard » évoqué plus haut pourrait être vu comme un déblocage de méthane accumulé dans des clathrates. Les clathrates sont de petites capsules de glace d’eau emprisonnant des molécules de gaz, le tout constituant un « hydrate de méthane ». Elles se forment sous basse température, en présence d’eau et sous forte pression. Sur Terre on en constate souvent la présence dans le pergélisol (jusqu’à 1000 mètres de profondeur) et ces sols sont très fréquents en surface de Mars, planète froide. Ils fondent (sur Mars, se subliment) évidemment par exposition à la chaleur. Ce peut être celle du Soleil lors de l’été austral ou encore celle de remontées magmatiques parvenant en dessous de failles s’ouvrant en surface de la planète. Et on a justement repéré dès 2003 les failles de la région de Nili Fossae, en bordure d’Isidis Planitia, comme une des principales sources des émissions de méthane.

Mars 2020 (mission NASA) doit se poser tout près de ces failles. Capter et analyser le méthane dans l’atmosphère de cette région sera probablement plus facile car tout près du sol on devrait pouvoir constater une abondance beaucoup plus forte que dans le cratère Gale. Ce sera aussi passionnant…Pour distinguer l’éventuel origine (biologique ou géologique) du gaz il faudra rechercher le rapport entre les isotopes 13 et 12 des atomes de carbone (13C ou 12C). En effet, comme on l’a constaté depuis longtemps la vie recherche l’économie de masse et privilégie donc les atomes légers (et stables), en l’occurrence l’isotope 12 du carbone (12 neutrons dans le noyau). Il n’y a aucune raison que la vie martienne si elle existe ne suive pas la même « politique de bon sens ». Nous aurons donc une réponse mais peut-être l’aurons-nous sans attendre 2021 car le laboratoire SAM de Curiosity devrait normalement pouvoir effectuer lui aussi des analyses isotopiques.

Il faut à l’occasion de cet article dire que ce n’est pas que l’apparition du méthane qui pose problème mais aussi que sa disparition rapide et constante n’est pas non plus expliquée. Pour le moment aucune raison ne peut être donnée pour cette efficacité. Peut-être les sels de perchlorates, omniprésents, chauffés par le rayonnement solaire oxydent-ils ce gaz en méthanol puis en formaldéhyde ? Peut-être est-ce l’action des champs électriques résultant de l’ionisation du gaz carbonique de l’atmosphère, très sèche, par les frottements des particules de poussière en suspension ?

Pour le moment on constate et on ne peut rien dire sauf que la planète produit bien du méthane et que le mystère qui l’entoure est périodiquement ravivé.

Image de titre : Teal Ridge dans les Clay Bearing Units ; photo du 18 juin, Crédit NASA/JPL-CalTech. Les Clay Bearing Units avaient été repérées depuis l’espace par les orbiteurs martiens. Leur abondance dans le cratère Gale ont en grande partie justifié le choix du site de la mission MSL (Curiosity).

Photo ci-dessous, les différents modes de formation possible du méthane sur Mars. Crédit NASA/JPL-CalTech:

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur:

Index L’appel de Mars 19 06 24

La NASA confirme le caractère saisonnier du cycle du méthane dans l’atmosphère de Mars

La NASA a tenu ce 7 juin une conférence de presse pour faire le point de ses recherches martiennes à l’aide du laboratoire SAM (Sample At Mars) du rover Curiosity et en introduction à deux articles scientifiques qui doivent paraître dans la revue Science du 8 juin.

Disons tout de suite que rien de sensationnel n’a été annoncé mais qu’on progresse quand même, comme le disent les représentants de la NASA, en confirmant des pistes déjà ouvertes et en solidifiant ainsi les bases de nos futures missions. L’essentiel est que l’existence d’un cycle saisonnier du méthane (voir mon article sur ce blog le 17 avril) ainsi que la relative abondance des molécules organiques ont été confirmées.

Le cycle du méthane c’est l’augmentation très nette de la teneur en méthane de l’atmosphère, jusqu’à 0,6 / 0,7 ppbv (parties par milliard en volume) quand la température moyenne remonte à la fin de l’été boréal, et sa diminution jusqu’à de très bas niveaux (0,2 ppbv) à la fin de l’automne*. La cause de cette présence et de ce cycle n’est toujours pas connue mais on exclut l’effet des intrusions météoritiques dans l’atmosphère ou les impacts de glace cométaire au sol de la planète, ou encore l’effet des radiations UV solaires, du fait que les pourcentages qu’ils représenteraient ne pourraient expliquer les volumes du phénomène et surtout sa saisonnalité. Par ailleurs l’effet de la baisse de pression atmosphérique due au grand froid de l’hiver austral qui solidifie une partie du gaz carbonique de l’atmosphère globale ne serait pas non plus suffisant. Les clathrates dans le sous-sol immédiat (sensible aux variations de température) restent une forte possibilité (la vie, on verra plus tard mais si elle existe sur Mars, elle est extrêmement discrète!). Le fait nouveau c’est que les cycles ont bien été confirmés après trois ans (martiens) d’observations de Curiosity (SAM, laser TLS). On attend maintenant les observations de l’orbiter TGO (de l’ESA) devenu opérationnel en avril. Il devrait pouvoir identifier les sources de méthane (par constatation de la concentration géographique du gaz dans l’atmosphère) ce qui permettrait ensuite d’étudier plus finement l’endroit et donc de rechercher avec moins de difficultés la cause des émissions.

*En dehors de ce cycle de “fond” on a enregistré quelques “pics” spectaculaires, pour Mars, par exemple 7 ppbv dans le cratère Gale peu après l’arrivée de Curiosity (mais ils surviennent également pendant la saison chaude). Ce n’est évidemment rien par rapport aux 1800 ppbv enregistrés en moyenne sur Terre.

En ce qui concerne les molécules organiques, rien de bien nouveau non plus mais on constate la présence de thiophène (molécule organique contenant du soufre, C4H4S) ainsi que de benzène ou de toluène, et de petites chaines carbonées telles que propane ou butène. Cela fait penser entre autres possibilités à des fragments de matières kérogènes (le soufre étant nécessaire à l’architecture de ces molécules complexes). Une matière kérogène ne résulte pas forcément de la vie mais c’est une forte possibilité, du fait qu’elle contient les éléments chimiques utilisés par la vie (C,H,O,N,S,P)*. Les quantités de ces molécules organiques (de l’ordre de 10 ppm) sont comparables à celles que l’on trouve dans les météorites martiennes identifiées sur Terre. On attend maintenant les examens à températures plus douces car jusqu’à présent on n’a pas utilisé neuf coupelles de liquide réactif embarquées dans SAM et tous les examens résultent de l’observation des molécules après chauffage à haute température (qui permettent de bien identifier les composants mais qui brisent les assemblages et causent certaines réactions parasites). L’attente est sans doute due à ce que le foret de Curiosity n’a pas fonctionné pendant 18 mois et qu’il n’est redevenu opérationnel que cette semaine (mais on pourrait dire également qu’on a voulu utiliser ces capsules à bon escient et après avoir bien observé les composants des différents échantillons prélevés par les autres moyens plus « rudes »). Egalement il est observé que les prélèvements ont été faits dans une couche très superficielle du sol (le foret de Curiosity ne pénètre pas au-delà d’une profondeur de 5 cm) très exposée aux radiations donc à la destruction de ces molécules organiques.

*il est aussi possible (pour rejoindre mon article précédent) que cette matière kérogène ne traduise pas le fonctionnement de la vie mais celui d’une “pré-vie”, d’une étape du processus prébiotique allant vers la vie. La vie n’est en effet pas apparue en dehors d’un environnement qui l’a préparée et qui a permis aux premières cellules vivantes de “s’approvisionner en matières premières”.

On est donc satisfait d’avoir constaté une grande abondance de molécules organiques et la présence d’éléments chimiques indispensables à la vie mais on attend maintenant les missions ExoMars (à noter le fairplay de la NASA) et Mars 2020. On peut donc dire que la NASA nous a fait un discours d’étape, satisfaisant et encourageant en attendant mieux. La recherche de la vie reste clairement au premier plan de ses préoccupations mais la plus grande prudence reste de mise, ce qui est bien normal.

Image à la Une: le cycle du méthane sur Mars constaté par le rover Curiosity (laboratoire embarqué Sample At Mars) après trois années (martiennes) d’observations. Crédit NASA/JPL-CalTech.

Image ci-dessous, Le rover Curiosity de la NASA a découvert dans des sédiments très anciens, des molécules organiques qui pourraient appartenir à des fragments de matière kérogène (que l’on associe naturellement à un processus biotique). Crédit : NASA/GSFC

lien vers le communiqué de presse de la NASA:

https://www.nasa.gov/press-release/nasa-finds-ancient-organic-material-mysterious-methane-on-mars

NB: Le Professeur Michel Cabane (LATMOS, IPSL, Uni. Pierre et Marie Curie), responsable scientifique du chromatographe en phase gazeuse, partie du laboratoire SAM, qui a fait les observations du méthane et de ces molécules organiques, sera l’un des intervenants au congrès EMC18 organisé pour les 26 au 28 Octobre prochains à la Chaux-de-Fonds. Inscrivez vous!

Où en est la réflexion sur le méthane martien ?

La détection, depuis 1999, de bouffées occasionnelles de méthane dans l’atmosphère de Mars constitue l’une des énigmes les plus déconcertantes posées par la planète. Des scientifiques du monde entier y ont travaillé et réfléchi sans encore apporter de solution satisfaisante. Pour aller plus loin, nous allons bientôt disposer d’un nouvel instrument d’investigation très performant. Faisons le point.

Le méthane a été identifié à de multiples occasions par plusieurs équipes scientifiques travaillant de façon indépendante avec différents instruments aussi bien à partir de la Terre que dans l’environnement martien. Ce fut pour la première fois en 2003 par Vladimir Krasnopolski (Catholic University of America) et al. via les télescopes terrestres « IRTF » (Infrared Telescope Facility) et « Keck », tous deux situés au sommet du Mauna Kea sur l’île d’Hawaï. En Mars 2004, l’ESA avec Vittorio Formisano (IFSI, en Italie) et al. le confirmait avec le spectromètre planétaire à transformée de Fourier, « PFS », à bord de son orbiteur Mars Express. Puis en 2009 avec les mêmes télescopes du Mauna Kea, Michael Mumma (Goddard Space Flight Center de la NASA) et al. découvraient la saisonnalité du phénomène. Celle-ci était étudiée par Giuseppe Marzo (Centre de Recherches Ames de la NASA) et Sergio Fonti (Universita del Salento) sur la base des données recueillies entre 1999 et 2004 par le spectromètre pour émissions thermiques (« TES ») embarqué à bord de l’orbiteur de la NASA, Mars Global Surveyor.

Mais pourquoi s’intéresser au méthane ? Le premier problème est que le méthane est un gaz relativement instable mais que sur Mars il devrait subsister en moyenne 340 ans dans l’atmosphère (durée de vie théorique fonction de la destruction photochimique de ce gaz dans l’environnement martien). Or il y est un phénomène saisonnier (environ 200 sols seulement sur une année de 668 sols !) et, de ce fait, assez localisé (l’homogénéisation par dispersion ne doit pas pouvoir se faire totalement). Il apparait avec la chaleur au début de l’été et disparait à la fin de l’automne. Le deuxième problème est qu’il peut être généré par la vie (rejet métabolique) et que, comme chacun sans doute le ressent, la possibilité de vie ailleurs que sur Terre est une interrogation essentielle. Le troisième problème c’est que ses émissions sont très variables d’une année sur l’autre. Les premières observations, en 2004, montrèrent des quantités d’une dizaine de « ppbv » (parties par milliards, sur base volumique, mesure utilisée pour les gaz à l’état de traces). En 2009 on était passé à 45 pbbv. A son arrivée en 2012 Curiosity ne trouva presque rien si ce n’est un « fond » oscillant entre 0,3 et 0,7 ppbv avec maximum à 1,3 ppbv (au point que des études scientifiques sortirent pour dire que ce qu’on avait cru voir était une illusion tenant à la faiblesse des signaux). Puis soudainement fin 2013 et début 2014 le spectromètre TLS (Tunable Laser Spectrometer) du laboratoire embarqué SAM (Sample Analysis at Mars) du rover, enregistra quatre pics atteignant les environs de 7 ppbv. Les quantités observées retombèrent par la suite au niveau du « fond » précédent. Le quatrième problème c’est que les quantités étant non seulement fugaces mais très faibles (quantités à comparer aux 1800 ppbv sur Terre), elles sont difficiles à étudier pour les appareils pointés à partir de la Terre (problèmes de « bruit ») ou même pour ceux qui ont jusqu’à présent été embarquées sur les sondes et orbiteurs évoluant autour de Mars.

Le méthane, CH4, peut avoir plusieurs origines. La plus banale et la plus importante quantitativement aujourd’hui sur Terre est biologique ; c’est la fermentation anaérobique (métabolisme bactérien anoxique). Elle a lieu dans les marais et zones humides stagnantes ou dans le système digestif des ruminants, et ceci depuis fort longtemps. Avant même que la vie puisse utiliser l’oxygène pour la respiration, les premiers microbes ont utilisé le gaz carbonique et l’hydrogène pour obtenir de l’énergie (échange d’électrons à l’intérieur d’un couple redox) en rejetant du méthane. Mais il peut également avoir une origine géologique : le volcanisme, par contact de remontées magmatiques avec de la glace de surface ou proche de la surface (CO2 + H2 de l’eau) ; le thermalisme, permettant également la combinaison du carbone du gaz carbonique avec l’hydrogène de l’eau ; la conversion d’oxyde de fer en roches de type serpentine (Mg, Fe, Ni)3Si2O5(OH)4) à partir d’eau, de dioxyde de carbone et de la chaleur interne de la planète (lente dégradation des matières radioactives). D’autres possibilités pourraient être des impacts au sol de glace cométaire (contenant un peu de méthane) et des intrusions de carbone météoritique vaporisées à leur entrée dans l’atmosphère ou tout simplement l’effet de froid de l’hiver austral qui congèle une partie du gaz carbonique et facilite donc la concentration de méthane dans l’atmosphère pendant l’été boréal.

Le problème c’est que les quantités que ces phénomènes pourraient produire ou apporter sur Mars ne correspondent pas aux volumes constatés (Chris Webster qui pilote l’instrument de Curiosity pour cette étude les évalue à trois fois supérieures). Le volcanisme y est très ralenti (les dernières éruptions doivent remonter à une dizaine de millions d’années) et il est donc peu probable que des remontées magmatiques approchent suffisamment les poches de glace souterraines ou superficielles. Mars Odyssey équipé de son spectromètre-imageur « THEMIS » (pour THermal Emission Imaging System, l’instrument le plus approprié), n’a pas encore repéré de points chauds (constants par rapport aux poussées magmatiques) en surface de la planète mais compte tenu de la température de la croûte superficielle de Mars, les manifestations hydrothermales en surface même si elles existent ne devraient pas être assez chaudes (aux températures possibles, la production de méthane sur Terre est très basse). Les impacts cométaires, incontestables, ne devraient pas contribuer à la production pour plus de 2%. De même les impacts météoritiques ou la poussière interplanétaire ne peuvent compter pour plus de 4%. Enfin les phénomènes atmosphériques généraux ne pourrait expliquer la localisation apparente des sources. Dans ces conditions où la géologie semble ne pas pouvoir avoir une action suffisamment puissante, une faible activité biotique souterraine reste une cause possible. On peut exclure le processus biologique en surface (radiations, pression basse, sécheresse, froid) mais pas en sous-sol, à une profondeur permettant l’eau liquide (sous le permafrost).

A noter cependant que la libération de méthane dans l’atmosphère peut aussi être déconnectée de l’époque de sa production. En effet le sol de Mars étant gelé sur une épaisseur non négligeable, le gaz peut avoir été encapsulé dans des sortes de cages de glace (les « clathrates » ou « hydrates de méthane ») il y a très longtemps (échelle de plusieurs millions d’années), une partie de ces « cages » se sublimer chaque année à la saison chaude et le gaz parvenir alors dans l’atmosphère par les pores du sol.

Symétriquement la rapide disparition dans l’atmosphère est difficile à expliquer mais elle pourrait être due à l’action combinée du rayonnement ultra-violet (transformation du CH4 en méthyl, CH3 + H) et à une roche particulièrement réactive en surface (peroxyde d’hydrogène, H2O2) ou à des particules oxydantes en suspension dans l’air (par exemple O2 + méthane => formaldéhyde). Elle pourrait aussi résulter de processus électrochimiques ou triboélectriques (électricité statique) durant les tempêtes de poussière ou le passage de « dust devils » (par exemple le H2O2, provoquerait la transformation du CH4 en dioxyde de carbone, méthanol, formaldéhyde). L’avantage du caractère saisonnier est qu’il permet de mieux voir l’origine des émissions. Elles se centrent au Nord de la planète, sur les zones volcaniques de Tharsis, Elysium, et à l’Est d’Arabia Terra, dans la région du volcan de Syrtis Major (riches en gaz), de Nili Fossae (une région de failles tectoniques et de roches hydratées, phyllosilicates et carbonates) et de Terra Sabae (sous-sol riche en hydrogène, c’est-à-dire en eau).

L’orbiter TGO (« Trace Gas Orbiter ») de l’ESA lancé en Mars 2016 et arrivé dans le domaine de la planète en Octobre 2016, doit atteindre son orbite d’observation en avril 2018 (après un lent ajustement par aérofreinage). Sa sensibilité est extrême (quelques dizaines de pptv -parties par trillion en volume) et il pourra à partir de son orbite faire des mesures aussi précises que celles de Curiosity au sol mais sur toute la surface de la planète. Il est dommage qu’il ne soit pas déjà opérationnel car le 24 janvier Mars a traversé le sillage d’une comète passée extrêmement près de la surface de Mars (moins de 1/10ème de la distance Terre Lune) et que cela aurait permis d’observer l’effet de l’entrée des poussières carbonées vaporisées dans l’atmosphère. Il faudrait aussi pouvoir analyser les atomes de carbone des molécules de méthane martien ; cela permettrait de savoir s’ils comportent une surabondance d’isotope 12 de cet élément puisque c’est celui qui est privilégié par la vie. Encore faudrait-il déposer des capteurs dans une des zones qui semblent les plus productives de méthane. Précisément Nili Fossae semble être la source la plus riche et c’est une des régions candidates pour l’atterrissage du rover Mars-2020 de la NASA. Avec ce rover et TGO nous sommes donc peut-être tout près d’obtenir l’explication recherchée !

Références:

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0019103504002222

“Detection of methane in the Martian atmosphere: evidence for life?” par Vladimir Krasnopolski et al. Science direct, Icarus 172 (2004) 537-547; 20/08/2004.

https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/2010/04/aa13178-09.pdf

“Mapping the methane on Mars” par S. Fonti et G. Marzo, Astrophysics & Astronomy, A51(2010 DOI:10.1051/0004-6361/200913178, publié début 2010.

https://www.nasa.gov/mission_pages/mars/news/marsmethane.html

“Martian methane reveals the red planet is not a dead planet” 15 01 2009, par Michael Mumma.

http://sci.esa.int/mars-express/45811-methane-on-mars-workshop-2009/?fbodylongid=2134

“Analyzing the consistency of Martian methane observations by investigation of global methane transport” par James A. Holmes et al. in Icarus 257 (2015) 23–32; disponible en ligne 20 April 2015.

Image à la Une : Visualisation d’un panache de méthane observé dans l’atmosphère de Mars au cours de l’été boréal. Crédit: Trent Schindler / NASA

Image ci-dessous; carte des concentrations de méthane sur Mars (première année d’observation). Crédit: NASA/Università del Salento. On voit clairement l’absence de méthane en hiver (hémisphère Nord), la reprise au printemps, la montée en puissance en été et l’abondance relative la plus forte en automne.