Bienheureux sont les Terriens car ils ont Mars comme planète voisine (2. La distance)

Une fois que les Terriens auront suffisamment « fait joujou » sur la Lune, ils pourront enfin s’élancer vers Mars, une vraie planète avec, comme nous l’avons vu la semaine dernière, une gravité adéquate et une richesse géologique adaptée à la présence humaine, compte tenu du niveau technologique que nous avons atteint aujourd’hui.

Certains disent que la planète Mars est trop loin. Ils ont tort. En fait elle est suffisamment loin pour justifier une présence humaine permanente mais elle n’est pas trop loin pour empêcher toute communication avec la Terre ni pour souffrir d’une irradiance solaire trop faible. Elle est aussi suffisamment loin pour que l’eau puisse y avoir subsisté un peu partout sous forme de glace.

Le premier point à considérer est le simple fait spatio-temporel de l’isolement proprement dit.

Comme chacun le sait ou devrait le savoir, Mars se situe, en ligne droite, entre 56 et 400 millions de km de chez nous ou, en termes d’astronautique, au bout d’un arc d’ellipse (trajectoire courbée par la force gravitationnelle du Soleil) de 500 à 600 millions de km correspondant à ces 400 millions de km. Cette longueur d’arc d’ellipse est en effet la seule à prendre en compte car pour transporter le maximum de masse avec le minimum d’énergie (qui est le maximum de ce qu’on peut embarquer), on doit suivre, plus ou moins, une trajectoire de Hohmann (départ tangentiel à la Terre, arrivée tangentielle à Mars avec une vitesse nulle, Mars étant située en conjonction du Soleil par rapport à la Terre lors du départ). Pour parcourir cette distance il nous faut aujourd’hui, avec la propulsion chimique, entre 8 à 6 mois (en raccourcissant un peu la trajectoire idéale de Hohmann et en consommant plus d’ergols, donc en transportant moins de charge utile). Par ailleurs, compte tenu de la progression différente de chacune des planètes sur leur orbite respective (longueur des ellipses et vitesse de déplacement sur ces ellipse différentes), la fenêtre pour un départ de la Terre vers Mars ne reste ouverte que pendant un mois tous les 26 mois ou, après être arrivé sur Mars après un voyage de 6 mois, qu’à peu près un mois à la fin d’un séjour de 18 mois.

Ces six mois de voyage et l’étroitesse de la fenêtre de départ ont plusieurs conséquences. On ne peut raisonnablement imposer un grand nombre de voyages parce qu’ils sont très longs dans l’absolu pour un être humain (six mois dans un volume viabilisé limité, même confortable, deviendront à la fin un maximum supportable) et parce que la dose de radiations accumulée devient à la longue nuisible pour la santé. Faire trois voyages aller-retour dans une vie ne posera pas de problème, en faire le double exposerait à un risque de cancer non négligeable.

On pourra peut-être créer une gravité artificielle par force centrifuge dans les vaisseaux interplanétaires mais on se limitera probablement à une gravité martienne (0,38g) et sur Mars on n’aura pas les moyens de vivre dans une gravité terrestre. Il va en résulter, malgré les charges que l’on pourra s’imposer et l’exercice physique, une perte de densité osseuse et de masse musculaire qui rendront le retour sur Terre d’autant plus pénible que le séjour sur Mars aura été long.

Financièrement, quelqu’un devra payer le voyage plus séjour (« voyage »). Certes la plupart des passagers pour Mars auront un travail à y faire qui devrait permettre la rentabilisation du voyage ou bien ils disposeront d’une somme (importante) pour l’acheter. Quoi qu’il en soit le voyage sera coûteux même après que les économies d’échelle dues à l’augmentation du nombre de vols auront permis de réduire le montant du « billet » unitaire. Ce sera une raison supplémentaire non pas de renoncer au voyage mais de bien réfléchir avant de repartir vers la Terre parce qu’il sera vraiment coûteux de revenir ensuite sur Mars.

Donc les voyages seront longs, pénibles, coûteux, à la limite du possible, mais cette extrémité a deux faces. On ira peu sur Mars mais on pourra y aller et lorsqu’on ira on sera incité à y rester ne serait-ce qu’en raison des difficultés surmontées.

Mais l’effort nécessaire ne sera pas la seule raison d’y rester.

Le second point à considérer est celui qui découle de la rigidité des périodes synodales. L’impossibilité de s’écarter de la fenêtre de départ pour entreprendre le voyage dans un sens ou dans l’autre aura pour conséquence une période de vacance de plusieurs mois sur Mars entre un départ de Mars vers la Terre et l’arrivée suivante sur Mars depuis la Terre. Il faudra donc une équipe sur place pour faire la liaison, c’est-à-dire assurer la maintenance des installations diverses entre deux séjours et surtout pour accueillir les nouveaux résidents après un voyage éprouvant (surtout s’ils ont voyagé en apesanteur).

Le troisième point à considérer est la possibilité de communiquer. Là aussi les Martiens se situeront à la limite de l’acceptable, extrémité qui présentera aussi ses deux faces.

Les messages, dans chaque sens, devront franchir la distance en ligne droite qui séparent Mars de la Terre, les 56 à 400 millions de km mentionnés plus haut, soit 3 à 22 minutes à la vitesse de la lumière. La conversation en direct ne sera donc pas totalement impossible, disons que l’on aura le temps de la réflexion (ce qui évitera sans doute de dire n’importe quoi), cependant elle sera très difficile. On sera un peu dans la situation des membres d’un réseau social ou des commentateurs d’un blog, avec des questionnements ou des réponses auxquels on ne répond pas immédiatement mais quand même, si nécessaire, plusieurs fois dans la journée.

Il faut voir la différence avec les échanges qui auraient lieu avec des personnes situées à la proximité de Jupiter et a fortiori autour de l’étoile Proxima Centauri, notre plus proche voisine (4,25 années-lumière tout de même). Dans ces cas-ci, l’envoi d’informations restera possible mais l’échange ne pourra plus être une conversation. Dans le cas de Mars, y vivre restera compatible avec le maintien de liens via les ondes avec des « proches » ou des collègues restées sur Terre.

Le quatrième point à considérer est la situation énergétique de la planète ou plus particulièrement son niveau d’irradiance solaire. Au plus loin du Soleil, au cœur de l’hiver austral, un objet à la distance de Mars reçoit encore plus de 400 W/m2. C’est trois fois moins que ce que l’on reçoit à la distance de la Terre mais dix fois plus que ce l’on reçoit à la distance de Jupiter. Cela permet d’utiliser encore l’énergie solaire pour les serres dans lesquelles on cultivera une bonne partie des aliments nécessaires à la vie de l’homme (en complétant évidemment avec de l’énergie obtenue sur Mars) et cela permet de disposer d’une luminosité suffisante pour évoluer à l’extérieur des bulles viabilisées sans apport d’énergie complémentaire.

Certes cela ne permettra pas de jouir d’une température extérieure compatibles avec la vie humaine (les températures de -100°C la nuit seront « normale » mais même pendant l’hiver austral les températures n’atteindront pas cet extrême à l’équateur et il y aura des températures positives pendant l’été boréal. Surtout, la rotation de la planète sur elle-même en 24h39 évitera les trop longues périodes sans lumière et sans chaleur même relativement faibles. Elle sera aussi familière à l’homme et aux autres formes de vie qu’il introduira sur Mars.

Cette chaleur et cette luminosité relatives représentent des économies d’énergie considérables par rapport à ce qu’exigera un séjour sur Europa ou a fortiori sur Titan.

Le cinquième point à considérer est l’accessibilité à la glace d’eau. A la différence de la Lune où l’eau est rare, concentrée aux pôles (surtout au Pôle Sud) et difficilement accessible, il y a de l’eau un peu partout sur Mars, bien sûr près des pôles mais aussi aux latitudes moyennes et même à l’équateur. La température basse résultant de l’éloignement du Soleil, a permis sa conservation sous forme de glace depuis des millions d’années (entre les périodes d’atmosphère dense faisant suite aux épisodes volcaniques ou d’inclinaison de l’axe de rotation très bas sur le plan de l’écliptique) pourvu qu’elle ne soit jamais exposée à la chaleur (autrement elle se sublime). L’homme sur Mars aura accès à ces réserves, il pourra les miner et les conserver sans dépense d’énergie jusqu’à ce qu’il en ait besoin, avant de recycler l’eau après usage puis de la remettre en réserve sous forme de glace qui pourra lui servir également d’écran contre les radiations.

Vivre en Antarctique a permis d’envisager de vivre sur la Lune. Mais ni le premier ni la seconde ne sont suffisamment loin de la civilisation pour que l’on envisage de s’y établir vraiment. Si on est malade dans l’un ou l’autre de ces lieux hostiles on peut/pourra envisager un rapatriement. Si un équipement essentiel à la survie fait défaut dans l’un ou l’autre de ces mêmes lieux, on peut/pourra envisager de se le faire fournir. Rien de tel sur Mars, une fois parti de la Terre et jusqu’au retour trente mois après, l’équipe d’astronautes et plus tard les résidents martiens, seront seuls, sans aucune assistance matérielle possible. En ce sens, passer de la vie sur la Lune à la vie sur Mars représente un saut comme on n’en a jamais fait depuis les Grandes Découvertes où là aussi l’explorateur européen était totalement seul, loin de tous les outils disponibles en Europe. Avec Mars nous allons commencer une nouvelle séquence. Une fois que l’homme se sera adapté à vivre en-dehors de son berceau, grâce à une planète Mars « distante mais pas trop », il pourra tenter la grande aventure de l’essaimage dans l’espace véritablement profond, celui qui est situé au-delà du système solaire interne. Nous n’avons pas encore la technologie pour le faire mais nous l’aurons un jour et nul doute que nous l’utiliserons comme demain nous utiliserons les faibles moyens dont nous disposons aujourd’hui pour aller sur Mars. Et nous pourrons aussi le faire car, grâce à la vie sur Mars, le principe d’une vie possible en-dehors de la Terre aura été posé, accepté et tenté avec succès. Depuis qu’elle a pu parvenir à la mer ouverte ou aux marges des grands déserts d’Afrique, une partie de notre espèce, celle des nomades, a toujours rêvé de savoir ce qu’il y avait « de l’autre côté ».

Illustration de titre :

La Terre vue de Mars photographiée par le rover Curiosity de la NASA le 31 janvier 2014, 80 minutes après le coucher du Soleil (crédit NASA/JPL-Caltech/MSSS/TAMU). Les deux planètes sont distantes mais après Vénus, Mars est la plus proche. Les deux sont celles que l’on voit le mieux dans notre ciel; dans le ciel de Mars c’est la Terre, seule.

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