La réutilisabilité des fusées conçue et réalisée par SpaceX a révolutionné le marché, et ça continue !

La Direction du Temps a décidé ce 3 mai de fermer son espace dédié aux blogs sur letemps.ch à compter du 30 juin. Ce blog que vous lisez va donc perdre son support et son cadre. Les articles déjà publiés et les commentaires resteront lisibles jusqu’à la fin de l’année 2023 à l’adresse https://www.letemps.ch/blogs .

Cette décision est le résultat de l’évolution de la politique éditoriale du média. Elle ne peut être discutée même si on peut la déplorer (ce qui est mon cas). Je laisse la Direction du Temps s’en expliquer auprès de vous, chers lecteurs, par un article dans le Journal, si elle le juge utile.

Le moment est donc venu de vous remercier de m’avoir accompagné pendant près de huit années, qui pour moi ont été merveilleuses, dans cette œuvre collective (mes articles, vos commentaires, nos échanges). Je me suis fait des amis, vous aussi sans doute, et nous formons aujourd’hui une grande famille. Comme dans toute famille les éléments constitutifs s’entendent plus ou moins bien mais comme ils partagent quand même des intérêts communs, ils ne peuvent s’empêcher de discuter à leurs propos, ce qui in fine devient un enrichissement pour tous.

Ce n’est pas parce que le Temps va nous couper la lumière que pour autant ma passion pour l’Espace, notre Univers, les questions fondamentales qui nous habitent tous (sans oublier “ma” toute petite planète Mars que je considère comme notre Porte vers l’Infini), va cesser de s’exprimer. Vous pourrez me retrouver sur le média en ligne contrepoints.org qui déjà me publiait de plus en plus souvent. Contrepoints est un journal libéral qui correspond très bien à mon orientation politique (que nul doute mes lecteurs attentifs ont bien remarquée). C’est un média important, le plus important dans son domaine avec plus de 2 millions de visiteurs uniques par mois et vous me retrouverez au milieu des meilleurs auteurs libéraux francophones de notre époque, ce dont je suis très fier.

Mes articles sont également publiés sur le site internet de la Mars Society Switzerland (adresse https://planete-mars-suisse.space/fr/blogs/blog-pierre-brisson ) mais je devrai faire un ajustement technique avant que cette page soit opérationnelle puisqu’elle est alimentée à partir des Blogs du Temps. Il existe une page “forum” sur ce site mais pour le moment les commentaires sous article ne fonctionnent pas (ce n’était pas nécessaire puisqu’il y avait le blog du Temps!). Sans doute vais-je passer par un blog WordPress personnel dont je vous communiquerai les coordonnées la semaine prochaine.

Continuons ensemble, jusqu’à Mars peut-être un jour! Mais d’ores et déjà, suivez moi sur Contrepoints.

Comme la plateforme des Blogs du Temps continue à fonctionner pour quelques semaines, je reprends le fil de mes articles. Cette semaine je vais encore vous parler du Starship car je n’ai pas fini de dire tout ce que je voulais à son propos.

La réutilisabilité des fusées conçue et réalisée par SpaceX a révolutionné le marché, et ça continue !

Imaginez que l’on jette les avions à la mer à chaque fois qu’on en utilise pour traverser l’Atlantique. C’est un peu ce qui se passait avant l’arrivée de SpaceX sur le marché et la mise en pratique de l’idée géniale d’Elon Musk de récupérer puis de réutiliser le lanceur (premier d’une fusée de deux, trois ou quatre étages).

Depuis les V2 allemands de la Seconde guerre mondiale et les années qui suivirent, une fusée lancée était une fusée perdue (non pour l’objet de sa mission mais pour ses éléments constitutifs). On était dans un contexte où la pollution était une notion inconnue, où l’on disposait d’autant de métal que l’on souhaitait et où les usines tournaient sans trop de problème d’approvisionnement en métaux ou ergols (carburant + comburant). Sur cette lancée, si l’on peut dire, les fusées américaines de la grande époque de la Conquête de la Lune (fin des année 60/début des années 70) étaient également jetables et elles donnaient satisfaction puisqu’on ne comptait pas les dollars dépensés (et qu’on jetait aussi à peu près tout).

L’euphorie des premiers succès passés, on se dit que, tout de même, on pourrait pour les seuls vols habités, faire des fusées comme des avions. Cela donna la navette spatiale, « the Shuttle », qui fut en service entre 1981 et jusqu’en 2011 (« retraite » un peu forcée après 135 vols, pour des raisons de sécurité). Cet avion-fusée rendit de grands services (ne serait-ce que le sauvetage du télescope Hubble !) mais il s’avéra coûter extrêmement cher en entretien. Il s’agissait notamment de réviser la totalité des tuiles de protection thermiques une à une après chaque vol. Et ce fut d’ailleurs un bloc de mousse de protection qui avait heurté une de ces tuiles au décollage qui provoqua la catastrophe de la navette Columbia (7 morts !).

Elon Musk, quand il lança ses premières fusées en 2010, était animé par l’Objectif Mars comme Tintin l’avait été par l’Objectif Lune. Et, sans aucun complexe (c’est un de ses traits de caractère) il voulut que sa fusée soit récupérable et réutilisable (il fallait évidemment qu’elle le soit pour revenir de Mars). Il commença ses lancements en 2006 et en 2015 il réussit sa première récupération (après plusieurs échecs ou demi-succès, mais on sait que c’est comme cela qu’il « fonctionne »). On était au 20ème vol et c’était un Falcon-9 (le seul lanceur dont la société disposait. Aujourd’hui SpaceX a lancé 217 Falcon-9 et Arianespace seulement 84 Arianes-5 (depuis 2006). Sur les 217 lancements, 175 lanceurs de Falcon-9 sont revenus se poser sur Terre et il y a eu 152 réutilisations. Il n’y a eu aucune récupération d’Ariane. La différence est claire et la conséquence de la différence c’est le coût, aggravé par le fait que moins on lance plus le lancement coûte cher puisqu’on fait moins d’économies d’échelle. Au bout du compte un lancement de Falcon-9 coûte moitié moins cher (67 millions de dollars) qu’un lancement d’Ariane-5. NB : Une autre fusée plus puissante de SpaceX, le Falcon-Heavy (poussée par 3 groupes de 9 moteurs Merlin), permet d’emporter des charges plus lourdes mais elle a été encore peu utilisée (6 lancements dont le dernier est intervenu ce 30 avril, un “sans-faute”).

Le deuxième étage du Falcon-9 n’était pas récupérable mais cela n’avait pas vraiment de sens pour plusieurs raisons.

Premièrement la combustion des ergols du premier étage se termine très rapidement (trois minutes dans le cas du Starship) car il s’agit de s’arracher de la gravité terrestre à partir d’une vitesse nulle et pour ce faire non seulement de gagner en vitesse mais aussi en altitude, le plus vite possible (avec le meilleur rapport ergols consommés/puissance délivrée). Après son utilisation, le premier étage se trouve donc, à la verticale, très proche de son site de lancement. Au contraire le deuxième étage va prendre de la vitesse essentiellement à l’horizontal, en prenant lentement de l’altitude en fonction de la vitesse qui le soustrait de plus en plus à la gravité. Il faudrait beaucoup d’ergols pour revenir sur le site de lancement, très éloigné, et à une vitesse initiale beaucoup plus élevée (peut-être pourrait-on le faire après une orbite complète ?).

Deuxièmement, le deuxième étage dans une fusée classique est un exhausteur d’altitude qui ne comporte ni beaucoup de métal (il est moins chargé en ergols), ni beaucoup de moteurs. Il est donc de ce fait moins intéressant à récupérer.

Troisièmement, toujours dans une fusée classique, le deuxième étage en porte un autre (un “inter-étage” ou, plus complexe, un module de service) qui lui-même en porte un autre (la capsule ou le satellite ou la sonde) même si l’expression « deuxième étage » est réservée exclusivement à l’exhausteur d’altitude. Le problème de la récupération est ainsi segmenté en plusieurs sous-problèmes. Si on lance un satellite, on ne va pas le récupérer ce qui ne sera pas le cas d’une capsule si elle porte des passagers. Quant au module de service, il peut aller très haut, très loin, à une distance où il ne sera pas plus récupérable que la sonde qu’il a lancée.

Pendant la mise en place chez SpaceX de l’innovation/révolution qui consistait à récupérer le premier étage, les institutionnels, NASA ou ESA, regardaient sans comprendre qu’ils étaient en train de perdre le marché, obnubilés par leur crainte que la fiabilité du lanceur récupéré ne serait jamais suffisante et par le fait que pour revenir se poser sur le sol terrestre, un lanceur devait utiliser entre 10 et 15% des ergols embarqués.

Vue l’évolution des coûts et donc des prix des lancements, vu également l’allongement du « track-record » positif de SpaceX, ces mêmes institutionnels finirent par se dire que cette réutilisation des lanceurs n’était peut-être pas une mauvaise idée. Mais le retard accumulé est considérable. A ce jour aucune fusée de la NASA construite par ULA (United Launch Alliance = Boeing + Lockheed Martin) n’est récupérable et l’ESA n’envisage la récupération/réutilisation que pour les années 30. D’ici là tout le marché, sauf protection très coûteuse, sera pris par SpaceX. C’est d’ailleurs presque déjà le cas sauf pour les lancements d’institutions ou de sociétés captives pour des raisons politiques (l’ESA utilise forcément les services d’Arianespace).

Mais Elon Musk voulait aller plus loin. Il voulait aller sur Mars et c’est pour cela qu’il décida de créer un lanceur lourd adapté pour ces missions lointaines avec un nouveau concept de deuxième étage qui devient un second étage inclusif des autres. Ce second étage fait en effet un bloc de tous les segments supérieurs de la fusée car il a besoin de conserver les différentes fonctions de ces éléments jusqu’au bout. Si l’on veut envoyer des hommes sur Mars, il faut s’organiser pour qu’ils puissent revenir et donc que le second étage qui va les emporter sur Mars puisse en revenir, en bon état, avec le minimum d’entretien sur place et qu’il puisse être approvisionné sur place en ergols pour bénéficier de l’énergie suffisante pour le voyage (moins que pour l’aller car la gravité martienne est nettement plus faible que la gravité terrestre). Par la même occasion, il faut que ce vaisseau spatial puisse revenir avec un module de propulsion type deuxième étage propulsif classique, avec un module de service classique pour assurer toutes sortes de fonctions nécessaires à l’habitat mais pas seulement (correctif d’attitude notamment) et avec un habitat. Il faut enfin qu’il puisse être récupéré et réutilisé afin de réduire les coûts. A noter qu’il est totalement exclu d’apporter sur Mars les ergols nécessaires au retour sur Terre car il faudrait doubler la masse qu’il conviendrait d’arracher à la gravité terrestre à l’aller (ergols suffisant pour repartir de Mars plus les réservoirs pouvant les contenir). Cela reviendrait à « trimbaler » avec soi un corps mort inutile pendant la moitié du voyage (qu’il faudrait en plus maintenir pendant deux ans à des conditions de températures particulièrement basses).

C’est ainsi donc qu’est né le concept de ce Starship et de son lanceur SuperHeavy dont on peut espérer que le second vol orbital, dans deux mois, soit plus long que le premier. Avec lui, le deuxième étage et les autres sont intégrées et la récupération rentre dans la fonction elle-même du vaisseau spatial.

Lire ici la très intéressante interview d’Elon Musk qui m’a été communiquée le 30 avril, par mon ami Jean-François P : https://twitter.com/ufotinik/status/1652644402534273025

Si le Starship peut voler, le concurrent, également conçu et fabriqué selon des principes traditionnels par ULA, nommé « SLS » (Space Launch System), celui qui a mené à bien la première mission Artemis autour de la Lune, deviendra complètement obsolète. En effet il n’aura pas une capacité d’emport comparable. Sa capsule, Orion a un volume pressurisé de 19,57 m3 dont un volume habitable de 9 m3 alors que le Starship aura un volume viabilisable de 1100 m3, habitable pour plus de 800 m3. Par ailleurs Orion serait totalement incapable de repartir de Mars après y être descendu. Il faudrait qu’il reste en orbite en étant assisté d’une annexe légère, comme l’était le module lunaire (« LEM ») du temps d’Apollo pour descendre sur Mars puis remonter à l’orbite. Inutile de dire que ses capacités d’emport ne pourraient être qu’extrêmement limitées en volume et en masse (2 personnes et quelques équipements, comme un rover plié pour les transporter). En second lieu le coût du SLS se monte à plus de 4 milliards de dollars alors que celui du Starship atteint juste le milliard. Bien sûr, cela est un coût initial et il baissera si l’on construit plusieurs fusées mais c’est mal parti pour le SLS étant donné qu’il n’est et ne sera jamais réutilisable.

Donc le SLS n’est qu’une solution provisoire en attendant que le Starship soit prêt. Quant à l’Europe/ESA, on en reparlera plus tard quand elle aura réussi aussi à faire son lanceur réutilisable. Mais pour le moment elle n’est définitivement pas dans la course et ne tiendra dans les années qui viennent, que parce que la différence de prix entre celui de sa fusée Ariane-6 et celui d’une Falcon-9 ou Heavy sera payée par les impôts des contribuables.

Illustration de titre :

Retour spectaculaire sur Terre de deux des trois corps de propulsion du Falcon-Heavy en avril 2019. Crédit SpaceX.

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Index L’appel de Mars 23 04 20