Gaia nous fait faire un bon fantastique dans la cartographie du ciel

Le 25 avril, l’ESA a publié son deuxième catalogue d’objets célestes repérés par l’observatoire spatial Gaia (« DR2 »*). Pour un secteur significatif de notre galaxie c’est un peu comme si nous passions d’une carte du début du 18ème siècle à une carte Google. Il faut bien voir que dans les années 1960** les astronomes ne pouvaient donner les distances à moins de 10% d’erreur que pour quelques 350 étoiles. Aujourd’hui, grâce à Gaia, on a cette précision pour 70 millions d’étoiles et ce n’est qu’un des progrès apportés par ce merveilleux observatoire spatial.

*Data Release 2; **General Catalogue of Trigonometric Stellar Parallaxes, Jenkins 1963.

Tout a commencé en 1993 quand Lennart Lindegren (Université de Lund, Suède) et Michael Perryman (ESA/University College Dublin) ont voulu donner une suite à l’observatoire spatial Hipparcos en orbite depuis 1989 et qui arrivait cette année-là en fin de mission. Il avait relevé par astrométrie la position de 118.000 étoiles proches avec une précision de 0,001 secondes d’arc (cent fois mieux que précédemment) et de 2,54 millions d’étoiles jusqu’à la magnitude-apparente 11* avec une précision de 20 millisecondes d’arc. Leur projet, la mission GAIA (à l’origine « Global Astrometric Interferometer for Astrophysics »), était beaucoup plus ambitieux. Il s’agissait de dresser une carte en trois dimensions de notre environnement sur une population d’étoiles appartenant à une gamme de luminosité beaucoup plus étendue, allant jusqu’à la magnitude-apparente 20 donc couvrant une population stellaire de la Galaxie beaucoup plus importante (1% de ses quelques 200 milliards d’étoiles).

*L’échelle des magnitudes va de -26,7 pour le Soleil à 6,5 pour les astres discernables à l’œil nu et 30 pour les astres les plus éloignés. Hipparcos a identifié 99% des étoiles allant jusqu’à 11.

Gaia comme tout projet d’exploration spatiale a connu des vicissitudes. Il a été modifié en cours de conception pour des raisons budgétaire et d’évolution technologique (notamment abandon de l’interférométrie…sans que son beau nom soit changé). Sur recommandation du « SSAC » (Comité du conseil scientifique spatial) de l’ESA, il a finalement été sélectionné en 2000 par le « SPC » (Science Program Committee) composé des représentants des Etats membres (qui financent !) comme « pierre angulaire » n°6 de son programme « Horizon 2000+ ». Il a été ensuite construit par EADS Astrium* (aujourd’hui une composante d’Airbus Defense and Space) pour un budget de 740 millions d’euros, lancé en décembre 2013 et est devenu opérationnel en mai 2014. Juillet 2014 est la date de départ de sa mission scientifique de 5 ans, prolongée déjà d’une année, jusqu’en 2020, mais avec suffisamment de consommables pour fonctionner 9 ans. Deux publications de données ont été faites (en 2016, DR1 et en 2018, DR2) ; deux autres doivent avoir lieu (en 2020 et 2022). Ces données sont mises à la disposition des chercheurs du monde entier qui les exploitent pour en tirer une meilleure compréhension de notre environnement et de notre Galaxie.

*avec Mersen Boostec (France) pour la structure du télescope et E2v (Grande Bretagne) pour la fourniture des CCD (« Charge Coupled Devices », dispositifs à transfert de charges, utilisés pour lire les signaux lumineux, comme dans les appareils photos digitaux).

En tant que satellite, Gaia a plusieurs particularités qui lui permettent d’être le moins perturbé possible par son environnement, il le faut pour la précision recherchée des mesures. Il devait d’abord être extrêmement rigide et léger et cela a déterminé le choix de la matière qui constitue sa structure ou ses miroirs (carbure de silicium). Il évolue dans un environnement à l’écart de tout trouble qui pourrait résulter du voisinage de la Terre (lumineux, thermique, radiatif), autour du point de Lagrange « L2 », en opposition au Soleil par rapport à nous, à 1,5 million de km. Son orbite de 380.000 km autour de L2, parcourue en 6 mois, est exposée au Soleil en permanence, selon un éclairage constant. Son bouclier thermique de 10 mètres de diamètre constitue son pare-soleil.  Il est partiellement revêtu de panneaux solaires fournissant une puissance de 2 kW. L’objectif de ses télescopes est donc en permanence protégé de la lumière solaire et sa température est stable.

Gaia a embarqué plusieurs instruments qui lui donnent toutes les capacités nécessaires pour la détermination de la position, de la distance, du mouvement et autres caractéristiques (spectre lumineux) de tous les objets célestes dont il reçoit la lumière. Ces objets sont essentiellement des étoiles mais pas uniquement ; dans le système solaire, des astéroïdes ou des comètes ; en dehors de notre système, de grosses planètes de la taille de Jupiter (distinguables directement par astrométrie) et dans l’espace profond, bien au-delà de la Voie Lactée, d’autres objets très lumineux (quasars).

La lumière est collectée par deux télescopes rectangulaires de 1,45 m sur 0,50 m avec un écart entre leur ligne de visée de 106,5 degrés. La mesure précise des positions relatives d’objets observés simultanément dans deux directions séparées par un angle obtus, permet d’éviter les erreurs qui pourraient résulter de références trop proches. Les mouvements de l’observatoire sont complexes : Il effectue une rotation sur lui-même en 6 heures (1 degré d’angle par minute de temps) ce qui permet qu’une observation effectuée par le premier télescope soit répétée par le second 106 minutes et 30 secondes plus tard. De plus l’axe de rotation de l’observatoire est incliné de 45° par rapport à la direction du Soleil et il décrit un cercle de précession en 63,12 jours autour de cette direction. La combinaison des mouvements du satellite avec la rotation du point L2 autour du Soleil permet de couvrir la totalité de la voûte céleste. Finalement chaque objet sera vu au minimum 60 fois sur les 5 ans.

Les signaux lumineux reçus par chacun des télescopes forment des images se superposant sur un plan focal commun de 100 cm composé de 106 capteurs CCD de 4500 X 1966 pixels, soit un total de 1 giga-pixels, organisés en 16 colonnes. Trois traitements sont donnés à ces signaux grâce à un jeu de 6 miroirs, un réseau de diffraction, deux prismes et différents types de CCD.

Le traitement par un instrument astrométrique (« Astrometric Field ») comme celui d’Hipparcos mais beaucoup plus performant (capacité de discernement encore 100 fois supérieure), donne la localisation de l’objet. Il s’agit de sa position sur la sphère céleste c’est-à-dire de son « ascension droite » (équivalent de la longitude) et de sa « déclinaison » (équivalent de la latitude). A cela s’ajoute la distance donnée par la parallaxe (angle entre deux visées à partir des points extrêmes de l’orbite d’observation) et le « mouvement propre » (déplacement apparent) des astres les plus proches. La localisation de l’observatoire dans l’espace, sans aucune perturbation, et la puissance des télescopes ainsi que la capacité des capteurs CCD donne en fin de mission une précision de 24 micro-arcs-seconde (µas) pour des sources de magnitude-apparente 15 (et jusqu’à 7 µas pour les étoiles proches).

Le traitement par les instruments spectrophotométriques couplant un prisme pour la lumière bleue, « BP » (pour « Blue Photometer ») dans les longueurs d’onde allant de 330 à 680 nm et un prisme pour la lumière rouge (RP) allant de 640 à 1050 nm, donne pour chaque objet un spectre qui permet de mesurer l’intensité lumineuse, la température, la gravité, l’âge et la composition chimique.

La dispersion de la lumière par un spectromètre, « RVS » (pour « Radial Velocity Spectrometer »), utilisant l’effet Doppler-Fizeau, permet de mesurer la vitesse radiale (éloignement ou rapprochement en profondeur, dans l’axe de visée) des 150 millions d’objets les plus lumineux et donc, conjuguée avec l’astrométrie, permet de connaître la dynamique de la galaxie.

Les résultats sont spectaculaires. La DR1 (observations de 14 mois allant du 25 juillet 2014 jusqu’en Septembre 2015) donnait la position de 1,1 milliards d’objets, la DR2 publiée le 25 avril 2018 pour des observations allant du 25 juillet 2014 au 23 mai 2016, de 1,7 milliards d’objets. Cela représente des dizaines de milliards de données et encore les deux premières colonnes de CCD constituent pour chaque télescope un « Sky Mapper » (« SM »), sélecteur qui permet d’effectuer une détection des sources lumineuses avant transmission aux autres cellules CCD. Ces chiffres espérés mais énormes impliquent une difficulté évidente, celle du traitement des données. Quelques 100 téraoctets sont attendus. Un consortium de laboratoires, le « DPAC » (« Data Processing and Analysis Consortium »), véritable « quatrième instrument » (comme dit François Mignard, responsable Gaia pour la France), a développé des programmes très complexes pour les traiter avec des moyens informatiques très importants. Avec la publication de la DR1 puis de la DR2 on peut constater qu’il a pu faire face.

J’entends des esprits chagrins me dirent « A quoi ça sert ? ». Je réponds « A savoir où nous sommes et où nous allons par rapport à ces étoiles qui nous entourent ». La connaissance du cadre sur un plan dynamique nous permettra forcément de mieux comprendre les relations que nous soupçonnons entre les éléments qui composent notre Univers proche et à en faire apparaître de nouvelles. Certains continueront à s’en moquer mais pour moi, le progrès dans la connaissance de l’Univers est littéralement essentiel et l’ingéniosité des solutions comme Gaia trouvées pour l’obtenir, source d’une grande satisfaction esthétique, égale à la contemplation de nos plus belles œuvres d’art.

Image à la Une: champ d’exploration de Gaia, crédit Lund Observatory.

NB : Ce texte a été revu et corrigé par le Professeur François Mignard, responsable du SNO (Service National d’Observation) au sein de l’OSU (Observatoire des Sciences de l’Univers) du CNRS pour la participation française au DPAC.

lien: https://gaia-mission.cnes.fr/fr

lmage ci-dessous: estimation des sources lumineuses repérées dans le catalogue DR2 publié le 25 avril 2018