NEO Surveyor, instrument essentiel pour la Protection Planétaire, cadeau de nos amis Américains

En juin 2021 la NASA a confirmé la poursuite de l’étude et de la réalisation de la mission NEO Surveyor qui doit permettre, à partir d’un télescope spatial dédié, le recensement de tous les astéroïdes de plus de 140 mètres de diamètre susceptibles d’impacter la Terre. Ce sera, avec la mission DART, l’action de protection planétaire la plus effective jamais réalisée. La fusée portant le télescope doit quitter le sol terrestre en 2026.

NB : Le nom développé de la mission est « Near-Earth-Object Surveyor space telescope » et elle est maintenant dans sa phase « design préliminaire » après avoir fait l’objet d’une « mission review ».

Le rayon de l’investigation de ces NEO est un tore de 30 millions de km de petit rayon (rayon du disque dont la rotation engendre le tore) à partir de l’orbite de la Terre autour du Soleil (déterminant le grand rayon du tore soit 1 UA ou 150 M de km). Ceci correspond bien à ce qu’on peut appeler notre environnement au sens large, puisque les planètes qui nous sont voisines sont au plus près, à 41 M de km (Vénus) et à 54,6 M de km (Mars). A noter que dans le cas où l’on s’intéresserait à une recherche similaire dans l’environnement martien, l’aphélie de l’orbite martienne atteint 1,67 UA et la limite inférieure de la Ceinture d’Astéroïdes évolue à 1,7 UA, la région centrale de la Ceinture d’Astéroïdes se situant entre 2,06 et 3,27 UA. En km, 1,7 UA-1,666 UA = 5 millions de km seulement et 2,06 UA-1,666 UA = 59 M de km. La proximité de Mars de la Ceinture d’Astéroïdes impliquerait donc une recherche de NMO (Near Mars Objects) extrêmement sérieuse dans la perspective de missions habitées.

La taille de 140 mètres a été retenue comme taille minimum des astéroïdes qu’il fallait identifier car c’est la taille minimum de ceux qui, à coup sûr, pourraient arriver jusqu’au sol terrestre en y créant un cratère. Un tel astéroïde frappe la Terre tous les 20.000 ans, en moyenne*, en libérant 300 mégatonnes d’énergie (bombe d’Hiroshima 13 kilotonnes), en moyenne. Le repère suivant, 50 mètres minimum, est celui des astéroïdes qui pénètrent dans notre atmosphère tous les 2000 ans, en moyenne, en libérant 10 mégatonnes d’énergie, en moyenne. Le repère suivant est celui des astéroïdes de 25 mètres de diamètre, du type de celui qui a explosé au-dessus de la Toungouska le 13 juin 1908 provoquant un souffle au sol balayant 2000 km2 de forêt sous-jacente, quelques morts et de nombreux blessés (dans une zone très peu peuplée). Ces derniers astéroïdes font intrusion dans notre monde tous les 200 ans, en moyenne, libérant 1 mégatonne d’énergie, toujours en moyenne. Les premiers sont à détourner à tout prix et nous avons tout intérêt à détourner les deuxièmes et même encore les troisièmes. A noter que les astéroïdes NEO d’une taille supérieure à 1 km ont tous été identifiés en 2010 (il y en a, en principe, 857).

*La précision « en moyenne », répétée, est évidemment très importante.

L’objectif, fixé par la NASA en 2005, était d’identifier, avant 2020, 90% des astéroïdes de 140 mètres et 50% de ceux de 50 mètres. Un « Science Definition Team » de la même NASA publié en 2017 et évaluant les astéroïdes de 140 mètres à quelques 25.000, estimait que cela permettrait que 99% de ces astéroïdes puissent être détectés avant impact (remarquez la prudence du « 1% », évidemment compréhensible). En 2017 on n’en avait identifié que 7.800 (aujourd’hui 10.293), avec essentiellement (mais pas uniquement, voir WISE) des télescopes au sol, et on avait réalisé alors qu’on ne parviendrait pas à atteindre l’objectif simplement avec ces mêmes installations. Il fallait réagir et la réaction est en cours.

En juin 2018 un « National Near-Earth Object Preparedness Strategy and Action Plan » fut présenté par un « Interagency working group for detecting and mitigating the impact of earth-bound Near Earth Objects » presidé par le National Science & Technology Council. En décembre de la même année, le Congrès vota un « Authorization Act » pour financer le télescope spatial dédié demandé. L’action était lancée sur le plan politique.

En décembre 2020, le projet est bien entendu repris dans le document officiel du gouvernement « The National Space Policy of the United States of America » qui résume les grands principes de la politique spatiale des Etats-Unis puis en janvier 2021, dans un « Report on Near-Earth Impact Threat Emergency Protocol ».

Je cite ces différentes étapes et documents pour montrer le long processus qui mène et qui ensuite accompagne le début d’une réalisation et pour montrer que même ce qui semble facile, logique et nécessaire est entouré d’énormément de dépenses d’énergie sur le plan politique et administratif. A noter que le projet sera réalisé sous le contrôle du PDCO (Planetary Defense Coordination Office) directement par la NASA, en-dehors des divers programmes d’exploration spatiale (il était prévu au début de la réflexion sur le sujet que ce soit un projet « Discovery », sous le nom de NEOCam). Cela a permis de le sortir de la compétition avec d’autres projets scientifiques contre lesquels il ne parvenait pas à émerger et de supprimer les contraintes, notamment de coût, auxquelles ces projets doivent se soumettre…ce qui montre bien l’urgence de la réalisation pour les autorités américaines. En fin de compte il ne devrait pas coûter plus de 600 millions de dollars ce qui est un montant raisonnable (500 millions est le seuil actuel pour les missions de type Discovery, qui sont de « petites » missions, je rappelle que le JWST a dépassé les 10 milliards).

J’en arrive presque au projet précis qui est sorti de tout cela, la mission NEO Surveyor, mais auparavant il faut préciser deux choses :

(1) L’avantage d’un télescope spatial est de poursuivre l’observation jour et nuit et aussi de n’être pas troublé par les multiples interférences résultant de l’observation du ciel à partir du sol terrestre dans le domaine infrarouge proche qui est évidemment celui retenu pour les astres froids (en complément du visuel à partir de la Terre) comme le sont les astéroïdes.

(2) Le télescope à infrarouge WISE (Wide Field Infrared Survey Explorer) devenu NEOWISE, de la NASA, avait commencé la recherche des NEO dans le cadre de son projet généraliste d’utilisation de l’infrarouge pour identifier les astres froids (y compris pour repérer les naines brunes ou les exoplanètes). Mais NEOWISE était et reste moins puissant que NEO Surveyor et moins bien placé dans l’espace (orbite circulaire synchrone-Soleil à 525 km autour de la Terre). Par ailleurs, sa mission en infrarouge « vrai » a été très courte (une année entre 2009 et 2010) en raison de l’épuisement rapide de ses réserves limitées de liquide réfrigérant (H2). Il continue aujourd’hui, et jusqu’en 2023, ses observations généralistes en mode dégradé, sur des longueurs d’onde à la limite du visible (3,4 à 4,6 microns).

La mission NEO Surveyor disposera d’un télescope doté d’un miroir primaire de 50 cm de diamètre qui captera les ondes infrarouges entre 4 et 10 microns (IR moyen et début de l’IR profond). Le télescope sera positionné en orbite autour du point de Lagrange Terre/Soleil « L1 » (c’est-à-dire entre la Terre et le Soleil, à 1,5 millions de km de la Terre). Compte tenu de cette position et de l’importance de voir les astéroïdes dont la trajectoire pourrait provenir de derrière le Soleil, il « regardera » autour de notre astre du jour sous la protection d’un coronographe. L’ellipse large autour du point L1 lui permettra aussi d’observer en direction opposée, au-delà de la Terre. Et bien sûr c’est toute la sphère céleste, sur tout le parcours de la Terre autour du Soleil, qui sera « passée au peigne fin » puisqu’il nous accompagnera en position identique par rapport au Soleil pendant toute cette course. D’une masse de 1,3 tonnes il pourra facilement être embarqué à bord d’un Atlas V ou d’un Falcon 9.

Aux dernières nouvelles on annonce qu’il pourra distinguer les astéroïdes d’une taille descendant à 30 mètres (la taille de l’astéroïde de la Toungouska) et qu’il devrait atteindre son objectif d’identification des astéroïdes de plus de 140 mètres à 90% dans les 10 ans. Sa mission durera 12 ans.

La mission DART est bien sûr le complément à cette mission d’identification car si on détecte un danger, il faudra bien faire « quelque chose ». Par ailleurs, pour ne pas voir tout en noir, on peut imaginer que la mission permette d’identifier (par spectrographie) quelques astéroïdes riches en minerais rares exploitables et qui seraient accessibles depuis la Terre par une expédition de minage.

On peut imaginer à partir de là qu’on fera un jour de même pour la protection de Mars, même si comme on l’a vu la semaine dernière, le besoin de précision (taille des astéroïdes) pour les hommes sur cette planète sera beaucoup plus élevé en raison de la proximité de la Ceinture d’Astéroïdes et de la ténuité de l’atmosphère. Bien entendu la recherche menée pour la protection planétaire de la Terre pourra bénéficier à celle de Mars et réciproquement car, j’insiste, ces télescopes ne se contenteront pas de repérer les astéroïdes, ils en détermineront la trajectoire (compte tenu de leur proximité, le déplacement des NEO est nettement perceptible, à partir du moment où on les a repérés bien sûr).

Illustration de titre : vue d’artiste du télescope NEO Surveyor. Credits: NASA/JPL-Caltech.

Illustration ci-dessous : trajectoire de mise en orbite pour NEO Surveyor, puis orbites successives. La Terre est le point bleu à droite, L1 est le point émeraude à gauche. Le Soleil est dans l’alignement des deux points, vers la gauche. Vous remarquerez la très belle orbite de Lissajous (trajectoire orbitale quasi-périodique que tout objet céleste parcourt sans propulsion autour d’un point de Lagrange). Rappelons quand même que L1 est un point d’équilibre instable et qu’il convient de temps en temps de procéder à une correction. Capture d’écran, crédit : Wikipedia Commons (Horizon system, JPL, NASA).

Liens:

https://www.nasa.gov/feature/nasa-approves-asteroid-hunting-space-telescope-to-continue-development

https://spacenews.com/nasa-to-develop-mission-to-search-for-near-earth-asteroids/

https://www.nasa.gov/feature/new-report-assesses-status-of-detecting-near-earth-asteroids

https://www.nasa.gov/sites/default/files/atoms/files/pdco-neoreport030825.pdf

https://www.astronomy.com/bonus/asteroidday

https://www.nasa.gov/sites/default/files/atoms/files/ostp-neo-strategy-action-plan-jun18.pdf

https://en.wikipedia.org/wiki/Wide-field_Infrared_Survey_Explorer

https://neowise.ipac.caltech.edu/

https://www.clubic.com/mag/sciences/conquete-spatiale/actualite-374812-neo-surveyor-la-nasa-accelere-son-projet-pour-surveiller-les-asteroides.html

https://cneos.jpl.nasa.gov/

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Index L’appel de Mars 22 11 03

Les météores, porteurs de menaces ou de rêves et in fine…de données scientifiques

De tout temps les météores ont beaucoup impressionné les hommes. Ils les ont vus, soit s’il s’agissait de « bolides », comme des manifestations de la colère des dieux, soit s’il s’agissait de comètes, comme des messagers porteurs de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Ils étaient et sont toujours des passeurs, une sorte de vecteur de communication du « lointain » jusqu’à nous mais évidemment, à notre regard rationnel, ils portent de nos jours un autre message, celui de la géographie et même de l’histoire de notre système solaire.

Un astéroïde ou éventuellement une comète devient un météore s’il pénètre dans l’atmosphère terrestre. On dit aussi que ce sont de « petites-planètes » puisqu’ils orbitent autour du Soleil et non d’une autre planète. Mais ce qui les distingue des « vraies » planètes et des planètes-naines (du type de Pluton ou de Cérès) ou encore des plus grosses lunes (Ganymède ou Titan) c’est leur taille. Les astéroïdes ou comètes sont tout simplement plus petits (en volume et en masse). Je préfère donc les appeler des « petits corps » pour mieux les caractériser. La différence fondamentale avec les planètes et les plus grosses lunes est que leur masse, trop petite, ne leur a pas permis d’acquérir du fait de leur gravité, de leur pression et de leur échauffement internes (qui en résultent), une forme approximativement sphérique (on parle d’« équilibre hydrostatique »). Si on va plus loin, tout se complique mais on sait (aujourd’hui) très bien ordonner ou classifier leur complexité.

Il faut d’abord distinguer les astéroïdes et les comètes. Les secondes sont beaucoup plus riches en gaz (à l’origine gelés) et en eau, on dit en « éléments volatiles ». Elles génèrent de ce fait une chevelure et une « queue » opposée au Soleil quand ils entrent dans la région du système solaire où l’irradiance est suffisamment élevée pour que ces éléments, à l’origine solides, passent en phase gazeuse. La chevelure et la queue étant une diffusion dans l’espace d’une partie de la masse de la comète, elle va s’épuiser par perte de matière et désagrégation au cours de ses passages successifs à proximité du Soleil (pour être plus précis, dans une région plus proche du Soleil que celle de leur origine où l’irradiance solaire est telle que les éléments volatiles puissent se sublimer). Les autres caractéristiques de la comète sont la longueur de leur période par rapport à celle des astéroïdes, leur vitesse et la diversité de l’inclinaison de leur trajectoire sur le plan de l’écliptique. Ce sont ces caractéristiques qui ont fait penser à l’existence d’une source lointaine (Ceinture de Kuiper et Nuages de Oort). La première, la longueur de la période (le temps mis pour passer et revenir) est évidemment le signe de la distance du lieu d’origine ; la vitesse permet de savoir si l’astre a pu l’acquérir du fait de la distance et si in fine il va être renvoyé par le Soleil vers son aphélie après avoir passé son périhélie (certains astéroïdes récemment observés ont été considérés de ce fait comme provenant d’un autre système stellaire); l’inclinaison sur l’écliptique va nous dire s’il vient d’une zone suffisamment lointaine pour que l’attraction du Soleil soit suffisamment faible et la vitesse suffisamment faible pour qu’elles ne contraignent pas les astres de cette région à se concentrer dans un disque mais à subsister comme une sphère (ou une « coque »).

Les astéroïdes, astres « secs » , proviennent d’une région beaucoup plus proche du Soleil, en principe la nôtre, c’est-à-dire celle qui s’étend de Mercure (en fait plutôt de Vénus) jusqu’à la Ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter. C’est une zone de laquelle l’irradiance du jeune Soleil, au rayonnement très actif, a rejeté la « plus grande partie » des éléments volatiles. A l’origine cette zone s’étendait jusqu’à la « ligne de glace » (d’eau évidemment ; il y a d’autres distances en fonction des différents matières susceptibles de s’évaporer ou de se sublimer) qui se situait au milieu de la Ceinture d’astéroïdes (à environ 3 UA, correspondant à une température de 130 K) mais les « chamboulements » occasionnés par les changements d’orbite de Jupiter et de Saturne, ont perturbé fortement la Ceinture d’Astéroïdes au point de mélanger les astres riches en eau avec les astres secs, même si les premiers sont plus nombreux au-delà de la ligne de glace.

Sur ces bases, on va avoir une véritable géographie de la répartition de ces petits corps, avec des régions maintenant clairement identifiées. Outre la Ceinture d’Astéroïdes et les Nuages de Oort déjà mentionnés et situés, on a ainsi diverses populations occupant divers territoires qui peuvent éventuellement (et c’est le problème) interagir les uns avec les autres. Je citerai d’abord (en commençant par les plus proches) les « géocroiseurs » (qui évoluent à un moment ou un autre de leur trajectoire à proximité de la Terre avec une période relativement courte). Nous avons ensuite les astéroïdes « Troyens ». A l’origine (les premiers observés) ce furent ceux de Jupiter, sur l’orbite de cette planète, à ses points de Lagrange L4 (troyens proprement dits) et L5 (grecs), soit à 60° en avance et en retard de la planète. Par extension ce furent les astéroïdes qui se trouvent dans des positions similaires sur l’orbite des autres planètes. La Terre et Mars comme les autres géantes gazeuses ont, elles aussi des Troyens (mais ni Vénus ni Mercure). Plus loin, les « Centaures » gravitent entre les planètes géantes gazeuses. Maintenant, en dehors de toute ces populations, il reste les blocs de matière qui résultent d’impacts d’autres astéroïdes sur le sol de Mars (« SNC* ») ou des planètes naines de la Ceinture de Kuiper (il faut une surface solide pour les créer et ils ne peuvent provenir des planètes gazeuses, ni des planètes situées en-dessous de la Terre vers le Soleil, quoiqu’on ait maintenant un doute pour Vénus**). Ces astéroïdes d’origine planétaire qui mettent un « certain temps » à parvenir jusqu’à nous n’ont évidemment pas la même composition que les autres puisqu’ils proviennent d’astres qui ont eu une histoire géologique particulière liée à leur masse et à leur position dans le système solaire.

*Shergottites, Nakhlites, Chassignites, selon le lieu où elles ont été trouvées (1865/1911/1815).

**Lunar exploration as a probe of ancient Venus” par Samuel Cabot & Gregory Laughlin in “The Planetary Science Journal”, draft 07/10/2020. 

On dit que le premier astéroïde de la Ceinture d’astéroïdes a été observé en 1801 par Giuseppe Piazzi, directeur de l’observatoire de Palerme. En fait, ce qu’il avait vu était la planète naine Cérès, un astre considéré aujourd’hui comme en dehors de cette catégorie (il est approximativement sphérique compte tenu de sa masse). C’est dans la dizaine d’années suivantes qu’on découvrira les premiers véritables astéroïdes. Le premier des Troyens fut découvert en 1906, le premier des Centaures, en 1977, le premier des objets de la Ceinture de Kuiper (objets transneptuniens ou « TNO ») en 1992 seulement (« 1992QB1 » ou « Albion »), indépendamment des planètes naines de cette zone comme Pluton ou Sedna. Aucun objet des nuages de Oort n’a encore été observé in situ. Il est vrai que c’est très difficile puisqu’ils n’émettent aucune lumière propre et réfléchissent très peu la lumière solaire du fait de leur distance et de leur taille. Mais bien sûr on a déjà vu dans notre environnement des comètes qui doivent en provenir.

Les astéroïdes géocroiseurs comme les comètes sont des objets très particuliers et très intéressants puisqu’ils sont accessibles à notre observation, non seulement par des moyens astronomiques, donc astrophysiques mais aussi par des moyens astronautiques. Ils sont aussi intéressants par les craintes qu’ils suscitent d’une collision avec la Terre (justifiée évidemment sur le long terme). Les Japonais comme les Européens sont les plus en pointe dans les technologies permettant l’observation in situ. Pour mémoire rappelons les missions Rosetta et Hayabusa 1 et 2.

Mais pourquoi aller voir de près ces astéroïdes et en recueillir des échantillons ? Parce qu’ils sont les témoins de l’histoire de notre système solaire et en portent les traces dans les roches qui les constituent. De ce point de vue les petits astres sont plus intéressants que les plus gros (planètes-naines) puisqu’ils ont été les moins transformés par l’évolution résultant de leur masse (force de gravité, pression, chaleur). C’est par eux que l’on pourra le mieux savoir quel était l’état du nuage protoplanétaire dans les premières étapes de sa contraction. Des nuances importantes seront apportées par la distance au Soleil de leur zone de formation. Il est évident que les moins transformés seront trouvés le plus loin du Soleil (comme Arrokhot, le TNO observé par la Sonde New Horizon au-delà de Pluton) et que ceux qui comporteraient le moins de matières volatiles, seront ceux situés en dessous de la Ligne de glace. Dans notre environnement on trouve des météorites différenciées qui proviennent d’un corps-parent plus massif et aussi des météorites indifférenciées qui sont justement le reste des éléments de la nébuleuse protoplanétaire. Ces dernières sont ce qu’on appelle des « chondrites » et il y a, bien sûr, différents types de chondrites (« ordinaires », « carbonées », « à enstatite »).

Donc si les chondrites nous parlent d’un monde très ancien, les achondrites nous parlent d’un monde plus récent et de nos voisins planétaires. Les chondrites contiennent des « chondres », petites billes surtout formées de silicates (la matière dominante de nos planètes telluriques et première phase de la condensation du nuage protoplanétaire). Avec les microscopes dont nous disposons aujourd’hui, on peut voir des détails extrêmement fins qui nous disent « presque tout ». C’est tout l’intérêt des missions de retour d’échantillons qui permettent d’utiliser les laboratoires terrestres quand même beaucoup plus performants que les spectrographes embarqués à bord des sondes. C’est ainsi qu’au cours du siècle passé les météorites sont devenus non plus des objets mystérieux mais des livres de notre histoire.

Illustration de titre : passage de la comète Siding Spring dans le ciel de Mars le 19 octobre 2014, vue d’artiste, crédit NASA.

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Index L’appel de Mars 21 01 22

 

 

Au commencement était le gaz et la poussière

Au commencement était le gaz et la poussière, la poussière elle-même était nouvelle dans l’Espace puisqu’elle avait été produite après le gaz dans le cœur des étoiles mortes explosées à l’origine de notre nébuleuse. Puis avec l’écoulement du temps, toujours long, un jour, une autre perturbation dans notre futur environnement initia une contraction des éléments qui s’y trouvaient. La contraction entraîna, dans une environnement gazeux de plus en plus dense, l’accrétion de grains de poussière avec d’autres grains de poussière, des galets puis des rochers, puis des agrégats de poussière, de galets et de rochers par le jeu de la force de gravité qui investissait la matière. Enfin une nouvelle étoile s’alluma, notre Soleil, dans le centre le plus dense du nuage, plus dense parce que centre. Et petit à petit autour d’elle des planètes commencèrent leur rotation presqu’éternelle puisqu’elle continue à ce jour, dans la chaleur des impacts de leur naissance et de la désintégration radioactive de leurs éléments chimiques les plus instables.

Il restait malgré tout des assemblages orphelins qui n’avaient pu s’agglomérer. L’espace est vaste et la densité essentielle. Ces orphelins ce sont les myriades d’astéroïdes qui nous entourent. Dans notre système on les retrouve nombreux dans trois ensembles : la Ceinture d’astéroïdes entre Mars et Jupiter, la Ceinture de Kuiper au-delà de Neptune, toutes deux plus ou moins dans le plan de l’écliptique solaire, et plus loin encore la sphère gigantesque du Nuage de Oort comme une coque ou un halo enveloppant tout ce qui est commandé par la force de gravité du Soleil. Une partie des astres de la Ceinture d’astéroïdes est sèche car ils se sont formés dans la chaleur, en deçà de la Ligne des glaces et, au-delà, la glace est partout présente comme elle l’est dans les lunes des planètes gazeuses, de Jupiter à Neptune.

A ces deux catégories d’astéroïdes, primitifs, s’ajoutent une troisième catégorie plus récente puisqu’elle résulte des chocs des météores*, astéroïdes primitifs et planétésimaux, sur les planètes déjà formées, et une quatrième dont on est devenu récemment conscients, celle des astéroïdes provenant de l’extérieur du système solaire comme le fameux Ouméaméa ou le moins fameux Borisov. Et, pour compliquer le tout, les rencontres entre astéroïdes évidemment inévitables dans les zones où ils sont nombreux, provoquent de temps en temps des décrochements vers les régions inférieures et le Soleil.

NB : *les météores sont les astéroïdes qui pénètrent dans l’atmosphère planétaire.

A part les rares intrus venus d’autres systèmes, l’ensemble de ces formations de roches et de poussière sont les témoins de nos premiers milliards d’années, depuis le début de l’accrétion jusqu’à la fin de la formation de notre système planétaire. Ce sont aussi les témoins de nos échanges interplanétaires jusqu’aujourd’hui mais évidemment davantage dans notre passé le plus violent (car les météores dans notre système « mature » sont devenus rares et moins massifs). C’est un véritable livre de sciences naturelles et le premier livre de notre Histoire et c’est pour cela qu’il est passionnant de les observer dans leurs débris et leurs traces laissées sur Terre, sur la Lune et sur Mars, et dans le ciel, en allant les photographier, les toucher (par sondes robotiques interposées!), les prélever, les analyser.

Le livre n’est évidemment pas facile à lire car le langage n’est pas clair (on apprend le code en même temps qu’on le lit) et que l’histoire est longue et a été très mouvementée. En principe les astéroïdes les plus éloignés du Soleil sont les plus primitifs (comme Arrokhot anciennement Ultima Thulé, objet de Kuiper observé par la sonde New Horizons après son survol de Pluton et Charon). Les plus évolués sont évidemment ceux qui proviennent d’impacts survenus sur d’autres planètes (les SNC* martiens par exemple). Les comètes, provenant probablement du Nuage de Oort sont des objets très anciens mais lorsqu’elles approchent du Soleil, elles perdent leur virginité par la chaleur et le dégazage. Les objets de la Ceinture d’astéroïdes sont de deux sortes car c’est à ce niveau qu’a fluctué la Ligne de glace (d’eau). Malheureusement (si l’on peut dire) pour la lisibilité, la Ceinture a été « bouleversée » par le couple Jupiter / Saturne (en fait directement, Jupiter) qui selon le « Modèle de Nice » d’Alessandro Morbidelli, est descendu vers le Soleil au travers de cette région avant de repartir beaucoup plus loin vers l’extérieur du système solaire. Pendant la descente puis le rebroussement du couple, des astéroïdes ont été absorbés/accrétés par la planète, d’autres ont été projetés dans d’autres régions (aussi bien vers le Soleil que vers l’extérieur du système). Il reste donc une Ceinture beaucoup plus clairsemée qu’elle n’était à l’origine et contenant un mélange de corps secs (plutôt vers le Soleil) et de corps glacés (plutôt vers l’extérieur du système). On s’interroge sur Cérès le plus gros planétoïde de la Ceinture, qui est très riche en glace et qui pourrait venir de très loin vers l’extérieur du système.

*Shergottites, Nakhlites et Chassignites d’après les lieux où l’on a trouvé les premières d’entre elles (Indes, Egypte, France). Elles sont très rares, quelques 130 identifiées sur plus de 60.000 météorites répertoriées à ce jour. Par mi elles les Shergottites, basaltiques sont les plus nombreuses (et les moins intéressantes).

Au-delà du contenu en eau, la composition minéralogique varie selon la taille et l’origine. Cérès (980 km de diamètre) est une quasi planète, on dit une « planète-naine », comme Pluton (1180 km de diamètre) et elle s’est différenciée en différentes couches conduisant jusqu’à son centre qui comprend les éléments les plus lourds, le fer et les sidérophiles. Cette différenciation s’est faite par la chaleur résultant de l’énergie cinétique générée par la chute des divers astéroïdes qu’a accrétés la planète-naine du fait de la force de gravité inhérente à sa masse. Toutes les masses importantes orbitant dans le ciel ont subi ce processus. Parmi les plus petites masses, on trouve des astéroïdes qui proviennent par éclatement de plus gros objets (comme Cérès ou plus petits) et qui sont constitués d’un des éléments résultant de la différenciation thermique (« en gros », métaux ou silicates). Mais on trouve aussi des astéroïdes qui sont restés isolés et dont l’évolution depuis les temps les plus lointains a été très limitée (ils n’ont pas fondu même si la chaleur a joué son rôle pendant leur formation !). En fait ce sont les plus abondants dans notre système (près de 90%). On les nomme « chondrites ». Ils sont constituées de silicates dont une partie est structurée en « chondres », petits grains de quelques centaines de nanomètres comprenant outre des silicates, d’autres éléments dont des métaux. Bien entendu tous les chondres n’ont pas la même composition*  et tous les astéroïdes n’ont pas la même proportion de chondres. Par ailleurs ils peuvent être plus ou moins cratérisés ou couverts de rochers. A cela s’ajoute un dernier élément de différentiation, la proximité au Soleil. L’astre jeune était fougueux et violent. Selon la distance, son influence radiative, à commencer par la chaleur, a été plus ou moins marquée. Elle n’est évidemment pas du tout la même pour un astéroïde de la Ceinture de Kuiper et pour un astéroïde géocroiseur.

*pour tracer l’origine des molécules prébiotiques, on recherche les chondrites carbonées dont certaines contiennent des molécules organiques, comme la météorite de Murchison (1969 Australie) dans laquelle on a trouvé des acides aminés et des sucres.

Vous percevez maintenant un peu mieux le « tableau », la diversité et les déductions qu’on peut en tirer sur les premiers temps de notre systèmes et sur son évolution pendant la phase la plus active de sa formation. Et vous comprenez maintenant pourquoi les missions vers Bennu, Ryugu ou la comète Tchouryoumov Gerasimenko, sans compter les enseignements que l’on peut tirer des météorites martiennes, identifiées sur Terre par la composition des bulles de gaz atmosphérique qu’elles ont emportés de leur lieu d’origine et qu’on identifie par comparaison avec ce qu’on sait aujourd’hui de la composition de l’atmosphère martienne. Nous avons sous les yeux les hiéroglyphes de la mémoire du temps mais le déchiffrement ne peut se faire que par comparaisons, analogies, prélèvements, analyses, nombre suffisant d’observations. C’est difficile mais beaucoup moins que le déchiffrement du palimpseste de notre planète où il est quasiment impossible de lire le texte des premières pages effacé par l’érosion tectonique et la vie.

A côté de l’astronomie des origines de l’Univers et celle des autres galaxies, plus ou moins lointaines, l’étude des astéroïdes n’est donc pas à négliger car ils sont la matière dont nous sommes faits. Les molécules organiques ne manquent pas et c’est sur ces petits corps, avec un peu ou beaucoup d’énergie, que se sont déroulés les premiers stades menant à notre propre complexité.

Image de titre: astéroïde Bennu, crédit NASA..

image ci-dessous: météorite de Murchison, Crédit : Philippe Schmitt-Kopplin

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Index L’appel de Mars 20 04 30