Avec le JWST, l’observation par les ondes infrarouges est sur le point de révolutionner l’astronomie

Le rayonnement infrarouge est porteur d’une richesse considérable d’informations sur l’espace. C’est notre capacité à positionner des télescopes hors de l’atmosphère terrestre et à les protéger de la chaleur environnante qui nous permet aujourd’hui de l’exploiter. Le télescope JWST qui est équipé précisément pour ce faire et le plus grand jamais lancé, nous offre la perspective d’un véritable saut en astronomie.

Le rayonnement infrarouge est un des segments du spectre électromagnétique. Il se situe entre le domaine du visible et celui des micro-ondes, dans des longueurs d’ondes qui vont de 0,78 µm (au plus près du spectre visible) à 5 mm (au plus près des micro-ondes). Il se divise entre infrarouge proche – « PIR » – (0,78 µm à 3 µm), infrarouge moyen – « MIR » (3 µm à 50 µm) et infrarouge lointain – « LIR » (de 50 µm à 5 mm).

Il est seulement notable par sa manifestation thermique. C’est d’ailleurs la gradation de cette manifestation qui permet de faire la différence entre les sous-segments PIR, MIR, LIR du segment infrarouge. A noter que toute manifestation thermique est due au déplacement d’énergie du chaud vers le froid et que donc d’autres segments du même spectre électromagnétique traduisent aussi un transfert de chaleur (mais pas seulement). A noter également que les mêmes sources peuvent rayonner dans plusieurs segments de longueur d’ondes (visible, infrarouge ou autres) mais que certains astres, les plus froids ou les moins lumineux, ne rayonnent que dans ce segment infrarouge ou en dessous (longueurs d’ondes encore plus grandes, à commencer par les ondes radio voisines). Par ailleurs l’atmosphère (terrestre, pour ce qui nous concerne) diffuse ou bloque le rayonnement thermique (selon la longueur d’ondes) et empêche l’observation dans la plupart des longueurs d’ondes du segment infrarouge à partir de la surface de la planète.

La conséquence de cette manifestation thermique est que, pour l’observation, il est nécessaire que non seulement l’atmosphère soit absente ou aussi ténue que possible mais aussi que l’environnement du capteur soit d’une température inférieure à celle du rayonnement que l’on veut capter. C’est pour cela que le JWST qui est conçu pour exploiter à partir de l’espace les sous-segments infrarouges les plus éloignés du visible, doit être particulièrement protégé, d’où (1) son positionnement au point de Lagrange L2 avec orientation du système de collecte (et d’abord son miroir primaire) dans la direction opposée au Soleil, (2) son bouclier thermique et (3) un liquide de refroidissement (hélium) pour les observations aux plus basses températures (en dessous des températures prévalant dans l’espace non éclairé au voisinage de la Terre).

Mais que peut-on « voir » en infrarouge ? Outre les sources proprement visibles, toutes les sources « froides », c’est-à-dire celles dont la lumière qui nous parvient est à la limite ou en-dessous du seuil de visibilité. Il peut s’agir de tous les astres dont la lumière apparente n’est qu’une réflexion de leur étoile et donc faible…et des autres qui ne réfléchissent pratiquement aucune lumière mais qui sont moins froides que leur environnement parce que leur masse génère de la chaleur par gravité, et parce que leurs composants instables suivent un processus de dégradation continue générateur de chaleur (radio-activité).

Dans notre système, il peut s’agir des astéroïdes proches et lointains. Il peut s’agir des planètes naines perdues dans la Ceinture de Kuiper (les « KPO »). Il peut éventuellement s’agir de la fabuleuse « Planète 9 » qui se « balade » dans cette zone et dont la masse serait au moins égale à celle de la Terre.

A l’extérieur de notre système et dans notre environnement galactique proche, il peut s’agir des exoplanètes les plus intéressantes du point de vue de la recherche d’une vie éventuelle parce qu’elles sont semblables à la Terre et parce qu’on a beaucoup de mal à les voir en ondes visibles. Elles sont petites comme la Terre et elles orbitent des astres très lumineux, comme notre Soleil, devant lesquels elles passent très rarement (toutes choses égales par ailleurs, environ une fois par an, comme notre Terre). Cela nous changera des exoplanètes orbitant les naines-rouges ou des planètes géantes orbitant les étoiles plus lumineuses (que les media nous présentent à chaque fois comme des « nouvelles-terres » mais qui n’en sont pas). Il y a beaucoup moins de différence d’intensité de rayonnement entre l’infrarouge reçu d’une planète et l’infrarouge reçu de son étoile qu’entre leurs rayonnements respectifs reçus dans le spectre visible. Et on pourra encore « arranger les choses » en utilisant de bons coronographes « à masque de phase » pour occulter la lumière plus intense de l’étoile. Il peut aussi s’agir de planètes-orphelines qui, pour une raison ou une autre, ont rompu les amarres avec leur système d’origine et qui errent dans l’espace interstellaire. Il peut bien sûr s’agir de naines brunes, astres plus chauds qu’une planète mais d’une température trop faible pour rayonner dans le visible.

En allant plus loin, nous pourrons entrer dans les pépinières d’étoiles ou « nuages-moléculaires », riches en poussière, occultants dans le visible, car l’infrarouge se joue de cette difficulté, le critère n’étant plus le photon mais la chaleur qui passe et qui transperce ou qui « éclaire » cet environnement. Nous pourrons y voir des étoiles en formation, déjà chaudes de leur accrétion mais dont la première lumière n’a pas encore jailli.

En allant encore plus loin nous pourrons courir après les astres les plus lointains qui, il y a plus de 13 milliards d’années, ont émis dans une longueur d’ondes plus courtes mais qui sont tellement distants aujourd’hui que leur « lumière reçue » s’est considérablement étirée vers le rouge du fait de leur vitesse d’éloignement (dilatation de l’Univers). Nous avons ainsi de bonnes chances de découvrir toute une population de galaxies primitives, surtout les premières qui, au-delà de « GNz11 » dont la lumière a mis 13,3 milliards d’années pour nous parvenir et qui est la plus lointaine identifiée aujourd’hui, se sont formées après la ré-ionisation de l’Univers qui a débouché sur la sortie des Ages-sombres. Hubble a vu GNz11 parce que la lumière de ses étoiles a été émise en ultraviolet ; mais si elle l’avait été en visible, elle ne serait observable que dans un infrarouge très profond (LIR). Avec le JWST on pourra voir dans ce LIR, et on peut espérer remonter jusqu’à 13,4 milliards d’années, voir de nombreuses galaxies de cette époque et tirer des généralisations sur la formation de ces galaxies.

Tout cela le JWST devrait pouvoir nous l’apporter avec une précision (« résolution angulaire ») aussi bonne que celle de Hubble sur des objets d’une luminosité cent fois plus faible. Il ne manque plus que la « mise en place ». Décollage le 24* décembre, voyage vers le point de Lagrange L2 (1,5 millions de km tout de même), déploiement de l’« origami » (c’est comme cela que l’on appelle le « pliage » de la sonde d’après le nom des pliages en papier sophistiqués des Japonais ) et première lumière…six mois après (été 2022). Prions que tout ce processus très complexe et délicat se déroule correctement.

*la date a encore changé. Espérons que ce soit la bonne!

Illustration de titre : NASA & K Luhman (Harvard-Smithonian Center for Astrophysics). Les étoiles enveloppées dans leurs nuages de poussière (à gauche, en visible) sont déshabillées lorsqu’on les observe dans leur rayonnement infrarouge (les mêmes étoiles, à droite).

Référence : Ciel & espace (revue de l’association française d’astronomie) n°580 (Nov. Dec. 2021)

https://en.wikipedia.org/wiki/Infrared

Illustration ci-dessous: spectre électromagnétique, atmospheric electromagnetic transmittance or opacity.jpg. crédit NASA

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Index L’appel de Mars 21 11 14

La merveille technologique qu’est le JWST va nous permettre de faire un saut dans nos capacités d’observation de l’Univers, proche et lointain

Le 22 décembre, l’ESA doit lancer à partir de Kourou le JWST (James Webb Space Telescope), nouveau télescope spatial, conçu et construit en coopération avec la NASA et l’ASC (Agence Spatiale Canadienne) et la participation de très nombreux contributeurs (voir ci-dessous, en fin d’article).

C’est un moment historique important pour plusieurs raisons. D’abord le JWST va remplacer le vieux Télescope Hubble. Ensuite il aura une puissance décuplée par rapport à son prédécesseur et il va repousser très loin notre horizon tout en nous permettant de voir dans l’espace proche des détails infiniment plus petits que ce que permettait Hubble et, surtout, toutes sortes d’objets peu ou non lumineux. C’est aussi l’achèvement d’une longue histoire qui a failli ne pas aboutir positivement et dont on peut tirer de nombreuses leçons. Enfin nous ne pourrons « vendre la peau de l’ours » que dans plusieurs semaines car, après le lancement, il y aura le déploiement du télescope et ce ne sera pas une mince affaire.

Il faut d’abord préciser que le JWST n’est quand même pas tout à fait Hubble. En effet il ne verra pas l’espace de la même manière que nos yeux (comme Hubble) puisqu’il ne sera sensible que marginalement à la lumière visible et bien davantage aux ondes juste un peu plus longues du spectre électromagnétique, celles qui vont de l’orange (à la limite du jaune) à l’infrarouge moyen, de 0,66 à 28 microns. A noter que la caméra WFC3 montée sur Hubble en 2009 permet seulement de descendre jusqu’à 1,7 microns. L’avantage c’est que la frange de visible permet de repérer les sources comme les télescopes ordinaires et que l’utilisation de l’infrarouge permet l’accès aux sources de très faible luminosité comme les exoplanètes, les étoiles naines-brunes, ou encore les objets très lointains dont la longueur d’onde du signal a été étirée par l’expansion de l’Univers et l’effet Doppler en résultant ; elle permet aussi de « voir » au travers de la poussière notamment dans les pépinières d’étoiles. L’avantage enfin c’est que l’accès à l’infrarouge depuis le sol de la planète est très difficile à cause de la lumière diffuse et de la température environnante de l’atmosphère et que le positionnement du JWST dans l’espace nous permettra d’en sortir.

C’est en effet pour cela que non seulement le JWST va être envoyé dans l’espace mais aussi que l’on prend des précautions extraordinaires pour que l’environnement dans lequel on veut collecter les infrarouges, soit aussi froid que possible. Il va donc être positionné en orbite autour de L2, un point de Lagrange d’une certaine stabilité même s’il est considéré comme instable par rapport à L4 et L5 (il faudra des corrections de trajectoire de temps en temps), le « dos » non seulement à la lumière du Soleil mais aussi à la lueur de la Terre, à 1,5 millions de km de celle-ci. L’orientation devra être scrupuleusement maintenue et elle le sera d’autant mieux que son orbite autour de L2 sera perpendiculaire à celle de la Terre). Mais il ne suffit pas que l’environnement du capteur soit froid, il doit être très froid pour que le moins de bruit de fond (la chaleur) possible n’occulte le rayonnement reçu le plus « rouge » possible (un peu comme dans le domaine du visible il nous faut la nuit pour voir les étoiles).

On a donc conçu tout un dispositif compliqué et fragile pour maintenir la plus basse température possible. Le bouclier, en même temps radiateur, est constitué, sur une épaisseur de 1,5 mètres, de cinq couches (14,16 x 22 mètres de surface) séparées, de « kapton », un film polymère stable sur une gamme très ouverte de températures, ultrafin et revêtu d’une fine couche d’aluminium. La face exposée au Soleil est traitée pour être particulièrement réfléchissante. Chaque couche, protégée par la précédente, est plus froide qu’elle et évacue la chaleur vers l’extérieur (effet radiateur) de telle sorte qu’on puisse passer de +125°C sur la face la plus exposée au Soleil à -235°C sur la dernière face avant le télescope (rappelons que le zéro absolu, 0 Kelvin est à -273,15°C).

A l’abri de ce bouclier va se déployer un objet magnifique, le miroir primaire, constitué de 18 segments hexagonaux, d’un diamètre total de 6,5 mètres de diamètre (surface de collecte de 25 m2), à comparer aux 2,4 mètres de Hubble. A noter que cette dimension, outre qu’elle permettra de recevoir davantage de rayonnements, est en partie justifiée par la longueur des ondes les plus longues que l’on veut capter. En effet les ondes infrarouges étant plus longues que les ondes visibles, on a besoin d’une surface plus grande pour que l’image qu’elles nous communiquent soit suffisamment fine. Dit autrement, la surface de collecte renforce l’acuité du télescope donc son pouvoir de résolution. Ce dernier sera comme celui de Hubble, de 0,1 seconde d’arc mais pour des ondes beaucoup plus longues (donc des lumières beaucoup plus faibles). Les segments de miroir sont en béryllium, un métal particulièrement stable et léger, recouvert d’une pellicule d’or, métal choisi pour ses vertus réfléchissantes dans l’infrarouge.

Le miroir primaire va renvoyer les ondes reçues vers un miroir secondaire, également en béryllium, tenu en avant du premier, « à bout de bras », par trois tiges de 7,60 mètres de long. Il réfléchira le rayonnement vers un troisième miroir, au centre du premier, qui sera la porte aux instruments qui, protégés au pied du miroir primaire contre les températures extrêmes, vont traiter le rayonnement reçu. Les données seront transmises ensuite par une antenne à grand gain orientée vers la Terre.

Il y a quatre instruments dans le cœur de ce qu’on doit considérer comme un véritable observatoire plutôt qu’un simple télescope, MIRI (Mid Infrared Instrument), FGS/NIrISS (Fine Guidance Sensor & Near Infrared Imager and Stiltless Spectrograph) , NIRSpec et NIRCam (Near Infrared Camera).

MIRI est un instrument (imageur et spectromètre) de l’extrême puisqu’il collecte les rayonnements les plus longs (entre 5 et 29 microns) donc les moins chauds. Il est refroidi en dessous de la température déjà très froide de l’ensemble du télescope, jusqu’à -266°C par un liquide cryogénique, et il est équipé d’un coronographe (par « masque de phase ») qui permet d’éviter que l’image froide soit inondée par la lumière de la source lumineuse la plus proche (le plus souvent l’étoile de la planète visée). L’objet est cosmologique, recherche de la « première lumière » au sortir des « âges sombres », et astrophysique, la formation des étoiles et la formation des systèmes planétaires. C’est une contribution de l’ESA (10 pays dont la Grande Bretagne, la France et la Suisse) et de la NASA.

FGS et NIrISS. FGS est un pointeur pour cibler l’objectif avec la plus grande précision (de l’ordre du millionième de degré). Il a pour cela été qualifié de « volant du Webb ». NIrISS est un spectrographe qui opérera dans les longueurs d’onde allant de 0,8 à 5 microns. Son objet est la détection des exoplanètes et leur caractérisation ainsi que la spectroscopie par transit (analyse de l’atmosphère lors du passage de la planète devant son étoile). En outre il étudiera les lumières les plus faibles de l’univers. FGS et NIrISS sont une contribution de l’ASC.

NIRSpec pourra prendre le spectrogramme de 100 objets simultanément, en moyenne résolution sur les longueurs d’onde de 1 à 5 microns et en résolution plus basse pour les longueurs d’onde allant de 0,6 à 5 microns. Il doit fournir des spectrogrammes de galaxies à très grands décalage vers le rouge, d’exoplanètes en transit, de disques protostellaires ou protoplanétaires. Il a été construit par ASTRIUM, c’est une contribution de l’ESA.

NIRCam est un imageur qui opère dans les longueurs d’onde 0,6 à 5 microns. Son objet est l’étude des premières phases de formation stellaire et galactique, la morphologie et les nuances de couleurs des galaxies à très grand décalage vers le rouge, les courbes de lumière des supernovæ distantes, la détection de matière noire via les effets de lentilles gravitationnelles, l’étude des populations d’étoiles dans les galaxies proches, l’imagerie et la spectroscopie des proto-étoiles, disques protoplanétaires, exoplanètes. Il est fourni par l’Université d’Arizona et le Centre de Technologie de Pointe de Lockheed Martin.

NIRCam est comme FGS un auxiliaire à l’observation pour les autres instruments car il sera également utilisé comme analyseur de front d’ondes pour contrôler l’alignement et le phasage du miroir primaire.

L’humanité va donc disposer très bientôt (6 mois après le lancement) d’un nouveau moyen d’observation qui lui permettra de faire un saut dans sa connaissance de l’Univers aussi bien proche que lointain. Il y aura un « avant » et un « après » JWST comme il y a eu un avant et un après Hubble. Ceci dit l’accouchement a été très pénible.

Le projet a commencé au stade de la réflexion en 1989 (il y a 32 ans !) mais ce n’est qu’en 1996 qu’on obtint une première étude de faisabilité. Le miroir primaire, à l’époque devait mesurer 8 mètres de diamètre et couter 500 millions. L’objectif de réalisation était 2007 (il y a 14 ans !). Entre 1997 et 2001, on précisa les spécifications et la NASA lança la collaboration avec l’ESA et l’ASC. Pour réduire le coût, on réduisit le diamètre du miroir primaire à 6 mètres mais le devis monta quand même à près de 2 milliards (un coût qui restait « normal » pour une sonde importante).  Entre 2003 et 2004, une autre avancée dans la préparation conduisit à la sélection des constructeurs et au choix du béryllium pour les segments du miroir primaire. On atteignit les 3 milliards…et le dérapage commença. En 2005 on repartit de zéro. Au fur et à mesure du temps, les problèmes se posèrent (tests, pliage), la date de mise en service s’éloigna et les coûts montèrent : 2010 prévu en 2003 ; 2014 et 5 milliards en 2009 ; 2018 et plus de 8 milliards en 2011. Le Sénat grinça, gronda et tonna puis céda pour augmenter le financement. Le plafond fut finalement irrémédiablement fixé à 10 milliards. On atteignit la somme en 2018 tandis que la date de lancement s’éloignait encore : 2019 en 2017 ; 2020 en 2018 ; Octobre 21 en 2020 et finalement Décembre 2021 en 2021 ! En fait le JWST a été terminé en juin 2016 mais les tests ont été plus difficiles que prévu (rendant notamment nécessaire la reconfiguration de la plus grande chambre à vide cryogénique au monde), il y a eu la covid et un problème avec le lanceur Ariane V, tout, y compris le « pas de chance » (déchirure du pare-soleil et in fine, fin novembre 2021, détachement trop brutal de la sangle liant la sonde à son support fixe au sein du lanceur qui a peut-être causé quelques dégats à la sonde et force le report du lancement du 18 au 22 décembre…au plus tôt) !

Ceci dit même après le lancement (par une fusée Ariane V de l’ESA à Kourou) nous ne serons pas au bout de nos épreuves car compte tenu de sa taille, le JWST a dû être replié à l’extrême (on parle d’un « origami ») et le déploiement sera pour le moins délicat. Voyez l’image ci-dessous et comparez là à l’illustration de titre (vue d’artiste NASA). En même temps, comparez la taille du télescope et comparez là à celle de l’homme qui se trouve en bas à droite. On peut espérer que lorsque le Starship d’Elon Musk sera opérationnel on ne sera plus obligé de faire ces pliages dantesques !

Liens :

https://fr.wikipedia.org/wiki/James-Webb_(t%C3%A9lescope_spatial)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hubble_(t%C3%A9lescope_spatial)

https://jwst.nasa.gov/content/webbLaunch/index.html

https://www.jwst.fr/

https://irfu.cea.fr/dap/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast.php?t=actu&id_ast=2302

http://www.exoplanetes.umontreal.ca/niriss-et-jwst-le-canada-a-lavant-plan-de-letude-des-exoplanetes/

Contributeurs au JWST :

Au nombre de 306 dans le monde dont 153 américains, 14 canadiens et 173 européens dont 8 suisses : Syderal SA, Neuchâtel / Swiss Space Office / Ruag / Physikalisches Institut, Bern / Paul Scherrer Institute, Villigen / Observatoire de Genève / ETH, Institute for Particle Physics and Astrophysics, Zurich / APCO Technologies SA, Aigle / La participation Suisse concerne surtout MIRI, l’instrument le plus délicat du JWST puisque c’est celui qui observera dans l’environnement le plus froid.

https://quanz-group.ethz.ch/research/instrumentation/jwst.html

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SpaceX est-elle vraiment au bord de la faillite ?

Elon Musk a mobilisé en urgence les employés de SpaceX pour qu’ils viennent travailler pendant le week-end de Thanksgiving ! Cette mobilisation était demandée par un e-mail qui évoquait le risque pour la société de faire faillite si le rythme de production des moteurs Raptor du Starship n’était pas accéléré. Sur cette base, certains ont cru devoir extrapoler que SpaceX faisait réellement faillite. Il n’en est rien, même si la situation de la société est tendue sur le plan technique.

Le problème est qu’Elon Musk s’est engagé dans le projet Starlink pour créer un réseau d’accès à Internet à haut débit, à partir de n’importe quel point de la planète et qu’il a besoin pour le mener à bien, de son vaisseau Starship qui dispose(ra) du plus grand volume d’emport de toutes les fusées au monde. Or la mise en service de ce vaisseau dépend (en partie) de la production en grand nombre de moteurs Raptor, aussi bien pour l’atmosphère que pour le vide. En elles-mêmes les constellations de satellites-relais pourraient être mises en orbite par des lanceurs d’une moindre capacité d’emport, le Falcon 9 ou le Falcon Heavy, qui pourraient loger des satellites type « V1 » déjà utilisés pour la première phase (qui a permis de démarrer la commercialisation). Mais le prix de la connexion internet (99$ par an), plus 499 $ d’installation, pour chaque utilisateur (dont la vente a commencé) a été calculé sur la base de lancements de masses et de volumes unitaires, plus importants, avec des satellites « V2 ». Autrement dit, Elon Musk a fixé son prix d’accès sur l’hypothèse d’un marché important desservi par des lancements peu coûteux parce qu’effectués par des Starships. De toute façon, il n’est pas question d’augmenter le prix de l’abonnement car 99$ est déjà considéré comme un bon niveau comparé aux prix pratiqués par la concurrence.

Malheureusement l’équipe technique en charge du développement et de la production des Raptors n’a pas été aussi performante que l’espérait Elon Musk (euphémisme). Comme les progrès n’étaient pas assez rapides, Elon Musk a « viré » l’équipe dirigée par Will Heltsley, senior vice-président en charge de la propulsion, avec Lee Rosen vice-président des missions et des opérations de lancements, et Rick Lim son « senior director ». Il a remplacée Will Heltsley par un autre professionnel travaillant sur les moteurs depuis des années, Jacob McKenzie, ingénieur en chef en charge des composants du système de propulsion. Et c’est avec sa nouvelle équipe qu’il a découvert que la situation était pire que ce qu’il craignait.

Entendons-nous bien, il n’y a pas d’inquiétude particulière sur les moteurs Raptor eux-mêmes, dont les prototypes aussi bien pour l’atmosphère que pour le vide ont été testés au sol avec satisfaction, mais sur le rythme de production de ces moteurs car leur « consommation » (donc leur besoin) sera importante (sous-entendu, au début il y aura des échecs, des destructions ou des pertes). En effet, il faut d’urgence procéder aux tests en orbite pour pouvoir atteindre les objectifs commerciaux. Cela est particulièrement important pour les moteurs à vide puisque les conditions sont difficiles à reproduire au sol (donc des tests en vol méritent quand même de confirmer les performances vérifiées au sol) et que leur fonctionnement est plus délicat (tuyère plus grande donc plus fragile, risque de déchirure et d’explosion résultant de la différence plus grande de pression entre le gaz propulsé et l’atmosphère extérieure). Or les tests sont très consommateurs de moteurs puisque les premiers étages (SuperHeavy) sont équipés de 29 moteurs atmosphériques et le second étage (Starship proprement dit) de 3 moteurs à vide et de 3 moteurs atmosphériques (pour redescendre).

Pour que le service des premiers abonnés à Internet ne coûte pas trop cher (que le plan financier de SpaceX tienne la route), il faut que le rythme de lancements du Starship puisse être de deux par mois au cours de l’année 2022. On n’y est pas !

Ceci dit, et ce n’est pas mentionné, il y a encore plusieurs étapes à franchir avant que le Starship soit opérationnel et c’est peut-être pour cela qu’Elon Musk « dort mal ». En dehors du fait que seul un test de Starship en vol a été positif (vol du SN15 le 06 mai 21), il n’y a pas eu de test en vol du lanceur SuperHeavy (test statique réussi le 20 juillet 2021) et surtout (de mon point de vue) l’attache des tuiles de protection thermique pour le retour au sol du Starship semble encore donner des soucis (nombreuses tuiles décollées du fait des différences de températures lors du remplissage des réservoirs en ergols cryogéniques). Souvenons nous que la Navette Challenger a explosé en vol à cause de la défaillance du système de protection thermique (les tuiles, toujours). Enfin quand on avance le chiffre de « 29 » moteurs pour le SuperHeavy on touche aussi au problème de les faire fonctionner ensemble (le risque des conséquences d’une défaillance de l’un d’entre eux n’est ni nul ni anodin).

Personnellement je regrette qu’Elon Musk se soit engagé dans cette aventure de Starlink car elle va polluer l’orbite basse terrestre (LEO) en gênant les observations astronomiques depuis la Terre. En même temps j’espère que l’inquiétude d’Elon Musk se dissipera rapidement car il faut que son entreprise continue puisqu’apparemment c’est aujourd’hui la seule capable de nous permettre d’aller sur Mars. Je suis cependant assez confiant car SpaceX (et Elon Musk) a « d’autres cordes à son arc » et elle est capitalisée à plus de 100 milliards de dollars. Il faudrait un certain temps ou plutôt un temps certain pour que les pertes résultant d’un prix trop bas des abonnements internet mettent la société en péril. D’ailleurs, dès le 30 Novembre, Elon Musk a atténué le choc de son email d’avant le week-end, par un tweet disant : “If a severe global recession were to dry up capital availability/liquidity while SpaceX was losing billions on Starlink & Starship, then bankruptcy, while still unlikely, is not impossible.” Cela veut bien dire que, même de son point de vue, d’homme pressé et inquiet, la situation n’est pas si alarmante.

Au pire, je pense que la NASA viendrait au secours de l’entreprise si nécessaire car de plus en plus elle semble compter sur le Starship beaucoup plus que sur son SLS pour la suite de l’exploration spatiale. En témoigne le « livre blanc » publié en Mai 2021 dans la « Planetary Science and Astrobiology Decadal Survey 2023-2032 » de la NASA, par Jennifer L. Heldmann, de l’Ames Research Center, Division of Space Sciences & Astrobiology, Planetary Systems Branch. Elle en est l’auteure principale à la tête d’un groupe de scientifiques américains impressionnant par le nombre et la qualité (« Accelerating Martian and Lunar Science through SpaceX Starship Missions ») et elle mise très clairement sur le Starship comme en témoigne le début de l’abstract de ce document :

citation:

SpaceX is developing the Starship vehicle for human and robotic flights to the Moon and Mars. This vehicle offers unprecedented payload capacity and a lower cost of surface access due to its full reusability. Here we focus on the potential research benefits from an effective partnership between NASA’s Science Mission Directorate and SpaceX.

fin de citation.

Illustration de titre : Photo du moteur Raptor, dans sa version atmosphérique à gauche et dans sa version à vide, à droite. Cliché crédit SpaceX.

liens:

https://spaceexplored.com/2021/11/29/spacex-raptor-crisis/

https://spacenews.com/spacex-grapples-with-raptor-production-problems/

https://www.newsweek.com/elon-musk-responds-leaked-email-warns-spacex-faces-bankruptcy-starship-raptor-1654767

https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2021psad.rept..518H/abstract

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Index L’appel de Mars 21 11 14

Les impacts d’astéroïdes présentent un risque sérieux. La sonde DART partie ce jeudi doit tester leur prévention

L’impact d’un « gros » astéroïde à la surface de la Terre est une probabilité faible mais non nulle. S’il survenait sur une zone habitée, les conséquences seraient catastrophiques et elles le seraient presque autant, par ses conséquences indirectes, dans une zone inhabitée.

C’est malgré tout quelque chose qui, avec certitude, doit arriver « un jour » si nous ne faisons pas le nécessaire pour l’éviter (et peut-être ne le pourrons-nous pas). La mission « DART » (« Double Asteroid Redirection Test » ou simplement « dard » ou « fléchette » en Français) de la NASA qui vient de quitter la Terre ce Mercredi 24 Novembre, est un test de ce que l’on pourrait faire. La théorie selon laquelle la trajectoire du bolide peut être modifiée par un impact (« kinetic impact deflection ») va être vérifiée, quantifiée, et on pourra ajuster les divers paramètres sur lesquels on pourra jouer.

La cible de DART est l’astéroïde Dydimos, composé de deux corps (Dydimos veut dire jumeau), le principal, Dydimos proprement dit, d’un diamètre de 780 mètres, et le secondaire, « Dimorphos », qui en est son satellite, ou sa lune, d’un diamètre de 160 mètres et qui orbite à 1,18 km du corps principal à la vitesse de 17 cm/s. Les astronomes estiment à environ 25.000 le nombre d’astéroïdes NEA d’une taille supérieure à 140 mètres (on n’en a sans doute identifié que 40%). Pour mémoire, celui de Chelyabinsk n’avait que 18 mètres.

Le test consiste à projeter sur la lune, frontalement, la masse (550 Kg) de la sonde DART animée d’une vitesse de 6,6 km/s (23.760 km/h, tout de même !). La collision doit ralentir la vitesse sur orbite de Dimorphos (5 millions de tonnes) de moins de 1% mais cela changera la durée de son parcourt de l’orbite autour du corps principal de plusieurs minutes (la distance de l’orbite de Dimorphos à celle de Dydimos sera réduite). Cette durée (« période orbitale ») est actuellement de 11h55 et 20 secondes.

L’intérêt du choix de Dimorphos pour le test est évidemment que Dimorphos étant captif de Dydimos, la trajectoire de l’ensemble ne sera pas modifiée (ce qui veut dire qu’on ne risque pas de le « recevoir sur la tête », du moins tout de suite).

L’approche de Dydimos sera vue par l’œil du télescope à angle étroit, DRACO (« Didymos Reconnaissance and Asteroid Camera for Optical navigation ») embarqué à bord de DART, en liaison avec la Terre où les observatoires pourront aussi « observer » car Dimorphos est en position telle qu’elle éclipsera partiellement Didymos (on verra donc son ombre se déplacer le long de sa surface). Lors et après l’impact (qui détruira DRACO), le relai de DRACO sera pris par LICIACube (Light Italian CubeSat for Imaging of Asteroids), un CubeSat de 6 unités de l’Agence Spatiale Italienne, qui fait partie du voyage (et de la “collaboration”). LICIA sera désolidarisé de DART 10 jours avant l’impact. Il pourra donc être le témoin « sur place » (précision 2 mètres par pixel) et retransmettra à la Terre les données et les images précises des conséquences de l’impact. Il y aura une suite car une autre sonde, Héra, sera lancée par l’ESA en 2024 pour, examiner en 2026 le cratère d’impact et faire des analyses très précises (2cm/pixel). La coopération se fera dans le cadre de ce qu’on appelle la « collaboration AIDA » (« Asteroid Impact and Deflection Assessment »).

Le test (l’impact) aura lieu entre le 26 septembre et le 1er Octobre 2022, lorsque Dydimos sera à 11 millions de km de la Terre.

Dydimos est un des astéroïdes géocroiseurs (aussi appelés « NEA », « Near Earth Asteroids ») de la catégorie Apollon (demi-grand axe > 1 UA et périhélie < 1,017 UA), récemment découvert (1996) et potentiellement dangereux du fait de sa proximité à la Terre (périhélie de 1,014 UA, aphélie de 2,275 UA, soit de la Terre à la Ceinture d’Astéroïdes) même si la « rencontre » n’est pas prévue dans les cent prochaines années. Il n’est pas, du fait de cette proximité, difficile d’accès. Sa dernière approche a eu lieu en 2003 et la prochaine aura lieu en Octobre 2022 (le choix de fin septembre 2022 pour l’impact est donc parfait pour en observer les conséquences). La suivante n’aura lieu qu’en 2062 et donc le prochain test se fera sur un autre astéroïde !

L’inconnue majeure est la réaction de la masse heurtée (bien qu’on ait évidemment fait des hypothèses). L’astéroïde, comme beaucoup de NEA (mais il y a des variétés importantes résultat de l’évolution complexe du système solaire) a une densité très faible, 1,7 +/- 0,4 kg /m3, car il résulte d’une lente agglomération de matière sans action gravitationnelle forte. DART ne va avoir d’action sur lui qu’en raison de sa vitesse et de sa densité. Mais on ne sait pas de combien il va s’enfoncer dans le sol et s’il ne génèrera que de la poussière ou des fragments plus gros.

DART est la première mission de défense planétaire (« Planetary Defense Mission ») de la NASA. La première mission visant à protéger la Terre des astéroïdes. Elle résulte d’une collaboration avec l’Agence Spatiale Italienne et John Hopkins APL (Applied Physics Laboratory). Il y a d’autres méthodes de « déflection » imaginée mais celle-ci est la plus « mature ». NB : on peut imaginer, par exemple, revêtir l’astéroïde (généralement extrêmement sombre) d’un film réfléchissant sur une moitié de sa surface qui permettrait à la lumière solaire de le dévier. Faire éclater l’astéroïde (avec une bombe atomique comme dans certaines œuvres de science-fiction) ne serait pas forcément une bonne idée car de gros débris pourrait rester sur la trajectoire d’origine.

La sonde a été lancée par une fusée Falcon 9 de SpaceX (qui confirme une fois de plus ses capacités et sa fiabilité). Le satellite sera alimenté en énergie par deux « ailes » de panneaux solaires. La première particularité est que ces panneaux sont enroulés sur eux-mêmes pour former deux rouleaux (« ROSA », pour « Roll-Out Solar Arrays »), de part et d’autre de la sonde et qu’ils vont se dérouler après la mise en orbite. Mais, d’autres technologies avancées vont également être testées :

SMART Nav (« Small-body Maneuvering Autonomous Real Time Navigation ») développée par APL permet un guidage optique autonome (qui, entre autres, permettra à DART de faire la différence entre Dydimos et Dimorphos !).

« TSA » (« Transformational Solar Array »). Egalement développée par APL. Des panneaux solaires « boostés », vont compléter un ensemble de panneaux classiques. Les nouveaux panneaux seront munis de concentrateurs de lumière et à surface égale aux panneaux standards, doivent procurer 3 fois plus de puissance.

“NEXT-C” (“NASA’s Evolutionary Xenon Thruster–Commercial”) est un système de propulsion ionique utilisant l’énergie solaire, développé par le Glenn Research Center de la NASA et Aerojet Rocketdyne. Comme dans le cas de TSA, NEXT-C ne sera pas le système de propulsion principal (hydrazine) mais un prototype auxiliaire.

Illustration de titre :

Vue d’artiste de DART à l’approche de Dimorphos. Crédit NASA/Johns Hopkins, APL/Steve Gribben.

Illustration ci-dessous : échelle de comparaison des Didymes avec des « objets » connus. Crédit NASA/John Hopkins APL

Illustration ci-dessous : Le projet DART en image. Crédit NASA/John Hopkins APL:

lien: https://www.nasa.gov/planetarydefense/dart

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Index L’appel de Mars 21 11 14

Les autoroutes de l’espace comme des courants dans l’Océan

Dans le passé on ne voyait la navigation dans l’espace qu’au travers d’une représentation reposant sur les relations gravitationnelles entre deux corps (par exemple le vaisseau spatial et la Terre puis le vaisseau spatial et le Soleil, enfin le vaisseau spatial et Mars). Aujourd’hui on a compris que le corps qui voyage, peut bénéficier du fait de sa masse relativement négligeable par rapport aux autres masses les plus présentes (outre le Soleil, les planètes et leurs satellites), d’un réseau de courants gravitationnels invisibles mais puissants qui lient leurs points de Lagrange. On a nommé ce réseau, l’ITN (Interplanetary Transport Network) ou l’IPS (InterPlanetary Superhighway). Je remercie le Professeur Daniel Pfenninger d’avoir attiré mon attention dessus dans l’un de ses récents commentaires.

Pour mémoire, il existe deux types de points de Lagrange, ces points (ou régions) de l’espace où les attractions gravitationnelles de deux masses (par exemple Soleil et Terre mais aussi Terre et Lune) s’équilibrent : les points de Lagrange proprement dits et les points de Euler. Les premiers (L4 et L5) sont des points stables, c’est à dire que si l’on s’en écarte, on tend à y revenir. Les seconds (L1, L2 et L3) sont des points instables, c’est-à-dire que si l’on s’en écarte on tend à s’en écarter davantage. Leurs facultés d’attraction et de rejet dans l’espace environnant et distant, présentent un intérêt tout à fait particulier dont nous allons parler dans cet article. Mais d’abord, situons-les.

Les points L4 et L5 sont au sommet de triangles équilatéraux dont un côté est l’axe qui joint les deux masses principales. Pour la Terre ils sont donc sur son orbite autour du Soleil à la même distance (mais en avance ou en retard) que celle qui existe entre ce dernier et la Terre. Les points L1, L2 et L3 sont sur l’axe qui joint les deux masses principales soit L3 exactement de l’autre côté du Soleil (« en conjonction »), L1 entre la Terre et le Soleil mais beaucoup plus près de la Terre que du Soleil (1,5 millions de km / 150 millions de km) compte tenu de la masse beaucoup plus importante du Soleil, et L2 à la même distance de l’autre côté de la Terre par rapport au Soleil (« en opposition »). Il ne faut pas oublier que l’ensemble est en mouvement, en orbite autour de la masse la plus importante du système solaire, le Soleil, ce qui est en soi un facteur déstabilisant générateur d’une force de Coriolis. A noter que dans le système Terre-Lune (et d’une façon générale dans les systèmes impliquant un satellite naturel de forte masse avec sa planète), le Soleil introduit une perturbation supplémentaire du fait de l’attractivité de sa masse.

Depuis « toujours » c’est-à-dire Newton (qui, suivant Kepler, résolut par la gravité le « problème des deux corps »), les scientifiques ont eu conscience des potentialités de l’instabilité générée par deux corps en relation gravitationnelle, pour un 3ème corps de masse « négligeable » (« problème à trois corps restreint »). Mais les mathématiques et la physique n’ont pas permis de les décrire avant Henri Poincaré en 1890 (fondement de la théorie du chaos). Les travaux de ce dernier furent poursuivis par Charles Conley (Uni. du Wisconsin) et son étudiant Robert Mc Gehee (Uni. du Minnesota) dans une publication datée de 1960. A ce stade on put constater qu’une infinité de chemin menaient ou emportaient de ces points d’Euler les masses négligeables, et qu’il était très facile sur le plan énergétique pour cette masse de passer d’un point d’Euler à l’autre, c’est-à-dire d’entrer sur une voie plutôt qu’une autre, puisque les orbites étant instables une quantité extrêmement faible d’énergie pouvait le permettre.

La découverte récente (1994-1997) de Martin Lo et de Shan Ross (tous deux au JPL), c’est qu’une fois tracées, ces orbites forment des tubes à partir de l’orbite entourant le point d’Euler considéré, que ces tubes se prolongent d’un point d’Euler d’un astre au point d’Euler d’un autre astre, et que du fait du mouvement des planètes les unes par rapport aux autres (orbites différentes, vitesses sur orbite différentes), les tubes sont mouvants comme des serpents, ce qui donnent entre les points d’Euler des parcours changeants et parfois des intersections. A noter qu’à l’intérieur de ces tubes la vitesse est d’autant plus faible que l’on est proche du point d’Euler et que l’accélération subie en s’en éloignant est totalement gratuite en termes énergétiques (on est emporté par le courant). A noter encore que dans ces tubes la masse de la sonde ou de l’objet artificiel créé par l’homme ne compte pas. Un cylindre de O’Neill y serait emporté avec la même facilité qu’un micro-satellite.

La conséquence pratique c’est qu’en se rendant sur un point d’Euler, par exemple celui du système Terre-Lune L2, on accède à un gigantesque réseau d’autoroutes gravitationnelles parcourant l’ensemble du système solaire. Démonstration a été faite de l’existence de telles autoroutes entre la Ceinture de Kuiper et la Ceinture d’astéroïdes et entre Jupiter et Saturne, en plus de celles qui existent dans notre environnent proche (système solaire interne), jusqu’à Vénus. Elles ont déjà été utilisées pour quelques missions robotiques (Genesis Discovery Mission entre 2001 et 2004 ou sauvetage de la mission japonaise Hiten en Octobre 91) et on a constaté qu’elles sont aussi utilisées , évidemment passivement, par des comètes (Oterma dans l’environnement de Jupiter).

Bien entendu, sur ces autoroutes, le chemin le plus court est plus long que la ligne droite et les vitesses sont faibles. Ainsi il faudrait quelques 13 années pour aller de l’orbite de Jupiter à celle de Saturne (à comparer aux 9,9 années qu’il faudrait si on utilisait une orbite de Hohmann d’énergie minimum dans un espace à deux corps (tangentielle au départ de Jupiter et à l’arrivée à proximité de Saturne).

La seule difficulté est la navigation. Il faut savoir passer d’une orbite à l’autre et le faire au moment précis où la voie est ouverte. Dans l’ancien temps on aurait dit « sentir le vent » ou comme les premiers navigateurs qui parcoururent l’Atlantique, voir où le courant conduit à partir d’indices flottants. Aujourd’hui les indices sont devenus des calculs complexes (orbites de Lissajous !) mais c’est toujours la Nature qui commande. Emprunter un tube au bon moment ne coûte aucune énergie mais en rejoindre un qu’on a laissé passer peut coûter très cher !

On peut imaginer voguer sur ce réseau partout où le jeu de masses dominantes peut permettre à un caillou de suivre une ligne de crête et de passer d’un versant à l’autre. Cela promet de beaux et longs voyages. Un jour des îles de l’espace partiront de l’environnement terrestre à la dérive (calculée) et suivront ces routes invisibles jusque là où leurs miroirs ne pourront plus recueillir suffisamment de lumière pour alimenter leurs machines, et reviendront se baigner dans la chaleur de l’environnement terrestre. La première étape serait une gigantesque station spatiale à l’entrée de l’« autoroute », au point L1 du système Terre-Lune, tout proche de la Terre, comme en ont rêvé Martin Lo et Shan Ross. On pourrait l’appeler le “Gateway”, beaucoup plus justement que la station orbitale lunaire du projet Artemis.

Mais y a-t-il une continuation de ces autoroutes au-delà de Neptune ? Pourrait-on en les empruntant s’engager jusqu’à la Ceinture de Kuiper puis entrer ensuite dans le domaine des Nuages de Oort ? Pour que les courants existent toujours aussi loin il faut que des forces gravitationnelles puissent les créer or au bout d’une certaine distance l’influence gravitationnelle du Soleil est très faible. Par ailleurs les planètes naines comme Pluton, Haumea, Makemake, sont de masse relativement faible (les plus grosses de l’ordre de celle de Pluton) et elles sont très éloignées les unes des autres. Les courants qui les joignent doivent donc avoir très peu de consistance ou de force. Au-delà de la Ceinture de Kuiper la situation est encore pire car sans doute il n’existe aucun gros corps dans les Nuages de Oort ; les contraintes gravitationnelles du Soleil y sont trop faibles pour en avoir provoqué la formation.

Alors sans doute ces courants gravitationnels se raréfient-ils et se diluent-ils au fur et à mesure qu’on s’éloigne du Soleil et des grosses planètes. Mais ils existent toujours puisqu’ils sont inhérents à la force de gravité animant tout couple de masses. Deux hypothèses se présentent : 1) un vaisseau emporté jusqu’à cet horizon peut continuer sur sa lancée si sa vitesse acquise est supérieure aux forces de rappel du Soleil ; 2) le vaisseau continue à pouvoir utiliser des courants gravitationnels affaiblis et in fine pénètre dans la sphère d’influence gravitationnelle du système voisin (Alpha Centauri) puis progresse par le même phénomène jusqu’à la zone habitable de cet autre monde. A noter cependant qu’il devrait y avoir entre les systèmes stellaires et également entre les galaxies des réseaux gravitationnels équivalents à celui qui existe à l’intérieur d’un système stellaire. Il faudra un jour les exploiter.

On peut rêver mais pour le moment ces voyages très lointains ne sont pas réalistes car au-delà de la Ceinture de Kuiper ils représenteraient vite des milliers d’années de voyage* et supposeraient aussi une masse énorme d’énergie embarquée car déjà au niveau de l’orbite de Pluton, l’irradiance solaire tombe extrêmement bas (elle n’est que de 0,87 W/m2 en moyenne pour cette dernière, contre 1360 W/m2 pour la Terre et de 492 à 715 W/m2 pour Mars). Le vaisseau aurait le temps de subir toutes les dégradations suffisantes pour entraîner dans la mort les derniers hommes qui auraient pu y survivre.

*Il faudrait 420 ans à la vitesse de 1% celle de la lumière (30.000 km/s) pour atteindre Proxima Centauri…en ligne droite, et la vitesse la plus rapide jamais atteinte par un objet construit par l’homme (la Parker Solar Probe) n’est que 192 km/s, au maximum. 

Pour nos habitats futurs, restons dans une chaleur acceptable sinon confortable. Contentons-nous d’exploiter l’ITN jusqu’à Saturne. Pour le transport d’objets massifs dont on n’aura pas un usage immédiat et pourvu que la destination ne soit pas trop lointaine (Mars, par exemple) on pourra voir l’ITN comme un réseau fluvial susceptible d’emporter des péniches. Et n’oublions pas que ces courants n’existent pas seulement pour nous transporter, transporter nos sondes ou plus tard nos matières premières, ils peuvent aussi nous apporter au fil des siècles toutes sortes d’éléments venus de loin, notamment des astéroïdes et des comètes.

Illustration de titre : Cette représentation stylisée de l’ITN montre ses cheminements sinueux au travers du système solaire. Le ruban vert représente un chemin parmi les nombreux qui sont mathématiquement possibles le long de la surface du tube sombre. Les endroits où le ruban change brusquement de direction représentent les changements de trajectoire aux points de Lagrange, tandis que les endroits resserrés représentent les emplacements où les objets restent en orbite temporaire autour d’un point avant de continuer. La vue d’artiste est prise depuis la région du Soleil. Vous voyez Vénus puis la Terre et Mars sur une ligne oblique partant de gauche à droite. Ensuite repartant de gauche à droite, Jupiter, Saturne et Uranus puis, tout au fond, Neptune. Crédit NASA.

Références :

http://www.gg.caltech.edu/~mwl/publications/papers/IPSAndOrigins.pdf

http://www.gg.caltech.edu/~mwl/publications/papers/lowEnergyInvariant.pdf

http://www.dept.aoe.vt.edu/~sdross/papers/NPO-20377.pdf

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_de_transport_interplan%C3%A9taire

http://www.jpl.nasa.gov/releases/2002/release_2002_147.html

https://www.nasa.gov/mission_pages/genesis/media/jpl-release-071702.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Orbite_de_Lissajous

https://fr.wikipedia.org/wiki/Orbite_de_halo

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Index L’appel de Mars 21 11 14

Mars, quoi qu’il en soit

Les cylindres de O’Neill seraient une solution pour vivre dans l’espace mais c’est une solution plus difficile à mettre en œuvre que d’aller se poser sur le sol de Mars. Pour commencer notre expansion dans l’espace, il faut donc à tout prix aller sur Mars. La suite ira de soi.

La solution « îles de l’espace » est difficile à mettre en œuvre pour toute sorte de raisons. Nous avons vu les semaines précédentes que l’essentiel de la matière ne peut venir que des astéroïdes ou de la Lune. La possibilité de transformer la matière dans l’espace est théoriquement possible grâce à l’énergie solaire mais on n’a jamais encore pratiqué ce type d’industrie. Les dimensions des îles sont gigantesques et les réaliser exige donc la robotisation très poussée d’un grand nombre de machines utilisant beaucoup d’énergie. Même avec beaucoup de moyens, le temps nécessaire à la construction s’étalera sur de nombreuses années. Les sommes dépensées seront énormes et le retour sur investissement, lointain sauf si on peut les employer à construire des SSPS*pour la Terre, mais la faisabilité de ces centrales attend encore d’être testée.

*Space Solar Power Station imaginées par Gerard O’Neill. Il s’agit de collecter l’énergie solaire par des miroirs évoluant dans l’espace sur orbite géostationnaire et de la retransmettre sur la Terre par micro-ondes sur des capteurs qui ensuite desserviront le réseau de distribution d’électricité.

A noter qu’une île de l’espace ne sera vraiment utilisable que lorsqu’elle sera terminée.

Aller sur Mars est beaucoup moins difficile. Il « suffit » de finaliser un lanceur super lourd réutilisable, comme peut l’être le Starship. La rentabilisation viendra des missions scientifiques payantes, du tourisme et des utilisations du même lanceur pour des vols planétaires autour de la Terre ou à destination de la Lune.

A noter donc que, contrairement à une île de l’espace, une installation légère sur Mars peut être rentabilisée sans attendre la création d’une ville. Comparer les deux c’est observer d’un côté une suite de mutations avec rejet brutal de la coquille et de l’autre un corps qui grandit en acquérant petit à petit de nouvelles facultés.

L’installation sur Mars pourra en effet être progressive avec un développement technologique parallèle à la progression du nombre des voyages et à l’accumulation des séjours. D’abord l’homme pourra vivre pendant la durée de 18 mois des premières missions à l’intérieur du Starship qui l’aura amené. Sur la durée, il devra (et pourra) se protéger des météorites et des radiations mieux que ne peut le faire la coque d’une fusée. On évalue l’épaisseur nécessaire pour se protéger aussi bien que sur Terre des radiations solaires (SeP* sous forme de SPE* ou même de CME*) à 40 cm de glace d’eau. Cela sera possible sans grande difficulté en surface de Mars dont le sol est relativement riche en eau.  Ce sera plus difficile de se protéger des rayonnements galactiques (GCR), plus pénétrants et plus énergétiques. Mais pour les missions de deux ou trois cycles synodiques et a fortiori pour vivre une durée indéfinie sur Mars, le mieux serait d’habiter des cavernes puisqu’il faut une épaisseur de deux mètres de régolithe pour bénéficier d’une protection adéquate contre ce second type de radiations.

*SeP = Solar energetic Particle (protons), SPE = Solar Particle Event, CME = Coronal Mass Ejection

Ces cavernes pourront être soit naturelles, soit creusées par l’homme. En premier lieu on utilisera les tubes de lave ou les cheminements créées par l’eau dans le sous-sol proche de la planète. Ces cavités sont nombreuses (région d’Arsia Mons ou d’Ebrus valles, par exemple). Elles seront d’autant plus facilement exploitables qu’elles auront des ouvertures accessibles et horizontales. On a vu de nombreux gouffres de dimensions adéquates (80 à 200 Mètres de diamètre) à partir des satellites-orbiteurs mais ces gouffres supposent qu’on les équipe d’un système d’ascenseurs pour y pénétrer et en ressortir (problème de consommation d’énergie et de sécurité). D’autres cavernes doivent avoir un accès à l’horizontale. On n’en a pas encore identifié (sauf un gouffre à moitié comblé de régolithe ce qui a créé une pente, raide, qui permettrait d’accéder au fond et sans doute à une extension souterraine) mais cela est certainement dû à l’impossibilité de détecter de tels accès par satellite puisqu’ils ont une vue verticale avec un angle d’observation très peu ouvert.

Une alternative serait de forer le mur d’un cratère ou plus généralement d’une falaise (par exemple au fond de Valles Marineris) avec un tunnelier après s’être assuré contre le risque d’éboulement au-dessus de l’entrée. Une autre serait de creuser un fossé circulaire de quelques 5 mètres de profondeur et d’une trentaine de mètres de diamètre, dans un sol à peu près plat et, à partir de ce fossé, d’évider l’intérieur par des forages transversaux en laissant un « plafond » d’au moins deux mètres d’épaisseur (solidement étayé !). Un cylindre d’un diamètre ainsi déterminé pourrait donner l’habitabilité d’un petit immeuble. Le fossé circulaire pourrait être protégé par une toiture en verre (obtenu à partir de la silice martienne) et pressurisé, ce qui donnerait une surface cultivable de plus de 500 m2, suffisante pour nourrir une dizaine de personnes (des miroirs sur le pourtour du fossé, en haut et au fond, permettraient d’augmenter le rayonnement lumineux au fond et peut-être de cultiver un autre niveau, en étagère).

Ces habitats semi-enterrés sont un exemple de ce qu’on pourrait faire. J’en ai fait réaliser une illustration par le dessinateur Manchu (Philippe Bouchet) au début des années 2000. La seule difficulté, me semble-t-il, serait la consistance du sol martien. Jusqu’à présent on n’a fait qu’effleurer la surface (forage d’InSight) et l’expérience s’est avérée déconcertante. Il faudrait donc tenter l’expérience avec une excavatrice robotisée (ce qui pourrait aussi servir à accéder au sous-sol profond pour en étudier la biochimie). A noter que les premiers mètres du sol martien étant très froid, on aurait intérêt à creuser en dessous du niveau de l’habitat un sous-sol pour créer une isolation…et à y entreposer les machines (conditionnement de l’air, informatique, etc…) pour maximiser la possibilité de capter leur chaleur pour les hommes. Comme partout sur Mars, l’énergie serait nucléaire et solaire (la surface du cercle étant couverte de panneaux photovoltaïques). Pour le moment l’énergie géothermique n’est qu’un espoir mais il existe certainement des points-chauds. Le problème étant la profondeur nécessaire du forage car le gradient de températures est très raide !

A partir de la première base martienne on pourrait extraire par minage robotique de Phobos commandé en direct, (presque) toutes les matières premières nécessaires pour créer une première île de l’espace, sans doute une Île de type « 1 », sphère de Bernal de 500 m de diamètre, soit 785.000 m2 de surface interne, et l’envoyer ensuite dans la Ceinture d’astéroïdes toute proche pour y construire d’autres îles, encore plus grandes. Une telle sphère conçue en 1929 par le physicien britannique John Desmond Bernal et revisitée en 1970 par Gerard O’Neill, pourrait générer une gravité de type terrestre sur sa bande équatoriale moyennant une rotation de 1,9 tours par minute. Plus elles seront grandes plus la force de Coriolis y passera inaperçue au sol et moins l’homme aura l’impression d’y être enfermé.

Aller sur Mars et s’y installer lèvera le tabou selon lequel il n’y a de vie humaine possible que sur Terre. Les êtres humains s’étant affranchis de ce paradigme, tout deviendra possible. Ils pourront concevoir de construire et de conserver l’environnement qui leur est nécessaire, rien que cet environnement, sans aucun élément extérieur inutile, pour vivre n’importe où. Ils deviendront un peu comme un bernard-l’hermite lorsqu’il s’empare d’un coquillage pour protéger sa vie des menaces extérieures auxquelles son faible corps ne pourrait résister. Mais à la différence du bernard-l’hermite l’« hommo-spatialis » saura concevoir et organiser aussi son environnement extérieur pour y puiser juste ce dont il aura besoin. Poussé par la nécessité il aura renoncé à l’inutile et utilisera la matière dont il aura besoin avec le souci constant de la réutiliser pour ne pas avoir à se procurer à nouveau des roches vierges contenant les éléments indispensables à sa survie et sa prospérité.

Illustration de titre : Une sphère de Bernal telle qu’étudiée par Gerard O’Neill. Les tores sont les zones agricoles. La lumière pénètre indirectement à l’intérieur par des chevrons dont les faces sont revêtues de miroirs, ce qui permet une bonne isolation contre les radiations. Vue d’artiste, Rick Guidice / Ames Research Center.

Illustration ci-dessous :

« Back to the Rabbit Hole », crédit Manchu (Philippe Bouchet). La base martienne évoquée dans le texte ci-dessus. Les panneaux solaires occupent le toit de l’habitat. Le sas se trouve à droite, de là on descend en pente douce dans la tranchée périphérique. Plusieurs grandes baies vitrées donnent sur cette tranchée qui est pressurisée et cultivée. Sur la droite on voit des hangars, des stocks, des antennes. Entre l’antenne de communication vers la Terre, un évent permet d’évacuer le gaz carbonique. Derrière la base, devant la colline, un site de forage permet d’accéder à un aquifère. Derrière la colline un réacteur à fission nucléaire procure à la base l’essentiel de son énergie.

Référence : https://wbase.net/CylindreONeill.html

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Index L’appel de Mars 21 10 31

Vivre, recycler, transformer, découvrir

Depuis que la vie est présente sur Terre, la planète évolue en interaction avec elle. La vie est une des forces de la Terre et elle la transforme continuellement. En même temps la Terre recycle les éléments constitutifs des êtres vivants ; elle les récupère tous et les remet, plus ou moins transformés, à disposition de la vie.

Il ne faut pas s’illusionner, il y a co-évolution, transformation permanente, depuis toujours. La Terre sans la vie ne serait pas la même planète, physiquement, même au niveau de sa minéralogie (pensez au calcaire ou au charbon). La Terre de demain ne pourra être celle d’hier. La seule chose dont la vie ait besoin de la part de son environnement changeant, c’est de pouvoir continuer son processus (pour ne pas dire sa programmation) en gagnant des territoires et en se reproduisant dans une succession de générations. Pour ce faire elle s’adapte, continument, par évolution darwinienne de ses codes génétiques. Cette pulsion irrépressible est celle de l’homéostasie qu’Antonio Damasio développe de façon claire et convaincante dans son excellent livre L’ordre étrange des choses. C’est vrai pour les bactéries, c’est vrai pour les hommes. La seule différence est que les bactéries utilisent leur faculté de mutations et d’échanges de gênes et que l’homme utilise ses aptitudes technologiques.

Nous sommes arrivés, pour l’homme, au point où le processus commencé sur Terre peut continuer ailleurs du fait de l’évolution de ses technologies. La prochaine étape sera sur Mars et sera ensuite dans des îles-de-l’espace, partout dans le système solaire, avec les astéroïdes où « nous » (c’est-à-dire « Elle », la Vie que nous portons) trouverons notre matière, grâce au Soleil qui nous fournira toute l’énergie dont nous aurons besoin.

Ainsi dans notre environnement proche les terres vierges seront réduites à des ilots: des parcs, des réserves, des conservatoires, des jardins de méditation, pour étudier et profiter esthétiquement de la « Nature ». La Lune ou Mars dont la poussière et le régolithe sont aujourd’hui intacts, porteront des traces de pieds bottés et de roues. Des carrières ou des sites de forage marqueront leur sol, des routes, des antennes ou des poteaux de communication, des habitats, des usines, des astroports seront les cicatrices de ces nouveaux mondes occupés par l’homme.

Faut-il le regretter ? Autant regretter le temps qui passe, sur lequel nous n’avons aucune prise. Mais nous n’avons pas besoin de saccager. Il faut être respectueux de l’environnement comme nous sommes respectueux des animaux dont nous nous nourrissons. On pourrait dire qu’il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or mais lui permettre au contraire de prospérer, dans notre intérêt qui est aussi le sien.

Ceci dit le monde civilisé peut être beau quelle que soit l’époque considérée. Découvrir un château en se promenant en forêt, enrichit à nos yeux la nature par son contraste avec elle et justifie d’avoir marché jusque-là. Atteindre le monastère de Sainte Catherine après avoir cheminé longuement dans l’aridité presque absolue du désert du Sinaï et découvrir la quintessence de ce que peut faire l’homme habité par la transcendance, est une des plus grandes joies de l’esprit.

Les constructions de l’homme moderne peuvent être belles, même si leur objet premier n’est pas l’expression artistique gratuite. Pensez à un pont très long au-dessus du vide comme le viaduc de Millau. Pensez à l’Autoroute des Titans qui près de Nantua est une succession d’ouvrages d’art, tunnels creusés, ponts suspendus. Pensez à ces antennes d’Alma qui tournées vers le ciel occupent le plateau glacé de Chajnantor.

Le monde que créeront les hommes de demain, « dans les étoiles », sera beau aussi. Pensez au magnifique tore géant de 2001 Odyssée de l’Espace. Imaginez l’astroport martien, « Robert Zubrin » sur lequel se dresseront dans trente ans une dizaine de Starships avec leur tour de services, en attente du retour cyclique sur Terre. Imaginez les pointillés de taches vertes sur fond ocre des multiples serres entourant les dômes des habitats martiens. Pensez à l’antenne géante utilisée pour les communications vers la Terre. Pensez au télescope de 100 mètres, bénéficiant de la faible gravité martienne, construit sur un haut sommet, au-dessus des nuages et de la poussière pour observer l’Univers sous un angle nouveau et complémentaire de celui de la Terre.

Ceci dit, l’Univers est vaste et il restera toujours des terres vierges au fur et à mesure que nous progresserons dans sa découverte, un peu comme la route sur laquelle nous avançons nous dévoile au fur et à mesure des paysages et des perspectives nouveaux.

Nos véhicules sur ces routes ce seront les cylindres des îles-de-l’Espace. A partir d’eux nous « grignoterons » les astéroïdes pour en tirer notre substantifique moëlle et nous pourrons aller contempler de plus près Europe et Encelade, Titan et Triton, puis d’autres lunes et planètes dont les noms n’existent pas encore.

Il restera toujours des terres vierges et tout comme l’horizon elles seront toujours devant nous, des mirages ou des appels pour que, un jour, peut-être, nous y mettions la main.

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Illustration de titre : le monastère de Sainte Catherine dans le désert du Sinaï est construit autour du tombeau de Sainte Catherine d’Alexandrie, là où le corps de la vierge, réputée pour sa science et sa force de conviction, fut déposée par les anges après son martyr. Ce sanctuaire, un temple pour nourrir l’esprit et un verger pour nourrir le corps, peut évoquer une base martienne. Rien d’inutile ; ce qui suffit.

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Index L’appel de Mars 21 10 22

Les cylindres de O’Neill pour aller vivre toujours plus loin

Je vous ai présenté la semaine dernière les cylindres de O’Neill, que l’on pourrait construire avec les matériaux lunaires pour vivre au point de libration L5 de notre système Terre-Lune. Mais on peut envisager de les positionner plus loin, sans beaucoup plus de difficultés dans la zone habitable de notre système solaire ou même dans la Ceinture d’Astéroïdes, sans doute moins facilement beaucoup plus loin à proximité des planètes gazeuses et de leurs lunes, jusqu’à l’orbite de Pluton, et peut-être un jour de les utiliser comme vaisseaux multigénérationnels pour atteindre une étoile voisine.

A chaque étape les problèmes évoluent et sont de plus en plus difficiles à résoudre mais on peut les considérer.

Commençons par le point de libration (Lagrange) L5 de notre système Soleil-Terre, « ST ». Il est situé beaucoup plus loin de la Lune et de la Terre que le point L5 du système Terre-Lune, « TL » (150 millions de km au lieu de 385.000 km). On pourrait cependant toujours envoyer les paquets de régolithe de la Lune à L2 (TL) et les convoyer ensuite, groupés, en L5 (ST) pour être transformés. En effet à partir de L2 (TL) l’accélération nécessaire serait la même que pour aller en L5 (TL). La seule différence serait le temps nécessaire au voyage mais, dans une succession d’envois, le temps ne compterait pas.

Voyons ensuite les possibilités dans la zone habitable de notre système solaire. On peut envisager un point de libration martien. Plutôt qu’en L5 ou L4 du système Soleil-Mars (SM), très éloignés de la planète (207 à 249 millions de km), il serait plus intéressant de se placer en L1, c’est-à-dire en pleine lumière du Soleil, entre l’astre du jour et la planète, à une distance de 1.000.000 km de celle-ci, environ (avec l’excentricité de l’orbite de Mars, il y aura des variations). A cette distance on pourrait commander presque en direct des robots en surface de Mars (time-lag de moins de 4 secondes, dans un seul sens) et y descendre assez facilement en cas de besoins ou d’intérêt. Il serait plus coûteux en termes d’énergie de se procurer des matériaux martiens que des matériaux lunaires pour les cylindres positionnés en L5 (TL) mais, plutôt que de descendre sur la planète, on pourrait s’approvisionner sur Phobos. Bien sûr L1 est un point instable (pour donner une image, L1 et L2 sont des sommets, L4 et 5 sont des cuvettes) et il faudrait veiller à maintenir le cylindre à son point d’équilibre mais les dépenses en énergie pour le faire seraient faibles.

On peut plus difficilement envisager une localisation dans l’environnement de Vénus car on aura toujours intérêt à se trouver près d’une source de matière première et Vénus n’offre que ses nuages (elle n’aurait qu’un seul astéroïde troyen, à confirmer, positionné en L4). Ce n’est pas rien mais probablement insuffisant. Imaginez que l’on doive remplacer une tôle de la coque du cylindre parce qu’elle a été endommagée par une micrométéorite ! Par ailleurs l’irradiance est très élevée (2600 W/m2, à comparer à celle de l’orbite terrestre 1400 W/m2) et la chaleur ainsi que l’intensité des radiations pourraient poser problème.

Voyons ensuite la localisation dans la Ceinture d’Astéroïdes. Sur le plan des matériaux, ce serait comme placer un colibri dans un jardin de fleurs. Les constructeurs de cylindres auraient l’embarras du choix. Ils disposeraient de tous les éléments chimiques, y compris le carbone, et aussi de glace d’eau. Par ailleurs la force de libération pour quitter un astéroïde est extrêmement faible puisque sa masse est également très faible. La seule difficulté qui commencerait à ce stade à se révéler, serait le faible niveau de la quantité de lumière car l’irradiance solaire à cette distance diminue sérieusement (on passe de 450 à 700 W/m2 sur l’orbite de Mars à 50 W/m2 sur l’orbite de Jupiter). On devrait donc augmenter la taille des miroirs et leur donner une certaine concavité.

Au-delà de la Ceinture d’Astéroïdes, on arrive aux géantes gazeuses. La proximité trop grande de ces planètes pourrait poser un problème de radiations des plus grosses d’entre elles (Jupiter surtout) mais pas aux points de libration et en particulier aux points L4 et L5 qui en plus présentent l’avantage de disposer de matière, les astéroïdes Troyens (particulièrement abondant pour Jupiter). Alors, les résidents du point L5 du système Soleil-Jupiter se sentiront peut-être un peu isolés mais au lieu d’un seul couple de cylindres, on peut en imaginer une dizaine ou plus et donc, à l’intérieur, une grande variété de climat, de cultures, d’activités. Sans oublier que, du fait de leur faible gravité, quitter L5 (ou L4) pour voyager ne sera jamais un problème puisque la seule énergie nécessaire sera pour l’accélération et la vitesse réelle par rapport aux deux points, non pour seulement échapper à une attirance planétaire très forte (pour les missions interplanétaires partant de la Terre, 90% de l’énergie est dépensée pour sortir de l’attraction terrestre). Dans ces voyages les résidents n’iront peut-être pas (fréquemment) jusqu’à la Terre, lointaine, mais ils iront volontiers dans la Ceinture d’astéroïdes ou vers les points L5 et L4 de Saturne.

Au-delà de Pluton « les choses deviennent plus compliquées » à cause du manque de lumière. Gerard O’Neill évalue la distance maximum à laquelle on pourrait établir une colonie de la taille d’Island 1, sphère de 900.000 m2 (plus petite qu’Island 3), à 3,7 jours lumière soit 640 fois la distance Soleil-Terre (« 640 UA ») donc bien au-delà de Pluton (entre 29 et 49 UA), entre la Ceinture de Kuiper (30 à 55 UA) et le Nuage de Oort interne (1000 à 20.000 UA). A cette distance, un miroir convergeant de la surface nécessaire pour fournir une énergie de 100 MW devrait n’avoir que quelques petits microns d’épaisseur (O’Neill parle de quelques longueurs d’ondes lumineuses) pour que sa masse ne dépasse pas du double celle de l’habitat équipé et habité. Cela implique que l’on pourrait, en-dessous des 640 UA, au sein de la Ceinture de Kuiper, construire d’autres iles de l’espace qui seraient tout aussi confortables que celles de la Ceinture d’Astéroïdes (et nécessiteraient un miroir un peu plus petit).

Vastes perspectives donc, qui offrent de la marge à une expansion de l’humanité pendant encore une très longue période.

Cependant, à 3,7 jours-lumière, nous sommes encore très loin de l’étoile la plus proche, Proxima-Centauri qui évolue à 4,25 années-lumière. Alors est-il possible d’envisager d’utiliser une île de l’espace pour franchir la distance, énorme, qui nous sépare ? C’est terriblement tentant mais terriblement difficile. On peut certes voir l’île comme un vaisseau spatial, non pas simplement pour vivre quelque part mais pour y aller. Il n’y a aucun problème théorique à l’équiper de moteurs (la forme du vaisseau importe peu là où il n’y a ni gravité ni atmosphère. Le problème c’est bien sûr l’énergie et le temps, les deux étant d’ailleurs liés. Pour ce qui est de l’énergie, étant donné que jusqu’à atteindre les confins de Proxima Centauri, il n’y aura pas d’énergie solaire (ou plutôt son équivalent, celle de l’étoile Proxima Centauri), la seule solution sera l’énergie nucléaire. Reste la durée ! A 20% de la vitesse de la lumière il faudrait 20 ans pour atteindre Proxima-Centauri et les ressources énergétiques « classiques » embarquées ne permettront pas d’atteindre cette vitesse. A la vitesse la plus élevée qu’aucune sonde humaine ait jamais atteinte (la « PSP », Parker Solar Probe, qui se déplace aujourd’hui à 175 km/s grâce à l’accélération procurée par la gravité solaire) il faudrait 6.711 ans. A la vitesse de 1% de celle de la lumière (3.000 Km/s), il nous faudrait encore 423 ans, ce qui est évidemment toujours trop long. Il faudra donc améliorer notre système de propulsion pour parvenir à 10% soit 42,3 ans. Mais même si nous y parvenons, il faudra quand même deux générations d’êtres humains pour faire le voyage (aller simple !). Pourquoi pas si l’environnement est confortable. Mais se pose quand même le problème des relations entre les passagers du vaisseau (surtout les descendants de la première génération qui n’auront rien demandé) et celui de l’usure des vaisseaux et de ses équipements (la redondance de certains va s’imposer). Ce sont des problèmes pour après-demain mais il est permis d’en rêver et plus encore, d’y réfléchir.

Illustration de titre : la vision d’une Ile de l’Espace par Jeff Bezos. Vue d’artiste, crédit Blue Origin. Le rêve de Jeff Bezos est bien de construire une telle île. Inspiré par Gerard O’Neill, il semble cependant préférer le concept du tore (comme celui de 2001, Odyssée de l’Espace) à celui du cylindre. NB: vous remarquerez la courbure du sol et du plafond de l’habitat dans la profondeur de l’image, et l’éclairage bilatéral.

Références :

Les villes de l’Espace, de Gerard K. O’Neill chez Robert Laffont (1978), traduction de The High Frontier, chez William Morrow & Co (1976).

Space Settlements, a design study, NASA, Ames Research Center 1977.

Liste des publications sur les voyages interstellaires (Interstellar Research Center):

https://www.interstellarresearchcentre.com/papers

Vous verrez que la littérature est extrêmement abondante !

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Les cylindres de O’Neill, perspective la plus séduisante pour vivre en-dehors de la Terre

Les cylindres de O’Neill m’ont toujours semblé le vecteur le plus efficace pour vivre et nous déplacer loin dans l’espace profond. Les utiliserons nous un jour ? Les défis technologiques qu’ils posent ont été étudiés en détails dans les années 1970/80 sous l’impulsion de Gerard Kitchen O’Neill, professeur de physique à l’Université de Princeton (décédé en 1992). Il « n’avait pas froid aux yeux ».

La réalisation de ces cylindres qui était difficile alors, le serait sans doute un peu moins aujourd’hui compte tenu des progrès de la robotique et de l’informatique mais malheureusement la volonté semble ne plus être présente. Cependant les idées, tout comme les bactéries, ne meurent pas facilement. Si elles ne sont pas agitées donc nourries, elles dorment, tout simplement. Je tente, à ma modeste échelle, un réveil ou au moins un regain d’attention.

Plusieurs versions de cylindres ont été étudiées, sans ou avec le concours de la NASA. La plus spectaculaire et celle dont il faudrait disposer pour vivre « agréablement » sur une très longue période à l’intérieur du système solaire, est celle que O’Neill avait nommé « Island III ». Il s’agit en fait de deux cylindres reliés entre eux, chacun de 6,5 km de diamètre et de 32 km de longueur offrant donc une surface intérieure de 653 km2. Ils sont en rotation (contraire) pour créer une gravité artificielle sur leur surface intérieure.

Ils sont structurés par une armature de poutres métalliques. L’espace intérieur est isolé de l’extérieur par des plaques de métal ou de verre (50 cm de côté pour ces dernières) fixées à un treillis de ces poutres (comme les structures géodésiques) selon six bandes longitudinales d’égales dimensions. Les trois bandes de plaques de métal alternent avec les trois bandes de plaques de verre. Celles de plaques de métal vont servir de support au sol sur lequel évolueront les habitants (326 km2) ; celles de plaques de verre donneront accès à la lumière et à la chaleur du Soleil. Les deux extrémités du cylindre sont fermées, comme une bouteille de gaz, par des demi-sphères métalliques.

La surface intérieure des bandes de plaques de métal est couverte d’une couche de régolithe d’au moins deux mètres qui servira de sol et d’écran aux radiations. L’intérieur est pressurisé à 0,36 bars avec moitié oxygène (0,18 bars) et moitié azote (0,18 bars). De la glace d’eau est introduite en quantité suffisante pour l’eau liquide (et l’humidification de l’air) nécessaire. Il est prévu d’enrichir le sol des éléments chimiques permettant la vie (molécules azotées et plus généralement humus) et des insectes permettant de la maintenir. Le tout doit, bien entendu, être recyclable au maximum des possibilités. L’énergie est solaire. La construction a lieu dans l’espace à partir de matières premières brutes.

Dans la première phase, ces îles de l’espace seraient établies au point de Lagrange L5 du système Terre-Lune, l’une des régions où la force de gravité de la Terre s’exerçant sur une masse quelconque est exactement équilibrée par celle de la Lune, suivant une orbite presque stable (nuance introduite du fait de l’influence du  Soleil) définie par la force de Coriolis. Dans une seconde phase, Gerard O’Neill les aurait installées en L5 du système Soleil-Terre, sur une vaste orbite stable de 800.000 km. Plus tard, il envisageait de les installer au sein de la Ceinture d’Astéroïdes, puis au-delà de Pluton dans la Ceinture de Kuiper…Restons dans le cadre de la première phase.

Points de Lagrange du Système Terre-Lune. Crédit David A. Kring, LPI-JSC Center for Lunar Science & Exploration.

Les plus grands défis sont l’acheminement et la transformation industrielle des matières premières dans l’espace. Dans le plan de phase 1, la matière première serait essentiellement le régolithe lunaire. Ce régolithe serait extrait par des excavateurs robotiques, compacté, déposé dans des conteneurs qui circuleraient sur un rail utilisé comme une « catapulte électromagnétique ». L’accélération du conteneur magnétique (bobine mobile) étant causée par une succession d’électroaimants (bobines fixes). En fin de rail, la charge serait libérée et le conteneur freiné puis récupéré dans une boucle qui le replacerait à l’endroit qui lui permettrait de reprendre une nouvelle charge.

La matière (plusieurs dizaines de millions de tonnes par petits paquets expédiés très vite les uns après les autres) serait envoyée au point de Lagrange L2, parce qu’il est plus proche de la Lune et moins difficile d’accès compte tenu de la nécessaire précision quant à la direction (on peut envisager un guidage par laser) et à la vitesse du tir. A partir de L2, un convoyeur devrait prendre en charge les masses regroupées, pour les apporter en L5 (très peu d’énergie serait nécessaire puisqu’aucune force de gravité ne contrarierait le mouvement).

L’avantage de la Lune comme source de matière est la faiblesse relative de la vitesse de libération, 2,4 km/s. Il serait possible de l’atteindre avec la catapulte. Son autre avantage est la composition chimique de son régolithe puisque notre satellite est constitué de vastes pans de la croûte et du manteau terrestres qui lui ont été arrachés au début de notre histoire géologique (impact de la protoplanète Théia). Le régolithe fournirait donc de l’oxygène (à partir d’oxydes divers), du silicium (le verre et les panneaux solaires), de l’aluminium ou du titane (pour les poutres et les plaques métalliques), et toutes sortes d’autres éléments. A noter que le silicium, l’anorthosite (pour l’aluminium) et l’ilménite (pour le fer et le titane) sont très abondants dans ce régolithe.

L’azote et le carbone seraient fournis par la croûte terrestre, l’eau et l’hydrogène par notre Océan (aujourd’hui on pourrait envisager de la glace d’eau lunaire).

L’énergie utilisée sur la Lune devrait être nucléaire et non solaire compte tenu des nuits lunaires de 14 jours mais elle serait solaire en L2 et surtout en L5 compte tenu de l’ensoleillement permanent dont jouit l’espace profond. La transformation des matières premières serait faite dans l’espace plutôt que sur la Lune compte tenu de la disponibilité constante de cette énergie et compte tenu des contraintes de masse existant sur tout corp générant une gravité importante (on peut envisager dans l’espace de créer, si nécessaire, une certaine gravité par rotation dans les usines).

La lumière pénétrerait dans les cylindres par les bandes de surfaces vitrées mais ce ne serait qu’indirectement, afin de limiter la dureté des radiations. Les cylindres seraient pointés vers le Soleil et de grandes feuilles réfléchissantes d’une taille au moins égale aux bandes de ces surfaces renverraient la lumière reçue vers ces bandes après l’avoir filtrée (en ne réfléchissant que les rayonnements lumineux et infra-rouge). Fixés sur charnières à l’extrémité du cylindre opposée au Soleil, les miroirs s’ouvriraient et se fermeraient plus ou moins et progressivement sur une fraction variable de 24 heures pour restituer les heures, les jours, les nuits et les saisons terrestres.

Afin de maintenir l’orientation vers le Soleil malgré la rotation, les deux cylindres dont les axes longitudinaux seraient parallèles, tourneraient en sens contraire pour annuler l’effet gyroscopique. Une rotation toutes les deux minutes permettrait de restituer une gravité de type terrestre sur la surface intérieure (entre 1 et 0,7 g) sans désagrément (force de Coriolis) pour les habitants. Distants de 80 km, ils seraient liés entre eux à leurs extrémités par des tiges semi-rigides d’une dizaine de cm de diamètre de telle sorte qu’une cohérence soit donnée à l’ensemble (et que les miroirs puissent s’ouvrir). Profitant de leur vitesse de rotation (vitesse tangentielle extérieure de 650 km/h), des véhicules pourrait faire la liaison-passagers entre les deux cylindres en quelques minutes. Comme les cylindres pointeraient vers le Soleil, son image, à l’intérieur, resterait sur une trajectoire linéaire et on n’aurait pas la sensation visuelle de rotation.

La production alimentaire et textiles (fibres) pourrait se faire à l’intérieur des cylindres dans les vallées mais aussi et de préférence à l’extérieur. En direction du Soleil, une couronne de modules de culture serait établie sur un diamètre largement supérieur à celui du cylindre (la gravité pour les végétaux peut être plus faible que pour les êtres humains ou les animaux). Cela permettrait beaucoup plus de souplesse dans les cultures. La séparation des modules permettrait de régler différemment les conditions environnementales (quantité et couleurs de lumière, température, humidité, taux de gaz carbonique et d’oxygène, pression atmosphérique) afin d’avoir des produits aussi diversifiés que possible toute l’année (même si le stockage cryogénique des produits peut également être envisagé). Ils utiliseraient la lumière du Soleil captée par des réflecteurs coniques. Un écran flottant extérieur pourrait réguler l’arrivée de lumière sur les miroirs réflecteurs pour simuler les jours et les saisons. La pressurisation pourrait être moindre que dans l’habitat car les plantes pourraient très bien fonctionner avec une pression atmosphérique de 0,5 à 0,7 bars (altitude 3000 mètres sur Terre). Avec les techniques actuelles de production on peut envisager facilement de nourrir environ 130 personnes à l’hectare (surface donc mais on pourra étager les cultures sur plusieurs niveaux pour mieux profiter du volume). On utiliserait très peu de pesticide car en cas de contamination du cultivar d’un module on pourrait l’ouvrir à l’espace et le stériliser par le vide et la chaleur solaire (encore les miroirs !).

Les cylindres proprement dits seraient utilisés principalement pour la résidence des hommes, avec des maisons, des arbres fruitiers (des abeilles), des jardins.

D’une façon générale, comme je l’ai dit plus haut, l’énergie sera solaire.  A l’autre extrémité, opposée au Soleil, un vaste disque porteur de panneaux solaires procurera l’énergie électrique suffisante à la vie dans le cylindre. Et dans le prolongement de l’axe du cylindre on pourra avoir divers sites industriels (à commencer par ceux qui raffineront les matières premières brutes) utilisant cette énergie, 24h/24h, à l’aide de miroirs.

Les communications, antennes ainsi que les installations de dockings et de sas pour les véhicules venant de la Terre, se feraient à la pointe des cylindres. Les petits véhicules permettant de joindre un cylindre à son jumeau partiraient de panneaux s’ouvrant latéralement dans leur coque.

Comme vous le comprenez à la lecture de cet article, le gros avantage des cylindres est la possibilité qu’ils offrent de choisir, au sol, une gravité satisfaisante pour la vie humaine sans renoncer aux avantages de la microgravité si l’on se rapproche de l’axe de rotation, une température, un rythme de saisons, et d’une manière générale de pouvoir contrôler son environnement beaucoup moins difficilement que sur une planète. On peut aussi penser qu’ils pourraient servir de refuge en cas de catastrophe pouvant survenir sur Terre.

Comme dit plus haut, ces cylindres sont prévus pour évoluer dans l’espace proche mais on peut aussi les envisager pour des voyages lointains. Je vous en parlerai une autre fois.

Illustration de titre : Island-Three, vue d’artiste, Rick Guidice pour la NASA, credit NASA Ames Research Center.

Références :

Space Settlement, a design study, Editée par Richard Johnson, NASA Ames Research Center et Charles Horlow, Colgate University; publiée en 1977 par le Science and Technical Information Office de la NASA.

Les villes de l’Espace, par Gerard O’Neill, publié chez Robert Laffont (1976).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gerard_K._O%27Neill

https://fr.wikipedia.org/wiki/Catapulte_%C3%A9lectromagn%C3%A9tique

https://en.wikipedia.org/wiki/Mass_driver

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Lucy in the sky with diamonds

Ce 16 Octobre 2021, à 05h34 en Floride (11h34 chez nous), la NASA vient de commencer une Odyssée de 12 ans qui permettra à l’homme d’observer pour la première fois les astéroïdes Troyens de Jupiter.

Il s’agit d’étudier des astres qui sont les témoins de notre disque protoplanétaire, très peu modifiés par l’histoire complexe de notre système solaire du fait de leur localisation privilégiée. Aller voir les Troyens c’est un peu comme aller se promener dans la Ceinture de Kuiper, au-delà de Pluton, à une quarantaine d’unités astronomiques (UA, distance Soleil Terre) ou comme remonter dans le temps à quelques 4,56 milliards d’années…mais à seulement 6,4 UA (965 millions de km).

Les points de libration d’un système planétaire, qu’on appelle aussi « points de Lagrange » du nom du scientifique français (d’origine piémontaise) Joseph-Louis Lagrange, qui en a conçu l’existence en 1772, sont les points où les influences gravitationnelles des planètes et de leur Soleil s’équilibrent (plus généralement celle de deux gros corps sur une troisième masse relativement négligeable). Il y en a cinq, dénommés L1, L2, L3, L4, L5. Seuls les points L4 et L5 sont stables (si on en est écarté, on s’en rapproche). Les autres sont instables (si on en est écarté, on s’en éloigne). L1 et L2 sont situés dans l’axe du second corps au premier (ici le Soleil), l’un avant, l’autre au-delà, de part et d’autre du second corps et beaucoup plus près de ce dernier que du premier puisque la masse du second est beaucoup plus faible. L3 est situé sur l’orbite du second corps, diamétralement opposé au Soleil (« de l’autre côté »). L4 et L5 sont situés sur l’orbite du second corps, de part et d’autre de lui (l’un en avance, l’autre en retard) au sommet d’un triangle équilatéral dont l’un des côtés est formé par l’axe du second corps au Soleil.

Les planètes ont plus ou moins de Troyen(s). Les plus grosses masses en permettent davantage, Jupiter est la plus riche (5.879 en L4 et 3.448 en L5). Neptune vient en second avec 24 en L4 et 4 en L5, La Terre, Vénus et Mars en ont aussi (un seul pour la Terre en L4, « 2010TK », 300 m de diamètre). Seule Mercure semble ne pas en avoir.  L’histoire du système solaire a été très violente et peut-être beaucoup d’astéroïdes des planètes proches du Soleil ont-ils été décrochés de leur « nid » au cours des pluies d’astéroïdes qui ont parcouru l’espace proche dans les premiers temps.

A noter en effet que ces Troyens ne sont pas forcément tous « nés » sur place. Il se peut que certains proviennent de beaucoup plus loin à l’extérieur de l’orbite où ils se trouvent aujourd’hui. Mais si c’était le cas, ils résulteraient d’un accident (une rencontre avec un objet déjà sur place) dont l’occurrence a dû être très faible puisque la gravité générée par la masse d’un astéroïde est faible. La force d’impact aurait ainsi été de toute façon relativement faible (faible accélération des masses).

A noter que, comme la Ligne de glace du système solaire se situe à l’intérieur de la Ceinture d’Astéroïdes, et que les petits corps, glacés ou non, y ont été joyeusement mélangés, on est certain que les Troyens seront plus purs, c’est-à-dire qu’ils contiennent leurs « volatiles » d’origine. Ils ont donc un intérêt différent de ceux des astéroïdes que l’on peut rencontrer dans notre environnement (les géocroiseurs) et qui sont secs (sans glace d’eau).

Le nom de Lucy, celui du squelette de cette jeune australopithèque découvert en Ethiopie en 1974 qui a été donné à la sonde, veut exprimer le fait qu’en explorant cette zone où l’on a l’espoir de trouver des fossiles de notre histoire très ancienne, on va faire en quelque sorte de la paléontologie spatiale.

Le lanceur de la mission, parti de Cap Canaveral ce matin, est une fusée Atlas V (401) de l’ULA (United Launch Alliance) comme c’est le plus souvent le cas pour les missions scientifiques américaines. Elle est évidemment gérée par la NASA.

La trajectoire est étonnante par sa complexité (voir image de titre). Après son lancement, Lucy doit effectuer deux survols rapprochés de la Terre pour l’accélérer pour qu’elle puisse rencontrer ses cibles troyennes aussi vite que possible. Dans le nuage L4, de 2027 à 2028, Lucy survolera Eurybates (3548) et son satellite Polymele (15094), Leucus (11351) et Orus (21900). Après avoir à nouveau plongé vers la Terre, Lucy passera « de l’autre côté » et visitera le nuage L5. Elle rencontrera alors, en 2033, l’astéroïde double Patroclus-Menoetius (617). Mais, cerise sur le gâteau, en 2025, pour commencer ses observations, Lucy survolera sur le chemin du L4 un petit corps de la Ceinture d’astéroïdes, 52246, que l’on a nommé Donald-Johanson, en l’honneur du découvreur du fossile Lucy. Après avoir observé Patrocle-Ménoetius, Lucy restera sur sa trajectoire et continuera à parcourir les deux nuages ​​troyens tous les six ans. La mission active aura duré douze ans (et je serai malheureusement très, très vieux !).

La sonde a été construite chez Lockheed Martin. Les instruments sont nombreux :

L’LORRI, Lucy LOng Range Reconnaissance Imager, est une camera à haute résolution

L’Ralph est composé de deux instruments, MVIC (Multispectral Visible Imaging Camera), un imageur en couleurs visibles et LEISA (Linear Etalon Imaging Spectral Array), un spectromètre infrarouge qui recherchera les composés organiques, les glaces, les minéraux hydratés; d’une manière générale il permettra de connaître la composition des astéroïdes approchés.

L’TES, Lucy Thermal Emission Spectrometer, détectera en infrarouge les émissions thermiques des surfaces.

Lucy est équipée d’une antenne à grand gain de deux mètres de diamètre. L’antenne servira évidemment d’outil de communication avec la Terre mais aussi à mesurer l’effet Doppler généré par le déplacement des astéroïdes et en déduire leur masse.

Enfin, avec T2CAM, sa « terminal tracking camera » Lucy, pourra repérer les astéroïdes et, dans une certaine mesure, naviguer ou plutôt orienter ses appareils dans leur l’environnement.

Elle pèse 770 kg sans son carburant et 1500 kg avec (il y aura pas mal de manœuvres de modifications de trajectoires). L’énergie pour le fonctionnement interne et les transmissions sera solaire (panneaux de 7,3 mètres d’envergure qui doivent pouvoir fournir une puissance de 504 Watts au plus loin du Soleil).

Après la mise en orbite de parking, la prochaine étape et l’injection vers l’espace profond le 7 Novembre. Bon vol Lucy!

Illustration de titre, le périple de Lucy. Credit: Southwest Research Institute

référence:

https://www.nasa.gov/mission_pages/lucy/news/index

illustration ci-dessous: vue d’artiste de Lucy avec ses panneaux solaires déployés (crédit NASA):

PS: Pour ceux qui ne s’en souviendraient pas, je rappellerais que Lucy reçut son nom de Louis Leakey à cause de la chanson des Beatles qui tournait en boucle sur le site de fouille au moment de la découverte.