Principe anthropique fort, principe anthropique faible…ou pas de principe anthropique du tout ?

Nous existons. L’homme, niveau aujourd’hui culminant de l’évolution de la Vie intelligente et communicante, existe. Les conditions qui ont permis cet aboutissement, très récent au regard de l’âge de l’Univers*, sont une suite d’évènements improbables dans une environnement en évolution continue et constante.

*par rapport à une « journée cosmique » égale à l’âge de la Terre, l’homme, homo sapiens sapiens, n’est apparu que 4 à 6 secondes avant minuit.

Le caractère fortuit et aléatoire de ces évènements, leur nombre, le réglage « ultra-fin » de l’environnement dans lequel ils sont intervenus, et de son évolution, sont extrêmement impressionnants.

L’improbabilité de la répétition des événements et de leurs conséquences (comme celui de l’apparition de l’homme) est extrêmement élevée, compte tenu en particulier de ce que les modifications induites dans l’environnement sont irréversibles. En effet, l’histoire « ne repasse pas les plats » ; le contexte change, les dates comptent. Les événements eux-mêmes modifient le monde dans lequel ils se produisent et nous allons vers toujours plus d’entropie.

La conséquence de la singularité de toute ligne d’histoire est que nous sommes très probablement seuls dans l’Univers.

Doit-on en déduire que cette suite d’événements conduisant à cet aboutissement a été voulue pour l’obtenir, ou bien que l’on soit arrivé au résultat parce que les conditions initiales étaient simplement telles qu’il ne pouvait pas en être autrement, ou encore que l’on soit parvenu au résultat parce que le pur hasard y a conduit, sur Terre, parmi une infinité de possibilités.

Les deux premières hypothèses sont ce qu’on appelle le principe anthropique ; la première, « le fort », la seconde, « le faible ». La dernière est le refus d’une prédestination à la création de l’Univers.

Pour être un peu plus précis et nuancé, je reprends la définition du physicien-cosmologue Brandon Carter (citée par Wikipedia), du principe anthropique et de la différence entre ses deux variantes. Selon lui, le principe serait « un ensemble de considérations relatives au fait que l’Univers tel que nous l’observons possède certaines propriétés inéluctables liées au fait que nous y vivons, la présence de structures biologiques évoluées n’étant pas a priori une caractéristique présente dans tous les univers possibles…Le principe anthropique est vu selon le cas comme une simple nécessité factuelle au fait que des individus intelligents y apparaissent, ou comme une sorte de finalité à son existence. »

Nous avons le choix de l’une de ces hypothèses. Ceux qui ont la foi en un Dieu forcément créateur, opteront de fait pour le principe fort, ceux qui croient que le futur est inscrit dans le passé, pour le principe faible. Les autres, qui pensent que, dans un cadre contraint, l’évolution est ouverte sur plusieurs variantes possibles (le « hasard » avec une dose restreinte de « nécessité »), opteront pour la troisième hypothèse.

Comment trancher ?

Examinons le principe fort.

En premier lieu, nous ne pouvons avoir aucune preuve de l’exercice d’une « Volonté » à l’Origine de l’Univers puisque nous ne savons pas ce qui a déclenché le Big-Bang. En second lieu, nous ne pouvons avoir aucune preuve que les évènements spécifiques à notre Terre qui sont intervenus après son accrétion aient été voulus par un Être suprême.

Certains considèrent que le caractère fortuit des événements, les réglages fins, la complexité même de l’Histoire et, in fine, notre propre existence, sont la preuve de cette Volonté. Libres à eux mais ce n’est qu’une opinion. Aucun argument scientifique ne peut étayer leur prise de position. Aucun point de vue rationnel ne peut non plus étayer la prise de position opposée.

J’écris cela parce qu’un livre récent, très bien documenté et facile à lire (mais un peu gros quand même (540 pages), « Dieu, la Science, les Preuves » prétend juste le contraire.

Les auteurs commencent par lister les arguments des « matérialistes » refusant les preuves de l’existence de Dieu pour mettre en évidence (pensent-ils) leurs faiblesses. Je retiendrai celui concernant « mon » sujet : « les lois déterministes ne sont issues que du hasard et par conséquent il est extrêmement improbable qu’elles soient favorables à la vie ». Ils répondent que si l’Univers et son développement résultent du hasard, le réglage fin de l’Univers et le principe anthropique sont impossibles. Cette réponse me semble un peu rapide et un peu facile. Je répondrais que l’improbabilité de quelque chose n’est pas une preuve de son impossibilité. Je ne nie pas l’improbabilité mais je constate une réalité qui, puisqu’elle est, n’est pas une impossibilité.

L’improbabilité, comme je l’ai souvent évoqué dans ce blog et en particulier dans mon article du 24 avril 2020 cité ci-dessous, est à deux tiroirs. Le premier est proprement cosmologique, c’est celui de l’existence de la Terre avec ses caractéristiques planétologiques. Le second est biologique, c’est, sur la Terre, l’évolution de la matière jusqu’à l’homme.

Ouvrons le premier tiroir.

Concernant les constantes, il faut voir que leurs valeurs extrêmement précises donnent sa cohérence à l’ensemble. Il fallait, par exemple, dès le début que la force de gravité ait une certaine valeur, pour que la force d’expansion puis d’accélération n’empêche la formation des galaxies puis des étoiles, et réciproquement pour que la force de gravité n’empêche l’expansion.

Concernant les évènements, on peut considérer que leur occurrence résulte du pur hasard, dans un milieu évidemment très précisément contraint par les constantes cosmologiques, l’histoire cosmique avant la formation de notre galaxie, puis avant l’allumage de notre Soleil, puis, une fois la fusion démarrée au sein de notre étoile, par les masses en présence, par leur composition chimique, selon la distance à l’étoile (avec volatils ou sans volatils), par l’accrétion différenciée des planètes, par leurs mouvements et leurs forces d’attraction les unes par rapport aux autres.

Ouvrons le second tiroir.

L’apparition de la Terre rendait l’homme possible mais l’évolution de la Terre ne rendait pas l’apparition de l’homme inéluctable. Nous avons en effet connu depuis la formation de la Terre, une succession d’évènements improbables qui, si l’un d’entre eux, n’avait pas eu lieu, auraient rendu impossible l’aboutissement de l’évolution biologique à l’homme (à commencer par le fameux astéroïde de Chicxculub qui a mis fin au règne des dinosaures).

Je refuse donc le principe anthropique fort à moins que l’on puisse me montrer le doigt de Dieu et je refuse aussi le principe anthropique faible, à moins que l’on découvre sur une autre planète des êtres intelligents et communicants ou les traces qu’ils ont laissées. Recherchons ces preuves, sans nous lasser, sur Mars, et ailleurs quand nous le pourrons.

Aujourd’hui, la seule chose que l’on puisse dire c’est que le monde est, et que nous en faisons partie. Au-delà de la découverte d’une autre vie intelligente et communicante, la seule interrogation valable est sur la Cause Ultime puisque nous n’en savons rien sinon qu’elle a eu un effet. Ceux qui veulent croire en Dieu, sont bien entendu libres de le faire sans attendre mais ce n’est pas une démarche scientifique qui peut les y conduire ; c’est une question de foi, un pari comme celui que proposait Pascal.

Lire : Peut-on adhérer au Principe anthropique fort autrement qu’animé par la foi ? article de mon blog du 25/04/2020. https://blogs.letemps.ch/pierre-brisson/2020/04/25/la-croyance-dans-le-principe-anthropique-fort-doit-elle-recueillir-notre-adhesion/

Brandon Carter, article Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Brandon_Carter

Illustration de titre : Michel-Ange, La création d’Adam (détail), Chapelle Sixtine, Vatican.

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

La question obsède tous ceux qui s’intéressent à la cosmologie. Aujourd’hui, du fait des observations et des réflexions qui se sont déroulées depuis un siècle, elle se pose à l’intérieur de contraintes nouvelles.

Nous savons maintenant que notre univers est apparu il y a 13,8 milliards d’années. On peut le définir au « début » comme une graine porteuse de tout le potentiel qui s’est développé ensuite, aussi bien en termes de matière visible ou de matière noire, que de force d’expansion, de force d’accélération de cette expansion (l’énergie sombre ?), et de force de gravité.

Au début cette graine n’était qu’un point (l’« atome primitif » de Georges Lemaître), et d’après ce qu’on peut en déduire de son histoire ultérieure en partant de maintenant (c’est en remontant le temps qu’on a pu le concevoir et le déduire par le calcul), ce point était extrêmement dense et porteur d’une énergie extrêmement élevée puisqu’aujourd’hui encore il n’a pas épuisé, et de loin, son potentiel.

Y avait-il quelque chose avant ou y a-t-il quelque chose en dehors ? C’est en fait les deux mêmes sous-questions à la première (Pourquoi y a-t-il quelque chose…), tant, nous le savons aujourd’hui, le temps et l’espace sont étroitement liés.

Les cosmologues ou les théoriciens du temps, comme le physicien Carlo Rovelli, qui ont compris que le temps était lié à la matière, répondent qu’il ne pouvait y avoir de temps sans matière, donc qu’il n’y avait pas de temps « avant ».

Ceux qui pensent qu’il n’y a rien en dehors de l’Univers, comme la plupart des cosmologues, pensent que son espace est illimité, même s’il est fini avec un début et une fin, et donc qu’il n’a pas d’extérieur. Ce qui ne serait pas dans l’Univers ne pourrait exister, ni dans le temps ni dans l’espace, et donc se poser la question d’une masse, d’un espace ou d’un temps qui s’écoule hors de l’Univers n’a pas de sens.

L’Univers est une bulle sans bord qui gonfle depuis un moment précis (il y a 13,8 milliards d’années) à partir de ce Point et dont l’expansion s’accélère sans cesse pour un jour lointain conduire le tout, irrémédiablement, par dispersion intégrale, à une mort thermique universelle.

Mais cette position ne peut résoudre totalement l’énigme de l’Origine. Car s’il y a eu « quelque-chose » à un certain moment c’est que ce quelque-chose avait une cause. Or la relation de causalité suppose une succession dans le temps, un « avant » précédant la « conséquence ».

Alors que pouvait-il bien y avoir « avant », pour que ce Point surgisse ?

Certains disent que l’Univers serait sorti d’une fluctuation quantique, selon le même principe que le vide spatial n’est pas vraiment vide mais animé de ces fluctuations faisant surgir à tout moment une multitude de paires de particules et d’antiparticules s’annihilant quasi-immédiatement.

Une démonstration théorique crédible déroulée par Stephen Hawking est celle du rayonnement des trous noirs qui résulterait des conditions gravitaires extraordinaires de l’environnement proche de leur « horizon des événements ». Selon cette théorie, la force de marée énorme générée à cette distance (rayon de Scwarzschild) par le champ gravitationnel d’un trou noir, permettrait d’éloigner suffisamment les antiparticules de leurs jumelles virtuelles, les particules positives, avant leur annihilation réciproque, libérant ainsi ces dernières à une vitesse suffisante (leur masse ayant été réduite de moitié) pour qu’elles puissent s’échapper de l’attraction du trou noir et rayonner.

On pourrait donc imaginer qu’il aurait pu exister des champs de bosons, constituant la trame du futur Univers et lui préexistant, qui auraient pu être utilisés par un phénomène du même type. Mais attention cependant ! le champ de bosons dans lequel circulent « nos » bosons est sans doute un produit de notre univers, celui qui existe à partir du Big-Bang et dans lequel nous sommes aujourd’hui. Pour qu’il y ait eu une Origine par manifestation d’un phénomène quantique, il aurait donc fallu qu’un mécanisme quantique équivalent à ce champ de bosons qui nous est propre se produise avant le Big-Bang.

On entre ici dans l’hypothèse des multivers, ces univers en nombres infinis qui naissent et meurent et coexistent en parallèle au nôtre. Pourquoi pas ? L’existence d’un espace dans lequel ce phénomène pourrait se produire serait une des explications possibles de l’apparition de notre propre Univers. Une alternative serait la re-formation d’un nouvel éon après l’épuisement du précédent et réutilisant sa structure évanouie, selon la théorie de la Cosmologie Cyclique Conforme de Roger Penrose.

Certains cosmologues recherchent à la surface du Fond-diffus-cosmologique, cette image qui nous provient du moment où, 380.000 ans après le Big-Bang, la lumière s’est libérée de la matière, une dissymétrie qui au-delà des anisotropies, pourrait indiquer un frottement avec une autre bulle d’univers, ou la trace d’un éon précédent. Il y a bien un « point froid » ou un « super-vide » sur ce Fond, une zone assez large, deux milliards d’années-lumière, vingt fois la surface du disque lunaire, où les photons apparaissent nettement plus froids ou plus rares qu’ailleurs. Mais jusqu’à présent rien ne peut permettre de l’interpréter dans le sens d’un autre univers extérieur ou précédent.

De toute façon cela ne ferait que reporter le problème car cet espace antérieur à notre Univers ou l’englobant, ou encore l’éon antérieur au nôtre et, au-delà, l’éon primitif ou mieux encore, l’atome primitif de l’éon primitif, d’où viendrait-il ? Quelle en serait l’origine ?

On voit bien que l’on ne peut trouver de réponse scientifique satisfaisante à l’apparition de l’Univers. Soit le milieu dans lequel il apparait existe de toute éternité mais nous n’avons pas le moindre indice qu’un autre univers existe, soit il résulte d’une Création…mais d’où proviendrait le Créateur-incréé ?

Je vous laisse sur cette réflexion.

Illustration de titre : le Grand-architecte de William Blake, British Museum.

Lectures :

Jean-Pierre Luminet : De l’infini par JP Luminet et Marc Lachièze Rey, chez EKHO, 2019.

Carlo Rovelli : L’ordre du Temps, chez Flammarion, Champs Science, 2019.

Michel Cassé :Du vide et de la Création, chez Odile Jacob, 2001.

Istvan Szapudi : Detection of a supervoid aligned with the cold spot of the cosmic microwave background, par I. Szapudi et al., MNRAS, vol. 450, n° 1, pp. 288-294, 2015.

Michel-Yves Bolloré/Olivier Bonnassies : « Dieu, La Science, les preuves » chez Guy Trédaniel (2021).

Le départ d’un ami que je n’ai jamais rencontré

Ce 12 février j’aurais dû donner une conférence à la Ferté-Bernard, dans le Perche, aux confins de la Normandie et de la Bretagne. Un ami que je n’avais jamais rencontré et auquel je n’avais jamais parlé m’attendait. Je devais le retrouver dans une librairie tout près de sa maison où il avait réuni les gens que dans sa petite ville, il connaissait bien. J’y aurais signé le livre « Embarquement pour Mars » dont je suis l’un des auteurs. Nous aurions surtout échangé car, plus que faire un exposé, j’espérais ardemment répondre à ses questions, sans doute en susciter quelques-unes, lui exprimer le fond de ma pensée sur les sujets fondamentaux à propos desquels tout homme s’interroge, sur l’Univers, notre présence dans celui-ci, et sur l’importance de Mars, « ma » planète, bien sûr. Nous avions une journée entière à passer ensemble à discuter et approfondir ce qui ressortait de notre intérêt commun.

Il est mort le 27 janvier et je suis triste car cet homme était pour moi exceptionnel et que mon rendez-vous avec lui est manqué.

Depuis cinq ans, chaque samedi, il attendait mon billet de blog. Le libraire le lui imprimait et le lui apportait « tout chaud » à sa maison toute proche, là où il habitait depuis une quinzaine d’années. Il le « savourait » toujours avec le même plaisir. C’est sa fille, Dominique, amie d’enfance de ma plus jeune sœur, par laquelle il avait appris l’existence de ce « flux », qui me l’a rapporté. C’était pour lui un des rythmes de son temps long, une routine comme on dit moins joliment aujourd’hui, et une satisfaction pour sa curiosité insatiable et son esprit toujours vif et bien structuré (il était grand joueur d’échecs).

J’ai appris cette connivence entre nous il y a quelques temps et j’ai proposé cette rencontre à Dominique un peu après. Il s’en faisait une joie. C’était son « projet » comme elle disait. Nous étions en Novembre.

J’aurais dû fixer une date plus proche !

Maître André Boquet, avocat, a eu une longue et belle vie, bien remplie. Il est resté professionnellement actif, dans son cabinet à Paris bien au-delà de ses 70 ans, puis continuant à entourer de ses conseils ses deux enfants, avocats également. Il est mort parce qu’il avait 105 ans. Cela pourra sembler à chacun une bonne raison et c’est vrai en effet. Mais les grands départs ne sont jamais faciles. Il est toujours trop tôt quand c’est pour toujours, surtout quand on a encore un projet.

Je ne dialoguerai donc jamais avec lui mais j’ai la satisfaction de penser que nous avons partagé quelque chose qui était important pour nous deux, que je l’ai accompagné et que j’ai peut-être prolongé un peu son séjour sur cette Terre par l’intérêt qu’il portait à ce que je publiais. Les parallèles ne se rencontrent jamais mais celles d’une personne qui met des mots sur le papier et d’une autre personne qui les lit en partageant la même passion, peuvent être néanmoins très proches et « s’épauler » pour avancer encore plus loin dans le plaisir de la connaissance et de la compréhension des choses. Je continuerai à rêver et à écrire en pensant à lui.

Adieu André !

Illustration: photo d’André Boquet prise à l’occasion de ses 100 ans. Crédit “Le Maine libre”.

Ci-dessous, photo récente.

Quels gaz le JWST doit-il rechercher dans l’atmosphère des exoplanètes ?

Les astrophysiciens qui vont utiliser le télescope Webb (JWST) veulent étudier l’atmosphère des exoplanètes de taille terrestre, éventuelles porteuses de vie. Que doivent-ils rechercher pour trouver une planète qui aurait sur ce plan, atmosphérique, les capacités de la Terre ?

La première réponse, évidente au-delà des considérations de température et de pression qui doivent permettre l’eau liquide, c’est de rechercher l’oxygène moléculaire et un gaz neutre comme l’azote, dans des proportions qui permettent le fonctionnement d’organismes aussi puissants que les nôtres (animaux dont êtres humains). Nous savons en effet que seul l’oxygène est un oxydant suffisamment fort pour générer l’énergie nécessaire à la vie des organismes complexes. Nous savons aussi que l’oxygène est extraordinairement inflammable du fait de sa puissance oxydante et que donc, il doit être accompagné d’un gaz neutre pour éviter les combustions spontanées et ne pas provoquer d’hyperoxie (au-dessus de 0,5 bar environ) c’est-à-dire de brulures de l’organisme qui le respire.  La combinaison des deux gaz semble indispensable, quelle que soit la forme vivante qui les utiliserait et quel que soit son environnement.

La deuxième réponse c’est qu’il faut aussi rechercher d’autres gaz, même en proportions plus faible, car la vie n’est pas un processus simple. Il ne consiste pas qu’à bruler n’importe quel oxydant dans n’importe quel réducteur. Dans ce processus il y a des êtres vivants, composés de matière organique, et qui utilisent toute une chaîne de ressources (à partir de ce que peut offrir la planète et son étoile). Ces êtres sont en symbiose tout autant avec la planète qu’avec les autres êtes vivants avec lesquels ils cohabitent (et éventuellement qu’ils tuent et consomment), les rejets métaboliques des uns pouvant être « respirés » par les autres (comme d’ailleurs l’oxygène) et une partie au moins des ressources et des rejets étant en phase gazeuse. C’est ce « mix » de gaz qui va donner à l’atmosphère de la planète sa signature biologique, reflet tout autant de la présence de vie, que du type de vie qu’elle abrite.

Parmi ces gaz, il devrait y avoir de la vapeur d’eau et du CO2 car sans eau pas de vie possible et nous savons bien par ailleurs que nos plantes et certaines bactéries ont autant besoin de gaz carbonique que de lumière pour leur photosynthèse. Le carbone contenu dans ce gaz (qui est autant une ressource qu’un rejet) sera toujours au centre des composants de la matière organique des êtres vivants, non seulement de ceux qui l’utilisent pour cette photosynthèse mais aussi de ceux qui se nourrissent de ces êtres vivants photosynthétiques. Certains auteurs de science-fiction ont certes imaginé des vies à la chimie exotique sans ces éléments, mais il faut être réaliste, la vie ne peut très probablement pas se passer de carbone, d’oxygène, d’eau et d’azote (sans compter le phosphore, le soufre et quelques autres éléments).

La troisième réponse c’est qu’il faut bien voir que nous nous trouvons à un certain moment de notre histoire bio-géologique et qu’au cours de cette histoire, la composition de l’atmosphère a beaucoup changé (et qu’elle continuera après nous à changer), en fonction en particulier de la vie qui l’anime et qui a une interaction non-nulle avec elle. En conséquence, en étudiant les exoplanètes porteuses d’atmosphère, il ne faut pas se contenter de rechercher celles qui contiennent les mêmes gaz que la nôtre aujourd’hui mais aussi celles qui auraient des atmosphères semblables à celles qui dans le passé, à diverses époques, ont entouré la Terre, ou celles qui dans le futur pourraient logiquement la remplacer (avec, pour un certain temps, plus de gaz carbonique, par exemple).

Sur Terre, nous avons eu plusieurs périodes.

Durant la plus primitive, l’atmosphère était composée comme celle des autres planètes rocheuses, d’hydrogène et d’hydrures résultant des contacts de ce gaz avec la roche, de méthane et d’ammoniac.

La période suivante, résultant du volcanisme et du bombardement intense de gros astéroïdes, nous apporta l’azote, l’oxyde de carbone, l’eau, les composés sulfureux et les gaz inertes. L’azote était devenu dominant vers -3,4 milliards (époque des premières formes de vie). En même temps, une densité atmosphérique élevée, couplée à une forte teneur en CO2, permis de maintenir en surface un effet de serre absolument indispensable pour renforcer le rayonnement du jeune Soleil dont l’irradiance était 30% inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. C’est ainsi que l’eau pu se condenser et se maintenir au sol, liquide, dès que la température de la planète eut suffisamment baissé (vers -4,1 ou -4,2 milliards d’années).

Vers -3,5 milliards d’années, les cyanobactéries qui respirent le gaz carbonique en utilisant l’énergie lumineuse du Soleil et rejettent de l’oxygène, furent devenues suffisamment abondantes pendant suffisamment longtemps, pour commencer à répandre cet oxygène dans l’atmosphère après avoir oxydé en fer ferrique, le fer ferreux contenu dans l’eau des océans.

Vers -2,4 milliards, l’oxygène était devenu suffisamment abondant dans l’atmosphère, pour réduire l’effet de serre alors que le Soleil n’était toujours pas assez fort pour que la Terre puisse s’en passer pour conserver une température permettant à l’océan de ne pas geler. Ce fut la Grande-oxydation (Great Oxydation Event) qui provoqua le premier épisode de Terre-boule-de-neige (Snowball Earth).

Après la restauration d’une atmosphère plus riche en CO2 et H2S grâce au volcanisme, l’oxygène remonta grâce encore aux cyanobactéries, surtout à partir de -0,8 milliards d’années, puis fluctua entre 15 et 35% pour plus ou moins se stabiliser autour de 21% (aujourd’hui mais pour combien de temps ?). Au début de la lente montée de l’oxygène dans l’atmosphère, les conditions permirent la prolifération des eucaryotes mais pas l’apparition des métazoaires, organismes consommateurs d’énormément d’énergie (et donc d’oxygène), nonobstant le fait que l’évolution devait aussi trouver son chemin. Il ne suffit pas en effet que des conditions soient remplies pour qu’un phénomène se développe (conditions nécessaires mais certainement non suffisantes).

Avec l’oxygène, apparu au contact du vent solaire, l’ozone, ce qui créa une enveloppe protectrice des rayons UV solaires, favorable au développement de la vie « aérienne » (en contact avec l’atmosphère de la Terre). Et avec la vie aérienne apparurent de nouveaux gaz, méthane, protoxyde d’azote, chlorométhane, phosphine…On peut les retrouver dans notre atmosphère et leur présence en même temps que l’oxygène serait pour tous les éventuels observateurs extérieurs, des témoins de notre vie terrienne.

La conclusion de cette histoire, c’est qu’au début de la vie d’une planète « terrestre », pendant au moins deux milliards d’années, il n’y a pas d’oxygène moléculaire dans l’atmosphère mais que la planète n’en a pas moins un potentiel pour le développement de la vie. Pour la suite, il est incontestable que la présence d’une quantité non négligeable d’oxygène moléculaire couplée avec un peu de gaz carbonique et d’autres gaz cités ci-dessus, serait la preuve très probable de la présence de vie. Il faut ajouter le bémol que plus d’oxygène n’est pas automatiquement le signe de plus de vie intelligente. Quand l’oxygène occupait 35% de notre atmosphère, cela permettait la vie de gros organismes, comme ceux des amphibiens géants, des fougères géantes ou des araignées géantes mais il n’y avait pas d’homme sur la Terre, l’évolution darwinienne ne l’avait pas encore permis et il n’y a sans doute nul automatisme qui y conduise. Par ailleurs, les gaz marqueurs de vie comme la phosphine seraient très difficiles à détecter dans l’atmosphère des exoplanètes du fait de leurs très faibles quantités. Du fait de la distance, nous ne pourrons malheureusement identifier que les gaz dont les volumes sont les plus importants.

Souhaitons bonne chance au JWST. Il nous fera progresser dans nos technologies et nous permettra plus tard, avec d’autres instruments encore plus performants, de mieux connaître nos exoplanètes voisines.

Illustration de titre : Crédit NASA. NB : le télescope représenté est Hubble (qui a aussi une capacité, beaucoup plus faible que le JWST, de collecte du rayonnement infra rouge).

Illustration ci-dessous : l’atmosphère terrestre prébiotique et l’atmosphère aujourd’hui (Encyclopedia Britannica) :

Illustration ci-dessous, évolution du gaz carbonique, de l’oxygène et du méthane dans l’atmosphère terrestre. Adapté de Scientific American, « When Methane Made Climate » par James Kastings, diagramme original de Johnny Johnson. En abscisse le temps terrestre en milliards d’années depuis l’origine de la Terre, en ordonnée la concentration relative, en orange courbe du gaz carbonique, en argenté courbe du méthane, en bleu courbe de l’oxygène.

Liens :

https://www.nasa.gov/content/core-capability-3-exoplanet-characterization-enabling-nasa-s-search-for-life

https://cral.univ-lyon1.fr/spip.php?article165

Spectre de la planète HIP65426b pris par SPHERE ; HIP65426b, entre 6 et 12 fois la masse de Jupiter, est située à 385 AL de la Terre et sa température de 1000 à 1400°C.

https://exoplanets.nasa.gov/news/129/detecting-biomarkers-on-faraway-exoplanets/#:~:text=Microbes%20emit%20methane%20and%20nitrous,are%20known%20as%20atmospheric%20biomarkers.

https://en.wikipedia.org/wiki/Biosignature

https://www.swissinfo.ch/fre/berne–l-apparition-de-l-oxyg%C3%A8ne-sur-terre-expliqu%C3%A9e/43531082#:~:text=Des%20chercheurs%20bernois%20et%20canadiens,%2C4%20milliards%20d’ann%C3%A9es.&text=Cela%20a%20chang%C3%A9%20de%20mani%C3%A8re,%2C%20puis%20dans%20l’atmosph%C3%A8re.

https://en.wikipedia.org/wiki/Atmosphere_of_Earth

https://en.wikipedia.org/wiki/Paleoclimatology

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur :

Index L’appel de Mars 22 01 15

Les limitations du JWST pour l’étude de l’atmosphère des exoplanètes

Un des espoirs exprimés dans les médias à propos du JWST est l’étude de l’atmosphère, éventuelle, des exoplanètes rocheuses de masse terrestre situées dans la zone habitable de leur étoile. C’est un objectif qu’il serait passionnant d’atteindre mais il faut bien voir les limitations de nos moyens. Même avec ce merveilleux télescope (Webb = JWST) maintenant arrivé à destination au point de Lagrange L2 (le 24 janvier), ce sera extrêmement difficile.

Ce que nous voulons faire c’est analyser la lumière de l’étoile sans puis avec sa planète par spectrométrie (décomposition du rayonnement électromagnétique reçu, à l’aide d’un spectromètre suivi d’une analyse des éléments de ce rayonnement). Le but est, en comparant les spectres, de pouvoir en déduire ce qui est propre à la planète puisque celle-ci est trop petite et trop lointaine pour être vue indépendamment de son étoile. Il y a deux situations exploitables possibles, le passage devant l’étoile (« transit primaire ») et le passage derrière elle (« transit secondaire ») car, juste avant de disparaître, la planète offre à l’observateur et dans la même image (elles sont du fait de la distance, indissociables), la totalité de sa surface. On peut ainsi comparer le très fin halo de l’atmosphère qui l’entoure (transit primaire) avec la totalité de la lumière reflétée par la planète (transit secondaire). Ces deux situations nous donnent en fait trois spectres pour deux astres.

Le problème c’est que les planètes dont la masse est proche de celle de la Terre, sont minuscules observées à des dizaines d’années-lumière de distance et la différence de spectres entre l’étoile seule et l’étoile avec sa planète, est quantitativement extrêmement faible. Par ailleurs, il faut que le plan de l’écliptique dans lequel se situe la planète par rapport à son étoile soit à peu près dans l’alignement du nôtre ; autrement il n’y a pas de transit perceptible donc exploitable.

Il faut bien comprendre qu’en raison de leur taille, on ne voit jamais directement ces petites exoplanètes de type terrestre mais simplement l’effet qu’elles ont sur l’étoile dont elles dépendent, soit parce que leur centre de gravité commun évolue en fonction du déplacement sur orbite de la planète (méthode des vitesses radiales), soit parce que leur luminosité décroit lorsque la planète passe au-devant de son étoile dans son alignement avec la Terre (méthode des transits), soit parce que le rayonnement fait un sursaut en intensité après le passage devant une seconde étoile distante, du fait du passage en suite de la première étoile de la planète qui en dépend (effet de micro-loupe gravitationnelle).

On n’a donc une chance de capter ces spectres de planètes que lorsqu’elles sont d’une masse non négligeable par rapport à l’étoile et lorsque les transits sont fréquents, puisque dans ces conditions l’effet est plus visible et que l’on peut vérifier son observation assez rapidement (en effet pour un observateur distant la Terre ne passe devant le Soleil qu’une fois par an !). C’est le cas des jupiters-chauds devant des étoiles comme le Soleil (grosse planète proche devant étoile de taille moyenne) ou des petites planètes de masse terrestre qui orbitent des naines-rouges (petite planète proche devant étoile petite mais relativement grosse par rapport à la planète). Avec le JWST on aura d’autant plus de chances d’obtenir un résultat exploitable que le rayonnement utilisé sera le rayonnement infrarouge (plutôt que le rayonnement lumineux) car dans cette partie du spectre électromagnétique il y a moins de différence d’intensité entre le rayonnement de l’étoile et celui de la planète. Le contraste moins écrasant facilitera l’observation.

Le résultat c’est que cette technique va d’abord être utilisée sur les planètes de l’étoile Trappist-1, qui est située à « seulement » 40,5 années-lumière (AL) et qui a fait beaucoup parler d’elle lors de sa découverte en 2015 car elle compte dans son système plusieurs (7) planètes rocheuses de taille terrestre dans sa zone habitable. C’est une bonne cible pour cette raison et aussi parce que sa luminosité (dite « ultra-froide », presque celle d’une « naine-brune ») est 2000 fois plus faible que celle du Soleil et que sa taille est très petite, pratiquement celle de Jupiter. Mais il ne faut pas trop en attendre. En effet (1) l’étoile Trappist-1 étant une petite naine-rouge, son faible rayonnement implique que sa zone habitable est extrêmement proche de l’étoile, au point que toutes ses planètes tournent autour à une distance inférieure à celle de Mercure par rapport à notre Soleil. La conséquence de cette proximité est que la rotation des planètes sur elles-mêmes est bloquée par force de marée et qu’elles présentent toujours la même face à l’étoile. Il en résulte que cette face est évidemment chaude, trop pour la plus proche (400K), sans doute d’une température « acceptable » par d’éventuels êtres vivants à partir de la deuxième, mais aussi qu’elle est soumise aux rayonnements erratiques de ce type d’étoile. Ils peuvent être très violents et à cette courte distance, ils seraient probablement disruptifs pour la complexification des molécules organiques nécessaires pour aller vers la vie. Par ailleurs (2) cette violence a surtout illustré la jeunesse de l’étoile (la mise en route de sa fusion) et à cette époque les rayonnements ont pu chasser tous les éléments volatils (atmosphère et eau liquide) de cette zone très proche. Si cela a bien été le cas, les planètes seraient alors totalement « déshabillées », sans eau liquide et sans atmosphère, et l’étude ne serait évidemment pas concluante du tout.

Ce qu’il nous faudrait, c’est analyser le spectre de l’atmosphère des planètes de type terrestre qui orbitent au sein de la zone habitable des étoiles les plus proches de notre système solaire, celles qui sont situées à un maximum de 10 AL, de préférence de type solaire. Ce sont ces systèmes que nous pouvons envisager un jour de visiter en poussant nos technologies à l’extrême ou au moins avec lesquels nous pourrions communiquer dans des délais raisonnables (un échange sur 20+ ans) si par extraordinaire ils comptaient des planètes habitées. J’ai déjà dit combien les voyages interstellaires seraient difficiles mais si nous avions dans ce rayon une planète avec une atmosphère « intéressante » du point de vue exobiologique, nous ferions les efforts justifiés pour l’étudier davantage et nous commencerions par y appliquer sérieusement notre programme SETI.

Il faudrait donc que le JWST, après avoir fait ses tests sur Trappist-1, examine avec le plus grand soin l’atmosphère des planètes des systèmes d’Alpha Centauri, de 61 Cygni, d’Epsilon Eridani, d’Epsilon Indi, de Tau Ceti (cf mon article sur ce blog du 28/08/2021). Le problème est que les planètes de ces systèmes les plus intéressants pour nous puisque centrés sur des étoiles de type solaire (sauf Proxima Centauri, du système d’Alpha Centauri) vont être très difficiles à déceler. En effet, comme dit plus haut, le contraste des spectres planète/étoile sera très faible, les transits des planètes devant leur étoile sont peu fréquents (si elles sont comparables à la Terre, une fois par an) et rien ne nous dit que le plan de leur écliptique est en alignement avec le nôtre. Reste les planètes de type terrestre orbitant dans la zone habitable de nos naines-rouges voisines, comme probablement Proxima Centauri b. Puisque cette exoplanète est la plus proche de notre système solaire, cela vaut la peine de l’étudier très attentivement.

Illustration de titre : la Mission Plato (Planetary Transits and Oscillations of Stars), the ESA M3 mission in the Cosmic Vision 2015 – 2025: https://platomission.com/2018/04/27/planetary-atmospheres/

Lire aussi :

The Transiting Exoplanet Community early release science (ERS) program for JWST, par Jacob B. Lean et al. Publications of The Astronomical society of the Pacific, 130:114402 (20pp), 2018 November, doi.org/10.1088/1538-3873/aadbf3

Ciel et Espace (revue de l’Association Française d’Astronomie), N°580, Novembre 2021, pages 63 et 64 (Dossier de David Fossé).

The future of spectroscopic life detection of exoplanets, par Sara Seager, PNAS, 04/08/14, https://www.pnas.org/content/111/35/12634  https://doi.org/10.1073/pnas.1304213111

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Index L’appel de Mars 22 01 15

Sur Mars, une possibilité importante de mobilité sera d’utiliser la voie des airs

Dans l’hypothèse où on utiliserait la voie aérienne pour se déplacer sur Mars, il faut toujours avoir à l’esprit que si la densité de l’atmosphère est beaucoup plus faible que sur Terre (610 pascals en moyenne), la masse moléculaire de l’air martien (CO2) est beaucoup plus élevée (44 g/mol) que celle du mélange gazeux de l’air terrestre (28,9 g/mol) et que par ailleurs les masses transportées pèseront toutes choses égales par ailleurs beaucoup moins que sur Terre (gravité 0,38g). Cela facilite un peu les choses. Les solutions sont multiples.

La première est celle du « piéton de l’espace », c’est-à-dire le « Flyboard Air » de Jacky Zapata. Ce véhicule n’est utilisable que sur de courtes distances (en 2019, lors de sa traversée de la Manche, J. Zapata a parcouru une vingtaine de km sans arrêt) car il faut embarquer ses réservoirs d’énergie (méthane / oxygène ?) avec soi. Ce flyboard ne peut donc être qu’un équipement auxiliaire mais il peut permettre d’aller se poser au sommet d’un rocher, au fond d’une crevasse, de traverser un obstacle (banc de sable ?) pour aller observer une roche intéressante au-delà ou effectuer une courte mission.

La deuxième ce sont les fusées. C’est la solution naturelle pour couvrir de longues distances. Puisqu’on disposera sur Mars des vaisseaux qui permettront de revenir sur Terre (en principe les Starships), on peut tout à fait concevoir de leur faire effectuer des vols orbitaux pour se poser de l’autre côté de Mars. Il faudrait simplement embarquer avec soi les ergols nécessaires au retour à la base (on ne les trouvera pas sur place s’il n’y a pas de réservoirs pleins à disposition sur le lieu de destination) et n’affecter à ces vols qu’une fraction des vaisseaux disponibles puisqu’il faudra toujours penser au retour sur Terre et qu’on ne peut se permettre un accident sur Mars qui les rendrait inutilisables. Dès que possible on aménagera certainement des plateformes pour se poser à des endroits stratégiques à divers endroits de la planète, avec une réserve d’équipements nécessaires pour faire le plein d’ergols, effectuer des réparations ou évoluer dans la proximité. Pour prendre un exemple aérien terrestre, on pourrait dire « hubs » et y envisager à terme l’implantation d’un petit poste habité au moins temporairement.

Une alternative ou un complément aux fusées serait d’utiliser un véhicule comme le LEM (Lunar Excursion Module) du temps des missions lunaires Apollo. Rappelez-vous ce petit « module » qui a permis aux astronautes d’atterrir puis de rejoindre leur Saturn V restée en orbite lunaire. Ce serait évidemment un mode de déplacement plus léger, moins coûteux en ergols. Les missions courtes, de contrôle ou d’observations ne nécessitant pas de déplacement d’engins lourds, pourrait se faire avec eux.

La troisième solution ce sont les avions. Ce ne serait pas impossible de les faire voler sur Mars puisqu’il y a de l’atmosphère donc une portance aérodynamique potentielle. Mais comme l’atmosphère est très ténue, cela revient (en altitude moyenne terrestre) à les faire voler à une altitude terrestre d’environ 35 km. Pour obtenir la portance suffisante, « toutes choses étant égales par ailleurs » (masse et configuration de l’avion), il faudrait que la vitesse soit 5,5 fois plus élevée que sur Terre. Comme l’écrivait mon ami Alain Souchier sur le site de l’Association Planète Mars en 2010 « Un engin hyper léger (ou plus exactement à très faible charge alaire), capable de voler sur Terre à 50 km/h, se poserait sur Mars à 275 km/h, c’est à dire à la même vitesse qu’un avion de ligne chez nous ».  Comme il n’y a pas sur Mars de piste d’atterrissage et que de toute façon cette grande vitesse serait très dangereuse pour un avion de faible masse au sol (déstabilisation facile), il est exclu de faire décoller ou atterrir des avions « classiques » sur Mars. Par contre on peut imaginer un décollage et un atterrissage vertical, certes au prix d’un contrôle délicat de l’angle d’incidence des ailes. On aurait aussi intérêt à changer le « toutes choses égales par ailleurs » mentionné ci-dessus pour améliorer les performances. Ainsi il faudrait utiliser des ailes plus grandes (sans augmenter trop la masse !) et profilées en fonction d’une circulation d’air différente de celle existant à basse altitude terrestre (nombre de Reynolds très faible).

La NASA avait fait une étude très poussée sur le sujet dans les années 2000 qui avait donné lieu à des tests en haute atmosphère terrestre, d’un avion martien « ARES ». Le projet a été abandonné malgré des résultats satisfaisants (voir l’étude ci-dessous). Mais le sujet continue à être travaillé par la NASA comme le montre le concept présenté par le Langley Research Center en 2017 (voir lien vidéo ci-dessous). De tels projets pourraient être poursuivis en raison du succès de l’hélicoptère Ingenuity. Comme vous le verrez dans la vidéo le drone combine décollage et atterrissage vertical avec propulsion aérodynamique. Pour le moment il n’est bien sûr question que de drones mais on pourrait envisager des versions « habitées » par une ou deux personnes, avec plusieurs hélices et d’autres aménagements nécessaires (compte tenu notamment de la variation du nombre de Reynolds, déjà mentionné, avec la taille de l’engin).

Il reste que le problème de l’avion « classique » (à propulsion chimique) est son autonomie limitée puisqu’il faut embarquer l’énergie nécessaire à la portance aussi bien qu’au déplacement dans l’air. On peut se tourner vers d’autres solutions.

Un avion solaire ne pourrait voler que le jour et peut-être pas en hiver en raison de la faible irradiance mais il pourrait quand même être utilisé le jour dans de bonnes conditions (altitude, temps clair et période de l’année adéquate). Le projet SolarStratos actuellement développé en Suisse, à Payerne, pour monter jusque dans la stratosphère (mon ami Roland Loos, diplômé de l’EPFL et membre de la Mars Society Suisse en est le CEO, Rafaël Domjan le pilote) nous prépare à cette possibilité. Une différence importante est que l’avion martien devrait être adapté au décollage vertical (Roland Loos a fait une présentation sur le sujet lors de la Convention des Mars Society européennes que j’avais organisé en 2018 à La Chaux-de-Fonds).

Une alternative à l’énergie solaire (autre utilisation d’énergie disponible in situ) serait l’avion « gashopper ». Il s’agit d’un concept présenté par Robert Zubrin à la NASA en 2005. Je vais développer son principe car je crains qu’aucun de mes lecteurs ne le connaisse. Il repose sur la propulsion de CO2. En premier lieu le gashopper absorberait avec une pompe du gaz carbonique de l’atmosphère martienne pour le stocker sous forme liquide à une pression d’environ 10 bars. Lorsque suffisamment de CO2 serait stocké pour effectuer un vol, on chaufferait un lit de granulés (pellets) à ~ 1000 K (720°C). En même temps le CO2 accumulé serait réchauffé à ~ 300 K (27°C) jusqu’à obtenir une pression interne au réservoir de ~ 65 bars. Une vanne serait alors ouverte, permettant au CO2, encore liquide, de traverser le lit de granulés chauds. Le CO2 se gazéifierait. Il serait acheminé vers un ensemble de propulseurs sous l’avion, permettant un décollage vertical. Après avoir atteint l’altitude désirée, le gaz serait dirigé vers un propulseur principal orienté vers l’arrière pour générer une vitesse de vol vers l’avant. Le même système serait également utilisé pour le contrôle d’attitude et la propulsion principale lors de l’atterrissage (vertical). L’avantage du gashopper serait de pouvoir être autonome en surface puisqu’il y a du CO2 partout sur Mars. Le stockage du gaz, sa compression et le chauffage du lit de granulés serait effectués avec l’énergie électrique obtenue par des panneaux solaires qui recouvriraient les ailes et le dessus du fuselage de l’avion. Cette énergie serait stockée dans des batteries embarquées.

Apparenté à l’avion (par ses hélices), il y aurait peut-être possibilité d’un hélicoptère puisque la NASA avec Ingenuity a démontré l’application du principe. Compte tenu de la masse minimum a transporter (deux personnes avec leur équipement de support vie), il faudrait concevoir un volocopter (comme le Volocity conçu par une start-up allemande) c’est à dire un hélicoptère disposant d’une couronne d’hélices de petites tailles. Le Volocity en a 18 et il en faudrait certainement plus! Ceci n’est qu’une idée, aucune étude n’ayant, à ma connaissance, été faite sur le sujet. En allant plus loin, pourrait-on envisager un allégement même minime de la masse du volocopter par un ballon d’hydrogène de taille “raisonnable” au dessus de la couronne d’hélices? On resterait dans la catégorie des plus lourds que l’air mais on aurait besoin d’un peu moins d’énergie pour générer une portance. Par ailleurs, l’hydrogène donnerait aux passagers une certaine protection contre les radiations solaires. Je ne fais que poser la question pour ceux qui voudraient y réfléchir…et faire les calculs de faisabilité. On touche avec cet “engin” à la dernière solution, que je présente ci-dessous.

La quatrième solution serait celle des plus légers que l’air, ballon et surtout dirigeable qui, à la différence de l’avion, n’aurait besoin d’énergie que pour son déplacement à l’horizontale. Comme le sujet est actuellement à l’étude chez l’EPFL par des étudiants de Master (j’y participe), je ne m’y étendrai pas à ce stade. Disons seulement que le problème fondamental est que la faible différence entre la densité du gaz intérieur au volume portant (hydrogène) et celle de l’atmosphère extérieure (gaz carbonique) oblige à utiliser des volumes portants énormes et de forme sphérique (moins de masse d’enveloppe) pour soulever des masses relativement faibles (20 mètres de rayon et une masse totale de 940 kg pour une masse utile, inclue dans ce chiffre, d’une quinzaine de kg). Il faut donc envisager cette option uniquement pour une exploration robotique (ce qui serait déjà très utile). Mais un ballon sans moteur (donc pas un « dirigeable ») qui disposerait de ce fait d’une possibilité d’emport de charge utile plus importante, pourrait emporter un ou deux hommes en altitude au-dessus de la Base, au bout d’un câble (qui constituerait un lest en se déroulant). J’imagine que dans un environnement aussi hostile que celui de Mars, on ne le laisserait pas errer au grès des vents. L’étude d’un tel ballon a été faite il y a quelques années par un groupe d’étudiants de Polytechnique Paris sous le contrôle de Richard Heidmann, fondateur de l’APM (Association Planète Mars, membre français de la famille des Mars Society).

Comme on le voit les déplacements sur Mars seront beaucoup plus difficiles que sur Terre, mais beaucoup plus faciles que n’importe où ailleurs dans le système solaire, y compris la Lune.

Illustration de titre : Un avion solaire sur Mars. Etude de la NASA de 2003 : « Overview of innovative aircraft power and propulsion systems and their application for Planetary exploration » (Antony Colozza et al, Research Gate): https://www.researchgate.net/figure/Artists-concept-of-the-proposed-Ames-MAGE-aircraft_fig5_24298994

Autres liens:

Etude ARES par Robert Braun, GeorgiaTech ;  Henry Wright NASA Langley Research Center; David Spencer, NASA JPL: https://ntrs.nasa.gov/api/citations/20080015501/downloads/20080015501.pdf

Avion GasHopper par Robert Zubrin :  https://sbir.nasa.gov/SBIR/abstracts/06/sbir/phase1/SBIR-06-1-S1.01-9456.html

Voler sur Mars, par Alain Souchier, Pst Association Planète Mars, 2010 : https://planete-mars.com/voler-sur-mars/2/

Mars Flyer Concept, NASA Langley Research Center, 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=9xjHCHR5_50&t=273s

Designing an Airplane that can fly on Mars, SciWorthy, 04/01/2021: https://sciworthy.com/designing-an-airplane-that-can-fly-on-mars/

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Index L’appel de Mars 22 01 15

La mobilité sur Mars (1)

Lorsque l’homme ira sur Mars, très vite il devra se déplacer à la surface de la planète. Pour ce faire il devra prendre en compte les caractéristiques très particulières de son environnement et les possibilités technologiques dont il disposera.

Tout d’abord voyons les avantages de l’environnement. Ils sont limités mais réel. Il s’agit d’un sol (surface ferme et non pas gazeuse), d’une gravité planétaire qui permet de transporter avec soi des masses plus importantes que sur Terre (0,38g au lieu de 1g), de la disponibilité de l’énergie solaire, de ressources minérales et gazeuses diversifiées aussi bien dans l’atmosphère de la planète que dans le sol, de l’absence de mer, de lac ou de fleuve à franchir pour aller où que ce soit. C’est sans doute tout.

Les contraintes sont fortes. Il n’y a bien sûr aucune infrastructure sur Mars et les construire à grande-échelle prendra beaucoup de temps, d’autant que la population sera pendant très longtemps très faible. Même remarque pour l’entretien. Des routes pourraient être construites mais il faudrait les maintenir fonctionnelles (par exemple les débarrasser de la poussière qui pourrait poser problème après une tempête importante), ce qui suppose des robots, des hommes, de l’énergie pour le faire. Concernant l’énergie, il n’y aura pas de « station-service » dans le paysage. Par ailleurs il n’y aura ni atelier de réparation, ni magasin d’alimentation, ni cabinet médical, aucune « facilité » en dehors de la Base, si ce n’est sans doute quelques abris contre les radiations en cas de tempête solaire (SeP – Solar energetic Particles). On ne pourra se déplacer en extérieur que revêtu d’un scaphandre et équipé de bombonnes d’air respirable. Et malgré tout, on restera toujours exposé aux radiations cosmiques. Il fera très froid la nuit et aussi à l’ombre (jusqu’à -100°C). Les tempêtes de poussière pourraient empêcher tout déplacement pendant un certain temps (plusieurs semaines). Enfin les télécommunications seront difficiles car l’atmosphère, peu dense et sans couche d’ozone réfléchissante, ne portera pas les ondes autour du globe et l’on devra recourir aux satellites relais (ce qui suppose une bonne couverture planétaire géostationnaire si on veut s’éloigner) au-delà de l’environnement immédiat (antenne visible).

Dans ce contexte, on ne sortira pas souvent de la Base car ce sera compliqué et dangereux, et qu’on pourra faire « beaucoup de choses » par robots interposés commandés en direct depuis l’intérieur protégé. Mais on sortira quand même de temps en temps, parce que dans certains cas on ne pourra pas faire autrement et aussi pour le plaisir ou l’agrément.

La première possibilité sera de sortir à pied.

Pourquoi pas. Il faudra le faire pour le contrôle et l’entretien des constructions diverses. Même si des robots agissent, on voudra vérifier, toucher soi-même. Mais l’usage des pieds ne pourra être que pour « le dernier kilomètre ».

La deuxième possibilité sera l’automobile.

Elle sera forcément du genre 4×4 ou plutôt « rover » comme on a pris l’habitude de les nommer. Il n’y aura pas de route avant longtemps, sauf pour aller à l’astroport, au gisement de glace d’eau et peut-être au réacteur nucléaire s’il est implanté un peu à l’écart de la Base. Les roues seront donc semblables à celles que l’on utilise pour les rovers d’aujourd’hui, pleine, larges et aussi résistantes que possible aux aspérités du sol (pas de caoutchouc trop sensible aux variations de températures et d’une manière générale trop fragile). La propulsion pourrait être chimique, du méthane brulant dans l’oxygène, puisqu’on en produira pour les fusées. On peut aussi penser qu’elle sera électrique, avec des batteries rechargées auprès d’un réacteur nucléaire ou mixte chimique/électrique avec de l’énergie solaire recueillie par panneaux photovoltaïques posés sur le toit du véhicule. A ce propos, il faudra toujours penser à se protéger des radiations spatiales. Pour ce faire, deux solutions, soit des sacs de glace sur le toit (les protons de l’hydrogène arrêtent les SeP quasi exclusivement composées de protons), soit tout simplement un ballon empli d’hydrogène en surpression (1,5 à 2,0 pour garantir la stabilité de l’enveloppe, selon sa texture). Le ballon pourra être parallélépipédique et couvert sur toute la surface du dessus, de panneaux solaires. Comme il y aura peu de trafic et qu’on ne recherchera pas la vitesse, on peut même concevoir que le ballon soit surdimensionné (le double ?) par rapport à la surface au sol du rover (pour donner une meilleure protection aux rayons latéraux) et que donc la surface photovoltaïque soit plus importante. Dans ce cas on pourrait concevoir un grand volume oblong. Dans les deux cas (parallélépipède ou volume oblong) on peut envisager une forme aérodynamique même si la prise au vent, sauf exceptions météorologiques rarissimes, sera très faible car la pression atmosphérique est extrêmement basse (moyenne 610 pascals). Même si son enveloppe structurée aurait une masse non négligeable, cette protection serait quand même allégée par l’hydrogène dont la masse volumique est moindre que le CO2 de l’atmosphère environnante (car on ne forcera jamais la pression de l’hydrogène de telle sorte qu’elle pèse aussi lourd que le CO2 extérieur, les risques de fuite hors de l’enveloppe étant trop élevés). Un tel dôme ne remontera donc pas le centre de gravité du véhicule.

Pour les déplacements dans les environs de la Base on utilisera des rovers non préssurisés car il serait difficile d’enlever et de remettre son scaphandre à chaque fois qu’on doit s’arrêter et descendre mais une tente embarquée, déployable et gonflable avec de l’air respirable et un nécessaire médical, pourrait servir d’abri en cas d’accident pour attendre les secours. Ces rovers ne seront pas chauffés puisque les utilisateurs garderont leur système de chauffage personnel intégré à leur scaphandre mais ils auront des portes avec des vitres (ordinaires) pour éviter trop de poussière à l’intérieur. Ils seront dotés d’un système de communication pour alerter la base en cas de besoin.

Par contre, les voyages lointains imposeront des rovers pressurisés, de véritables mini-bases ambulantes avec toutes les nécessités permettant une vie confortable et saine (voir illustration de titre). Ils pourraient eux aussi être protégés des radiations par un ballon sur leur toit qui comprendrait de l’hydrogène et/ou une réserve de glace d’eau qui pourrait être utilisée par l’équipage en cas de besoin et en tout cas pour le refroidissement du moteur. Ils seraient en outre équipés d’un système de télécommunication par satellite relai.

Je vous parlerai la semaine prochaine de la mobilité aérienne.

Illustration de titre : Sunrise on Polar Cap, par Philippe Bouchet, alias Manchu, Crédit Manchu et Association Planète Mars (APM). Dessin réalisé sur les conseils de l’APM, branche française de la Mars Society. Le rover est énorme, c’est un habitat. La différence avec ce que je décris dans mon texte c’est qu’il n’est pas équipé d’une protection d’hydrogène.

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Index L’appel de Mars 21 12 31

L’exosquelette, une nécessité à prévoir pour l’arrivée sur Mars + Nouvelles du télescope Webb

L’arrivée sur Mars des premiers vols habités sera un moment difficile pour les astronautes pour diverses raisons mais en particulier pour celle du retour à la gravité après un séjour de quelques six mois en apesanteur.

Bien entendu on peut envisager un système de gravité artificielle pendant le voyage. Il s’agirait de mettre en rotation l’habitat du vaisseau spatial ou le vaisseau spatial tout entier (avec une autre masse l’équilibrant), ce qui générerait à l’intérieur une force centrifuge. Cette force serait contenue, contrée, par la paroi du vaisseau qui deviendrait de ce fait le plancher de l’habitat. Les passagers bénéficieraient ainsi d’un environnement gravitaire équivalent à celui dont on bénéficie sur le sol d’une planète, le nombre de rotations par minute en fonction de la longueur du lien entre les masses en rotation, permettant d’en moduler l’intensité. Mais il n’est pas certain que la technologie pour le fonctionnement de ce système soit démontrée et certifiée suffisante (« TRL 9 », Technology Readyness Level 9) avant le premier vol et donc qu’elle soit utilisée (2031 avec le Starship ?). Par ailleurs, elle ne pourrait pas être mise en service avant l’injection interplanétaire car elle suppose une certaine stabilité du système et que cette stabilité est incompatible avec la force de gravité terrestre ressentie en orbite de parking puis avec l’accélération subie lors de l’injection à partir de cette orbite. Au cas où elle ne fonctionnerait pas (pour toutes sortes de raisons), il n’y aurait pas de retour possible sur Terre pour réparer le disfonctionnement du système, avant d’arriver dans l’environnement martien. Il y aura donc toujours un risque que les astronautes arrivent très affaiblis sur Mars pour avoir voyagé six mois en apesanteur. Ils seront de ce fait pratiquement incapables de se mouvoir et d’agir physiquement alors qu’ils devraient le faire, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité.

Le phénomène d’affaiblissement résultant de l’apesanteur est bien connu. Lorsqu’ils reviennent sur Terre les astronautes ont perdu un pourcentage non négligeable de leur masse musculaire et de leur masse osseuse en dépit de l’exercice physique qu’ils ont pu faire à bord. Ils ont aussi du mal à retrouver leur équilibre (leur sens de la verticalité). Tout mouvement leur coûte énormément d’attention et d’effort ; de plus, les évanouissements résultant d’une tension artérielle trop faible ne sont pas rares. La récupération est d’autant plus longue que le séjour a été long.

A l’arrivée du premier vol sur Mars et sans doute de plusieurs des vols suivants (dans la mesure où une présence permanente de maintenance ne sera pas décidée avant expériences répétées de séjour), il n’y aura pas sur place de « comité d’accueil », pas d’autres êtres humains pour les aider et les taches à exécuter à l’arrivée seront nombreuses. Les robots devraient effectuer la plupart d’entre elles mais évidemment pas toutes et certaines ne pourront être menées à bien sans qu’eux-mêmes bougent et « se bougent », notamment pour la surveillance de l’action de ces robots et pour prendre soin d’eux-mêmes. Le fait que la gravité martienne ne soit que de 0,38g sera un facteur favorable à un rétablissement rapide mais certainement insuffisant pour considérer ce problème comme mineur.

Il faudra donc que les astronautes disposent d’exosquelettes pour pallier l’incapacité temporaire de leur corps et faire face à leurs diverses obligations. A noter qu’à la différence des handicapés vivant sur Terre, leur système nerveux sera intégralement fonctionnel mais que la réponse musculaire sera insuffisante au niveau de leurs quatre membres, de leur torse, de leur dos, de leur cou, que leurs os seront fragilisés, que leur sens de l’équilibre aura été altéré. Ils devront aussi pouvoir très rapidement se mettre à l’horizontale sans tomber pour éviter (ou récupérer d’) un black-out résultant d’une insuffisante irrigation du cerveau (risque que l’on peut en principe limiter en portant des jambières compressant les jambes).

L’exosquelette devra pouvoir répondre aux impulsions données par les différents muscles qui seront les interfaces entre le système nerveux et le milieu extérieur à leur corps. Il devra aussi répondre à des commandes manuelles exercées par les doigts sur clavier pour maintenir de façon autonome l’équilibre du corps debout ou dans les positions intermédiaires. Il devra aussi bénéficier d’une certaine autonomie pour le maintien de l’équilibre et éventuellement pour prendre en charge le corps et l’incliner en cas d’évanouissement pour accentuer la circulation sanguine dans le cerveau.

Par ailleurs, il devra démultiplier la force des astronautes car il y aura des tâches physiques à accomplir (déplacer des masses, débloquer des attaches ou des articulations, faire levier pour dégager une caisse tombée ou un équipement sorti de son rail, etc…).

L’exosquelette devra donc réunir les capacités utilisées pour la locomotion des handicapés aussi bien que pour des travaux de force.

Il existe déjà des réalisations dans ces domaines. Je pense à TWIICE, spinoff de l’EPFL qui a conçu des exosquelettes remarquables pour les paraplégiques (mais ces exosquelettes ne suffiront pas pour les « Martiens » puisqu’ils ne prennent pas en charge le haut du corps). Je pense aux travaux réalisés par des étudiants de plusieurs disciplines à l’EPFL dans le cadre de l’Assistive Technologies Challenge (ATC) pour les mêmes besoins médicaux. Je pense aux exosquelettes HAL (Hybrid Assistive Limb) de la société japonaise Cyberdyne au Japon qui réalise des exosquelettes de rééducation à la marche mais aussi pour compenser les forces déficientes des travailleurs vieillissants ou tout simplement pour effectuer des travaux qu’un homme normal n’aurait pas la force d’effectuer. Son Cyborg portable (« wearable Cyborg »), « HAL 5 », qui renforce l’ensemble du corps, semble une excellente base de développement pour « nous », futurs Martiens.

Ce sont ces réalisations et les recherches qui continuent, qu’il convient de mettre ensemble et d’orienter vers les besoins des futurs astronautes, en prenant bien soin de les concevoir (1) pour un environnement martien particulièrement dur, notamment pour les articulations (poussières, températures, pression extérieure) ; (2) pour des hommes valides plutôt que pour des handicapés (les parties basses de l’exosquelettes pourront réagir aux stimuli provenant des muscles des pieds ou des jambes des astronautes). Ils seront en ce sens un peu différents de ceux qui sont actuellement étudiés à l’EPFL et plus proches des exosquelettes HAL de Cyberdyne mais nul doute que l’expertise développée dans le cadre du « Challenge » ATC comme dans celui de TWIICE ne donne une compétence pour adapter les avancées de HAL aux besoins de l’exploration martienne.

L’exosquelette devra être aussi léger que possible pour être facilement manié. Se pose surtout la question de le revêtir en apesanteur avant l’atterrissage pour ne pas avoir à le faire après, alors que tout effort physique sera devenu difficile. Dans cette éventualité, l’exosquelette doit être conçu pour ne pas blesser le corps lors de la décélération très forte du vaisseau spatial pendant la descente dans l’atmosphère.

Il devra ensuite pouvoir être porté pendant plusieurs jours sans devoir être retiré (il sera très difficile pour une personne affaiblie et non ou mal assistée de le revêtir ou de s’en défaire) et donc permettre toutes les fonctions dont celles ressortant de l’hygiène.

Il devra encore être adaptable au scaphandre utilisable pour les EVA (Extra Vehicular Activities) puisque les astronautes devront probablement sortir du vaisseau avant d’avoir récupéré toute leurs capacités motrices et musculaires. Alternativement un second exosquelette, « extérieur », pourrait être mis à disposition mais les responsables de missions spatiales s’efforceront toujours de surveiller avec le plus de rigueur possible leur budget de masse et de volume. En tout cas si l’exosquelette intérieur pouvait être utilisé pour l’extérieur, il devrait être adapté pour prendre en charge l’équipement de support vie de l’astronaute (ou purement et simplement intégré au scaphandre ?).

Enfin son autonomie énergétique devra être aussi grande que possible (avec indicateur d’énergie restant disponible et de distance parcourue) et les sources d’énergie (électriques, avec batterie rechargeable « embarquée »), devront être conçues pour être facilement manœuvrables et portables.

J’espère que des étudiants de l’EPFL voudront bien se lancer dans cette étude comme le font depuis deux ans d’excellents élèves de Master sous la supervision de Claude Nicollier et de moi-même dans le cadre d’eSpace, sur le sujet du dirigeable d’exploration robotique (…sujet que je vous présenterai une autre fois). Nous avons au sein de la Mars Society Switzerland des personnes compétentes, diplômés de la même « maison », qui pourraient les « coacher ».

Illustration de titre : HAL 5 (pour Hybrid Assistive Limb), exosquelette de la start-up Cyberdyne, spin-off de l’université japonaise de Tskukuba. Lire :

https://www.usinenouvelle.com/article/hal-l-exosquelette-japonais-teste-en-europe.N204055

https://www.cyberdyne.jp/english/products/HAL/

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hybrid_assistive_limb

https://twiice.ch/fr/

https://www.epfl.ch/education/educational-initiatives/fr/discovery-learning-program/projets-interdisciplinaires/assistive-technology-challenge/

Nouvelles du JWST

Pendant ce temps là, l’origami du télescope Webb (JWST) continue à se déployer. Nous sommes (08/01/22) au 14ème jour après le lancement et la plupart des étapes essentielles et critiques ont été franchies: (1) déploiement du panneau solaire, (2) déploiement des feuilles du bouclier thermique et du pare-Soleil, (3) positionnement du miroir secondaire au bout de ses bras en vis à vis du miroir primaire, (4) déploiement de la partie gauche du miroir primaire (3 des 18 segments) et fixation, bloquée, à son corps central (12 des 18 segments). On attend aujourd’hui à 14h00 UTC (15h00 heure Europe continentale) le déploiement et la fixation de la partie droite du miroir (3 des 18 segments).

Le JWST est à 1.058.000 km de la Terre (08h00 ce matin). Nous nous rapprochons de la mise en orbite autour de L2 (1.500.000 km) mais n’y sommes pas encore. Il lui faut encore parcourir 390.000 km. La mise en orbite autour de L2 est prévue pour dans15 jours, à J+29 (le 23 janvier).

16h30 : ça y est, la partie droite du miroir primaire a été déployée et fixée!

Lien vers le site de la NASA

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Index L’appel de Mars 21 12 31

Pour coloniser Mars, l’homme a besoin du nucléaire et il aura des solutions.

Il ne faut pas rêver, vivre sur Mars ne sera possible qu’avec le nucléaire, les autres sources d’énergie n’offrant pas les mêmes facilités et la même adaptabilité aux besoins. Ce n’est pas un problème car des réacteurs-nucléaires-portables, « PNP » (« portable nuclear powergenerator »), sont déjà proche d’être opérationnels. Par la même occasion, le développement de ces microréacteurs « spatiaux » servira aussi sur Terre et je suis certain qu’ils y seront vendus et utilisés, pour le plus grand bien des Terriens, quels que soient les anathèmes que les sectateurs de la religion écologiste prononceront à leur encontre.

Nous ne sommes plus à l’époque de Tchernobyl comme certains le pensent toujours. Des progrès énormes ont été faits en matière de sécurité et des innovations sont aujourd’hui disponibles pour produire des réacteurs nucléaires plus propres, plus efficaces et plus maniables. Aux Etats-Unis, en France ou au Japon mais aussi en Russie, en Chine et en Inde (trois pays qui n’ont pas les mêmes préventions que les pays où le mouvement écologiste est très fort), beaucoup de PNP sont à l’étude. Les sujets de réflexion, d’études et de tests sont nombreux. Il peut s’agir du mode de transfert de la chaleur du cœur du réacteur à la turbine, du type de combustible, ou encore de l’utilisation de neutrons rapides.

J’ai déjà parlé dans ce blog des PNP Megapower et Kilopower dont le médium caloporteur est le sodium (voir mes articles du 25/05/2019 et du 20/02/2018). Mais une start-up, « Radiant Nuclear », lancée en 2020, propose une technologie qui semble encore plus intéressante. La société a été créée par Doug Bernauer et deux anciens collègues ingénieurs de SpaceX où ils avaient travaillé sur l’approvisionnement en énergie des futures colonies martiennes. A noter que leurs relations avec Elon Musk ne sont pas clairement exposées mais qu’Elon Musk est également favorable à l’industrie nucléaire et s’intéresse aux PNP.

« Kaleidos », le « bébé » de Radiant Nuclear est un PNP de 2,50 m x 6 m x 3 m (hauteur). Il est donc transportable (même s’il est un peu « encombrant »), et il peut être rendu opérationnel en 72 heures. Il pourrait générer une puissance de 1,2 MWe sur 8 ans, sans recharge de combustible. Cela devrait permettre de fournir en énergie un millier de foyers (standard américain). Le générateur repose sur l’utilisation d’innovations qui elles-mêmes sont le fruit de réflexions anciennes : (1) l’hélium comme médium caloporteur ; (2) les « particules enrobées » TRISO (TRI-structural ISOtropic) comme combustible.

 

Vue d’un réacteur Kaleidos de Radiant, hauteur 1 mètre. Crédit Radiant Nuclear

L’hélium présente beaucoup d’avantages. Il évite les risques d’ébullition, de contamination (produits radioactifs mêlés à l’eau ou au métal fondu) et de corrosion. Il est par ailleurs très stable, non inflammable et il a une forte conductivité thermique. Dans Kaleidos il est injecté, à froid, dans les tubes parcourant le cœur du réacteur contenant le combustible, avant d’alimenter une turbine après s’être réchauffé dans l’environnement du combustible siège du processus de fissions. En se réchauffant, il se dilate à l’intérieur des tubes qui le contiennent, ce qui le projette vers la turbine et la fait tourner (et produire de l’électricité). Il est ensuite recyclé, c’est-à-dire détendu, refroidi par un système de refroidissement et réintroduit dans le réacteur pour réutilisation. Il fonctionne donc en circuit fermé. 

Le TRISO est un combustible considéré comme pratiquement non susceptible de fondre au cours de son utilisation (et, liquide en fusion, de se répandre en dehors de son enceinte de confinement !). En effet il peut supporter des températures allant jusqu’à 1800°C, bien au-dessus de ce qu’on peut craindre dans le cœur du réacteur. Les particules enrobées de TRISO ont l’apparence de petites capsules de la taille de graines de pavot. Ces particules peuvent être, pour leur utilisation pratique, rassemblés en boulets de la taille d’une balle de golf (un « compact » qui contient quelques 7000 particules). Elles sont constituées d’un cœur de matière fissible (un carbure d’uranium 235 de type « HALEU » – pour « High Assay*, low enriched Uranium », c’est à dire enrichi entre 5 et 20%) enrobé de couches de graphite (ou équivalent) et de céramique (carbure de silicium). Quand le TRISO chauffe du fait de la fission de l’uranium, son enveloppe de graphite absorbe davantage de neutrons ce qui ralentit la réaction en chaîne et fait baisser la température. Il y a donc auto-régulation. Les barrettes de contrôle absorbeurs de neutrons (généralement en carbure de bore) restent cependant utiles pour moduler le niveau des fissions et le cas échéant les arrêter. La couche de céramique évite l’éventuelle diffusion de produits de fission fondus par la chaleur en dehors de la particule. 

*assay = dosage 

Une particule de TRISO, en coupe, environ 2 millimètres de diamètre. Crédit Idaho National Laboratory. La couche céramique (jaune) est prise en sandwich par l’absorbeur de neutrons (bleu).

Kaleidos est en test à l’ANL (Argonne National Laboratory) du DoE (Department of Energy) en Idaho. Il pourra bientôt équiper les petites villes ou les sites isolés (les missions militaires par exemple), partout où les hommes auront besoin d’énergie loin des réseaux de distribution (mise sur le marché prévue pour 2028). Parmi ces sites, on pense à Mars, bien sûr. Mais force est de réaliser aussitôt que ce réacteur n’y serait pas durablement adaptable car la planète est pauvre en hélium et qu’on ne peut pas prendre le risque qu’une fuite, même improbable, mette le réacteur hors d’état de fonctionner. Malheureusement l’argon, gaz relativement abondant dans l’atmosphère de Mars (environ 2%), a une faible conductivité thermique. Cependant les vaisseaux partant pour Mars pourraient très bien s’équiper de Kaleidos pour fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement des instruments et du support vie pendant le voyage, plutôt que des panneaux solaires très encombrants à l’extérieur du vaisseau et de moins en moins efficaces au fur et à mesure qu’on s’éloigne du Soleil. Au début de l’exploration, on pourrait aussi utiliser Kaleidos en prenant soin d’avoir toujours de l’hélium disponible en cas de fuite. 

Sur Terre comme sur Mars, à côté des éoliennes qui ne marchent que lorsqu’il y a du vent et des panneaux solaires que lorsqu’il y a du soleil, les centrales nucléaires, qui produisent continument de l’énergie, n’ont pas dit leur dernier mot.

Capture d’écran article “Ex-SpaceX Engineers Are Developing A Mini Nuclear Reactor” par Will Lockett (https://bit.ly/2Yr3q6H) in Predict (04/11/2021)

Illustration de titre : Un réacteur Megapower (10 MWe) du Los Alamos National Laboratory (LANL) apporté par camion dans un village d’une région pauvre sans réseau de distribution d’électricité. Crédit LANL (DoE). Le medium caloporteur du Megapower est le sodium, à la différence du Kaleidos qui utilise l’hélium.

NB: Ce texte a été soumis à la relecture du Dr. Pierre-André Haldi, Ing.-physicien EPFL retraité, spécialiste en énergie. Il y a apporté quelques corrections techniques.

Liens :

https://www.youtube.com/watch?v=CXsZPrTAAm0

https://www.cea.fr/Documents/monographies/Combustibles-nucl%C3%A9aires-r%C3%A9acteurs-gaz.pdf

https://www.marketwatch.com/story/former-spacex-engineers-founded-a-company-to-build-climate-friendly-cost-effective-portable-nuclear-reactors-11635536253

https://www.energy.gov/ne/articles/triso-particles-most-robust-nuclear-fuel-earth

https://medium.com/predict/ex-spacex-engineers-are-developing-a-mini-nuclear-reactor-27fae3450209

https://www.youtube.com/watch?v=7ijrp2CEOOo

https://www.marketwatch.com/story/former-spacex-engineers-founded-a-company-to-build-climate-friendly-cost-effective-portable-nuclear-reactors-11635536253?mod=mw_NBF

https://medium.com/prime-movers-lab/whats-hot-in-nuclear-b26ee1caadd6

https://www.world-nuclear.org/information-library/current-and-future-generation/fast-neutron-reactors.aspx

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9acteur_rapide_refroidi_au_sodium

Meilleurs voeux à tous pour l’année 2022!

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N’hésitez pas; c’est mon cadeau de Nouvel An ! Vous pouvez remonter jusqu’au 04 septembre 2015.

Noël et sa signification cosmique

Noël, c’est bien connu c’est le jour de la Naissance, “Dies Natalis“. Mais allons plus loin.

Dans la religion chrétienne, c’est plus précisément l’incarnation de Dieu dans notre Humanité en la personne de Jésus de Nazareth. Ceci met l’accent sur le lien entre Dieu et l’Homme, qu’il a choisi de venir sauver, mais par la même occasion, sur la primauté de l’Homme par rapport à tous les autres êtres-vivants, primauté évidente par ses capacités mentales bien que certains d’entre nous (les antispécistes) en semblent aujourd’hui embarrassés. Cette primauté ne dépend pas nécessairement de la religion car il faudrait pour cela que l’Homme ait été voulu par Dieu (question de foi, on y croit ou on n’y croit pas) mais au moins elle est reconnue par elle.

Cette naissance intervient au solstice, au creux de l’hiver, dans le froid et la nuit. On n’est certain ni de l’année ni du jour. L’année n’a aucune importance puisque ce qui compte c’est le cycle et, en tant que cycle, il se renouvelle tous les ans, à l’infini. Mais le choix du jour de l’année fait par l’Eglise (Concile de Nicée en 325 après JC) est évidemment un symbole riche de sens, qu’on peut qualifier de cosmique compte tenu de ses liens avec le cycle saisonnier donc la position de la Terre par rapport au Soleil.

A l’époque du Concile, l’usage du calendrier Julien est généralisé dans le monde de culture romaine. Il a été imposé par Jules César en 45 avant JC. Dans ce calendrier l’année commence le premier Janvier, jour où l’on fête le dieu biface Janus (nom à l’origine de notre mot « Janvier ») qui regarde en même temps vers le passé et vers l’avenir et qui ouvre et ferme les périodes. Le premier Janvier était donc le Jour du Passage du temps, qui s’accumule en s’écoulant.

Il est intéressant de noter que la date choisie pour Noël est légèrement différente de celle du début de l’année civile et a donc une signification différente, celle du temps immobile ou éternel (enfermé à l’intérieur du cycle). En fait, la date du solstice, fête du Soleil divinisé, « Dies Natalis Solis Invicti », avait été fixée au 25 décembre dans le calendrier Julien et l’Eglise voulait clairement s’approprier ce culte comme on fait avec un palimpseste, en remplaçant le nom du Soleil par celui du Christ, lui-même le vrai Soleil. A cette occasion, Noël est affiché clairement comme une date religieuse, distincte du 1er janvier, fête laïque, pour les Juifs date de la Circoncision qui fait entrer le jeune enfant mâle dans la communauté des hommes et au cours de laquelle il reçoit son nom. C’est un des multiples signes qui, dans la sphère chrétienne, montrent que la religion et la vie civique évoluent dans des « mondes » distincts. Au cours de l’histoire, cette séparation fut plus ou moins respectée mais le calendrier « à double entrée » traversa les siècles et le Pape Grégoire XIII, fondateur de sa variante grégorienne, toujours actuelle, l’officialisa en 1582. Je vois ici une différence fondamentale avec la religion islamique, moins subtile, qui prend comme début d’année, un événement historique, terrestre, « dans le siècle », sans aucune connotation cosmique, la fuite de Mahomet de La Mecque pour Médine.

Quoi qu’il en soit de cette histoire, Noël est bien l’irruption de la Vie au cœur des Ténèbres au moment où ceux-ci semblent les plus puissants mais avec la nuance qu’ils sont quand même éclairés par la faible lueur de l’Etoile dite du Berger, porteuse de chaleur à venir et d’espérance. Il prend un sens différent de Pâques qui est davantage porteur de la notion de vie-en-mouvement, de persistance, de triomphe sur la Mort. Le Christ meurt mais ressuscite immédiatement, au Printemps, car il est lui-même la Vie-immortelle. A Pâques on n’est plus au stade de la naissance mais de la continuation de la Vie, en dépit de la Mort. Comme pour la religion juive, creuset du Christianisme, Pâques est la sortie de l’Egypte, après l’oppression la réponse donnée par la volonté de liberté, la volonté de vivre, la reprise de la Vie.

Mais Noël n’existerait évidemment pas sans l’Annonciation. Elle est fêtée le 25 Mars (bien sûr 9 mois auparavant !) et dans le calendrier elle est presque simultanée à la Passion et à la mort. C’est l’espérance de la Vie qui se manifestera à Noël. Comme Pâques, elle est une intrusion du surnaturel dans le naturel, l’action divine d’insuffler la vie, dans les deux cas une manifestation de la Vie mais, à ce stade, le début d’une gestation, une promesse. Noël est la clef, la concrétisation de cette promesse ; Pâques, la conclusion du processus laissant entrevoir à l’homme lui-même une victoire sur sa propre mort. Sans Annonciation, pas de Noël, Pas de Pâques. C’est lorsqu’il est dans la pleine vigueur du Printemps que le Soleil donne la vie qui se manifestera à Noël pour ranimer la Nature, ce qui sera évident au Printemps. A l’équinoxe de Printemps, la boucle est donc bouclée. Année après année, le cycle recommence et le parcours de notre vaisseau Terre sur son orbite est accompli.

Ces liens entre la religion chrétienne et la Terre ou plus précisément le cycle de la Nature terrestre dans son hémisphère Nord, ont été créés, voulus par l’Homme, au cours d’une lente maturation de sa réflexion dans le contexte intellectuel juif et gréco-latin, pour intégrer sa religion dans son environnement naturel ou plus précisément pour intégrer cet environnement dans sa représentation religieuse.

Il en résulte que fêter Noël le 25 décembre ailleurs que dans l’hémisphère Nord terrestre, n’a pas de sens puisque ce n’est que dans cet hémisphère que l’événement est en relation avec le cycle de la Nature. A Buenos-Aires ou à Sydney, Noël devrait être célébré le 25 juin. Dans la zone intertropicale, au moment le plus dur de l’année, celui où une injection d’espoir est nécessaire (A Singapour, le début des grands feux saisonniers dans l’Indonésie voisine). De même fêter Noël sur Mars ne devrait se faire qu’à l’entrée de l’hiver, dans l’une et l’autre hémisphère, avec donc un Noël tous les 668 sols (687 jours). Cela n’empêcherait pas, bien sûr, que les Martiens, qui pendant très longtemps resteront en relation avec la Terre, suivent toujours l’année terrienne, civile pour leurs contacts avec elle.

Cette réflexion me conduit insensiblement à souhaiter que Noël ne soit plus le grand capharnaüm commercial qu’il est devenu. Chrétiens pratiquants ou non, les êtres humains, plutôt qu’à ne penser qu’à se rendre malades à force de nourriture ingurgitée ou de cadeaux inutiles échangés avant d’être rangés dans un placard ou jetés, devraient profiter de ce moment pour réfléchir au Temps qui passe, à leur vie qui passe, à leur place dans le Cosmos, à leurs relations avec les autres êtres vivants et à la Terre qui les nourrit, à ceux qui les ont précédés, à la tradition judéo-chrétienne qui les a portés, à ceux qui vont les suivre et auxquels ils doivent transmettre, à tout cet Univers qui est infiniment plus grand qu’eux mais dont ils sont les perles très précieuses. Noël devrait être le moment de s’élever au-dessus de soi, de se regarder soi-même et de regarder les autres, nos frères humains, de plus loin dans l’espace et dans le temps, de jouir un moment plus long que d’habitude de nos capacités de spiritualité et, pour ceux qui le veulent, en même temps d’emplir cette spiritualité, de religion.

On peut rêver mais l’histoire a abondamment montré qu’elle évoluait comme une sinusoïde et qu’aux phases de matérialisme succédaient des phases où l’esprit reprenait des couleurs et des forces. Espérons qu’on approche l’un de ces seuils de changement, le passage non plus simplement d’une année à l’autre mais d’une phase à l’autre de cette courbe infinie, phase pendant laquelle l’homme deviendrait plus humain, plus respectueux de l’autre tout en étant respectueux du patrimoine que lui ont légué ses ancêtres, sans se laisser divertir par toutes les futilités, les envies ou les jalousies que lui présente le Séducteur-des-apparences, une phase où Noël reprendrait tout son sens.

Dans cet article, je ne veux pas ravir Noël aux Chrétiens, ni faire profession d’une autre foi. Je veux simplement insister sur la dimension cosmique de ce Jour et rendre hommage à la plus belle religion que l’homme ait conçue en souhaitant que les valeurs qu’elle a portées et qui imprègnent notre civilisation occidentale continuent à rayonner sur le Monde et persistent à jamais.

Joyeux Noël !

Illustration de titre : l’Annonciation faite à Marie. Fra Angelico, Couvent de Saint Marc, Florence

NB: Dans le ciel, notre vaisseau Terre a passé le solstice d’hiver le 21 décembre et nous approchons du périhélie que nous atteindrons le 4 janvier. L’inclinaison de la Terre était de 23°26′ au solstice et la distance au Soleil sera de 0,943 UA au périhélie. Nous atteindrons ce dernier à la vitesse maximale de 30,2 km/s (soit 108.720 km/h!) pour repartir vers notre aphélie, à 1,02 UA soit quelques 300 millions de km d’ici (en ligne droite!), que nous atteindrons le 5 juillet à la vitesse minimale de 29,2 km/s (soit 105.120 km/h), après avoir parcouru 470 millions de km sur notre orbite autour du Soleil.

lien: Noël et notre place dans le Cosmos (article de ce blog publié le 21/12/2019).

PS: Le James Webb Space Telescope (JWST) a bien été lancé, ce matin, 25 décembre, par une fusée Ariane V de l’ESA, à partir de Kourou (Guyane française). Pour le moment tout se passe bien. La manoeuvre très délicate du déploiement a commencé mais elle ne sera terminée que dans 18 jours.

A 16h00 la sonde portant l’observatoire a parcouru 4% de son voyage qui doit la conduire à 1,5 millions de km de la Terre où elle sera mise en orbite autour du point de Lagrange “L2” du système Terre-Soleil.

Sur la mission, lire mes articles des 11 et 18 décembre sur ce blog.

Ci-dessous, diagramme de la mise en place de l’observatoire (crédit ESA).

Where is the JWST (NASA website):

https://www.jwst.nasa.gov/content/webbLaunch/whereIsWebb.html