Bienheureux sont les Terriens car ils ont Mars comme planète voisine (1. La masse)

Les Terriens sont ingrats. Beaucoup considèrent la Planète Mars comme une terre hostile et lointaine qu’il vaudrait mieux, de ce fait, ignorer. Ils ont tort. Ils devraient au contraire voir que c’est exactement le tremplin dont l’humanité a besoin pour, un jour, pouvoir prendre son envol dans l’espace profond. Ils devraient donc rendre grâce à la « Nature » qui l’a placée là, telle qu’elle est, à l’endroit où elle est.

Les avantages fondamentaux qu’offre Mars pour nous êtres humains, par rapport aux autres planètes du système solaire et par rapport aux planètes d’autres systèmes qui ne présenteraient pas la même configuration que notre couple Terre/Mars, sont liés à la masse et à la distance. Plus précisément ce sont d’une part, le rapport de masses entre les deux planètes et la masse de Mars en absolu ; d’autre part, la distance de Mars à la Terre et la distance de Mars au Soleil. Je développerai cette semaine, les avantages donnés par la masse.

Pour mémoire, Mars a une masse relativement petite, un dixième de celle de la Terre, pour un diamètre égal à la moitié de celui de la Terre (donc à peu près la même densité) mais une surface égale à la totalité des terres émergées de notre planète. Cette faible masse n’est pas « normale ». Compte tenu de l’homogénéité probable du disque protoplanétaire, Mars aurait pu avoir la même masse que la Terre ou que Vénus. Elle aurait même dû avoir cette masse si, comme nous l’a démontré brillamment l’astrophysicien Alessandro Morbidelli (théorie du « Grand Tack » i.e. du « grand rebroussement »), Jupiter, formée au-delà de la ligne de glace, n’était pas venue faire une incursion dans cette région du système solaire interne (en-deçà de la Ceinture d’Astéroïdes) alors qu’il était encore en formation (avec un certain retard par rapport aux géantes gazeuses). Par chance Saturne étant entrée en résonnance avec elle, stoppa sa descente vers le Soleil et l’entraina pour repartir de concert dans le système externe (au-delà de la Ceinture d’Astéroïdes). Les dommages causés par l’incursion étaient cependant déjà énormes, la plus grosse partie de la matière de la Ceinture d’astéroïdes chamboulée, dispersée, absorbée, la plus grosse partie de la matière qui aurait pu permettre de créer une planète Mars de la taille de la Terre, absorbée. Cependant Jupiter n’était pas descendue suffisamment longtemps dans cette région pour en absorber toute la matière et par chance elle y était restée suffisamment longtemps pour que ce qui resta de matière put s’accréter par gravité en une planète nettement moins massive que la Terre mais nettement plus massive que la Lune, ce qui était exactement ce dont nous aurions besoin plus tard.

En effet, cette masse de Mars implique une pesanteur au sol d’à peu près un tiers de celle que nous avons sur Terre (0,38g) et une vitesse de libération de 5,03 km/s (contre 11,2 km/s pour la Terre). Les conséquences en astronautique sont que (1) le poids de l’éventuel Starship qui se posera sur Mars presque à vide d’ergols ne sera que de 100 tonnes pour une masse maximum de quelques 300 tonnes (soit 100 tonnes de structures, 50 tonnes d’ergols résiduels, 150 tonnes de charge utile) ; (2) le poids au départ de Mars, une fois le plein d’ergols fait, sera de 370 tonnes pour une masse de 1400 tonnes (100 tonnes de structure, 1200 tonnes d’ergols, 100 tonnes de charge utile). Ce poids est à comparer (1) à celui du Starship avec son lanceur, SuperHeavy, au départ de la Terre, 4000 tonnes (soit pour la structure, 200 tonnes pour le SuperHeavy et 100 tonnes pour le Starship, et pour les ergols, 3400 tonnes pour le SuperHeavy et 150 tonnes pour le Starship – en attendant de faire le plein en orbite – plus 150 tonnes de charges utile). Il est à comparer aussi au poids au départ de la Terre (2) des 538 tonnes de la version la plus lourde d’un Falcon-9 chargé ou encore (3) des 780 tonnes d’une Ariane-5.

On voit bien que les difficultés pour se poser puis repartir d’une planète « Mars-hypothétique » de la masse de la Terre seraient incomparables aux difficultés à surmonter pour décoller de la Terre. Par analogie vouloir se poser sur le sol non-préparé d’une telle planète et surtout vouloir en repartir poseraient des problèmes quasi insurmontables. En ne considérant que le décollage, il faudrait disposer sur place d’un lanceur équivalent au SuperHeavy qu’il aurait fallu avoir pu apporter sur Mars aussi bien que les ergols nécessaires pour l’alimenter (ou du laboratoire capable de les produire à partir des ressources locales en quantité suffisante et avec la rapidité suffisante). C’est donc d’une machine bien plus puissante que le Starship-intégré (à son SuperHeavy) dont on aurait besoin au départ de la Terre. Or le test de décollage pour vol-orbital du Starship-intégré a amplement démontré que nous avions atteint le maximum de ce qu’il était possible de tenter avec nos moyens de propulsion actuels. Nous ne pouvons donc aujourd’hui espérer mener de missions habitées sur notre planète « Mars-réelle » que parce qu’elle a une masse beaucoup plus petite que celle de la Terre. Pour poursuivre le raisonnement, toute mission en surface de Vénus (ou planète de même masse), outre le fait qu’on ne pourrait y descendre en raison de la pression atmosphérique en surface (90 bars) et de la température (450°) serait totalement exclue car on ne pourrait plus en repartir du simple fait de la gravité. Toute mission sur une « superterre » (par définition de masse supérieure à la Terre) serait a fortiori également de ce fait, totalement exclue.

Après le décollage de la Mars-réelle, il sera ensuite beaucoup plus facile de rejoindre l’orbite avant injection interplanétaire vers la Terre, car les astronautes n’auront pas à surmonter l’épreuve de Max-Q, qui représente le pic de dangerosité après que l’on a quitté la surface de la Terre (ou de toute autre planète dotée d’une atmosphère dense). Rappelons que Max-Q est la tension aérodynamique maximum par laquelle on doit passer lorsque la pression atmosphérique est encore suffisamment élevée pour qu’en fonction de la vitesse déjà acquise la densité de l’atmosphère impose les contraintes les plus dures à la structure de la fusée. Cette tension diminue ensuite rapidement en fonction de la diminution de la pression atmosphérique, fonction elle-même de l’altitude. Dans l’atmosphère martienne, le Max-Q est beaucoup plus faible (pour ne pas dire négligeable) car la pression atmosphérique de départ est déjà très faible (615 pascals au « Datum » i.e. l’équivalent du niveau de la mer chez nous), correspondant à celle que nous avons à quelques 30 km d’altitude au-dessus de la Terre. C’est à cette altitude que le Starship-orbital a franchi son Max-Q, ce qui a sans doute contribué à sa déstabilisation devenue évidente quelques km plus haut. Lorsque la fusée repartant de Mars atteindra les 21 km d’altitude au-dessus du Datum, soit l’altitude du sommet d’Olympus Mons (le plus haut volcan de la planète) et probablement son Max-Q, la pression atmosphérique ne sera plus que de 30 pascals (trois dixièmes de millibars), clairement presque rien (et de toute façon, il n’aura pas eu besoin de procéder à la manœuvre délicate du « largage » de son lanceur puisque ce premier étage ne sera pas nécessaire du fait de la gravité plus faible).

Une fois sur Mars, les astronautes devront porter un scaphandre pour toutes leurs activités extérieures et sans doute un gilet plus un casque anti-radiations dans les habitats de surface protégés partiellement (comme les dômes transparents que l’on voit dans beaucoup de projets d’habitat), à moins bien sûr qu’ils ne décident de vivre sous une protection épaisse de régolithe ou de roche. Cela « tombe bien » car la masse correspondant à ce support-vie (scaphandre équipé) et à cette protection anti-radiations (gilet et casque), sera parfaitement adaptée à la capacité musculaire et osseuse des astronautes, et même leur sera bénéfique pour maintenir les tissus osseux et la masse musculaire en bonne condition, alors qu’elle serait totalement insupportable sur une planète de masse, donc de gravité, égale (ou supérieure !) à celle de la Terre.

Pour ce qui est de la recherche, Mars présente aussi deux atouts majeurs résultant de sa masse, donc de sa gravité. Cette masse a en effet permis une activité géologique beaucoup plus poussée qu’en surface de la Lune mais n’a pas permis le développement d’un activité tectonique notable comme sur Terre.

L’activité géologique sur la Mars primitive a permis la transformation géologique par diagénèse et métamorphisme associant l’eau liquide alors que cette évolution liée à l’eau a été quasi nulle sur la Lune puisque notre satellite naturel, de masse trop petite, a très vite été un astre mort. Mars a commencé une histoire géologique semblable à celle de la Terre avec réactivations nombreuses au début, suite à des changements d’inclinaison de son axe de rotation sur son plan de l’écliptique ou à de puissants épisodes volcaniques. Par chance, pour les scientifiques, cette activité s’est ralentie, presque arrêtée, quelques centaines de millions d’années après avoir commencé (vers -3,5 milliards d’années) en même temps que l’atmosphère se raréfiait à l’extrême et que l’eau de surface disparaissait. Dans le manteau de la planète une quantité moindre d’eau, elle aussi liée à la masse plus faible donc à la gravité plus faible de Mars par rapport à la Terre, donc à une attractivité moins forte de Mars pour les comètes porteuses de glace, n’a pas permis le développement de mouvements de convexion aussi puissants liés à une croute aussi mince que sur Terre. De ce fait, les mouvements de convexion n’ont pu qu’esquisser une très faible tectonique des plaques (Valles Marineris, ou Isis Planitia ?) ce qui a permis la conservation quasi intégrale d’une surface planétaire très ancienne étendue sur des dizaines de millions de km2, alors que sur Terre ces mêmes surfaces témoins des premiers balbutiements de la vie, n’occupent plus aujourd’hui que quelques dizaines de km2 en Australie et au Groënland.

Seule note négative, la faible masse de Mars n’a pas permis la création au centre de la planète, d’un noyau métallique ferreux aussi pur et de périphérie aussi nettement délimitée qu’au centre de la Terre, ce qui n’a pas permis une rotation différentielle suffisamment efficace pour générer des champs magnétiques globaux protecteurs (sinon au tout début de l’histoire géologique). Depuis que l’atmosphère s’est appauvrie (vers -4 milliards d’années sauf intermèdes de plus en plus rares), il n’y a plus eu de protection au sol contre les radiations solaires et galactiques. Ces conditions ont été évidemment défavorables à la vie.

En dépit de cette dernière « note » négative, Mars constitue donc, de par sa masse, un laboratoire optimal pour déduire ce qu’a pu être la surface terrestre la plus ancienne, et un lieu où les conditions gravitationnelles devraient permettre à l’homme de vivre dans des conditions acceptables.

La semaine prochaine :

Bienheureux les Terriens car ils ont Mars comme planète voisine (2. La distance).

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Le Temps arrête sa plateforme de blogs le 30 juin 2023

Mon blog, “Exploration spatiale”, a dû comme les autres prendre son envol pour migrer ailleurs plutôt que disparaître et cet article est donc un des derniers à paraitre sur cette plateforme.

D’ores et déjà vous pouvez me lire sur mon nouveau blog (créé par le développeur Dinamicom) qui reprend toutes les archives (articles et commentaires) du présent blog.

Nom de mon nouveau blog: “Exploration spatiale – le blog de Pierre Brisson“. Lien vers le blog:

https://explorationspatiale-leblog.com

Je serais heureux que vous vous y abonniez. NB: Le Temps n’a pas voulu transmettre à ses blogueurs les adresses mails de leurs abonnés et je n’ai donc aucun moyen de vous écrire.

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Index L’appel de Mars 23 06 06

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Vous pouvez aussi me lire sur contrepoints.org, porte parole des opinions libérales en langue française (Contrepoints est un media avec lequel j’entretien une relation déjà longue) lorsque sa direction estime mes articles intéressant dans son contexte éditorial.

https://www.contrepoints.org/

Vous pourrez encore me lire, de temps en temps, dans les pages du Temps dans la rubrique “Opinions/débats” quand la Direction du journal le jugera utile pour son lectorat général.

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A la semaine prochaine, même jour, même heure, sur:

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Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

6 réponses à “Bienheureux sont les Terriens car ils ont Mars comme planète voisine (1. La masse)

  1. La gravité moindre présente en effet d’évidents avantages logistiques. Mais différente de celle de la Terre, nous ignorons ses effets sur l’organisme humain. Il ne va ainsi pas de soi que d’éventuels colons, et encore moins leurs descendants, pourront longtemps porter scaphandre et protection anti-radiations avec l’aisance de premiers justes débarqués de la Terre.

    Or la meilleure survie possible de l’espèce est la raison principale d’une transplantation. Sait-on comment combler cette lacune avant toute décision ?

    Je doute qu’on puisse l’extrapoler de notre expérience actuelle de l’apesanteur tant les conditions sont différentes, notamment de durée et d’échantillonnage (ne partent pour l’ISS que des personnes dûment triées et entraînées).

    1. Vous avez raison. On ne pourra décider de l’implantation d’une colonie sur Mars qu’après avoir testé l’adaptabilité de l’homme à la pesanteur réduite. Je pense notamment à l’adaptation de la pression artérielle (ou au maintien d’une pression plus élevée que nécessaire). Les premières missions qui imposeront un séjour de 18 mois sur place permettront de bien évaluer les conséquences et voir si elles sont acceptables.
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      Ici je suppose que cet obstacle a été franchi et que l’on a décidé de continuer. Si tel est le cas, le port de vêtements pesants sera une aide pour maintenir la masse musculaire et le tissu osseux. Et je ne pense pas que porter continument des vêtements lourds posera problème…puisqu’ils seront plus légers que sur Terre et permettront d’avoir l’impression d’avoir à peu près le même poids.

  2. Il y a une certaine confusion dans cet article entre masse et poids. La masse m s’exprime dans le système d’unités internationales (SI), seul agréé aujourd’hui, en kg (ou son multiple la tonne, qui vaut 1000 kg). Le poids P, qui est une force, est donné par la masse multipliée par l’accélération g de la pesanteur, P=m.g, et s’exprime alors dans le même système SI en Newtons (pour être logique et cohérent, l’unité de poids ne peut être la même que l’unité de masse puisqu’il s’agit de deux grandeurs physiques différentes). Ainsi, une masse d’un kg a SUR TERRE environ un poids de 10 N ou 9,81 N pour être plus précis. Pour éviter des confusions, on ne devrait plus à notre époque utiliser les unités de masse pour exprimer des poids, tout particulièrement dans le domaine de l’astronautique avec des accélérations de la pesanteur différentes d’un corps céleste à un autre, sinon on s’y perd.

  3. Je crois bien que l’on a découvert de la vie enfouie très profondément sous la glace antarctique.
    Pas de lumière, froid intense, pas de carbone, saumure, milieu acide: tout ce que l’on pourrait trouver en profondeur sur la planète MARS avec bien sur absence de radiations…

  4. Quelqu’un sait il pourquoi les fusées ont toute une forme grosso modo de cylindre, excepté la navette spatiale?

  5. “Pourquoi ferait-on compliqué quand on peut faire simple” : -)? Sauf, bien sûr, si cela se justifie par l’installation d’ailes par exemple (navette spatiale) ou de fuselages de type corps portant.

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