Le départ d’un ami que je n’ai jamais rencontré

Ce 12 février j’aurais dû donner une conférence à la Ferté-Bernard, dans le Perche, aux confins de la Normandie et de la Bretagne. Un ami que je n’avais jamais rencontré et auquel je n’avais jamais parlé m’attendait. Je devais le retrouver dans une librairie tout près de sa maison où il avait réuni les gens que dans sa petite ville, il connaissait bien. J’y aurais signé le livre « Embarquement pour Mars » dont je suis l’un des auteurs. Nous aurions surtout échangé car, plus que faire un exposé, j’espérais ardemment répondre à ses questions, sans doute en susciter quelques-unes, lui exprimer le fond de ma pensée sur les sujets fondamentaux à propos desquels tout homme s’interroge, sur l’Univers, notre présence dans celui-ci, et sur l’importance de Mars, « ma » planète, bien sûr. Nous avions une journée entière à passer ensemble à discuter et approfondir ce qui ressortait de notre intérêt commun.

Il est mort le 27 janvier et je suis triste car cet homme était pour moi exceptionnel et que mon rendez-vous avec lui est manqué.

Depuis cinq ans, chaque samedi, il attendait mon billet de blog. Le libraire le lui imprimait et le lui apportait « tout chaud » à sa maison toute proche, là où il habitait depuis une quinzaine d’années. Il le « savourait » toujours avec le même plaisir. C’est sa fille, Dominique, amie d’enfance de ma plus jeune sœur, par laquelle il avait appris l’existence de ce « flux », qui me l’a rapporté. C’était pour lui un des rythmes de son temps long, une routine comme on dit moins joliment aujourd’hui, et une satisfaction pour sa curiosité insatiable et son esprit toujours vif et bien structuré (il était grand joueur d’échecs).

J’ai appris cette connivence entre nous il y a quelques temps et j’ai proposé cette rencontre à Dominique un peu après. Il s’en faisait une joie. C’était son « projet » comme elle disait. Nous étions en Novembre.

J’aurais dû fixer une date plus proche !

Maître André Boquet, avocat, a eu une longue et belle vie, bien remplie. Il est resté professionnellement actif, dans son cabinet à Paris bien au-delà de ses 70 ans, puis continuant à entourer de ses conseils ses deux enfants, avocats également. Il est mort parce qu’il avait 105 ans. Cela pourra sembler à chacun une bonne raison et c’est vrai en effet. Mais les grands départs ne sont jamais faciles. Il est toujours trop tôt quand c’est pour toujours, surtout quand on a encore un projet.

Je ne dialoguerai donc jamais avec lui mais j’ai la satisfaction de penser que nous avons partagé quelque chose qui était important pour nous deux, que je l’ai accompagné et que j’ai peut-être prolongé un peu son séjour sur cette Terre par l’intérêt qu’il portait à ce que je publiais. Les parallèles ne se rencontrent jamais mais celles d’une personne qui met des mots sur le papier et d’une autre personne qui les lit en partageant la même passion, peuvent être néanmoins très proches et « s’épauler » pour avancer encore plus loin dans le plaisir de la connaissance et de la compréhension des choses. Je continuerai à rêver et à écrire en pensant à lui.

Adieu André !

Illustration: photo d’André Boquet prise à l’occasion de ses 100 ans. Crédit “Le Maine libre”.

Ci-dessous, photo récente.

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

7 réponses à “Le départ d’un ami que je n’ai jamais rencontré

  1. Bonjour à vous Monsieur Pierre Brisson,
    En effet, je lis toutes vos publications qui sont parfois passionnantes, parfois j’ai des visions un peu différentes, mais je comprends que comme cette homme de 105 ans le plaisir de vous lire. Je pense qu’il va être comme tous ceux qui passent de vie à trépas en poussière d’étoile… et donc être au plus près de la passion qui l’animait !
    Bonne semaine à vous Jean-Philippe Verselin

  2. Merci pour cet article où cette fois-ci c’est notre univers intérieur que vous explorez.

    Ce Monsieur a eu la chance de vous trouver, cette chance existera encore pour d’autres personnes quand vous ne serez plus de ce monde et qu’elles vous liront. Un jour j’avais questionné un neuropsychiatre :
    « Quand nous « serons morts », nous « serons rien ». Tout ce que j’espère c’est que nous ne savons vraiment rien quand nous essayons d’y penser…
    — Les écrivains, peintres, compositeurs, continuent à exister après leur mort.
    — Dans l’imagination de ceux qui sont encore vivants, pour entendre parler les livres, capter la vie dans une peinture, mais les auteurs sont absents de cette imagination…
    — Je ne peux pas en être certain.
    — Parce que vous êtes croyant au sens religieux ?
    — Pas du tout. C’est le tout que j’ignore, c’est là que je me permets d’espérer, je désire faire un peu confiance à l’inconnu !

    Alors vous pouvez peut-être penser comme ce neuropsychiatre, l’amitié d’une personne jamais rencontrée n’est pas rien, aussi celle que vous lui portez.

    1. Merci Dominic. Oui, l’amitié d’une personne jamais rencontrée n’est pas rien. Elle est réelle, autant qu’un sentiment peut l’être et à l’échelle des siècles ou de l’infini, le sentiment a autant de consistance que la réalité tangible. Il a existé et continue à exister pour autant qu’il puisse être porté par ma mémoire tant que je vivrai, et si possible par celle des autres.
      J’ai souvent en tête le magnifique poème de Villon, “Frères humains qui après nous vivrez…”. Villon est toujours présent dans mon esprit et dans celui de beaucoup d’autres, comme un frère, beaucoup plus présent et aimé que certaines demeures princières de son époque qui ont disparu, en matière assemblée et en mémoire recueillie.
      Je voudrais qu’on se souvienne de mon amitié avec André Boquet. C’est un symbole pour notre époque au cours de laquelle a émergé un nouveau mode de vie et de communication. Un sentiment vrai peut être très solide même s’il n’a jamais été matérialisé.

  3. Je suis triste pour votre ami, Monsieur Brisson et, comme lui, j’attends le WE avec impatience pour avoir le plaisir de vous lire.

    Ils sont nombreux ceux et celles avec qui j’entretiens des relations virtuelles mais, parmi eux, ils ne sont que quelques uns que, parfois, à l’occasion d’un voyage, je finis par rencontrer pour de vrai. En vous lisant aujourd’hui, je me dis que je ne devrais pas attendre trop longtemps pour rencontrer les autres ni eux pour me rencontrer.

    1. Merci Monsieur Louis, de faire partie de ce petit cercle d’amis parmi lesquels j’évolue depuis plus de cinq ans. C’est un plaisir pour moi comme pour vous.
      Comme je le disais à Dominic, je crois que les sentiments dans le monde virtuel, sont aussi réels que les autres, ceux qu’on a au contact physique de ceux qui spatialement sont tout proches. Cela ne veut pas dire bien entendu que ces derniers sont a rejeter, au contraire, c’est une pente naturelle de chercher à les “concrétiser”, comme j’aurais aimé le faire avec André Boquet. Mais moi qui suis beaucoup derrière mon ordinateur, je ne minore absolument pas les contacts virtuels. Avec vous-mêmes ou certains d’entre vous qui font partie de mon petit cercle virtuel, j’échange finalement beaucoup plus qu’avec d’autres personnes que je fréquente et avec lesquelles je n’approfondie en fin de compte aucune pensée sérieuse et intéressante.
      Un jour, lorsque certains seront aller s’établir sur Mars alors que les autres seront restés sur Terre, ce type d’échanges sera le seul possible entre eux. Ces échanges n’en pourront pas moins être vrais, profonds et sincères.

      1. Ce qui rend souvent les contacts virtuels plus profonds que la rencontre “entre quatre zieux”, c’est la différence de fuseaux horaires qui privilégie l’écrit par rapport à la phonie or on est plus profond par écrit qu’en bavardant.
        Si le skypéro reste possible entre des habitants de fuseaux horaires voisins, une conversation qui concerne une Carélienne, un Belge, une Islandaise et un couple de l’Oregon ne peut s’exécuter que par écrit sous peine d’un lourd déficit en heures de sommeil.

        1. Plus profond par écrit qu’en bavardant, je pense que dans les échanges l’expression du visage et le ton de la voix sont deux langages qui aident à la compréhension de ce que l’on désire transmettre, même quand il s’agit d’avis portant sur des connaissances scientifiques. Le visage et la voix participent au souhait de se comprendre. Mais il existe aussi des personnes qui veulent être entendues, incapables de s’entendre avec leurs interlocuteurs… Je pense que pour bien communiquer avec la seule écriture, c’est un avantage de connaître un peu la personne à qui l’on « parle », afin de savoir « comment elle entend ». Nous ne communiquons pas comme les enfants qui pensent à voix haute, eux, on pourrait assez facilement les comprendre par écrit, ils disent ce qu’ils ont en eux, ce qu’ils voient, ce qu’ils veulent avec une heureuse spontanéité. Les adultes veulent aussi défendre ce qui leur tient à cœur, et parfois ne sont pas moins agités que l’enfant pas content, mais ils connaissent les règles pour favoriser « une certaine bonne entente », qui incluent l’apprentissage de parler sans rien dire pour que l’interlocuteur qui ne nous intéresse pas se sente plus à l’aise… En conclusion, je dirais : les personnes sourdes ont besoin de se voir comme nous pour « s’entendre », en complément à l’usage des signes. C’est peut-être pour cela que dans les blogs, nous assistons parfois à des « dialogues de sourds » de part et d’autre du paravent.

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