Le rover Perseverance est parti pour Mars, il y arrivera le 18 février

Lancement vers Mars réussi ! Les Américains ont l’habitude du succès mais amateurs et professionnels en astronautique ont toujours une appréhension car l’opération est évidemment délicate. Voici la séquence des événements qui se sont succédés ce 30 juillet (heure Europe Occidentale) puis, ensuite, les perspectives du voyage :

13h50, mise à feu et décollage effectués à l’heure prévue de la fusée Atlas V emportant la mission Mars 2020 (Cap Canaveral, Floride) ;

13h52, séparation du propulseur d’appoint (SRB pour « Solid Rocket Booster ») nécessaire au décollage ;

13h54, ouverture et éjection de la coiffe (fournie par RUAG*) protégeant la charge utile, dans ce cas le « vaisseau spatial » comprenant le module de service, l’atterrisseur avec son bouclier thermique et à l’intérieur, le rover (laboratoire mobile) Perseverance ; NB la structure du rover est identique à celle de Curiosity, les instruments sont un peu différents.

*Quand vous lisez « coiffe de fusée », pensez à RUAG. Les Suisses sont LES spécialistes mondiaux et en fournissent 8 sur 10 à l’industrie spatiale, que ce soit pour les Européens ou pour les Américains d’ULA (donc pour l’Atlas V employé pour ce vol mais pas pour SpaceX)

13h55, séparation du 1er étage (CCB pour « Comon Core Booster ») et libération du second étage « Centaur » porteur du vaisseau spatial, mise à feu de ce second étage ;

14h04, fin de la première combustion du Centaur ;

14h43, fin de la seconde combustion du Centaur qui injecte le vaisseau spatial dans sa trajectoire interplanétaire vers Mars à la vitesse de 3,5km/s en plus de la vitesse de la Terre autour du Soleil (environ 30 km/s);

14h48, séparation du deuxième étage de la fusée d’avec le vaisseau spatial qui fonce alors à 39.600 km/h ;

Le vaisseau est placé sur une trajectoire vers Mars, un arc d’ellipse de 480 millions de km qu’il parcourra en 202 jours en perdant progressivement un peu de vitesse en raison d’un résidu d’attraction terrestre, jusqu’à la sortie de la sphère dite de « Hill » ou de « Roche », à l’intérieur de laquelle cette attraction est dominante par rapport à celle du Soleil (1.500.000 km) puis d’une faible attraction solaire (freinage et courbure de la trajectoire), jusqu’à atteindre la sphère de Hill de Mars (à 1.000.000 de km de Mars) où l’attraction de cette dernière deviendra dominante sur celle du Soleil. Vous pouvez suivre le parcours sur le lien en fin d’article*.

15h17 établissement du contact radio entre la Terre et le vaisseau spatial.

Après un petit problème de température interne (un capteur l’a mesurée légèrement trop froide dans l’ombre de la Terre) la mission est passée en « safe mode », c’est-à-dire que les systèmes non-essentiels ont été suspendus pour permettre de mener rapidement un contrôle total des circuits, bien que la température soit redevenue normale très rapidement. Le contrôle ayant été effectué et aucune défectuosité décelée, la mission est repassée en mode « nominal ».

Il ne va plus se passer « grand-chose » ensuite, jusqu’au 10 février (8 jours avant l’atterrissage) si ce n’est quelques manœuvres d’ajustement de trajectoire, « TCM » (Trajectory Correction Maneuver) à l’aide de petits propulseurs verticaux et latéraux. TCM-1, 15 jours après le départ (pour mieux viser Mars), TCM-2, 60 jours après le départ (pour affiner l’orientation vers Mars) puis plus rien jusqu’au TCM-3, 60 jours avant l’atterrissage (pour être certain d’arriver à la bonne vitesse en haut de l’atmosphère de Mars).

Avec les trois TCM suivants la tension va grandir. TCM-4, 8,6 jours avant atterrissage, TCM-5, 2,6 jours avant atterrissage et TCM-6, 9 heures avant atterrissage. Il s’agira à ce moment que la vitesse et l’angle d’entrée dans l’atmosphère soient parfaitement réglés. Le risque étant soit de rebondir sur l’atmosphère et de se perdre dans l’espace, soit d’y rentrer avec un angle trop fermé et de s’y consumer.

Après TMC-6 le vaisseau, ayant été capturé par l’attraction gravitationnelle de Mars, on changera de référentiel en considérant non plus la vitesse du vaisseau par rapport à la planète (forcément nulle puisqu’il aura été capturé) mais par rapport à la surface de la planète. Il se déplacera à 18.000 km/h par rapport à cette surface (un peu en dessous de la « vitesse de libération ») et  descendra en orbite de plus en plus serrée (en spirale) vers elle avec son bouclier thermique orienté dans la direction de son déplacement. Arrivé « en haut » de l’atmosphère, vers 120 km d’altitude, on abordera les fameuses « 7 minutes de terreur » dont on a déjà parlé lors de l’atterrissage de Curiosity. C’est l’« EDL » (Entry Descent Landing). Il s’agit de descendre jusqu’à la surface de la planète en se freinant au maximum en utilisant tous les moyens possibles. En l’occurrence, le bouclier thermique qui s’échauffera très vite, jusqu’à atteindre 1500°C, puis son parachute, puis des rétrofusées sur les dernières centaines de mètres (très efficaces mais couteuses en volume et en masse du fait de l’énergie – ergols – embarquée).

Les problèmes, dans cette séquence, c’est qu’au début il faut s’adapter aux irrégularités de densité de l’atmosphère martienne et à la fin, qu’il faut éviter les éventuels obstacles au sol. Or ces opérations doivent être effectuées sans intervention de l’homme, au moyen d’automatismes finement réglés au préalable, puisque la distance sera telle que la commande en direct sera impossible (décalage de temps – « time-lag » – d’une durée supérieure à celle de la manœuvre du fait de la finitude de la vitesse de la lumière et de la distance entre les deux planètes).

Jusqu’à présent seuls les Américains ont réussi leurs EDL sur Mars avec succès. Je ne veux pas classer les Russes dans la même catégorie puisque leur unique sonde qui se soit posée sur Mars (« Mars 3 », en 1972) n’a survécu que 224 secondes. On peut en déduire que « quelque chose » n’allait pas.

Ensuite l’aventure de l’exploration scientifique robotique de Mars reprendra avec Perseverance évoluant dans le cadre magnifique et passionnant (action évidente de l’eau liquide) du delta fluvial du cratère Jezero…jusqu’à l’automne 2022 où les Terriens enverront une nouvelle salve de robots. Parmi eux l’ESA devrait enfin figurer avec son beau projet Rosalind Franklin.

Illustration de titre : séparation du vaisseau spatial d’avec le second étage Centaur. Remarquez la petite taille de ce vaisseau (diamètre de 4,5 mètres, hauteur 3 mètres) par rapport à la fusée. Crédit NASA TV (capture d’écran).

Ci-dessous: le vaisseau spatial en route vers Mars. Crédit NASA/JPL-CalTech

*Vous pouvez suivre son parcours jusqu’à Mars avec, en perspective, les différentes trajectoires des astres qui nous environnent, en cliquant sur le lien ci-dessous (Site NASA). C’est très spectaculaire:

https://eyes.nasa.gov/apps/orrery/#/sc_perseverance

Pour (re)trouver dans ce blog un autre article sur un sujet qui vous intéresse, cliquez sur:

Index L’appel de Mars 20 07 27

Pierre Brisson

Pierre Brisson, président de la Mars Society Switzerland, membre du comité directeur de l'Association Planète Mars (France), économiste de formation (Uni.of Virginia), ancien banquier d'entreprises de profession, planétologue depuis toujours.

11 réponses à “Le rover Perseverance est parti pour Mars, il y arrivera le 18 février

  1. Espérons que le mode “sans échecs” activé après le décollage ne soit que temporaire et que le mode nominal soit rétabli le plus rapidement possible .
    Ce qui doit nous faire prendre conscience que le moindre petit souci peut conduire à l’abandon de la mission …

    1. Vous avez raison Monsieur Giot, l’entreprise est difficile et les responsables de la NASA doivent être prudents. Il semble que le mode sans échecs (“safe mode” en Anglais) ait été activé car la température intérieure du vaisseau spatial était un peu plus froide qu’attendue alors qu’il était dans l’ombre de la Terre. Les températures sont redevenues “nominales” lors du retour à l’exposition au Soleil mais on effectue quand même une révision totale du vaisseau avant de retourner en mode nominal pour la mission.

  2. La sonde de la mission “Mars 2020″ est passée dans l’ombre de la Terre ce qui a provoqué un brusque refroidissement à sa surface, entraînant une alarme. Sur le site de la Nasa on peut lire cette explication :
    ” As the spacecraft entered into Earth’s shadow, the Sun was temporary blocked by Earth, and the outlet temperature dropped. This caused the difference between the warm inlet and cooler outlet to increase. This transient differential tripped an alarm and caused the spacecraft to transition into the standby mode known as ‘safe mode. Modeling by the team predicted something like this could happen during eclipse – the time when the spacecraft is in Earth’s shadow – but we could not create this exact environment for tests prior to launch. Nor did we have flight data from Curiosity, because its trajectory had no eclipse. We set the limits for the temperature differential conservatively tight for triggering a safe mode. The philosophy is that it is far better to trigger a safe mode event when not required, than miss one that is. Safe mode is a stable and acceptable mode for the spacecraft, and triggering safe mode during this transitional phase is not problematic for Mars 2020.”
    Je reviens sur autre point qu’a mentionné M. Brisson : la vitesse d’injection sur la trajectoire de transfert entre l’orbite terrestre et l’orbite martienne est effectivement légèrement supérieure à celle de la Terre sur son orbite, en ces jours de l’ordre de 29,29 km/s, la Terre venant de passer à l’aphélie, son point le plus éloigné du Soleil, le 4 juillet. La vitesse actuelle de Mars est de 26,5 km/s, car elle passera à son périhélie le 3 août. Mais le 18 février 2021, jour prévu pour les opérations “EDL”, la vitesse orbitale de Mars sera de 23,4 km/s. Tout le compromis (pour paraphraser notre Conseiller fédéral qui l’a dit pour la sortie d’un confinement) réside entre un temps de voyage souhaité aussi rapide que possible, pour diminuer sa durée, et un différentiel de vitesse à l’arrivée aussi faible que nécessaire, pour ne pas dépasser la cible !

    1. “Tout le compromis (pour paraphraser notre Conseiller fédéral qui l’a dit pour la sortie d’un confinement) réside entre un temps de voyage souhaité aussi rapide que possible, pour diminuer sa durée, et un différentiel de vitesse à l’arrivée aussi faible que nécessaire, pour ne pas dépasser la cible !”. En fait, pour une sonde robotisée, le temps de parcours n’est pas vraiment un paramètre fondamental et il vaut mieux suivre au plus près l’orbite “idéale” d’Hohmann, pour économiser des ergols et ainsi gagner en charge utile, quitte à allonger le voyage de quelques semaines. De même, il n’y a pas de risque de “dépasser la cible”, la trajectoire étant calculée pour que Mars soit bien au rendez-vous au moment d’atteindre son orbite, mais ici encore d’économiser des ergols en évitant d’avoir à “freiner trop fort” à l’arrivée.

    2. Merci Monsieur de Reyff pour ces explications détaillées. J’ajouterais un autre aspect du compromis: plus on va vite, plus on consomme de l’énergie et l’énergie représente une masse et un volume. Donc l’arbitrage doit se faire entre le minimum de masse que l’on veut emporter et le temps maximum que l’on veut donner au voyage.
      L’arrivée à une vitesse aussi réduite que possible dans l’environnement de Mars fait évidemment partie de ce calcul car un décallage quelconque entrainera un surcroit de consommation d’énergie, pour freinage ou acélération (donc une masse et un volume “gachés” puisqu’on pourrait se passer de cette consommation si on arrivait à la “bonne” vitesse).
      Ceci dit ce n’est pas parce qu’on arrivera à une vitesse nulle par rapport à la vitesse de Mars autour du Soleil que l’on va tomber verticallement sur Mars à partir d’une vitesse “zéro”. En se faisant capturer par Mars, on change de référentiels. Ce qui compte à partir de là c’est l’accélération de la vitesse résultant de la force de gravité martienne qui s’exerce sur la masse du vaisseau, la vitesse de rotation de la planète, l’altitude par rapport au sol et la résistance de l’atmosphère dont l’efficacité de freinage est aussi fonction de la masse et du volume qui tombe vers le sol. En fait, au départ du processus d’atterrissage (vers 120 km d’altitude), on part à une vitesse légérement supérieure à 6 km/s. Ensuite on descendra vers le sol obligatoirement en suivant une trajectoire spirale et en subissant une accélération le long de cette spirale, accélérération qui sera un peu (mais pas beaucoup) contrariée par le freinage atmosphèrique puisque l’atmosphère martienne est très ténue. Dans l’atmophère martienne la vitesse “terminale” (stabilisée) est atteinte beaucoup plus tardivement que sur Terre.

      1. Il faut mettre en balance les ergols pour le freinage avec la masse perdue pour cause du bouclier thermique. Si on peut freiner suffisamment et se passer de bouclier thermique, il y a peut être moyen de gagner en masse

        1. Bien sûr, il y a un calcul à faire. Au delà d’une certaine masse, comme celle du starship; le calcul n’a pas d’intérêt car la masse est trop importante pour être freinée suffisamment par un bouclier de taille acceptable. Pour les masses moyennes le problème s’est posé mais il a été estimé plus réaliste d’utiliser bouclier thermique et parachute. Cela représentait moins de volume et de masse que les ergols supplémentaires qui auraient été nécessaires pour freiner continuement pendant toute la descente.
          Ceci dit, même dans le cas du starship, il est prévu une protection/isolation thermique sur le ventre et le nez du vaisseau qui affrontera des températures trés élevées à l’entrée dans l’atmosphère, avant d’avoir pu freiner suffisamment.

  3. L’heure du décollage est-elle calculée pour profiter à la fois de la vitesse orbitale de la Terre et de sa vitesse de rotation sur elle-même.
    Merci pour votre réponse.
    Guy

    1. Merci de votre question. Je réponds “non”. En effet, il y a une étape intermédiaire entre la montée en orbite et le voyage. C’est une fois en orbite et après avoir vérifié que “tout” fonctionne, qu’on va “injecter” le vaisseau spatial dans son orbite interplanétaire. C’est lorsque le vaisseau est sur son orbite qu’on fait les derniers calculs pour viser la cible puisque la distance entre Mars et la Terre change tous les jours, continument. Il y aura ensuite quelques corrections de trajectoires, en cas de besoin, pendant le vol. Au départ de l’orbite de “parking”, il faut bien sûr profiter de la vitesse de la Terre sur son orbite et fixer l’impulsion qui permettra de se libérer de l’attraction terrestre lorsque cette impulsion permettra de partir tangentiellement à la trajectoire de la Terre.

      1. Un grand merci pour cette réponse didactique.
        En somme, les procédures de lancement restent similaires à ce qu’elles étaient il y a 50 ans, lors des départs des différentes missions Appolo.
        On aurait pu croire que les gigantesques puissances de calcul d’aujourd’hui autorisaient les départs interplanétaires directs.
        J’ai lu en effet que les missions Appolo partaient avec des puissances embarquées largement inférieures à celle d’un téléphone portable d’aujourd’hui. (Ce qui ne fait qu’ajouter une dimension à ce prodigieux exploit).
        N’hésitez pas à me reprendre si ma vision s’écarte quelque peu de la réalité.

        1. Ce n’est pas que le vaisseau ne dispose pas d’une puissance de calcul embarquée considérable, c’est simplement que le départ depuis la surface de la Terre ne se fait pas forcément à l’heure précise prévue et qu’il est nécessaire de contrôler que tout fonctionne avant de décider du lancement.
          De toute façon il n’y a pas eu de vol habité dans l’espace profond (au delà de l’orbite terrestre) depuis Apollo. Donc le problème du déclenchement d’une injection interplanétaire depuis le seul vaisseau ne s’est pas posé. Je suis persuadé que lorsque les vols habités lointains recommenceront, les vérifications et décisions se feront conjointement avec les salles de contrôle terrestres.
          PS: ceci dit, pour repartir de Mars, les calculs devront se faire de Mars, à cause du décalage dans le temps. Ce sera une sécurité en moins!

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