Oxydation des eaux d’un ancien lac martien

La revue Science a publié ce 2 juin le papier d’une équipe de chercheurs (1) qui établit sur la base d’informations recueillies par le laboratoire mobile Curiosity, que l’eau du lac ayant occupé par intermittence mais pendant une très longue période le fond du cratère Gale au lieu-dit « Murray formation » (« Mf »), a été très sensiblement oxydée par de l’oxygène atmosphérique.

Cette oxydation se manifeste par la présence (« faciès »), d’une part, d’hématite (Fe2O3) et de phyllosilicates (silicates combinés à des oxydes métalliques et disposés en feuilles, une sorte d’argile) dans des boues pétrifiées (« mudstone ») tout autour du lac, les plus grossières et, d’autre part, de magnétite (FeO·Fe2O3) et de silice (dioxyde de silicium, SiO2) dans les boues pétrifiées recouvrant le fond du lac, les plus fines.

Cette oxydation résulte de la rencontre d’un oxydant, et de cations (réducteurs) en solution dans l’eau du lac, le résultat étant la précipitation des molécules dissoutes. Les cations proviennent de solutés qui viennent eux-mêmes d’une part des flux d’éléments détritiques (« clastiques ») apportés avec l’eau dans le lac par les pluies ou les cours d’eau et, d’autre part, sous le niveau de l’eau, de percolations du sous-sol environnant. L’oxydation ayant visiblement diminué en intensité au fur et à mesure qu’on s’enfonce dans le bassin du lac, elle a dû provenir de sa surface et l’agent générateur en est très probablement un oxydant dissout dans l’eau. Le meilleur candidat pour cet oxydant est de l’oxygène qui a dû résulter des impacts du rayonnement ultraviolet sur les molécules d’eau liquide.

Il y a donc eu non seulement de l’eau liquide, stockée dans un lac, mais aussi de l’oxygène libre en surface de ce lac. L’indice d’altération chimique (« CIA ») est beaucoup plus élevé (+10 à 20%) dans ce secteur Mf que dans celui de « Sheepbed-member » (« Sm »), proche du lieu d’atterrissage de Curiosity. La différence tient peut-être à ce que le lac a subsisté moins longtemps (2) dans le site Sm (plus central et profond) que dans le site Mf (plus périphérique et moins profond) mais peut-être aussi à ce que la température de l’environnement à l’époque où le lac s’étendait jusqu’à Sm était sensiblement plus froide (3).

La présence d’oxygène et de températures relativement douces (eau liquide) est effectivement très intéressante si l’on se place du point de vue de la vie. Ceci d’autant plus qu’on a déjà trouvé dans le cratère des composés organiques (c’est-à-dire carbonés)(4), de l’azote, des phosphates, du fer et du souffre dans divers états d’oxydation. Rappelons que la vie sur Terre « fonctionne » avec les éléments chimiques principaux (en quantité) « CHON », soit Carbone, Hydrogène, Oxygène, Azote auxquels on doit ajouter Phosphore, Calcium et Souffre, Sodium, Potassium, Manganèse, Fer, Chlore. On est donc dans un environnement qui lui est chimiquement propice car la vie « ailleurs » doit logiquement utiliser les mêmes éléments chimiques (la « bonne » combinaison de ces éléments est une autre histoire plus on avance en complexité).

Attention cependant ! Il ne faut pas en déduire que la planète Mars jouissait il y a plus de 3 milliards d’années d’une atmosphère comparable à la nôtre aujourd’hui. Cet oxygène était peu abondant et les gaz les plus importants devaient avoir un fort effet de serre (gaz carbonique, hydrogène sulfuré, ammoniaque et sans doute vapeur d’eau).  Il n’est pas non plus dit que l’oxygène y ait été le produit d’une activité métabolique (bien que ce ne soit pas exclu !) ni a fortiori que des êtres vivants martiens aient pu le respirer (l’on sait de toute façon que ce stade n’a été atteint sur Terre qu’il n’y a 2,3 milliards d’années, bien après que le Lac Gale ait disparu de la surface de Mars et que la vie soit apparue sur Terre).

Les recherches devront aller beaucoup plus loin pour que l’on puisse dire s’il y a eu de la vie sur Mars (ou non !). Il faudrait trouver dans ce milieu paléo-lacustre des traces d’une activité biochimique, concentration de carbone privilégiant l’isotope le plus léger (à supposer que la vie martienne ait été comme la nôtre basée sur la chimie de cet élément), molécules organiques chirales présentant le choix d’un seul énantiomère (une structure de « main gauche » ou de « main droite ») comme le fait la vie, ou encore biomorphes de type bactérie ou archée comme ceux que l’on a déjà observés dans des météorites d’origine martienne trouvées sur Terre (« SNC ») ou mieux, car plus visibles, tapis microbiens fossiles (comme ceux qu’a cru voir la spécialiste paléo-bio-géologue Nora Noffke, sur le site « Gillespie-lake-member » – malheureusement non analysé par la NASA). Cette recherche proprement biologique sera l’objet des missions à venir en 2020 (aussi bien celle de l’ESA, « ExoMars, avec sa suite d’instruments « Pasteur », que celle de la NASA, « Mars 2020 »).

En fait, le plus important de ce qui ressort de cette étude c’est que l’habitabilité de Mars à une époque compatible avec l’apparition de la vie, est une fois de plus confortée, ce qui, par touches successives, finit par constituer un faisceau d’indices vraiment solides.

Référence : « Redox stratification of an ancient lake in Gale crater, Mars » par J.A. Hurowitz et al. Science 356, 2 juin 2017.

Notes :

(1) cette équipe de chercheurs comprend de nombreuses « stars » du monde scientifique dont notamment J.P. Grotzinger ancien responsable scientifique de la NASA pour la mission « MSL » (Curiosity) et A.R. Vasavada, son successeur.

(2) périodes de quelques dizaines de milliers d’années à quelques millions d’années à l’intérieur d’une période maximum allant de -3,8 à -3,1 milliards d’années.

(3) il n’y a pas de lien évident entre « moins longtemps / plus central et plus profond » et « plus longtemps / périphérique et moins profond » mais on peut envisager que les lacs ayant pu exister au même endroit à des périodes différentes, ce n’est pas forcément durant la période la plus chaude (celle du lac Mf) que la planète a été la plus humide (celle du lac Sm). Ce qui sous-entend une progression du climat martien vers l’aridité avec résurgence périodique d’une atmosphère génératrice d’un effet de serre.

(4) les composés organiques ne sont pas forcément d’origine biologique mais ils peuvent être utilisés par la vie.

Image à la Une : le lac du Cratère Gale (crédit image : NASA/JPL-Caltech/MSSS)

Image ci-dessous : hypothèse de l’oxydation différentielle des parois du bassin du paléo-lac de Gale, telle que développée par l’étude.

Pour une protection planétaire raisonnable

La protection planétaire paraît être une nécessité dans les deux sens (« back contamination » et « forward contamination »). Elle doit cependant être raisonnable et adaptée aux exigences découlant de l’arrivée progressive des hommes sur Mars. Les spécialistes de cette discipline doivent bien en être conscients car elle ne peut constituer un obstacle à l’exploration. A défaut d’être réalistes, les règles seront tout simplement contournées. Il s’agit de construire et d’adapter en fonction des connaissances acquises les conditions d’une arrivée de l’Homme en toute sécurité planétaire, plutôt que d’imposer a priori des règlements radicaux inadaptés.

On constate que le sujet est largement absent de la description des projets tels que ceux d’Elon Musk (SpaceX), de Robert Zubrin (Mars Society) ou de Bas Lansdorp (Mars One). En fait les ingénieurs le dédaignent et les exobiologistes « ne pensent qu’à ça ». Ce sont les ingénieurs qui vont rendre possibles les missions habitées et les exobiologistes ne pourront pas empêcher de les réaliser sauf à instiller la peur chez le grand public sur lequel s’appuie les politiques qui in fine décideront / autoriseront les lancements. Si l’exploration de Mars par vols habités était abandonnée pour ce seul motif, ce serait extrêmement regrettable pour l’avenir de l’homme dans l’espace mais aussi pour le progrès de la connaissance (car l’étude de Mars sur le plan exobiologique, dans son présent et surtout dans son passé, ne pourra vraiment se poursuivre que si l’homme débarque sur Mars avec les moyens de recherche appropriés). Il faut donc trouver un moyen terme entre l’impatience des uns et les exigences des autres.

Le COSPAR (« Committee on Space Research », groupe scientifique international qui fait autorité en matière de protection planétaire) a proposé que soient déterminées à la surface de Mars des régions spéciales (« Martian Special Regions », « MSR ») qui comprendront tout territoire « within which terrestrial organisms are likely to replicate and those potentially harboring extant Martian Life ». Il veut en exclure toute présence humaine et recommande d’envoyer les missions habitées se poser sur les « Zone of Minimal Biologic Risks » (« ZMBR ») qui sont des zones « sans carbone organique » et sans eau liquide ! Ces propositions ont été retenues par la NASA et par l’ESA. C’est beaucoup trop demander car le carbone « organique » n’est pas automatiquement la vie (loin de là !) et encore moins la vie active. Cela est de plus totalement inacceptable pour les ingénieurs qui comptent sur l’eau martienne comme l’un des éléments essentiels à l’ISPP (« In Situ Propellant Production ») dont la mise en œuvre est à son tour essentielle à un transport de masses suffisantes pour établir une base sur Mars (et surtout permettre un retour sur Terre) et pour le fonctionnement de toute base (l’eau terrestre sera recyclable mais il y aura des pertes). C’est un peu plus acceptable pour les exobiologistes car l’étude à distance, par robots interposés commandés en direct, des « spots » de vie potentielle, pourrait s’accommoder d’une présence d’opérateurs humains dans le domaine martien qui respecterait ces zones d’exclusion.

Il faudrait, au contraire de ce qui est préconisé par le COSPAR, que le vol préparatoire à la première mission habitée (dans tous les projets, il en est prévu au moins un) choisisse de se poser sur la MSR prévue pour servir d’implantation à la future base et évalue le mieux possible la dangerosité biologique du lieu. Cela implique des prélèvements d’échantillons d’eau et de roches martiennes qui seront mis en culture en présence de réactifs significatifs. On pourrait aussi évidemment convenir que lors des missions habitées, les astronautes évitent de polluer la planète (à la différence par exemple de ce qui s’est passé sur la Lune…ou de ce qui se passe dans le film « Seul sur Mars »). Ce dernier principe ne devrait pas soulever d’objection pourvu qu’il n’implique pas des niveaux de stérilisation impossible à atteindre pour les équipements en contact avec l’extérieur.

Les puristes de la Protection planétaire pourraient considérer cette approche comme sacrilège car ils estimeront (1) que nous risquons de contaminer le milieu martien par des bactéries terriennes qui trouveront un milieu favorable à leur reproduction et qui ensuite pourront être transportées sur toute la surface du globe par les vents martiens et (2) que le risque de contamination des astronautes par le milieu martien ne sera pas totalement levé (difficulté d’évaluer les effets d’un pathogène potentiel que l’on ignore totalement). Je ne pense pas qu’il faille céder à leur pression. En effet (1) la totalité de la surface de Mars, très hostile à notre vie terrienne, ne saurait être contaminée facilement et immédiatement par des microbes terriens qui y seraient probablement très peu actifs ; (2) les microbes martiens putatifs devant forcément présenter des caractéristiques génétiques structurelles différentes des microbes terriens, l’on pourrait toujours les identifier, même après interactions avec des êtres vivants terriens ; (3) le temps de retour des astronautes sur Terre constituera une période de quarantaine suffisamment longue pour qu’on puisse éventuellement déceler des infections et décider de différer leur retour sur Terre. On peut, si cette extrémité s’avérait nécessaire, imaginer de les laisser en observation en orbite terrestre où ils pourraient être soignés dans un vaisseau plus vaste que celui de retour de Mars, « ERV », par exemple un vaisseau gonflable de type Bigelow ba-2100 « Olympus » de 2100 m3 pressurisé (pour le moment encore un concept) qui offre un volume habitable plus de deux fois celui de l’ISS. In fine, on pourrait même choisir de ne ramener sur Terre que les astronautes, en expédiant dans l’espace le vaisseau et les équipements ayant « touché » Mars. Les astronautes qui partiront devront être conscients de ce risque et l’accepter mais il n’y en aura que très peu qui, après avoir pesé le « pour » et le « contre », refuseront l’aventure.

Au XVIème siècle les conquistadors n’avaient aucune idée (et aucun intérêt) pour l’approche scientifique que nous avons adoptée depuis longtemps ni des technologies biochimiques que nous avons développées. Ce fut dramatique pour les populations américaines décimées par les maladies communes en Europe (variole, diphtérie, typhus, grippe, rougeole) et, dans une mesure beaucoup plus réduite, pour les populations européennes qui découvrirent ainsi la syphilis. Nous n’en sommes plus à ce niveau d’inconscience et d’incompétence, et une gestion prudente ne signifie pas que « faire quand même » veuille dire « faire n’importe quoi ».

Référence :

https://planetaryprotection.nasa.gov/file_download/95/Rummel.PPHumansHistory2015.pdf

Image à la Une: Photo provenant du film “The Martian” réalisé par Ridley Scott d’après le roman d’Andy Weir. Le héros joué par Matt Damon est ici en train de charger son rover pour le grand trek qui le conduira jusqu’à son vaisseau de retour sur Terre. Le film pas plus que le roman ne prennent en compte quelque précaution de protection planétaire que ce soit. C’est un des points sur lequel ils sont totalement invraisemblables.

La protection planétaire est-elle vraiment indispensable ?

Mars ayant pu, comme la Terre, faire fonction de « réacteur biogénique », la question de l’innocuité du séjour de l’homme à sa surface peut légitimement se poser. En effet les conséquences d’une possible vie martienne doivent être envisagées aussi bien concernant l’action de cette dernière sur la vie terrestre (« back contamination ») que concernant l’action des microbes terrestres sur cette vie autochtone (« forward contamination »), étant donné que l’on suppose par principe que les astronautes reviendront sur Terre. Que peut-on faire ? Va-t-on pour autant renoncer à envoyer des hommes sur Mars ? Je ne le pense pas.

Tout d’abord il faut dire que la probabilité d’une vie active en surface de Mars aujourd’hui est extrêmement faible. Jusqu’à présent nous n’avons rien trouvé, aucun indice sauf celui d’une habitabilité passée (et cela ne veut pas dire que la planète a été habitée) et de biomorphes ou éléments carbonacées de type biologique dans certaines météorites martiennes. L’atmosphère ne contient aucun rejet métabolique évident, très peu d’oxygène, extrêmement peu de méthane (et il pourrait résulter d’un phénomène géologique). L’omniprésence des UV, des radiations ionisantes et des sels de perchlorates en surface est extrêmement agressive pour les molécules organiques.

Cela ne veut pas cependant dire qu’une vie martienne soit impossible. Elle pourrait être de type bactérien et endolithique (à l’intérieur des roches), sous protection de corniches naturelles, avec quelques excursions au dehors, en périodes favorables (épaississements de l’atmosphère lors d’épisodes volcaniques ou lors des périodes de fortes obliquités de l’axe de rotation de la planète – qui surviennent environ tous les 120.000 ans). Elle pourrait se concentrer en quelques lieux plus humides dans les régions très basses où l’atmosphère est de ce fait plus dense (fond du bassin d’Hellas ?). Surtout elle pourrait s’être réfugiée en sous-sol lorsque les conditions de surface se sont détériorées il y a quelques 3,5 milliards d’années, et y avoir persisté, en évoluant, jusqu’à aujourd’hui. Les indices trouvés dans les météorites martiennes (« SNC »), résultant d’extractions profondes dues aux chocs, pourraient être ceux de l’existence de ses lointains ancêtres. En tout état de cause, ce qu’on peut quand même dire sans trop de risque de se tromper c’est que, n’ayant pas à ce jour identifié de rejets métaboliques, cette vie putative doit être extrêmement pauvre et peu active.

Mais toutefois, à supposer qu’une vie martienne ait existé et subsisté, il faut bien voir qu’elle serait presque certainement structurée sur d’autres éléments biochimiques que la vie terrestre. En effet, celle-ci est très probablement le résultat d’un processus aléatoire (le hasard et la nécessité !), en tout cas d’un processus historique particulier et, s’il est logique que la vie martienne ait utilisé les mêmes éléments chimiques (essentiellement carbone, hydrogène, oxygène, azote + phosphore, calcium + soufre, sodium, potassium, manganèse, fer & chlore), il n’est pas vraisemblable qu’elle ait utilisé exactement les mêmes molécules complexes. On devrait peut-être retrouver des bases comme l’adénine mais plus on évolue dans la complexification, plus les combinaisons possibles deviennent nombreuses et c’est alors que des possibilités de variation se présentent dans tous les domaines. Ce pourrait être l’utilisation d’acides aminés différents (autres que les 20 protéinogènes que notre vie utilise) ou de constituants différents pour les membranes cellulaires (rappelons que c’est déjà le cas sur Terre pour ce qui est des archées d’une part et des bactéries d’autre part alors qu’elles sont cousines), des molécules de type ATP mais différentes, pour stocker l’énergie, des molécules de type ARN ou ADN mais différentes, pour stocker et transmettre l’information, des protéines constituées de chaînes polypeptidiques différentes, des enzymes différentes.

Le résultat, c’est que la vie martienne pourrait se trouver face à la vie terrestre comme une bactérie face à une voiture automobile (pour ne pas dire « une poule face à un couteau » !). Un bémol cependant : quand on ne sait pas trop quoi faire d’un véhicule, on s’intéresse aux pièces détachées et éventuellement aux matières premières dont il est constitué…et c’est malheureusement ce que pourrait faire « notre » vie martienne. Elle pourrait sans utiliser directement nos protéines, tirer parti de notre teneur en eau (relativement rare en surface) ou en certains éléments chimiques également rares sur Mars mais utiles pour elle, et nous agresser pour s’en emparer. Prudence donc !

Les durées cumulées du séjour (18 mois) et du voyage de retour (6 mois) devraient suffire comme période de quarantaine (disons au minimum 6 mois pour prendre en compte une « infection » survenant seulement la veille du retour sur Terre). Il serait donc bon qu’un médecin biologiste équipé des instruments d’analyse nécessaires fasse partie de la première expédition afin de déceler et d’étudier les éventuelles troubles sanitaires résultant de l’intrusion d’organismes martiens dans le corps des astronautes. Par ailleurs la plus grande prudence devra prévaloir lors des forages et de l’exploration des grottes ou des gouffres.

La recherche exobiologique reposera sur les mêmes considérations. Dans ce domaine, on s’inquiète beaucoup aujourd’hui de « contaminer » Mars avec des microbes terriens qui pourraient brouiller les pistes. Mais il faut bien voir (1) que le milieu surfaciel martien est extrêmement hostile aux microbes terriens et (2) que si on trouve des microbes martiens on devrait pouvoir les identifier sans peine puisque l’histoire de leur structure devrait être différente de la nôtre. Le premier point signifie que même si des microbes terriens apportés par les astronautes pourraient survivre à l’état de spores, il est assez improbable qu’ils puissent avoir une vie active. Le deuxième point signifie que même si par extraordinaire la vie martienne et la vie terrestre partageaient une origine commune (par échange de météorites ?), leurs histoires auront été tellement différentes que non seulement leur ADN mais aussi leur structure même devraient en porter des traces originales rendant l’identification facile.

En conclusion je dirais que le risque est trop grave dans ses conséquences théoriques (destruction de la vie terrestre) pour être négligé mais que sa probabilité est tellement faible (en fait non quantifiable) que nous devrions pouvoir l’aborder sans hystérie (à la différence de certains opposants à l’installation de l’homme sur Mars) et le surmonter assez rapidement. Le COSPAR*, autorité internationale reconnue en la matière, et la NASA ont commencé à réfléchir au sujet et à faire des propositions. Les règles devront être réalistes. A défaut elles seront tout simplement contournées.

Image à la Une : nettoyage de l’atterrisseur Schiaparelli de la mission ExoMars 2016. Copyright : Airbus Space & Defense (27/01/2014).

*COSPAR (« Committee On SPAce Research ») : règles de protection planétaire en vigueur (oct. 2002, amendées en mars 2005) : http://w.astro.berkeley.edu/~kalas/ethics/documents/environment/COSPAR%20Planetary%20Protection%20Policy.pdf

https://planetaryprotection.nasa.gov/overview

Mars ne pourra sauver qu’un petit nombre d’élus

Mars ne pourra jamais servir d’exutoire aux excès démographiques de la Terre mais elle pourrait sauver la civilisation humaine au cas où la Terre étoufferait du fait de ces excès. Il y a quatre raisons à cela: en positif, l’habitabilité relative de Mars ; en négatif, la limitation des capacités d’emport de nos fusées, l’absence d’infrastructures et la limitation naturelle des ressources martiennes.

Mais de quels chiffres parle-t-on ?

Actuellement, chaque jour, la population mondiale croît de 227.000 personnes, ce qui donne chaque année 83 millions de personnes en plus et sur l’intervalle entre deux fenêtres de lancement vers Mars (26 mois), 180 millions de personnes en plus (il parait que le taux de progression va se ralentir!). Les lanceurs d’Elon Musk, qui sont les plus audacieux que l’on puisse concevoir aujourd’hui, pourraient transporter 100 personnes (avec leur support-vie) ou une charge utile de cent tonnes. En fait au début on aura plutôt 10 personnes et 90 tonnes (un maximum de charges utiles d’infrastructure et un minimum d’hommes pour les mettre en place). On peut concevoir la construction de plusieurs lanceurs, si quelqu’un peut les payer, mais il se passera pas mal de temps avant que des flottes d’une douzaine de lanceurs soient envoyées lors de chaque fenêtre de lancement (cela suppose que les vols soient devenus rentables car l’économie martienne serait parvenue à générer les revenus nécessaires à leur financement). Dans cette hypothèse, très optimiste (tout dépend du temps que l’on considère, peut-être 40 ans ?), on arriverait à un millier de personnes par période de 26 mois. Vous voyez que la « soupape » martienne ne pourra en aucun cas résoudre le problème de l’explosion démographique terrestre. Et encore, la capacité d’emport n’est pas le seul problème qui se pose.

La deuxième contrainte, tout aussi limitante, est la nécessité de construire de quoi loger, équiper, nourrir les populations qui partiront, et ensuite de leur envoyer les pièces de rechange(1) de tous les équipements, ou tous les biens (médicaments, électronique, par exemple) qui ne pourront pas pendant longtemps être fabriqués sur place parce qu’il est trop difficile d’y installer les unités de production les plus sophistiquées (cette situation évoluera avec le temps). J’ai participé à une étude de mon ami Richard Heidmann (polytechnicien et fondateur de l’Association Planète Mars, branche française de la Mars Society) qui met bien en évidence ces contraintes (voir lien ci-dessous(2)). De plus, quels que soit les moyens techniques dont on disposera qualitativement et compte tenu de la faiblesse quantitative de la population sur place et aussi de la rudesse de l’environnement, il faudra plusieurs mois pour construire, viabiliser et raccorder un habitat d’une dizaine de personnes à l’ensemble de la colonie (la quantité d’habitats construits par période sera donc fonction des équipements disponibles et des personnes capables de s’en servir) et chaque habitant aura besoin d’une centaine de m2 de cultures sous serre pour s’alimenter (sans compter les locaux communs pour travailler et pour simplement vivre). De même les vêtements, objets usuels, devront pour l’essentiel être produits sur place à partir des ressources locales, avec des robots dont les pièces devront, pour l’essentiel de leur masse, avoir été produites sur place mais aussi (pendant longtemps) importées. Par ailleurs toute production locale suppose l’obtention de produits semi-finis à partir de matières premières brutes qu’il faudra extraire du sol ou de l’atmosphère, affiner et transporter (sur des routes a priori inexistantes). La charge de l’accueil sera énorme tant au point de vue logistique que financier, surtout au début quand les arrivants seront en proportion importante par rapport aux personnes déjà installées. Comme tout processus supportable (« sustainable »), il devra se dérouler sur la durée permettant l’absorption et l’intégration, ce qui implique entre autre, la participation aussi rapide que possible des migrants à la production des capacités d’accueil, de bon fonctionnement et de maintenance de la colonie (on ne fera venir que les personnes qui lui seront utiles ou qui pourront payer voyage et séjour).

Le troisième frein au peuplement de Mars sera les ressources propres de la planète. Elle est certes plus hospitalière que les autres corps de notre système stellaire mais elle reste beaucoup moins riche que la Terre en eau et en oxygène atmosphérique (partie de son gaz carbonique). On parviendra sans doute à recycler beaucoup plus que sur Terre (ce sera une nécessité, un laboratoire et un modèle) mais il ne faut pas rêver d’une population supérieure à quelques petits millions de personnes (2 ou 3?). Davantage mettrait une pression trop grande sur la planète. N’oublions pas que les astres sont des êtres se perpétuant dans un certain équilibre et que trop les modifier pourrait entraîner des effets indésirables. C’est en partie pourquoi je pense que la terraformation est illusoire (pour ne pas dire dangereuse) en dehors du fait qu’elle demanderait un investissement trop grand pour des retours trop lointains. Par exemple le projet de faire fondre les calottes polaires pour épaissir l’atmosphère et distribuer plus également l’eau en surface me semble en contradiction avec un cycle de l’eau bien établi dont la disparition pourrait être plus négative que positive (tempêtes de poussière plus fréquentes et plus graves, moindre accessibilité de l’eau, nouvelles pertes atmosphériques dans l’espace). Sur Mars, pas plus que sur Terre, il ne convient de jouer aux apprentis sorciers. Enfin la rareté de l’atmosphère et l’absence de couche d’ozone imposeront de rechercher toujours le maximum de protection contre les radiations. On l’obtiendra sans trop de difficultés dans les bulles de vie (qui, espérons-le, seront de plus en plus vastes) mais dans la perspective de sorties à l’extérieur on recherchera toujours pour s’établir, les régions aux altitudes les plus basses et qui de ce fait offrent la meilleure protection puisque jouissant d’une atmosphère plus épaisse (1135 pascals au fond du Bassin d’Hellas contre 70 pascals au sommet d’Olympus Mons). Cette contrainte limite la surface utile pour les implantations aux régions les plus basses, en fait surtout les basses terres du Nord dans les zones équatoriales et d’altitudes moyennes (températures!) ainsi que le bassin d’Hellas et le fond des grands cratères.

Le problème reste de savoir si Mars pourrait accéder en cas de besoin (destruction de la civilisation humaine) à une autonomie suffisante pour reprendre le flambeau et prospérer. Je le pense. Non que le petit nombre d’habitants permette l’expression d’une diversité et d’une richesse égales à celles de la Terre mais enfin il devrait être suffisant pour préserver une diversité génétique et culturelle permettant de continuer cette civilisation.

Aussi longtemps que la vie humaine sur Terre coexistera avec la vie humaine sur Mars, il y aura bien sûr enrichissement réciproque par des échanges continus mais Mars devra toujours être considérée comme un sanctuaire ou un vaisseau spatial prêt à continuer seul sa route. Cet objectif d’autonomie sera conforté naturellement par trois facteurs : la distance entre les deux planètes qui constituera une barrière haute (ou une contrainte forte) compte tenu du coût des transports, l’inconvénient de l’exposition aux radiations pendant le voyage et enfin la gravité martienne qui limitera les possibilités de séjour des Martiens sur Terre en raison de l’accoutumance de leur organisme (et surtout de leur pompe cardiaque) à des sollicitations physiques moins fortes que sur leur planète d’origine.

(1) Référence: IAC-14-A5.2.7 “An independent assessment of the technical feasibility of the Mars-One mission plan” par Sydney Do et al. (y compris Olivier de Weck, diplomé de l’ETHZ et professeur au MIT).

(2) Voir sur le site de l’APM le «Modèle économique pour une colonie martienne de mille résidents » :

http://planete-mars.com/un-modele-economique-pour-une-colonie-martienne-de-mille-residents/

Image à la Une : structure d’une base martienne de seconde génération (1000 résidents) telle que vue par Richard Heidmann. Les habitats résidentiels sont des segments des barres (en bleu les logements, en vert les serres); les bâtiments communs sont au centre. Mon article décrit un futur plus lointain mais cette première base pourrait constituer de module pour une installation plus vaste.