Le lendemain, comme Poil de Carotte rencontre Mathilde, elle lui dit:
—Ta maman est venue tout rapporter à ma maman et j’ai reçu une bonne fessée. Et toi?
Jules Renard, Poil de Carotte, 1894.
Va te laver les mains
Ne traverse pas la rue
Sinon panpan cucul.
Dis bonjour, dis bonsoir
Ne cours pas dans le couloir
Sinon panpan cucul
Corriger et humilier
Substantif féminin, la fessée désigne des coups répétés sur les fesses d’une personne en lieu et place de punition. On dit «administrer, donner, ficher une bonne fessée». Dans la plupart du temps, on vise un enfant, fille ou garçon, qui fait des «bêtises» ou qui désobéit. La fessée est donc une brutalité exercée sur autrui dans le but douteux de dresser, de corriger, de punir voire d’éduquer et de rabaisser. Moins impulsive et plus longue que la gifle ou le soufflet, plus préméditée par l’adulte, la fessée reste la forme banale mais cependant cruelle du châtiment des polissonnes et des polissons. Durant des siècles, le «droit de correction» corporelle est ainsi un privilège de l’autorité parentale envers les «enfants récalcitrants».
Rituel, posture, souffrance: l’anthropologie de la fessée est celle de l’humiliation morale et physique de l’enfant. À mains nues, avec des verges, un ceinturon ou avec le martinet légendaire. Cul dénudé ou en slip, le bambin, plié sur le genou paternel ou étendu sur un lit, subit, intériorise et pleure la brutalité corporelle comme une norme punitive. Il faut relire les 49 chapitres du chef d’œuvre minimaliste Poil de Carotte de Jules Renard. Ce petit livre autobiographique donne sens à la culture de la brutalité parentale dans la famille Lepic. Dans ce cas, elle est maternelle contre l’enfant non désiré et souffre-douleur.
Violence éducative
La fessée se ramène à ce que les spécialistes de la maltraitance des enfants nomment les «violences éducatives ordinaires» (VEO). Or, quarante ans après la Suède, patrie autoproclamée des droits de l’homme, la France devient le 56e État à prohiber les châtiments corporels avec la LOI n° 2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires. Dans l’Hexagone, 85% des parents sont adeptes de la violence éducative qui peut frôler la maltraitance voire aboutir au pire. Malgré le dernier débat parlementaire de décembre 2020, la Suisse reste la lanterne rouge du mouvement abolitionniste de la fessée qui est légalisé dans soixante États. Au pays d’Heidi, un enfant âgé de moins de trois ans sur cinq subit des châtiments corporels (Association Terre des hommes), bien souvent dans une situation de dégradation familiale.
Une somme : 248 articles
Or, dans la longue durée des civilisations, l’anthropologie et l’histoire sociale, judiciaire et culturelle de la fessée, mais aussi des châtiments corporels, pénitentiels ou correctifs, sont complexes. Cet objet couvre un vaste champ factuel et imaginaire. Celui des pratiques, des normes et des représentations mentales qui nourrissent les arts plastiques, la fiction écrite ou le cinéma. Y reviennent les 248 articles du Dictionnaire du fouet et de la fessée dirigé et publié en février 2022 par Isabelle Poutrin et Elisabeth Lusset. Une somme à ne pas manquer.
Florilège d’un copieux menu intellectuel: «Abus et excès» de la violence ordinaire dont familiale; brutalité et «adultère»dans le christianisme ou le droit coranique; châtiments corporels de la discipline militaire ou envers les galériens de l’Ancien régime; autoflagellation des ascèses chrétiens; autorités maternelle et paternelle à l’épreuve de la violence éducative; bastonnades en Chine et ailleurs; bagnes coloniaux; discipline des cachots monastiques et carcéraux; «clubs de fessée» et autres érotisations du châtiment corporel depuis les libertins des Lumières jusqu’à prostitution et flagellation contemporaines; «correction maritale», féminicide ou «mariticide»; écoles médiévales, d’Ancien régime et contemporaines; enfance et enfants; esclaves et esclavages depuis l’Antiquité romaine; femmes tondues; fustigations judiciaires à Rome, en pays d’Islam et sous l’Ancien régime ou knout en Russie tsariste; éducation musclée, châtiments scolaire mais aussi en hospices et maisons de retraite; sanction douloureuse de la masturbation et de la «nudité»; médecine légale des brutalités domestiques; pédagogie de la Renaissance au XXe siècle; mais aussi les gifles dans les séries télévisées, la guerre des sexes au cinéma, Harry Potter, Orange mécanique de Stanley Kubrick voire…«Hergé et la fessée». (Etc.)
Pédagogie de l’effroi
Tout au long de l’Ancien régime, la fustigation publique des voleurs ou des prostituées était une «pédagogie de l’effroi» visant le «peuple». Une leçon sociale et morale souvent imitée et qui légitimait les brutalités correctives dans la domus familiale. Or, les violences domestiques et familiales n’ont pas disparu comme le montre l’actualité de la maltraitance, accablante envers les adultes dévoyés. Durant longtemps, alors que le pouvoir du père reflétait celui du roi, elles complétaient dans leur différence sociale le monopole de la violence de l’État moderne. Militaire, pénale, pénitentiaire voire «pédagogique»: la violence institutionnelle, infligée à des degrés et selon des finalités non uniformes, visait la discipline sociale. Celle que Michel Foucault pointe en 1975 dans Surveiller et punir en ses dimensions punitives, carcérales, hospitalières, asilaires et scolaires ou encore manufacturières.
La brutalité individuelle ne tombe pas du ciel. Elle n’est pas innée. Elle se construit socialement. La culture de la violence privée s’articule avec la culture politique. Soit celle que l’État légitime ou met en œuvre. Même en Utopie, où elle est censée disparaitre des relations familiales et sociales, la brutalité humaine répercute celle de la loi idéale. Les régimes politiques non libéraux ou autoritaires et les normes morales du patriarcat ont durablement légitimé les excès dans les cadres familiaux et conjugaux.
Ainsi, la fessée reste l’emblème domestique de la violence institutionnelle qui a culminé longtemps dans le châtiment capital. Progressivement, le régime démocratique a rendu anachronique cette souffrance légale de la mort pénale, comme l’illustrent depuis le XIXe siècle les étapes européennes de l’abolition, précoce dans les États de la sociale démocratie, tardive dans les régimes monarchico-jacobins comme la France.
Dignité
L’histoire de la modération punitive et de l’empathie altruiste se radicalise en 1764 quand Cesare Beccaria publie à Livourne (Toscane) son incisif et célèbre Des délits et des peines. Dans ce pamphlet philosophique qui devient le best-seller des Lumières, il y fustige la peine de mort et les châtiments suppliciaires d’État qui dégradent l’individu mais ne le corrigent jamais. Il y place l’éducation avant la punition, le lien social avant la théologie morale de l’expiation doloriste. Il prône la fin de la souffrance corporelle en tant que sanction politique et modèle de la discipline domestique.
La grandeur du libéralisme politique et l’État de droit issus des Lumières ne peuvent que résider dans la fidélité démocratique à la modernité politique de Beccaria qui condamne définitivement la pédagogie de l’effroi. Les reconfigurations des seuils du sensible autour du respect de la personne ont petit à petit discrédité les châtiments corporels, objets de scandales publics ou privés, thèmes de mépris moral.
La famille sans fessée et comme la cité de la dignité humaine sans châtiments corporels.
De A jusqu’à presque Z, ce beau dictionnaire érudit le démontre pleinement. En le refermant, on reste songeur.
Pourquoi ne pas envisager un second tome intitulé : Dictionnaire du câlin et des caresses. Choyer et embrasser? Tout un programme bienvenu dans le marasme ambiant des corps malmenés et contrits.
Isabelle Poutrin et Élisabeth Lusset (direction), Dictionnaire du fouet et de la fessée. Corriger et punir, Paris, février 2022, puf, 773 pages.
Dans nos société féminisées et supposément non violentes, on a substitué la pédagogie de la manipulation, du harcèlement et de l’exclusion à la pédagogie de l’effroi.
Peut-être moins violente physiquement mais tout aussi brutale (voire plus).
De nos jours on ne tue plus et on ne frappe plus comme dans le passé. On pousse au suicide.
Quant à la discipline sociale, je crois qu’elle a encore de très beaux jours devant elle.
J’ai aujourd’hui 62 ans. Quand j’étais enfant il est arrivé une bonne dizaine de fois que mes parents excédés par nos sottises de gosses, décident de m’administrer, à moi ou à l’un de mes frères, une bonne fessée. Il est aussi arrivé que ce soit la cravache. Jamais, ni moi ni aucun de mes frères n’avons ressenti cela comme un humiliation, ni comme un traumatisme. C’était juste une petite sanction, acceptée et jugée légitime par ceux qui la recevaient, même pas douloureuse, pour marquer qu’on avait fait une bêtise. C’était anodin, sans aucune gravité. Et c’était vite oublié. En y repensant, cela fait plutôt sourire. Mes parents n’étaient pas, n’on jamais été et ne sont toujours pas (ils sont encore en bonne santé) autoritaires, ni durs, ni incompréhensifs, ni même particulièrement stricts. Tout au contraire. Ce n’étaient pas non plus des parents bornés ou attachés à des principes rétrogrades. Mon père était professeur d’université, comme M. Porret. Quand on voit l’importance donnée à cette question par la pseudo intelligentsia gauchiste actuelle, on a la meilleure preuve que cette intelligentsia est inepte, ridicule et ne peut que conduire notree société dans des faux problèmes et des impasses. La théorie du genre est frapadingue, mais la diabolisation de la fessée est simplement ridicule.
Histoire et anthropologie de la violence domestique ne riment pas avec “diabolisation”.
Merci de nous rappeler la chanson de Jacques Dutronc, un morceau d’anthologie qui m’a fait éclater de rire! “L’Opportuniste” du même auteur est pas mal non plus et n’a également pas pris une seule ride en un demi-siècle.