BARBE À PAPA: QUEL SCANDALE!

Barbe à papa: confiserie, prisée des enfants, fabriquée avec du sucre blanc ou de canne, notamment coloré puis transformé en filaments. Ceux-ci s’enroulent autour d’un bâtonnet pour former un écheveau d’aspect cotonneux qu’il s’agit alors d’ingérer.

Quel régal!

En 1897, soucieux de vendre aux enfants une friandise peu sucrée par rapport à la masse ingurgitée, les dentiste et confiseur américains William Morrison et John C. Wharton seraient les concepteurs de la légendaire «barbe à papa». Depuis l’Exposition universelle de 1904 à Saint-Louis (MI), la popularité de leur  «cotton candy» est ininterrompue jusqu’à aujourd’hui. Filée dans une centrifugeuse moderne et portative, rose, blanche, bleue, verte ou jaune selon le colorant choisi, la «barbe à papa» est prisée des enfants. Très prisée! En s’en mettant partout, ils la dévorent sur les champs de foire, lors de fêtes publiques comme les promotions à Genève, à l’entrée du cirque mais aussi sur les plages ou ailleurs.

Quel régal!

Or, n’en déplaise aux pogonophiles, la barbe à papa, quel scandale!

Même si l’on dit «barbe de coq», « barbe de poisson », «barbe de chèvre»!

«Barbe à papa»: un véritable avilissement. Une vilénie. Une ode gourmande à la virilité la plus archaïque et la plus verticale.

Et cela, moins par ses ingrédients, ses colorants, sa viscosité ou la manière de l’engloutir d’une façon simiesque, mais bien en raison de son appellation discriminatoire. Sa dénomination-même est un attentat au principe de l’égalité universelle entre les genres. Plus, son nom déchire le contrat social. Il oppose les pogonophores masculins aux imberbes féminins, les poilus aux glabres.

Barbe à papa! Mais quel culot! Quelle façon perverse et détestable d’aliéner par la gourmandise les enfants autour de la stature controversée du pater familias, pivot du patriarcat oppressif, travesti ici de cassonade, d’édulcorant ou de sucrette.

Insupportable «barbe à papa»! Comment d’ailleurs les censeurs et censeuses de l’ordre moral pour le meilleur des mondes ont-ils pu tolérer la série de livres pour enfants créée le 19 mai 1970 par le couple franco-américain Annette Tison et Talus Taylao intitulée Barbapapa, traduite dans près de 20 langues, adaptée trois fois en série d’animation aux États-Unis, au Japon et en France?

Je vous le demande, pourquoi «papa»? Et les papas imberbes? Et ceux qui n’arborent qu’une moustache, voire des rouflaquettes, frisettes, guiches ou accroche-cœurs? Et la « maman » alors? Et les orphelin-e-s.

Un véritable scandale que ce concept de «barbe à papa»!

D’ailleurs tous les pères ne sont pas barbus. Les imberbes ne sont pas moins honorables que les poilus et les velus. Et les chauves du menton?

Tenez-vous bien: en décembre dernier, le G.E.N.R.E.S. (Groupuscule d’examen normano-autoritare des règles élémentaires sexuées), dans les 12 376 pages de son habituel Rapport hebdomadaire (No 1984), s’en est longuement ému. Pas moins de 2001 pages érudites et critiques étudient et scrutent l’épineuse question de la «barbe à papa» sur les plans discriminatoire, d’anthropologie du poil long et de la transversalité sociale du «velu». Lecture édifiante et non rasante qui ne laisse pas intact ni les barbus ni les glabres.

Cette terminologie sexiste contredit la parité naturelle et morale entre les êtres vivants, car elle conditionne les enfants en la «(…) figure marmoréenne du père dégusté sous forme de sucrerie addictive et colorée à l’amer désavantage de la mère oubliée.» (Rapport cité, p. 7859). Le paternalisme s’édulcore. La virilité conquérante devient doucereuse. L’ennemi intérieur rôde.

Les conclusions éclairées sont sans appel: il faut supprimer la désignation «barbe à papa» selon les spécialistes de l’égalité universelle, prêts à saisir les autorités compétentes et le législateur idoine. Il faut agir avant les promotions des écoles de 2023, grand moment estival de consommation enfantine de «barbes à papa».

Attaché à la prévention du mal, le G.E.N.R.E.S. cherche anxieusement un autre lexique pour remplacer «barbe à papa», rétablir l’égalité bienfaisante et induire la construction non aliénante de la suave gourmandise dans la parité des rôles familiaux non écrasés par la paternité mono-sexuée car trans-subjective.

Barbe à maman

Quelles sont les pistes? Barbiche, barbichette, bijou, bouc, collier, duvet, espionne, impériale: les équivalents lexicaux de barbe abondent. Or, ils ont malaisément applicables à la figure maternelle comme emblème de confiserie que l’on dévore avidement, parfois jusqu’à satiété.

«Barbe à maman» est certainement chimérique: longtemps vedettes des exhibitions humaines, les « femmes à barbe » restent une singularité de capillarité féminine, l’hypertrichose (1), qui, certes, rime avec saccharose.

Au pire, on pourrait dire « barbe à mère grand», voire « moustache ou bacchante à mère grand», mais quand même! Une terminologie discriminante pour les seniores.

Mais alors: que prononcer afin que les gourmandes et gourmands s’identifient plus intensément à la figure maternelle, loin du joug patriarcal?

«Poils à maman», « Pelage à maman», « Sourcils à maman», « Maman chevelue», « Maman pubescente», « Chignon démêlé de maman» «Postiche à maman», «Aigrette à maman»? Fichtre, compliqué!

Ouh là! Pour ne plus dire «barbe à papa», pour rétablir la Grande Égalité du Monde Nouveau, le changement de régime lexical sera complexe. Il ne peut pas s’opérer à notre barbe.

Les enfants s’habitueront-ils?:

«Monsieur le confiseur, j’aimerais des crins de maman, svp!, oui, roses; merci.»

«Madame la confiseuse, je veux une toison de maman, svp!, oui bleue; merci.»

«Monsieur le confiseur, une houppette de maman, svp!, oui, verte; merci.»

Cauchemar: imaginons un enfant réclamant à l’étal gourmand un «bouc à maman», un «plumet maman», voire un «bijou à maman». Pire, une «touffe à maman».

Quelle cacophonie morale sur le champ de foire!

Boby Lapointe n’y retrouverait pas les siens.

Il est rude de rebaptiser, selon les impératifs du G.E.N.R.E.S., ces encombrants poils en bas du visage paternel qui désignent une friandise inventée il y a plus d’un siècle, à l’âge d’or du paternalisme bonasse, de la phallocratie impérialiste et du patriciat oppressif.

La barbe à papa: expression méprisable d’un temps révolu. Certes! Mais que faire? Qu’articuler de progressiste pour en jouir béatement, sans entrave ni aliénation?

Or, puisqu’il semble malaisé de renommer la friandises coupable, supprimons la sucrerie non aimable!

Oh là! Attention. Prudence.

Vous voulez ôter le pain de la bouche des faiseurs et des faiseuses de gâteries!

Vous voulez envoyer à la casse les centrifugeuses de la gourmandise.

Vous voulez rendre malheureux les enfants?

Vous voulez précipiter les pogonophiles du sucre dans la rue aux cris revendicatifs de: «Rendez-nous nos barbes à papa! À bas le barbe à papatricide!»

Oh, et puis zut! Quelle barbe que la «barbe à papa».

D’abord c’est immangeable. En plus ça colle partout. Sans parler des caries.

Ensuite, attendons le prochain rapport des genrologues qui sauront bien imaginer une solution à ce doucereux problème.

Allez, on s’en jette une dernière?

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    • (1). Inspiré de la nouvelle oubliée Spurs (1923) de Tod Robbins, l’immense cinéaste Tod Browning célèbre en 1932 cette figure insolite de la pilosité féminine dans son chef d’œuvre anti-eugéniste Freaks qu’il importe d’honorer. Il y déconstruit les catégories aliénantes de la normalité corporelle entre les êtres: Tod Browning, Freaks, USA, MGM, 1932_ https://www.youtube.com/watch?v=vJVXTKkjsxA