Nouvelles de Klow

 

PODA, “Déchirure”, crayon et feutre, 20 mai 2023, Vaduz.

Fin de partie, déchirure…  quelle suite ?

Suite à la sentence souveraine du quotidien Le Temps de clore tous les blogs implantés  depuis 2015 sur sa plate-forme éditoriale, la Ligne de mire, qui n’a jamais revendiqué publiquement ou en privé la ligne éditoriale de son hôte, va disparaître subitement à la fin juin 2023 des radars et des écrans. Sur un support dédié, les contributions de toutes les blogueuses et de tous les blogueurs  resteront néanmoins accessibles en ligne. Le Temps a heureusement décidé de tenir  compte du travail rédactionnel, de la réception des textes, de leur ample circulation, de leurs nombreux usages sociaux.

Pour marquer cette triste fin de partie, La Ligne de mire invite ici La Tribune de Klow. Ce prestigieux “quotidien indépendant d’opinion rigoureuse fondé en 1860” mérite d’être mieux connu hors de la minuscule Syldavie. C’est pour cela que son numéro 1938 du 19 juin 2023 bénéficie d’une inaccoutumée version française que nous publions ici. Puisse-t-il trouver sa place et son lectorat attentif dans le concert médiatique.

Les liens constants entre La Ligne de mire et La Tribune de Klow ont toujours été solides, bienveillants et chaleureux. Comme ils savent l’être dans la fragile République de papier qu’est la presse. Les rapports se sont solidifiés, autant sur le plan des échanges intellectuels, que sur celui de la circulation des informations et des sources écrites ou visuelles. Le rédacteur de La Ligne de mire, ainsi que son illustrateur PODA, ont été invités à Klow pour rencontrer la rédaction de La Tribune de Klow, école de sagesse journalistique. Le rédacteur en chef Arsène Doyonitch-Porretwitch et le directeur Boris Zlip du quotidien syldave ont appris avec beaucoup d’émotion la fin de La Ligne de mire, dont la notoriété est proverbiale à Klow.

Avec 95 numéros parus, La Ligne de mire espère continuer d’exercer son activité d’humanisme critique, d’utopisme insurgé et de réflexion culturelle, tout en veillant à la qualité rédactionnelle de la blog-attitude, entre discours et images. Il s’agira de trouver une autre plate-forme d’accueil. A ce but, une discussion avec La Tribune de Klow évalue l’éventuelle faisabilité de l’implantation momentanée ou durable de La Ligne de mire à Klow.

Car La Ligne de mire souhaite demeurer à l’affût sur la lingne crénelée du présent pour en sonder les racines, les périmètres, les imaginaires, les devenirs. Qu’on se le dise!

Étagère à livres (1) : L’ouï-dire des Lumières

 

https://www.akg-images.de/Docs/AKG/Media/TR3_WATERMARKED/a/0/2/0/AKG142054.jpg

Daniel Chodowiecki, Aufklärung, 1791

 

Spécialiste des Lumières, professeur de littérature et éditeur, rédacteur bénédictin de la titanesque bibliographie sur le XVIIIe siècle[1], blogueur impénitent («L’oreille tendue» ; https://oreilletendue.com/), Benoît Melançon est sensible au monde actuel. En 2006, il signe une exemplaire page d’histoire culturelle sur Maurice Richard (1921-2000), «Rocket» et icône du hockey canadien (Les yeux de Maurice Richard, Montréal, Fides).

Idées images

Détail du frontispice de l’Encyclopédie en couverture: la matérialité éditoriale visualise l’enjeu herméneutique de ce bel essai de réflexion culturelle que boucle une bibliographie de 150 titres. Le sagace Montréalais y revient sur les Lumières, avec cinq critiques théâtrales tirées de la revue Jeu (Sade, Diderot, Marivaux ; «Scènes»). Il scrute les lieux et les «idées-images» (Bronislaw Baczko) des Lumières dans l’imaginaire social actuel, entre modernisation outrée, démagogie et distorsions factuelles. «Lire les classiques vaut mieux que de ne pas les lire» (Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques, Seuil 1993, trad. Michel Orcel, François Wahl): adossé au propos calvinien, Melançon évalue l’écho littéraire, théâtral, critique, pédagogique, politique, journalistique, publicitaire et scientifique des Lumières. Il questionne la lecture des classiques.

Voltaire, Rousseau et autres célébrités du XVIIIe siècle occupent les espaces romanesques, médiatiques, filmiques, télévisuels contemporains. Mais au prix d’une habile mue. Maintes fois, la notoriété atténue le «sens de l’œuvre». Réduite au slogan, l’icône littéraire masque la complexité intellectuelle. Si au Canada l’anticlérical Voltaire hante les représentations mondaines, allusives voire superficielles des Lumières, Rousseau escorte en penseur radical du contrat social la culture politique, le discours militant ou la contestation lycéenne et universitaire (2012).

Inventaire à la Prévert

«Les rêveries du coureur solitaire» : aux pages du quotidien libéral Le Devoir (450 000 lecteurs !) ou sur un «e-carnet» subjectif (blog), l’allusion banale aux Lumières détourne les titres et les concepts pour suivre l’actualité sportive, pédagogique, climatique, électoraliste ou féministe («Rêveries d’une promeneuse solitaire»). Vital dans les Confessions (posthume, 1782, 1789), le «je» rousseauiste amplifie l’individualisme, le narcissisme et la subjectivité présentiste que disséminent les réseaux sociaux.

Démagogique reprise par Emmanuel Macron du legs des Lumières (17 avril 2017, discours, Bercy), chants sur le siècle de Voltaire (Robert Charlebois, «Les rêveries du promeneur solitaire», 1983), romans (cf. la série-fleuve canadienne en 2000 pages de Patrick Sénécal, Malphas, 2011-2014), célébrations étranges (Jazz Magazine, avril 2017 : centenaire de la naissance en 2017 d’Ella Fitzgerald, mort de Germaine de Staël en 1817), réduction textuelle ou radiophonique d’un(e) auteur(e) à l’œuvre unique (Marivaux, «Le jeu de l’épargne et du hasard», etc.), titres de presse simplistes, caricature publicitaire, anachronisme comparatif qui décontextualise («Wikipedia, Encyclopédie Diderot et d’Alembert du XXIe siècle?», Le Devoir, 29-30 mai 2010), objets et auteurs itératifs des Lumières dont le buste de Voltaire dans la dystopie en 17 épisodes de 42 minutes The Prisoner (1967-1968), «Résidence Voltaire» avec le jardin à cultiver sur le site d’un agent immobilier, bande dessinée : la glane méticuleuse des Lumières dans l’imaginaire social est un inventaire à la Prévert.

Voltaire… toujours Voltaire

Plutôt dramatique en 2015 ! En Europe et en Amérique du nord, Voltaire escorte l’effroi et l’anathème unanime du carnage commis à la rédaction de Charlie hebdo. Le Devoir, Le Monde, Libération, Le Temps, radios et télévisions, édition hâtive du florilège Tolérance. Le combat des Lumières (Société française d’études du XVIIIe siècle, mars 2015): peu de dissonance. Mais la perplexité poseuse de Régis Debray sur l’égoïsme de Voltaire (Revue des deux mondes, avril 2015, «Contre les fanatismes Voltaire suffit-il?)» ou le mépris sidérant d’Alain Badiou qui loue Rousseau contre La Pucelle d’Orléans «ce poème cochon… ce Voltaire de bas étage» (Le Monde).

La leçon factuelle s’impose: perpétuons la quête des Lumières mais autrement qu’argue l’autoritaire Manuel Valls devant l’Assemblée nationale (13 janvier 2015). Comme la République, l’«esprit voltairien» serait invincible. Il bernera l’infâme que récuse un numéro du Magazine littéraire consacré à Voltaire. Après le meurtre de l’intellectuel collectif qu’incarnent les auteurs de Charlie hebdo, le Traité sur la tolérance serait le nouveau best-seller de la République sécularisée … encore meurtrie au Bataclan (novembre 2015). Au «pays de Voltaire», trop sacralisées, les Lumières sont rembrunies.

Depuis À contre-courant. Les contre-Lumières d’Isaiah Berlin (1998) ou le pharaonique Dictionnaire des anti-Lumières et des antiphilosophes (Honoré Champion, 2017), les anti-Lumières alimentent le débat scientifique. Or, le terrorisme serait leur réveil réactionnaire selon Charlie hebdo (5 janvier 2019). Contre l’intégrisme, il prône l’ethos républicain (Troisième République?) qu’étayent Voltaire, Kant, Diderot, Rousseau, Montesquieu, Newton, Condorcet, Sade (etc.).

Moratoire “titrologique”

Ce livre sur le présentisme des Lumières en montre l’ambivalente plasticité que maille la confusion des valeurs. Voltaire est à la fois le «préservatif contre le fanatisme» («étendard pour les libertés fondamentales»), mais aussi le logo consumériste des parfums Just Rock de Zadig et Voltaire. A contrario de Rousseau, mais il prônait le luxe! Indubitablement, l’actualisation des Lumières recoupe l’excès syntagmatique, la simplification narrative et le grimage conceptuel, loin de la lecture des œuvres. Sévère avec leur constant usage médiatique  Mélançon, mi-figue mi-raisin, plaide le «moratoire titrologique» contre les «amateurs de chiasmes et les chiasmes d’amateurs». En réduisant les Lumières aux pochades outrées et aux lieux communs («patriarche de Ferney», «citoyen de Genève», «marivaudage», «sadisme») pour éclairer le présent, la périodisation s’estompe. Dans le monde traditionnel du XVIIIe siècle, l’historicité des Lumières n’est pas celle de notre univers sécuritaire, désenchanté, nanti, globalisé, pollué et récemment confiné en instance de déconfinement.

Discours politique, pédagogie, littérature, théâtre, chanson, presse, cinéma, télévision, bande dessinée, Web, publicité, jeux vidéo : mis à toutes les sauces, le présentisme des Lumières banalise maintes radicalités libératrices. Marquant le Web, qui n’est pas l’actuelle Encyclopédie Diderot et d’Alembert, l’«ouï dire» culturel (Calvino) est intenable pour penser notre monde prévient l’avisé Melançon, homme des Lumières, intellectuel fidèle à la lettre et à l’esprit de l’œuvre.

Benoît Melançon, Nos Lumières, Montréal, Québec, Del Busso, 196 p.

LDM 56

 

[1] 47 806 titres dès 1992 ; No 411, 15. 02. 2020, http://www.mapageweb.umontreal.ca/melancon/biblio411.html

Cash Marx

Everybody knows the fight was fixed
The poor stay poor, the rich get rich
That’s how it goes
Everybody knows. /Leonard Cohen, Everybody Knows.

 

https://pre00.deviantart.net/9dd2/th/pre/i/2014/261/7/9/lego_karl_marx_and_friedrich_engels_by_luciferslego-d7znvju.jpg

Karl Marx, père du matérialisme historique, est né le 5 mai 1818 à Trèves en Rhénanie, région viticole de la Moselle, proche de la frontière luxembourgeoise. Il meurt pauvre le 14 mars 1883 à Londres. La commémoration discrète du bicentenaire de sa naissance étonne et détonne dans l’actualité du mouvement social au prisme de Mai 68.

La statue du Commandeur

Habile à opérer la synthèse du communiste et du capitalisme en oubliant la démocratie, la Chine a offert à la municipalité divisée de Trèves une colossale statue en pied de l’auteur du Manifeste du parti communiste (1848). Près de six mètres (socle inclus) et plusieurs tonnes de bronze. Le monument dépasse l’ensemble statuaire de bronze dressé au Marx-Engels Forum de Berlin (3.85 mètres) inauguré en 1986. Un objet mémoriel du communisme dû au plasticien chinois Wu Weishan.

En 2017, le conseil municipal de Trèves accepte le pesant don chinois par 42 voix pour et 7 contre (4 absentions). « Nous sommes au côté de l’enfant de notre cité. Et nous évoquons Karl Marx de façon constructive et active » dit Malu Dreyer, ministre-présidente sociale-démocrate du Land de Rhénanie-Palatinat. En fait, un simple geste d’amitié transnationale entre les peuples.

Trente ans après la chute du mur de Berlin, Marx est donc ” reboulonné ” ! Couverte d’un drap rouge-révolution, sa statue est dévoilée et inaugurée le samedi 5 mai en présence d’un plénipotentiaire chinois. Liesse convenue, mais finalement rituel bon enfant et plutôt consumériste.

Chaque année, près de 15 000 touristes chinois visitent la ville natale de Marx dont le musée éponyme est fréquenté annuellement par 40 000 personnes. En face du musée… un nouveau restaurant chinois ! Retour ému aux sources révolutionnaires et aux raviolis à la vapeur !

Pop culture

Statufié, Marx est aujourd’hui une icône de la pop culture. Il rapporte du cash grâce aux produits dérivés qui multiplient son effigie. Marx est mort, vive Marx !

On peut commencer par Karl, « poupée Art Toy de tissu, disponible en deux tailles (48 et 115 cm), 34 ou 109 euros. À lire l’offre publicitaire, ce véritable « doudou design au style unique » est fabriqué pour les « enfants de 0 à 112 ans » ! Vendu dans un petit sac en tissu orné d’une brève biographie et d’une citation-choc sur la nécessité d’abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, ce produit « dérivé incontournable » vise tous les fans de Marx, partisans ou non de la lutte des classes. Qu’on se le dise !

La cuvée Marx

Petits bustes blancs ou rouges, crayon avec la signature de l’économiste, cartes postales, affiches, tasses, t-shirts : parmi d’autres, ces objets effigiés s’achalandent dans la boutique de la Karl-Marx Haus à Trèves — élégante et bourgeoise maison natale devenue musée (10 Brückenstrasse). Le chic du chic pour réconforter votre ami banquier un soir où Wall-Street fléchit : la cuvée Karl Marx (rouge), vendue à dix euros aux prolétaires de tous les pays mais aux autres aussi !

Pour enrichir son musée domestique, avec l’effigie de Marx, on peut encore acquérir des billets de 0 euros (prix de vente 3 euros), un canard de bain (5.90 euros), un moule à biscuit ou un tapis de souris d’ordinateur. Le pavé numérique remplace le pavé de granit dans la gueule des exploiteurs.

S’y ajoutent aussi la bière Karl Marx et un produit d’hygiène buccal parfumé à la menthe (2.70 euros). Sur les posters, les slogans marxistes ornent le portrait du philosophe matérialiste. Des capitalistes écologistes les détournent pour prôner commercialement les bienfaits de la caféine : « Buveurs de café de tous les pays, unissez vous ! »

Manga et BD

Aujourd’hui le Capital est un manga japonais traduit en français avec une préface d’Olivier Besancenot (2008). Depuis 2013, l’éditeur Dargaud vend la biographie austère du compère d’Engels. En 158 minutes, Le Jeune Karl Marx, biopic coloré du cinéaste Raoul Peck, évoque les années de formation du philosophe. Visuel… visuel.

En Pologne Kolejka, Monopoly version communiste traduit dans plusieurs langues, s’arrache depuis 2012, souvent pour… moquer le communisme.

Lego et Playmobil

Du côté des jouets éducatifs et autres historical toys, les rarissimes et minuscules figurines Lego de Marx et d’Engels ne sont pas officielles, contrairement à celle de la créature de Frankenstein. Des collectionneurs imaginatifs les ont bricolées. Leur valeur flambe aux bourses d’échange ! Or, l’insurrection gronde car le peuple murmure son mécontentement.

Il réclame une figure Playmobil de Marx…. après celle de Luther, vendue à 750 000 exemplaires à partir de 2017. Au siège social de la marque allemande, on hésite à relancer ainsi la lutte des classes en augmentant les cadences trois-huit des ouvriers sur les chaînes de montage des jouets.

La pop culture célèbre Marx comme jadis elle a exalté Che Guevera. Dans les années 1970, le poster rouge et noir du guérillero anti-impérialiste et barbu au béret basque ornait les chambres des adolescents entre un portrait de Tintin, une photographie des Américains sur la Lune et une autre de Janis Joplin – ” Me and Bobby McGee “. Toute la conscience du monde en quelque sorte.

Cash Marx en avant ! Le vieux monde galope derrière toi !

Au fait, combien de temps encore la galopade ?

 

Dettes partielles : https://www.letemps.ch/monde/celebrations-mouvementees-penseur-karl-marx-Allemagne; http://www.liberation.fr/planete/2018/05/03/capitalisme-et-canards-de-bain-le-jour-ou-karl-marx-est-devenu-pop_1647477

(LM32)

Téléphone portable, gadget de destruction massive ?

A qui ces grandes oreilles?

 

 

 

En moins d’une quinzaine d’années, le téléphone mobile a colonisé nos vies et transformé profondément nos habitudes sociales. À l’exception de la voiture et de l’ordinateur, nul autre objet industriel de consommation massive n’a autant modifié l’habitus des individus et des collectivités. Espace public, voitures, transports collectifs de tous les genres : il suffit d’observer quotidiennement les nouveaux rites sociaux de la communication permanente et en flux direct pour s’en convaincre. Certains, parfois sourcilleux, n’hésitent pas à évoquer une nouvelle forme d’autisme social. Voire d’aliénation.

Marché colossal

Le téléphone portable représente un des plus foudroyants développements technologiques de l’histoire industrielle. Il est né en 1973 (prototype) pour être commercialisé dès 1983. En 2006, un milliard de mobiles ont été vendu dans le monde. Fin 2015, s’y ajoutent environ 2 milliards de smartphones ! Tous les chiffres sont en inflation. En 1992, la France compte 500 000 abonnés au téléphone portable. Depuis 2007, le nombre des abonnés dépasse les 90% de la population adulte – 97% des 18-24 ans possèdent un téléphone portable ou un smartphone. Nos amis japonais changent de mobile tous les 12-18 mois. En France, 19 millions de portables sont remplacés annuellement. Marché colossal, on le sait.

Remplacer son portable signifie encore bien souvent  le jeter : 500 millions d’exemplaires ont été jetés en 2005 un peu partout sur la planète, dès lors le chiffre augmente malgré les campagnes de recyclage qui tentent d’obvier les problème de pollution avec la dispersion des composant toxiques que renferment les téléphones portables.

Réchauffement de l’ADN

L’industrie des portables est très lourde sur le plan énergétique : savez-vous que la fabrication d’une puce de 2 grammes équivaut à 1.7 kilo d’énergie fossile, 1 mètre cube d’azote et 32 litres d’eau…   soit plus que pour une automobile de 750 kilos!?

Le marché du portable, les intérêts et les profits économiques sont colossaux… les politiques de marketing agressives. S’édifient des monopoles inédits depuis le XIXe siècle. Les usages du mobile sont pourtant risqués. Le débat sanitaire flambe sans être tranché : cancer du cerveau, réchauffement de l’ADN, addiction, dangerosité automobile, hypnotisme auditif. La domestication du portable n’est pas achevée pour en limiter les effets pernicieux.

Le bonheur portatif

Mais…. votre portable  garantit votre bonheur ! La publicité des opérateurs est sans état d’âme. Elle associe le mobile à un imaginaire social de la réussite: fluidité, signe extérieur de richesse, portabilité des données, modernité communicationnelle, communauté planétaire, mondialisation. Le téléphone portable flatte l’imaginaire de la liberté et de la mobilité infinie. Être moderne, revient à communiquer à chaque instant et n’importe où ! Sans limite. Chaque utilisateur de portable est un acteur de la mondialisation ! Le bonheur est portatif avec la nouvelle configuration du lien social virtuel.

Pourtant, le téléphone mobile instaure de facto la liberté sous surveillance permanente. Le sans-fil enchaîne les individus-consommateurs. Le portable est la prothèse d’une perte d’autonomie. Le portable est un mouchard parfait : il laisse les innombrables traces dont l’utilisation policière culmine sous l’état d’urgence ou dans le cadre de campagnes sécuritaires. Le portable, c’est notre laisse électronique.

Mouchard parfait

En France, les 35 000 antennes qui maillent le territoire permettent de localiser les individus en temps réel. « Déterminer un emploi du temps… définir un itinéraire… reconstituer un réseau de relations… » : le portable radicalise le contrôle social des suspects et mais aussi des autres. Le « bornage » des suspects par le réseau des mobiles : nous vivons maintenant à l’heure de cette nouvelle technique policière du suivi à la trace électronique. Le bornage fait partie de la guerre larvée contre le cancer terroriste : et ensuite ? De telles techniques et de tels usages policiers ne seront jamais abandonnés. Un peu partout, régimes démocratiques ou autoritaires, il n’est pas rare que certains journalistes voient maintenant leurs sources dévoilées par le balisage de la communication mobile.

Dans 1984 (1948) George Orwell brosse une société totalitaire basée sur le panoptisme ou contrôle optique permanent de chaque personne pour repérer les rétifs au régime politique et au bonheur obligatoire dans le mensonge d’Etat. À l’aube du XXIe siècle, le téléphone portable concrétise et accélère le contrôle auditif des individus. Que dire et comment le dire dans le réseau surveillé de la téléphonie mobile ?

Le portable dans la démocratie

Le téléphone portable : objet de progrès ou arme de destruction massive des libertés individuelles ? Un petit livre provocateur mais très lucide nous met la puce à l’oreille. En montrant les mutations économiques et sociales massives qu’engendre la technologie de la téléphonie mobile et portable, il souligne la potentialité infinie du contrôle social que cette technologie instaure dans les sociétés contemporaines. Au temps des drones, l’utopie de la communication permanente mène peut-être à la dystopie du contrôle social infaillible.

Le portable contre ou avec la démocratie ? Question d’avenir qu’amplifient tous les objets connectés qui captent le réel dans d’innombrables circonstances. Pour le meilleur et peut-être le pour pire.

À méditer entre sourire et lucidité :  Le téléphone portable, gadget de destruction massive. Pièces et main d’œuvre, Éditions l’Échappée, Montrueil, mai 2008, 94 p. (Collection Négatif).

 

Ligne de Mire reprendra dès la mi-aout.