Nouvelles de Klow

 

PODA, “Déchirure”, crayon et feutre, 20 mai 2023, Vaduz.

Fin de partie, déchirure…  quelle suite ?

Suite à la sentence souveraine du quotidien Le Temps de clore tous les blogs implantés  depuis 2015 sur sa plate-forme éditoriale, la Ligne de mire, qui n’a jamais revendiqué publiquement ou en privé la ligne éditoriale de son hôte, va disparaître subitement à la fin juin 2023 des radars et des écrans. Sur un support dédié, les contributions de toutes les blogueuses et de tous les blogueurs  resteront néanmoins accessibles en ligne. Le Temps a heureusement décidé de tenir  compte du travail rédactionnel, de la réception des textes, de leur ample circulation, de leurs nombreux usages sociaux.

Pour marquer cette triste fin de partie, La Ligne de mire invite ici La Tribune de Klow. Ce prestigieux “quotidien indépendant d’opinion rigoureuse fondé en 1860” mérite d’être mieux connu hors de la minuscule Syldavie. C’est pour cela que son numéro 1938 du 19 juin 2023 bénéficie d’une inaccoutumée version française que nous publions ici. Puisse-t-il trouver sa place et son lectorat attentif dans le concert médiatique.

Les liens constants entre La Ligne de mire et La Tribune de Klow ont toujours été solides, bienveillants et chaleureux. Comme ils savent l’être dans la fragile République de papier qu’est la presse. Les rapports se sont solidifiés, autant sur le plan des échanges intellectuels, que sur celui de la circulation des informations et des sources écrites ou visuelles. Le rédacteur de La Ligne de mire, ainsi que son illustrateur PODA, ont été invités à Klow pour rencontrer la rédaction de La Tribune de Klow, école de sagesse journalistique. Le rédacteur en chef Arsène Doyonitch-Porretwitch et le directeur Boris Zlip du quotidien syldave ont appris avec beaucoup d’émotion la fin de La Ligne de mire, dont la notoriété est proverbiale à Klow.

Avec 95 numéros parus, La Ligne de mire espère continuer d’exercer son activité d’humanisme critique, d’utopisme insurgé et de réflexion culturelle, tout en veillant à la qualité rédactionnelle de la blog-attitude, entre discours et images. Il s’agira de trouver une autre plate-forme d’accueil. A ce but, une discussion avec La Tribune de Klow évalue l’éventuelle faisabilité de l’implantation momentanée ou durable de La Ligne de mire à Klow.

Car La Ligne de mire souhaite demeurer à l’affût sur la lingne crénelée du présent pour en sonder les racines, les périmètres, les imaginaires, les devenirs. Qu’on se le dise!

Corona—cultures

Arsène Doyon–Porret (“PODA”), dessin et coloriage, crayons et feutre noir, octobre 2021

Sur les stades de foot, les enfants shootent le ballOVID-19! La pandémie COVID-19 inspire sa sublimation. Elle éprouve le monde depuis environ 17 280 heures. Avec des reflux et des récidives, des embellies et des rechutes, la pathologie désorganise les sociétés, éprouve l’économie et alarme les individus. Elle impacte négativement l’espérance de vie.

Beaucoup d’incertitude sur son origine: un laboratoire chinois mal sécurisé? La chaîne de distanciation biologique brisée entre les espèces -zoonose? Un acte malveillant? «L’industrialisation des élevages couplés à l’accélération des échanges à l’échelle mondiale et à la dégradation de la santé des populations dans les pays industrialisés»? (Barbare Steiger, De la démocratie en pandémie, Tracts Gallimard, No 23, janvier 21). Quoi d’autre?

Trauma pandémique

Dans les sociétés nanties et sécularisées, la mort retrouve une visibilité oubliée depuis des décennies, car, à l’opposé du sexe, elle reste le tabou majeur de notre société médicalisée selon Philippe Ariès. Peut-on oublier l’étreinte collective de la mort, les convois militaires funéraire, les inhumations solitaires en vrac, le tocsin funèbre à Bergame, épicentre pandémique en Italie? Des images d’Ancien régime. Des images fondatrices du trauma pandémique en Europe qui s’est ajouté à l’incertitude sur la genèse pandémique.

Au terme d’un cycle néolibéral, la remise en selle de l’État providence et la «politique budgétaire keynésienne» de relance donnent la mesure de l’ampleur du choc social et politique. Cher à la social-démocratie, l’État providence se réaffirme dans sa double dimension historique : contrôle social et déficit des comptes publics. Peut-être découvrions-nous notre impréparation?

En des formes différentes, la pandémie préoccupe et mobilise chacune et chacun. Plus que la faim dans le monde, le chaos climatique, la mortalité routière, la criminalité et la morbidité du narcotrafic mafieux ou l’errance cosmopolite des déracinés de la misère que la Méditerranée submerge. Ce “concernement” universel, quasi quotidien, est globalement morbide et angoissant. Bientôt, les parents fâchés rabroueront-ils ainsi les polissons : «Si tu n’es pas sage, j’appelle COVID-19»?

En Suisse (8,5 millions d’habitants), plus de 9.400 personnes sont décédées de la Covid-19. En Europe, plus de 900.000 personnes ont succombé au virus, selon un comptage réalisé par l’AFP.

Le tabassage médiatico-pandémique et statistique sur les radios publiques n’arrange pas les choses avec les chiffres oscillants de la démographie morbide en temps réel! La cité des vivants est assiégée jour et nuit.

Y rêvons-nous?

Ainsi, dans notre intimité, nous ne cessons d’y penser, voire d’y rêver chaque nuit que Dieu fait. Dans notre for intérieur, nous avons un avis raisonnable ou insensé sur les gestes barrières, sur les gels désinfectants, sur le vaccin traditionnel ou à ARN messager, sur le passe sanitaire que des démagogues ombrageux dénoncent comme le retour de l’Ausweis nazi. Sans rien y connaître, entre refus, prudence, crainte, adaptation et soumission, nous sommes devenus les spécialistes quotidiens de la prophylaxie. Nous avons un budget dédié aux produits de protection. Les tests seront bientôt payants. Les pharmaciens sont heureux. Nous nous sommes mués en hygiénistes professionnels sur-adaptés au moment de la COVID-19. Nous sommes les «Modernes» covidés-19 par rapport aux «Anciens» pestiférés ou cholériques du temps passé. Singulière adaptation collective!

COVID-19 produit à forte intensité des sous-cultures qui fabriquent un imaginaire social aussi  consumériste et ludique.

La mode

La « Pandemic Fashion » est née. Le «confinement» est tendance. Les gestes-barrières sont du dernier cri! Le « Lockdown » est esthétisé. On le rend sublime, désirable et attractif. Sa plus-value symbolique et marchande s’ajoute à celle du matériel de protection médicalisé non couvert par les assurances maladies: hygiaphones, gel, masques, gants.

Masques démédicalisés, colorés, ludiques et de luxe, gel parfumé au gingembre, au musc ou à la bergamote. Parmi d’autres labels, « Pour un homme de Caron » propose un « gel parfumé pour mains désinfectant » sous la même présentation fastueuse que les parfums ou eaux de toilette de la gamme. Avec un prix avoisinant. Se désinfecter les mains, quel chic!

Entre deux accalmies, pas seulement à la nuit tombée, l’infection rôde. Certes. Or, la haute couture et le prêt-à-porter récupèrent, transcendent et érotisent les codes hygiéniste et les gestes barrières. On joue sur la «pop culture». Le masque imprimé sur un t-shirt devient l’icône universaliste de la pandémie dévorante comme la figure de Che Guevara a été celle de la révolution universelle dans les années 1960, avant d’être étouffée dans l’œuf.

Corona Style

On décline Éros et Thanatos en des formes provocantes, chatoyantes et séduisantes. On parle maintenant du «Corona style» (pas la bière mexicaine mais le virus insatiable). Il inspire les créateurs et les “performateurs” contemporains qui subliment ou ridiculisent COVID-19.

Corona style gagne aussi l’industrie pornographique dont la consommation en ligne est exponentielle depuis deux ans. Dès l’aube de la pandémie, la «surconsommation de pornographie entraînerait des problèmes érectiles» s’alarme finement un grand quotidien romand qui perpétue le préjugé des seuls adeptes masculins du X.

«New Coronavirus Porn», «Pandemic-porn videos», «Coronavirus vidéo porno», «Pandmia videos porn», «Pandemie Xart Pornos»: l’”X-culture” prolifère dans tous ses états et en toutes ses posture (dé)masquées.

Le code pandémique se glisse progressivement en pornographie. Le geste-barrière, la seringue, le gant hygiéniste et le masque adapté aux intimités d’Éros deviennent les ingrédients obscènes et transgressifs du commerce sexuel en style genré.

Quelle étreinte à travers l’hygiaphone?  La distance des corps virtuellement infectés invite au corps à corps jouissif irrépressible. Le geste-barrière devient le geste qui dénude le derrière.

Il reste à écrire l’anthropologie des cultures en pandémie.  Champ complexe. Celui de l’imaginaire érotique du désir masqué serait le contrepoint résiliant à l’imaginaire dystopique du COVID 19-84. Tout comme le ballOVID-19!

On joue?

 

L’outillage contre le bouquinage ! Rouvrir les librairies.

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“Les librairies n’ont que faire de l’air du temps”: V. Puente, Le Corps des libraires, p. 7.

Pandémie urbaine : scènes paradoxales dans la ville blessée. Spectacles contradictoires.

Amertume aussi.

À la péripétie urbaine, entre la verticalité grise du faubourg et le ghetto bobo, l’immense surface du bricolage et du jardinage est ouverte. Toujours populaire. Toujours achalandée.

Béant l’hyper-marché: «Venez M’sieurs dames !»

Parking quasi complet. Cohorte habituelle de SUV. Foule bigarrée des grands jours.

Temple du Do it yourself

Après le rituel palmaire du gel hydro-alcoolique, chacun s’égaie joyeusement et rassuré dans la caverne d’Ali Baba du bien-être domestique.

Haut-parleurs feutrés de la dystopie du Do it yourself : la voix suave d’un androïde féminin répète les coutumiers messages sur la distance sociale : «Chères clientes, chers clients, dans les conditions sanitaires actuelles, nous vous demandons… !»

Un remake consumériste du film THX 1138 de George Lucas (1971)!

La clientèle masquée, parfois endimanchée, hésite entre la perceuse électrique BOSCH dernier cri, un tournevis cruciforme lumineux ou un «marteau de mécanicien» (mais aussi d’électricien, de maçon ou à piquer les soudures, voire d’arrache-clou), un sinistre set de douche bleuâtre Made in China, un bac plastique fourre-tout, un révolutionnaire spray de «rafraichisseur pour textile automobile», un tube de colle universelle ou encore un ficus microcarpa ginseng en pot.

Cohorte humaine aussi devant le «Click and Collect» où s’entassent les articles préemballés de la félicité laborieuse et bricoleuse.

Recluse derrière le haut hygiaphone en plexiglas, la mine défaite, les caissières débitent les flux monétaires du bricolage ménager.

Exit du supermarché: cohue métallique des charriots surchargés, insouciant embouteillage démocratique. Noms d’oiseaux habituels aux carrefours surchargés du parking bétonné.

La vie normale, quoi!

Librairies endeuillées

Retour au cœur de la cité. Stupeur.

Honte aussi?

Petites et grandes, nationales ou locales, généralistes, de bande-dessinée ou pour enfants: les librairies sont fermées.

«Fermées M’sieurs dames !» On vous le dit!

Hermétiquement closes. Radicalement barrées. Niet.

Quasi murées dans l’oubli social.

Comme endeuillées d’elles-mêmes, même si des libraires offrent le port gratuit des livres commandés en ligne.

En vitrine, miroir lugubre des faces masquées, les livres et les ouvrages de tous formats attendent. Dépérissent.

Romans, libelles, ouvrages de sciences humaines, albums d’art ou de photographie, bande-dessinée, livres d’enfants et scolaires mais aussi traités culinaires, cartes géographiques et guides de voyage: le patrimoine livresque de l’esprit est drastiquement mis en quarantaine. Les livres de poche perdent leur sens social.

Le livre se retrouve en réclusion matérielle et symbolique.

Banni de la cité prospère. Exilé de la sociabilité démocratique.

Tous ces imprimés qui espèrent retrouver leurs amis en chair et en os.

Tous ces imprimés qui attendent d’être feuilletés et collationnés.

Choix sanitaire et politique

Dans la pandémie inapaisée, il existe donc un choix sanitaire et politique insolite.

La flânerie à l’hyper-marché du bricolage domestique est licite (recommandée ?).

Le bouquinage dans les librairies de l’esprit est illégale (déconseillée ?).

Constatation empirique: au supermarché du bricolage, les gestes barrières seraient donc plus efficaces qu’à la libraire, temple de l’esprit.

L’outillage est libéré! Vive le bricolage!

Le livre est «confiné»! À bas le bouquinage !

En excluant le livre des «biens essentiels», la décision controversée du Conseil fédéral (13 janvier 2021) claquemure les libraires et les autres lieux culturels devenus inaccessibles. Par contre, la perceuse électrique et le spray de «rafraichisseur pour textile automobile» sont promus au rang de biens indispensables. Quasiment patrimoine de l’humanité!

Une décision politique qui oppose la vie matérielle et à celle de l’esprit.

La chaîne du livre est fragile

Quelle a été la négociation sociale ou commerciale derrière ce scénario autoritaire et contestable?

On le sait, de l’auteur au lecteur, via l’éditeur et le libraire, depuis toujours, la chaîne du livre est fragile.

Beaucoup plus fragile que celle de la perceuse électrique et du set de douche made in China.

La sociabilité du livre serait-elle moins primordiale que celle du marteau et du tournevis?

Déposons un instant les outils et réclamons sine die la réouverture des librairies aux mêmes conditions sanitaires que les cathédrales du Do-it-yourself!

Comme les musées, les bibliothèques, les dépôts d’archives ou les salles du spectacle vivant et filmique, les libraires sont les lieux d’accès populaire à la culture. Les seul et les plus simples avec la presse de qualité.

Ce qui évidemment ne disqualifie pas le marteau (de ferratier, de chaudronnier, à ciseler ou de commissaire-priseur) qui existe dès l’apparition de l’intelligence humaine, mais les “librairies n’ont que faire de l’air du temps“!

Lecteurs de tous bords unissons-nous! Nous avons nos habitudes et nos secrets dans les librairies comme les bricoleurs ont les leurs au Do it yourself!

Le livre vivant ne doit pas devenir une ruine de la pandémie.

Pour rêver, magnifique essai sensible de : Vincent Puente, Le Corps des libraires. Histoire de quelques librairies remarquables et autres choses, Éditions de La Bibliothèque, Paris, 2015, 125 p.

Si vous aimez la poésie: Le slam de Narcisse: perceuse:

https://www.rts.ch/play/tv/rtsculture/video/le-slam-de-narcisse-perceuse?urn=urn:rts:video:11944936

Ennio Morricone: pour quelques notes de plus

https://www.brain-magazine.fr/m/posts/49850/originals/EM_HomePage_slider04.1.jpg

Il était une fois l’Avventura

6 juillet 2020

S’en va un compositeur, producteur et chef d’orchestre

Inventeur du “son du western”

Son ami d’enfance le cinéaste est déjà parti

Sur la frontière ensablée de l’Ouest tous deux

Mais dans le désert de Tabernas

Ou encore au fil étincelant du Rio Grande

Films, films, films

Imaginaire du bien et du mal

Terre gorgée de sang

Terre lampée d’Histoire

Partitions symphoniques

Cuivres, cordes, timbales, chœurs,

Maestro des sons dentelés sur les images

Poussière et soleil

Soleil et poussière

Charriots enchevêtrés

Et les collines au loin ?

Cactus tout autour des villes fantômes

Saloons et bordels

Corps entrelacés

Regards au premier plan

Poker menteur

Bagarres homériques

Déluge de whiskies

Abondance de tortillas

Rires rabelaisiens

Rictus spectraux

Colts dégainés rugissants

Pistoleros patibulaires

Mouche entêtée, goutte d’eau insistante

Télégraphe affolé

Tueurs sans scrupules

Mais veille le justicier au son des trompettes cuivrées

Cavalcades toujours recommencées

Mexicains opprimés, Indiens dominés

La lutte des classes sur la frontier

Vendetta ou justice?

Harmonica, où es-tu mon ami ?

You brought two too many

Mélopée lancinante sur la plaine

Ton frère est vengé

Gringo, tu paies la dette du sang!

Crépuscule avant l’aube

Aube pour notre crépuscule

Soleil au ponant

Soleil de la soif

Soleil noir de la mort en ce désert

Soleil des chevaux assoiffés

Horse operas… horse operas

Mélopée pour l’âme

Sifflements lancinants

Ombre étroite où la mort se noue

Locomotive haletante

Pacific 321

Vapeur blanche sur la prairie verte

Détonations fracassantes

Bullets en symphonie

Winchester étincelante

Cliquètements et culasses

Justiciers contre  outlaws

Shériffs corrompus

Héroïques aussi

Capitalistes infâmes

Sacco et Vanzetti plus tard

Le bon, la brute et le truand

À jamais ?

Mystique du Colt

Roulette russe

Beauté des bottes embouées

Horreur du lynchage

Crépitation… déflagration…fusillade

Vive la Révolution !

Symphonie de la joyeuse dynamite

Mitrailleuse chauffée à blanc

Hordes de péons

Exécutions sommaires

Extase d’or avec des poignées de dollars

Trésors enfouis

Cimetières circulaires pavés d’ancêtres

Duel mais aussi triel

La corde pour te pendre

Vautours

Da uomo a uomo

Il était une fois notre imaginaire sonore de l’aventure toujours recommencée

Des centaines de films trillent notre mémoire

La resa dei Conti!

Partitions de l’aventure

Plus de cent films dans tous les genres

Des films devenus des mythes sublimes dans la musique qui donne sens à l’imaginaire.

L’ultime et poignant message inédit d’Ennio Morricone résonnera au début du mois d’août lors de l’inauguration du nouveau pont de Gênes: quatre minutes d’un intense et douloureux Requiem pour les victimes de la tragédie autoroutière du 14 août 2018 (“pont Morandi”).

Death rides a Horse!

 

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https://www.youtube.com/watch?v=9dpNQFpeo6U

 

A méditer:

Gia Luca Farinelli, Christoph Frayling (directeurs), La révolution Sergio Leone, Paris, La Table Ronde, 2018

Michel Porret:https://www.en-attendant-nadeau.fr/2018/12/19/poignee-balles-sergio-leone/

Guido Festinese, “Ultrasuoni”. Per un pugno di soudtracks”, Alias, Il Manifesto, 11 juillet 2020, p. 12-13.

 

 

La ligne de mire reprendra début août.

LM 58

Étagère à livres (1) : L’ouï-dire des Lumières

 

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Daniel Chodowiecki, Aufklärung, 1791

 

Spécialiste des Lumières, professeur de littérature et éditeur, rédacteur bénédictin de la titanesque bibliographie sur le XVIIIe siècle[1], blogueur impénitent («L’oreille tendue» ; https://oreilletendue.com/), Benoît Melançon est sensible au monde actuel. En 2006, il signe une exemplaire page d’histoire culturelle sur Maurice Richard (1921-2000), «Rocket» et icône du hockey canadien (Les yeux de Maurice Richard, Montréal, Fides).

Idées images

Détail du frontispice de l’Encyclopédie en couverture: la matérialité éditoriale visualise l’enjeu herméneutique de ce bel essai de réflexion culturelle que boucle une bibliographie de 150 titres. Le sagace Montréalais y revient sur les Lumières, avec cinq critiques théâtrales tirées de la revue Jeu (Sade, Diderot, Marivaux ; «Scènes»). Il scrute les lieux et les «idées-images» (Bronislaw Baczko) des Lumières dans l’imaginaire social actuel, entre modernisation outrée, démagogie et distorsions factuelles. «Lire les classiques vaut mieux que de ne pas les lire» (Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques, Seuil 1993, trad. Michel Orcel, François Wahl): adossé au propos calvinien, Melançon évalue l’écho littéraire, théâtral, critique, pédagogique, politique, journalistique, publicitaire et scientifique des Lumières. Il questionne la lecture des classiques.

Voltaire, Rousseau et autres célébrités du XVIIIe siècle occupent les espaces romanesques, médiatiques, filmiques, télévisuels contemporains. Mais au prix d’une habile mue. Maintes fois, la notoriété atténue le «sens de l’œuvre». Réduite au slogan, l’icône littéraire masque la complexité intellectuelle. Si au Canada l’anticlérical Voltaire hante les représentations mondaines, allusives voire superficielles des Lumières, Rousseau escorte en penseur radical du contrat social la culture politique, le discours militant ou la contestation lycéenne et universitaire (2012).

Inventaire à la Prévert

«Les rêveries du coureur solitaire» : aux pages du quotidien libéral Le Devoir (450 000 lecteurs !) ou sur un «e-carnet» subjectif (blog), l’allusion banale aux Lumières détourne les titres et les concepts pour suivre l’actualité sportive, pédagogique, climatique, électoraliste ou féministe («Rêveries d’une promeneuse solitaire»). Vital dans les Confessions (posthume, 1782, 1789), le «je» rousseauiste amplifie l’individualisme, le narcissisme et la subjectivité présentiste que disséminent les réseaux sociaux.

Démagogique reprise par Emmanuel Macron du legs des Lumières (17 avril 2017, discours, Bercy), chants sur le siècle de Voltaire (Robert Charlebois, «Les rêveries du promeneur solitaire», 1983), romans (cf. la série-fleuve canadienne en 2000 pages de Patrick Sénécal, Malphas, 2011-2014), célébrations étranges (Jazz Magazine, avril 2017 : centenaire de la naissance en 2017 d’Ella Fitzgerald, mort de Germaine de Staël en 1817), réduction textuelle ou radiophonique d’un(e) auteur(e) à l’œuvre unique (Marivaux, «Le jeu de l’épargne et du hasard», etc.), titres de presse simplistes, caricature publicitaire, anachronisme comparatif qui décontextualise («Wikipedia, Encyclopédie Diderot et d’Alembert du XXIe siècle?», Le Devoir, 29-30 mai 2010), objets et auteurs itératifs des Lumières dont le buste de Voltaire dans la dystopie en 17 épisodes de 42 minutes The Prisoner (1967-1968), «Résidence Voltaire» avec le jardin à cultiver sur le site d’un agent immobilier, bande dessinée : la glane méticuleuse des Lumières dans l’imaginaire social est un inventaire à la Prévert.

Voltaire… toujours Voltaire

Plutôt dramatique en 2015 ! En Europe et en Amérique du nord, Voltaire escorte l’effroi et l’anathème unanime du carnage commis à la rédaction de Charlie hebdo. Le Devoir, Le Monde, Libération, Le Temps, radios et télévisions, édition hâtive du florilège Tolérance. Le combat des Lumières (Société française d’études du XVIIIe siècle, mars 2015): peu de dissonance. Mais la perplexité poseuse de Régis Debray sur l’égoïsme de Voltaire (Revue des deux mondes, avril 2015, «Contre les fanatismes Voltaire suffit-il?)» ou le mépris sidérant d’Alain Badiou qui loue Rousseau contre La Pucelle d’Orléans «ce poème cochon… ce Voltaire de bas étage» (Le Monde).

La leçon factuelle s’impose: perpétuons la quête des Lumières mais autrement qu’argue l’autoritaire Manuel Valls devant l’Assemblée nationale (13 janvier 2015). Comme la République, l’«esprit voltairien» serait invincible. Il bernera l’infâme que récuse un numéro du Magazine littéraire consacré à Voltaire. Après le meurtre de l’intellectuel collectif qu’incarnent les auteurs de Charlie hebdo, le Traité sur la tolérance serait le nouveau best-seller de la République sécularisée … encore meurtrie au Bataclan (novembre 2015). Au «pays de Voltaire», trop sacralisées, les Lumières sont rembrunies.

Depuis À contre-courant. Les contre-Lumières d’Isaiah Berlin (1998) ou le pharaonique Dictionnaire des anti-Lumières et des antiphilosophes (Honoré Champion, 2017), les anti-Lumières alimentent le débat scientifique. Or, le terrorisme serait leur réveil réactionnaire selon Charlie hebdo (5 janvier 2019). Contre l’intégrisme, il prône l’ethos républicain (Troisième République?) qu’étayent Voltaire, Kant, Diderot, Rousseau, Montesquieu, Newton, Condorcet, Sade (etc.).

Moratoire “titrologique”

Ce livre sur le présentisme des Lumières en montre l’ambivalente plasticité que maille la confusion des valeurs. Voltaire est à la fois le «préservatif contre le fanatisme» («étendard pour les libertés fondamentales»), mais aussi le logo consumériste des parfums Just Rock de Zadig et Voltaire. A contrario de Rousseau, mais il prônait le luxe! Indubitablement, l’actualisation des Lumières recoupe l’excès syntagmatique, la simplification narrative et le grimage conceptuel, loin de la lecture des œuvres. Sévère avec leur constant usage médiatique  Mélançon, mi-figue mi-raisin, plaide le «moratoire titrologique» contre les «amateurs de chiasmes et les chiasmes d’amateurs». En réduisant les Lumières aux pochades outrées et aux lieux communs («patriarche de Ferney», «citoyen de Genève», «marivaudage», «sadisme») pour éclairer le présent, la périodisation s’estompe. Dans le monde traditionnel du XVIIIe siècle, l’historicité des Lumières n’est pas celle de notre univers sécuritaire, désenchanté, nanti, globalisé, pollué et récemment confiné en instance de déconfinement.

Discours politique, pédagogie, littérature, théâtre, chanson, presse, cinéma, télévision, bande dessinée, Web, publicité, jeux vidéo : mis à toutes les sauces, le présentisme des Lumières banalise maintes radicalités libératrices. Marquant le Web, qui n’est pas l’actuelle Encyclopédie Diderot et d’Alembert, l’«ouï dire» culturel (Calvino) est intenable pour penser notre monde prévient l’avisé Melançon, homme des Lumières, intellectuel fidèle à la lettre et à l’esprit de l’œuvre.

Benoît Melançon, Nos Lumières, Montréal, Québec, Del Busso, 196 p.

LDM 56

 

[1] 47 806 titres dès 1992 ; No 411, 15. 02. 2020, http://www.mapageweb.umontreal.ca/melancon/biblio411.html

Désarroi

Désarroi
Désarroi
« Il subsiste de la beauté même si les hommes l’ont ravagée », Antoine Volodine, tout autour de Terminus radieux, 2014, Prix Médicis 

 

Après mai 1968, le « désarroi » social face aux violences policières aurait nourri la méfiance anti-démocratique qui revient dans les troubles récents en France selon L’Express (24 décembre 2018). « Les opposants syriens en plein désarroi après huit ans de guerre civile »  – La Croix (2 janvier 2019). À Marseille, le « grand désarroi des sinistrés » urbains frappe le même quotidien, sensible à la précarité (3 janvier 2019)? Le président Macron face au « désarroi des agriculteurs » – dont un se suicide tous les deux jours dans l’Hexagone – note en ligne Sputnik France (29 mai 2019). « Désarroi face à la nouvelle ‘rechute’ commerciale de Donald Trump » – Le Mond.fr (1er juin 2019).

« Tunisie : victoire du désarroi et du dégagisme » note après Le Monde  Le Point Afrique après l’élection au premier tour de la présidentielle du 15 septembre 2019 pour laquelle l’abstention culmine autour des 54%.

Le spicilège du désarroi contemporain est infini.

Néologisme à la Renaissance, le mot « désarroi » revient à la mode. Dès l’origine, il signifie la « mise en désordre », la « désorganisation ». Individuel ou collectif, il acquiert vite le sens psychique de « trouble moral » ou inquiétude émotive. Voire chagrin. Creuset d’indécision, de détresse, de désenchantement, de passivité mais aussi a contrario de durcissement défensif issu de la peur.

Né du terrorisme, du déracinement migratoire, du chaos climatique, de la mondialisation économique effrénée ou du vieillissement démographique, le désarroi entérinerait la gouvernance par l’effroi selon Corey Robin dans La Peur, une histoire politique (2006 ; USA : 2004). Sous la République de Weimar, le grand Walter Benjamin évoquait déjà l’éruption émotionnelle du Léviathan ultra-autoritaire quand la peur et le désarroi guident l’incertitude politique et la faille démocratique, terreau de la tyrannie (Cités, No 74, 2018 – Walter Benjamin Politique).

Le désarroi désignerait ainsi les alarmes et les peurs d’une génération et la déroute de la société qui brade les valeurs fondatrices de sa culture politique et juridique. Notamment démocratique.

Dans son lumineux Désarroi de notre temps, Simone Weil ressent les prémices de la catastrophe dans le désarroi social et moral de la fin des années 1930. Prélude à la catastrophe.

Dans notre fuite consumériste qui épuise les ressources de la planète, serions-nous à l’aube d’une génération du désarroi dans les termes de Simone Weil ?

Le populisme en est-il le signe précurseur ?

Selon Massimo Cacciari et Paolo Prodi, la « prophétie utopique » est soudée à l’ethos démocratique comme aspiration universaliste à la cité du bien (Occidente senza utopia, 2016 ; non traduit en français). En temps de désarroi, s’imposent le goût et l’imaginaire de la dystopie à voir l’actuel engouement pour 1984 de George Orwell et autres fictions désespérées que véhiculent la pop culture.

Pour le sociologue polono-britannique Zygmunt Bauman, le désarroi culmine en effet lorsque la fatigue utopique ramène à la « rétrotopie » ou régénération des modèles du passé (Retrotopia, 2017). A contrario, pour le néerlandais Rutger Bregman, notre temps du désarroi favorise l’application des « utopies réalistes » de la social-démocratie contre le nationalisme, la précarité et l’inégalité et pour la citoyenneté mondiale, l’économie verte et le revenu universel (Les utopies réalistes, 2017 ; néerlandais, 2014).

Si les sciences humaines peinent à qualifier la spécificité et la complexité du « moment » actuel des incertitudes politico-sociales qui attisent maintes peurs individuelles et collectives, la notion de désarroi offre t-elle une clef pertinente pour concevoir  un peu le monde qui vient ?

Comment penser le désarroi au-delà de la simple indignation face au mal et aux malheurs du temps ?

Fondée en 1946, l’association des Rencontres internationales de Genève consacre sa session publique des 25 et 26 septembre  au désarroi.

Le public y est invité à une conversation publique  avec l’écrivain français Antoine Volodine. La critique unanime note que “L’oeuvre d’Antoine Volodine est l’une des plus singulière et des plus fascinantes de la littérature contemporaine“. 

Cette conversation intellectuelle devant la cité s’annonce très prometteuse pour les spécialistes, les étudiant-e-s, les amoureux de la littérature et le grand public.
Auteur hétéronyme d’un vaste édifice romanesque pour enfants et adultes notamment édité chez Denoël (Présence du futur), Minuit, Gallimard et Seuil, lauréat de plusieurs prix littéraires dont le Médicis en 2014, s’étant confronté avec bonheur au genre saturé de la science-fiction, Antoine Volodine a forgé une œuvre complexe, excentrique, flamboyante et crépusculaire que marquent l’écho de Maldoror,  la voyance rimbaldienne, le rêve surréaliste et  l’utopisme révolutionnaire, tout autour des hantises du “XXe siècle malheureux “, des génocides, de l’échec révolutionnaire ou encore de la féminité, du chamanisme, de la mort (Frères sorcières, 2019).
ll prononcera une conférence autour d’expériences littéraires et oniriques  comme modalité de survie pour surpasser la seule indignation face au désarroi existentiel et y opposer le travail de la pensée.
La fiction est un outil d’appréhension de l’histoire dont elle est inséparable.
Avec ses faux dieux empêtrés dans leurs complots, ses animaux extravagants et bavards, son onirisme à tombeau ouvert, ses héros qui meurent et renaissent cent fois, aussi increvables et plastiques que les souris de Tex Avery, le livre terrible de Volodine (Les Songes de Mevlido, 2007), virtuose de la catastrophe, résonne comme un rire en plein désastre”. Michel Braudeau, Le Monde des livres (https://www.lemonde.fr/livres/article/2007/08/23/antoine-volodine-je-mets-en-scene-des-gens-emprisonnes-qui-me-sont-proches_946799_3260.html). 
“Après la somme qu’était Terminus radieux (Seuil, 2014, Prix Médicis), Antoine Volodine revient avec un triptyque dont chaque volet reprend et renouvelle une facette de son œuvre, une des plus singulières et des plus fascinantes de la littérature contemporaine. Le premier déroule l’interrogatoire d’Eliane Schubert. Devant un interlocuteur distant qui réprime sévèrement toutes ses manifestations d’émotion, elle retrace l’aventure d’une petite troupe de théâtre ambulante. » Le Temps, Isabelle Rüff, “Poétique et politique, la merveilleuse chevauchée des «Frères sorcières» de Volodine”, 13 janvier 2019; https://www.letemps.ch/culture/poetique-politique-merveilleuse-chevauchee-freres-sorcieres-volodine
-“Les « havres », les « terres d’exil », les entrevoûtes d’Antoine Volodine, qui de ce point de vue bâtit plus une œuvre-charpente qu’une œuvre-cathédrale, laissent se représenter un monde entrevoûté, un temps circulaire qui courbe l’histoire et notre pensée ». Pierre Benetti, En attendant Nadeauhttps://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/01/01/monde-entrevoute-volodine/
 Programme des RIG 2019

 

Henri Vernes, le père de Bob Morane fête son centième anniversaire

À Arsène –  dans l’aventure de la vie.

À Benoît – à l’autre bout du monde, voisin de la Manicouagan.

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Henri Vernes, Vous êtes né le 16 octobre 1918 à Ath en Belgique.

Bon anniversaire Henri Vernes !

Et merci !

Savez-vous Henri Vernes que des adultes présomptueux affirment que l’on sort de l’enfance le jour fatidique où l’on dépose tristement sur le trottoir pour s’en débarrasser un carton rempli des volumes de Bob Morane ? Ces aventures cosmopolites qui paraissent sous votre plume déjà aguerrie dans la collection populaire belge Marabout Junior en 1953 avec La Vallée infernale. Un aventurier est né.

L’aventurier

L’aventurier qu’incarne Claude Titre dans la série télévisée française en 26 épisodes réalisés avec des bouts de ficelle (Les Aventures de Bob Morane, 2 saisons 1964-1965). L’aventurier mis en onde radiophonique et que chante en 1982 le groupe Indochine en hommage fraternel. Héros d’une bonne centaine d’albums de BD, Bob Morane est l’héritier de la grande littérature populaire du XIXe siècle, de Jules Verne à Gaston Leroux.

Après La Vallée infernale : près de 250 romans en tout jusqu’à aujourd’hui. Traduits tout autour de la planète. À des millions d’exemplaires. Parmi eux, entre dévoilement du monde, récit policier, conte fantastique, croisade contre le mal ou space opera, d’inoubliables épisodes, dont La griffe de feu, Oasis K ne répond plus, La croisière du Mégophias, La marque de Kali, Le masque de jade, Les chasseurs de dinosaures, La cité des sables, ou encore L’orchidée noire, Les compagnons de Damballah, Le maître du silence, L’homme aux dents d’or, Les mangeurs d’atome, Le temple des crocodiles, Le masque bleu, Terreur à la Manicouagan, Le mystérieux docteur Xhatan, Organisation Smog, Le samouraï aux mille soleils, Le talisman des Voïvodes, Les cavernes de la nuit, Les spectres d’Atlantis – ou encore le cycle d’Ananké.

Depuis La couronne de Golconde, s’y ajoute la spectaculaire saga terrestre et intersidérale de l’Ombre jaune, alias Monsieur Ming, savant hors norme, quasi immortel et ambigu génie du mal. Avec ses Dacoïts et autres créatures ténébreuses, il mène la guerre totale contre l’humanité en raison du déclin matérialiste de l’Occident. Grâce à la complicité secrète et amoureuse de la splendide eurasienne Tania Orloff, nièce de Monsieur Ming, Morane le met invariablement en échec. Parfois en y laissant quasiment la vie.

Tout autour du monde

Autour de la planète bleue tellement malmenée aujourd’hui – mais aussi dans l’enchevêtrement temporel avec la Patrouille du temps du colonel Craig et dans les vestiges archéologiques de continents disparus comme l’Atlantide ou Mu avec son ami sexagénaire l’archéologue Aristide Clairembart – on y lit l’aventure sous toutes ses formes. La grande aventure qu’enfant vous quêtiez déjà dans les romans fleuves de Louis Boussenard comme Le Tour du Monde d’un gamin de Paris (1883). Celle plus noire que vous a insufflé votre ami Jean Ray (1887-1964), l’immense auteur gantois de chefs d’œuvre de la littérature fantastique comme Le Grand nocturne (1942) ou Malpertuis (1943).

Échos d’enfance

Savez-vous Henri Vernes que mes volumes jaunes puis blancs de la collection Marabout junior puis Pocket Marabout sont toujours religieusement classés dans l’une de mes dix bibliothèques ? À l’abri de la poussière. Dans la parage des collections d’ouvrages sur les Lumières, la criminologie ancienne ou la littérature ancienne et moderne. Comment en effet renoncer au prodigieux réservoir imaginaire de l’aventure selon Bob Morane ?

Y gisent épars des pans désinvoltes ou préoccupés de l’enfance. En émergent les odeurs fragiles et les souvenirs inaltérables de lectures diurnes et nocturnes. Du temps volé aux adultes lorsque avec Bob Morane on rêvait à un futur plus heureux qui n’arrivait pas.

Les années passent. Le médiocre papier d’imprimerie des aventures de Bob Morane se fissure sous l’éclat persistant des couvertures bariolées dessinées par Dino Attanasio ou Pierre Joubert. À chaque épisode, elles montrent l’héroïsme de l’aventurier au visage aquilin qui affronte le mal, le péril ou l’imminence de la mort : parachutage périlleux, noyade, crash aérien, assassinat, sacrifice rituel, lutte avec des fauves, corps à corps subaquatique, poursuites et joutes terrestres, maritimes et aériennes.

Combattre les raclures

https://live.staticflickr.com/1178/1289310435_fd07d3710e.jpgFlanqué de son faire-valoir le géant roux écossais Bill Ballantine – moderne Porthos – autant buveur de whisky que le capitaine Archibald Haddock, Bob Morane le polyglotte combat depuis 1953 les pires raclures de l’univers. Les ordures de tous les genres. Il les défie avec la force morale de l’aventurier inoxydable qui hésite à tuer et celle musculaire du jiu-jitsuan et karatéka hors pair. Sous toutes les latitudes, dans tous les bas fonds, tout y passe : écumeurs des mers, négriers, trafiquants de stupéfiants (La fleur du sommeil), kidnappeurs d’enfants, truands, marchands d’armes, saboteurs d’avions civils (Panique dans le ciel), espions tueurs, mafiosi (Échec à la main noire), braconniers d’espèces menacées (Le gorille blanc), pilleurs de vestiges archéologiques (Le secret des Mayas), tyran oppresseur (Le maître du silence) ou encore industriels pivots de dictatures militaires (Tempête sur les Andes), exploiteurs de misère, terroristes transnationaux du SMOG (Terreur à la Manicouagan), nostalgiques nazis avides de revanche raciste (Le cratère des immortels), politiciens corrompus.

 

L’éthos du justicier

Don Quichotte moderne fonçant en Jaguar Type E, Indiana Jones avant la date, redresseur de torts, protecteur de la veuve et de l’orphelin, le « commandant » Morane a un peu vieilli, malgré ses 33 ans. Comme tout un chacun. Parfois il se ressource dans son monastère médiéval auvergnat. Or est-il anachronique ce goût de l’aventure qui stimule l’ancien pilote militaire, polytechnicien, collectionneur d’ouvrages rares et journaliste intermittent au journal Reflets ? La quête du bien qui l’anime est-elle déplacée dans notre univers livré au mal multiforme qui jamais ne désarme ? Comme d’autres figures justicières, Bob Morane conforte l’imaginaire social d’un monde meilleur auquel nous rêvons faute de pouvoir l’édifier. Telle est la force libératrice de la fiction tout autour de l’éthos du justicier.

 

Prolongeons avec : Daniel Fano, Henri Vernes et Bob Morane, une double vie d’aventure, Bordeaux, 2007, Le Castor Astral ; Rémy Gallart et Francis Saint-Martin, Bob Morane, profession aventurier, Paris, Encrage 2007 ; Sylvain Venayre, La gloire de l’aventure : genèse d’une mystique moderne : 1850-1940, Aubier, coll. « Historique », 2002.

 

LDM 39

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Little Nemo au Pays du Sommeil

Pour  Arsène
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Winsor McCay, Little Nemo in Slumberland (1905). tous droits réservés

La bande dessinée, souvent fabriquée comme récit imagé pour les enfants et les adolescents, est née avec le cinéma muet dans les années 1890. Polissons incorrigibles ou héros intrépides, les enfants y occupent une place centrale. En leur famille ou orphelins comme Little Orphan Annie, série créée en 1924 par le scénariste et dessinateur américain Harold Gray  dans le Chicago Tribune qui fait écho à Oliver Twist (1837-1839) de Charles Dickens, les enfants affrontent l’injustice des adultes.

Les polissons

Livrés à eux-mêmes, ils battent les rues, par exemple celles de Bruxelles où les « gamins Quick et Flupke », que crée en 1930 le belge Georges Remy (dit Hergé), défient quotidiennement l’Agent 15. Ils se débrouillent, en suivant l’exemple de l’espiègle Gavroche dans les Misérables de Victor Hugo (1862) ou du gosse misérable qu’abandonne sa mère dans le film muet de Charlie Chaplin The Kid (1921). Avec des méthodes musclées, les garnements peuvent être punis de leurs bêtises, à l’instar de Pam et Poum créés en 1897 dans New York Journal par Randolph Hearst et Rudolph Dirks (The Katzenjammers Kids, en français Pim, Pam, Poum). Entre bulles et phylactères, les enfants sont redresseurs d’injustice et affrontent le mal comme John et Pearl, les deux gosses du film de Charles Laughton La nuit du chasseur (1955), qui fuient le pasteur homicide visant le magot de leur père pendu pour vol.

Globe-trotter et reporter sans plume créé par Hergé en 1929, l’adolescent Tintin ne fait rien d’autre que pourfendre les pires méchants. L’aventure capture les enfants en culottes courtes, en pantalons golf ou en uniformes de scout que revêtent les cinq copains de la Patrouille des castors, série dessinée dès 1954 par Mitacq dans le Journal de Spirou. Sur la route de l’aventure, les enfants suivent Jim Hawkins, garçon d’aubergiste âgé de 14 ans, puis mousse sur L’Hispaniola, dans L’Île au trésor (1883) de Robert-Louis Stevenson. Parfois, une forme d’aventure singulière plonge l’enfant héros de BD … en lui-même.

Péripéties oniriques

Né dans une famille de la bourgeoisie américaine, âgé de 10 ans, Little Nemo est un petit garçon bien éduqué. Cinq ans après la publication de L’Interprétation des rêves de Sigmund Freund, le petit Nemo apparaît en 1905 dans le supplément dominical du New York Herald, sous la plume d’un génial pionnier de la bande dessinée, le dessinateur et scénariste américain d’origine écossaise Zenas Winsor McCay (1867-1934). De 1905 à 1926, il signe des centaines d’immenses planches dominicales en couleurs de Little Nemo in Slumberland, objet d’une comédie musicale à Broadway en 1908 puis d’un cartoon éponyme en 1911. Ce chef d’œuvre narratif de l’imaginaire onirique bouscule les conventions graphiques avec des arabesques, des perspectives surréalistes et des cadrages spectaculaires qui brisent l’alignement des vignettes. De 1911 à 1914, la saga sort dans le New York americain sous le titre In the Land of Wonder Dreams, puis revient dans le New York Herald. Elle est traduite en français sous le titre Petit Nemo au pays des songes (1908).

Cousin d’Alice au Pays des merveilles

Cousin lointain d’Alice perdue de l’autre côté du miroir (Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, 1865), Little Nemo est un aventurier singulier, car ses exploits ne l’éloignent jamais de sa chambre d’enfant, si ce n’est…en ses rêves nocturnes. À peine endormi sous son édredon, Little Nemo, s’échappe au Pays du Sommeil. Des exploits homériques l’attendent. Puis il se réveille en sursaut, couché dans son lit ou tombé brutalement au pied de celui-ci. Nuit après nuit, les songes multicolores recommencent. Ayant fendu les cieux sur un cheval volant, il chute dans la nuit intersidérale, où dansent des planètes à têtes humaines, pour retomber sur son lit. Lorsque son arche de Noé (jouet) devient énorme, les animaux envahissent sa chambre. Les pieds de son lit s’allongent pour une chevauchée sous la pleine lune par dessus la ville.

Combien de temps au bienheureux Pays du sommeil ?

Les rêves tournent ainsi parfois au cauchemar que hantent des ogres, des géants ou une main gigantesque qui entre par la fenêtre. Château baroque au pays du soleil, palais de glace, dômes en forme de champignons de la cité martienne, chapiteau d’un cirque monumental : les décors mouvants enchevêtrent les péripéties oniriques de Little Nemo, aspiré dans les tréfonds de son inconscient. Dinosaures et éléphants bariolés, lapin blanc, poisson rouge et paons démesurés, fraises atteintes de gigantisme, fleurs et arbres tropicaux : renversant l’échelle de la nature, la faune et la flore l’étreignent dans le gouffre des songes. D’autres créatures en peuplent les nuits : Impy le cannibale ou encore le Docteur Phil. Entre métamorphoses et labyrinthes qui brouillent la frontière du pays des rêves, Little Nemo gagne la planète Mars mais aussi le royaume féérique de King Morpheus et sa fille The Princes. Cigare au bec et coiffé d’un haut de forme, Flip le clown blanc, grimaçant et malfaisant, perturbe l’évasion onirique du garçonnet.

Cruel principe de réalité, il l’expulse régulièrement hors du Pays du Sommeil. L’enfance s’éloigne.

L’extraordinaire odyssée onirique de Little Nemo nous rappelle que, nuit après nuit, chaque enfant voyage en grand secret, parfois jusqu’à la planète Mars, mais à notre insu. Bien heureusement pour l’enfant-voyageur !

LDM: 33

Cash Marx

Everybody knows the fight was fixed
The poor stay poor, the rich get rich
That’s how it goes
Everybody knows. /Leonard Cohen, Everybody Knows.

 

https://pre00.deviantart.net/9dd2/th/pre/i/2014/261/7/9/lego_karl_marx_and_friedrich_engels_by_luciferslego-d7znvju.jpg

Karl Marx, père du matérialisme historique, est né le 5 mai 1818 à Trèves en Rhénanie, région viticole de la Moselle, proche de la frontière luxembourgeoise. Il meurt pauvre le 14 mars 1883 à Londres. La commémoration discrète du bicentenaire de sa naissance étonne et détonne dans l’actualité du mouvement social au prisme de Mai 68.

La statue du Commandeur

Habile à opérer la synthèse du communiste et du capitalisme en oubliant la démocratie, la Chine a offert à la municipalité divisée de Trèves une colossale statue en pied de l’auteur du Manifeste du parti communiste (1848). Près de six mètres (socle inclus) et plusieurs tonnes de bronze. Le monument dépasse l’ensemble statuaire de bronze dressé au Marx-Engels Forum de Berlin (3.85 mètres) inauguré en 1986. Un objet mémoriel du communisme dû au plasticien chinois Wu Weishan.

En 2017, le conseil municipal de Trèves accepte le pesant don chinois par 42 voix pour et 7 contre (4 absentions). « Nous sommes au côté de l’enfant de notre cité. Et nous évoquons Karl Marx de façon constructive et active » dit Malu Dreyer, ministre-présidente sociale-démocrate du Land de Rhénanie-Palatinat. En fait, un simple geste d’amitié transnationale entre les peuples.

Trente ans après la chute du mur de Berlin, Marx est donc ” reboulonné ” ! Couverte d’un drap rouge-révolution, sa statue est dévoilée et inaugurée le samedi 5 mai en présence d’un plénipotentiaire chinois. Liesse convenue, mais finalement rituel bon enfant et plutôt consumériste.

Chaque année, près de 15 000 touristes chinois visitent la ville natale de Marx dont le musée éponyme est fréquenté annuellement par 40 000 personnes. En face du musée… un nouveau restaurant chinois ! Retour ému aux sources révolutionnaires et aux raviolis à la vapeur !

Pop culture

Statufié, Marx est aujourd’hui une icône de la pop culture. Il rapporte du cash grâce aux produits dérivés qui multiplient son effigie. Marx est mort, vive Marx !

On peut commencer par Karl, « poupée Art Toy de tissu, disponible en deux tailles (48 et 115 cm), 34 ou 109 euros. À lire l’offre publicitaire, ce véritable « doudou design au style unique » est fabriqué pour les « enfants de 0 à 112 ans » ! Vendu dans un petit sac en tissu orné d’une brève biographie et d’une citation-choc sur la nécessité d’abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, ce produit « dérivé incontournable » vise tous les fans de Marx, partisans ou non de la lutte des classes. Qu’on se le dise !

La cuvée Marx

Petits bustes blancs ou rouges, crayon avec la signature de l’économiste, cartes postales, affiches, tasses, t-shirts : parmi d’autres, ces objets effigiés s’achalandent dans la boutique de la Karl-Marx Haus à Trèves — élégante et bourgeoise maison natale devenue musée (10 Brückenstrasse). Le chic du chic pour réconforter votre ami banquier un soir où Wall-Street fléchit : la cuvée Karl Marx (rouge), vendue à dix euros aux prolétaires de tous les pays mais aux autres aussi !

Pour enrichir son musée domestique, avec l’effigie de Marx, on peut encore acquérir des billets de 0 euros (prix de vente 3 euros), un canard de bain (5.90 euros), un moule à biscuit ou un tapis de souris d’ordinateur. Le pavé numérique remplace le pavé de granit dans la gueule des exploiteurs.

S’y ajoutent aussi la bière Karl Marx et un produit d’hygiène buccal parfumé à la menthe (2.70 euros). Sur les posters, les slogans marxistes ornent le portrait du philosophe matérialiste. Des capitalistes écologistes les détournent pour prôner commercialement les bienfaits de la caféine : « Buveurs de café de tous les pays, unissez vous ! »

Manga et BD

Aujourd’hui le Capital est un manga japonais traduit en français avec une préface d’Olivier Besancenot (2008). Depuis 2013, l’éditeur Dargaud vend la biographie austère du compère d’Engels. En 158 minutes, Le Jeune Karl Marx, biopic coloré du cinéaste Raoul Peck, évoque les années de formation du philosophe. Visuel… visuel.

En Pologne Kolejka, Monopoly version communiste traduit dans plusieurs langues, s’arrache depuis 2012, souvent pour… moquer le communisme.

Lego et Playmobil

Du côté des jouets éducatifs et autres historical toys, les rarissimes et minuscules figurines Lego de Marx et d’Engels ne sont pas officielles, contrairement à celle de la créature de Frankenstein. Des collectionneurs imaginatifs les ont bricolées. Leur valeur flambe aux bourses d’échange ! Or, l’insurrection gronde car le peuple murmure son mécontentement.

Il réclame une figure Playmobil de Marx…. après celle de Luther, vendue à 750 000 exemplaires à partir de 2017. Au siège social de la marque allemande, on hésite à relancer ainsi la lutte des classes en augmentant les cadences trois-huit des ouvriers sur les chaînes de montage des jouets.

La pop culture célèbre Marx comme jadis elle a exalté Che Guevera. Dans les années 1970, le poster rouge et noir du guérillero anti-impérialiste et barbu au béret basque ornait les chambres des adolescents entre un portrait de Tintin, une photographie des Américains sur la Lune et une autre de Janis Joplin – ” Me and Bobby McGee “. Toute la conscience du monde en quelque sorte.

Cash Marx en avant ! Le vieux monde galope derrière toi !

Au fait, combien de temps encore la galopade ?

 

Dettes partielles : https://www.letemps.ch/monde/celebrations-mouvementees-penseur-karl-marx-Allemagne; http://www.liberation.fr/planete/2018/05/03/capitalisme-et-canards-de-bain-le-jour-ou-karl-marx-est-devenu-pop_1647477

(LM32)

Notre ami Gulliver : géant chez les nains et nain chez les géants

 

https://i1.wp.com/hamandista.com/wp-content/uploads/2017/12/english-politics-in-gullivers-travels.png?fit=738%2C415

S’ennuyant au foyer conjugal, lecteur des auteurs anciens et modernes, animé d’un insatiable goût des voyages maritimes, le chirurgien Lemuel Gulliver, héros homérique et picaresque de Jonathan Swift (1667-1745),  affronte les fortunes du destin sur les océans. Naufragé une première fois dans les mers du Sud, il parvient sain et sauf en nageant au pays de Liliput. Il y sera un géant parmi les nains.

Colosses

Revenu en Angleterre depuis Blefuscu, il reprend la mer à bord de l’Aventure. Après avoir échappe à une tempête d’apocalypse, il est oublié par l’équipage sur les rivages d’une île inconnue, où il tombe entre les mains de débonnaires colosses. Après deux ans de captivité dans la capitale du royaume de Brobdingnag, où il est un nain parmi les géants, il regagne l’Angleterre. Il entreprend un troisième voyage maritime comme médecin à bord de la Bonne-Espérance, solide vaisseau de 300 tonneaux qui traverse une tempête mais est capturé dans le golfe du Tonkin (mer de Chine) par deux vaisseaux pirates aux o0rdres d’un capitaine japonais.

Île volante

Abandonné par les forbans en pleine mer sur un « petit canot doté d’une voile et de rames, avec quatre journées de vivre », Gulliver, après avoir Résultat de recherche d'images pour "Gulliver Laputa"navigué durant cinq jours, aborde un îlot désertique pour être récupéré sur l’île volante du royaume de Laputa. Les habitants célestes y « sont toujours en proie à l’inquiétude » en raison de leur permanentes spéculations cosmographiques et métaphysiques. Ayant passé de Laputa aux îles voisines (Balnibari, Glubbdubdrid, Luggnagg), il regagne l’Angleterre via le Japon et Amsterdam sans être détourné ni par une tempête ni par des forbans.

Pirates

Son dernier périple maritime comme capitaine sur l’« Aventure, un solide vaisseau-marchand de 350 tonneaux », se boucle avec la mutinerie de l’équipage constitué d’« anciens flibustiers », tous recrutés à la Barbade et dans les îles Sous-le-Vent, en mer des Caraïbes, là où pullulent les forbans, boucaniers, les flibustiers et les pirates. Ayant marronné leur capitaine Gulliver sur une grève déserte d’où il gagnera le pays des Houyhnhnms (chevaux), les mutins choisissent l’utopie fraternelle des frères de la côte.

Les chevaux ignorent la guerre

Resté chez les chevaux (Houyhnhnms) qui asservissent les hommes mais ignorent le mot “guerre”, Gulliver médite la chimère de la cité idéale pour le bien des Hommes. Dans cette fiction burlesque parue en 1726 (Gulliver’s Travels), Swift le pamphlétaire républicain signe la mort de l’utopie.

Depuis l’enfance, notre ami Gulliver nous murmure  pour dire que le meilleur des mondes possibles reste une chimère qu’à jamais rattrapent l’ambition, l’orgueil et la violence des Hommes… pourtant contraints parfois de recourir tardivement à la “guerre juste” pour tenter de rappeler les fragiles règles du droit que bafouent les tyrans exterminateurs de leurs peuples.

Lecture: l’utopie pirate a fasciné Daniel Defoe: Libertalia, Paris, éd. Libertalia et Phébus, 2002 (paru en anglais dans L’Histoire générale des plus fameux pirates, 1724-1728).

(LM31)