Ville diminuée. Rues désertées. Sociabilité détériorée.
Sur la grille verrouillée du préau scolaire silencieux, s’affiche la mise à ban domiciliaire des élèves.
La ville dégradée de confinement se maille en désordre d’interdits.
Nouveaux ordres, nouvelles craintes, nouvelle discipline?
La clôture supplée l’embrasure.
Le goulot d’étranglement sanitaire assèche la fluidité de la multitude. Le sas rassure.
Le grand nombre effare.
Le nombre moyen aussi!
Et le petit nombre? A partir de combien?
Compteur-enregistreur en mains, les vigiles, masques, au visage, décomptent les clients.
Il faut patienter derrière le marquage au sol.
«Une seule personne à la fois dans le magasin».
Parfois quatre
A deux mètres l’une de l’autre.
Fermé! Fermé! Fermé!
La «distance sociale» annihile la proximité instantanée, celle du brassage, celle du va-et-vient quotidien et démocratique — mais que signifie vraiment la distance sociale?
Aux portes entr’ouvertes des négoces et à la lisière fortifiée des grandes surfaces, s’apostent les mises en garde hygiénistes «pour la sécurité de tous».
Désinfection des caddies où s’entasse l’excès alimentaire.
Les caissières campent sur la ligne de front, parfois derrière l’écran de plexiglas.
Un par un dans la distance sociale.
«Au suivant…au suivant» chante Jacques Brel.
Avez-vous désinfecté vos mains en entrant. Et en ressortant?
Le salut viendra de l’isolement, car le rassemblement est morbide.
Le risque escorte la foule.
L’infection rôde dans la cohue.
Le mal grouille dans la masse.
Sus à la promiscuité!
La cité de la reculade corporelle et du péril altruiste se pratique maintenant dans les usages soupçonneux et les cheminements d’évitement.
Les grandes enjambées l’emportent sur le petit pas flâneur
La désinvolture baladeuse reflue devant la gêne.
Pérégriner à plus de 100 mètres de chez soi est verbalisable.
A tout prix, éviter le souffle de son prochain!
Courir les rues, fendre la foule, battre le pavé: nouveaux illégalismes. Walter Benjamin et Raymond Queneau aux oubliettes!
Bien sûr, les oiseaux matinaux chantent plus souvent, quoique plus subtilement, car le tapage urbain agonise.
Le ruban de signalisation policière (aussi nommé Rubalise ou Ruban Ferrari) borne les territoires condamnés — parc public, place de jeux, stade.
Silence et effroi.
Capitales de la douleur.
Les drones policiers épient les rues de Bruxelles. Chaque soir, comme l’antique tocsin, le guet de la cathédrale de Lausanne «donne l’alarme» auprès de la Clémence — trois coups, une pause, six coups, une pause, trois coups, une pause….
Un peu partout, après le crépuscule, les applaudissements crépitent.
À New York, l’Empire State Building s’illumine de nuit comme une sirène policière. Sur la place dépeuplée de Saint-Pierre à Rome, sous la pluie lancinante, le pape face à lui-même implore Dieu («Ne nous laisse pas dans la tempête!»).
Le silence fige d’effroi Bergame où se suivent les cohortes de cercueils.
Ailleurs, face à la splendeur lacustre, campé sur son balcon, un ami entonne L’Hymne à la joie avec son robuste cor des alpes, un autre embouche sa cornemuse.
Résistance sonore. Hymnes à la joie de vivre. Nostalgie de la vie simple.
Les mots du désarroi urbain:
Affiches, affichettes, avis, billets, placards, posters, proclamations : la ville coronavienne suinte de discours pour prescrire les limites.
Pour annoncer les ruptures de stock: «Rupture de masques, désinfectants et thermomètres». Triste pharmacie… comme d’habitude!
Pour signaler la rupture des massages!
Les corps devenus ennemis?
Pour prévenir que plus rien n’est comme avant.
Bienvenue…nous ne sommes plus là!
Es-tu seul? Jusqu’à quand?
(Tribut à Hopper)
Impuissante volonté… A très bientôt! (?)
Prescriptions et vigilance: le prix de la défaite…le dispositif du réarmement.
Main basse du virus et peur haute sur la cité.
La ville coronavienne: méfiance en puissance du désarroi.
Fraternité en berne?
Éviter le souffle de son prochain!
Le salut viendra-t-il de l’isolement?
Jacques Brel, Regarde bien petit:
https://www.youtube.com/watch?v=usGlaznMem0