L’équipée

Le train se penche à la portière/de ses propres wagons/il se regarde tout prospère/heureux comme un dragon/[…], Raymond Queneau, « Chance », Battre la campagne, Gallimard, 1968 (p. 9).

Le Petit Vingtième, jeudi 22 mai 1930, le dilemme du globe-trotteur. ©Hergé/Moulinsart, 2021.

Au pivot de l’été, d’une vague pandémique qui s’écarte à l’une qui monte peut-être en vigueur, le temps de souffler est-il venu?

Souffler au loin : battre la campagne, courir les rues, fendre les flots?

Certains ne voyagent pas. D’autres, plus insouciants, plus privilégiés, à tout prix, insatiables, recommencent la péripétie lilliputienne du voyage touristique.

Quelques gerfauts métalliques lacèrent à nouveau les nues apaisées ou les dômes de chaleur.

Le bruit et la vitesse percutent les rubans asphaltés entre le monde d’avant et celui où s’engouffre le temps présent.

Quels itinéraires?

Quels itinéraires automobiles, ferroviaires, maritimes ou pédestres doit on suivre pour sillonner le présent incertain d’avenir?

Pérégriner sur le littoral ou affronter les massifs?

Tutoyer l’insularité aux aubes poignantes?

Rester en terme ferme ? Pourquoi pas ! Gagner l’eau vive? Belle idée !

Le désir de rivage peur escorter l’appétence sylvestre.

Souffler.

Journal de bord

Étendue ou minuscule, toute odyssée est un intime journal de route. Souvent bricolé dans la planification croissante du déplacement touristique.

Le réel s’y confronte vite à l’imaginaire allochtone. L’attrait de mouvement éprouve les corps et les âmes.

Souffler et faire le point.

S’y ajoute le temps du dialogue livresque.

Dialoguer

Par exemple, avec Équipée. Voyage au Pays du Réel de Victor Segalen (1878-1910). Médecin de marine, ethnographe, archéologue, globe-trotteur et  voyageur en Océanie et en Chine, où il trouve l’inspiration poétique et confronte sur le terrain l’imaginaire voyageur et la réalité paysagère ou urbaine, Segalen publie en outre Stèles (1912 ; 1914) et René Leys, cette fascinante intrigue « simili-policière de la vie pékinoise » (1922).

Éblouissant ouvrage posthume paru en 1929, chronique de l’intimité qu’altère l’exotisme, Équipée sacre et poétise le devoir humain de la marche. On y lit que l’imaginaire, préliminaire de l’aventure, est tout ce qui survit à l’aventure du voyage.

L’imaginaire de la mémoire.

Une inoubliable page littéraire, parfois philosophique, parfois initiatrice, pour investir le temps mobile de l’été afin de penser nos pérégrinations d’étape en étape dans l’expérience du petit déracinement. Pourtant:

Ce n’est point au hasard que doit se dessiner le voyage. À toute expérience humaine il faut un bon tremplin terrestre. Un logique itinéraire, est exigé, afin de partir, non pas à l’aventure, mais vers de belles aventures. Je devrai surtout me garder de l’incessante rumination du problème posé : le bon marcheur va son train sans s’interroger à chaque pas sa semelle. […] Mais n’être dupe ni du voyage, ni du pays, ni du quotidien pittoresque, ni de soi! La mise en route et les gestes et les cris au départ, à l’avancée, les porteurs, les chevaux, les mules et les chars, les jonques pansues sur les fleuves […] auront moins pour but de me porter vers le but que de faire incessamment éclater ce débat, doute fervent et pénétrant qui […] se propose : l’Imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand on le confronter au Réel?

Équipée : la jouissance de l’effort dans les pas recommencés qui forment le voyage comme le retour éternel vers notre humanité. Viser l’épuisement pour achever l’exploration de soi-même : une thématique vacancière dans l’équipée planifiée?

À creuser.

Victor Segalen, Équipée. Voyage au Pays du Réel, Paris, Gallimard, 1983 (Coll. L’Imaginaire). (https://ebooks-bnr.com/segalen-victor-equipee-pekin-aux-marches-thibetaines/)

 

La ligne de mire reprendra début août.