Gare aux voleurs!

Maurice Leblanc, Arsène Lupin contre Herlock Sholmes, 1906

« Quand il s’approche/On cache les broches/Et les sacoches/Il vide les poches/Sans anicroche. » L’Arsène/ Jacques Dutronc, 1971.

Depuis l’Antiquité, le droit à la propriété qui culmine au XIXe siècle reste le socle moral et économique du monde contemporain. Les multiples facettes du vol y reproduisent l’ordre propriétaire.

Civilisation propriétaire

Voici un livre brillant sur l’histoire du vol, mis sous les auspices d’Arsène Lupin, le gentleman cambrioleur de la Belle époque créé en 1905 par Maurice Leblanc. Trois parties substantielles autour de la «civilisation», de la «défense» puis des «crises et recompositions» de la propriété. Vers 1980, les statistiques policières en France signalent «un vol toutes les 37 secondes». Toute proportions gardées, la Suisse n’est pas loin. Cette délinquance ordinaire est rattrapée par les hold-ups. Chers au film noir, plutôt urbains, ils se multiplient par 10 de 1968 à 1985 puis reculent.

Depuis toujours, voler est une activité sociale omniprésente. Le vol alimente le discours politique et parfois xénophobe («Gangs roumains») sur l’insécurité matérielle et humaine.

L’État répond par la violence légale à la «demande sociale de sécurité» pour apaiser l’«obsession propriétaire» qui culmine après la Révolution bourgeoise de 1789. Consacrée par le Code pénal de 1810, la qualification du vol est tautologique : «Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol». Dès lors, les slogans alarmistes contre les crocheteurs, les manipulateurs de rossignols, les cambrioleurs nocturnes ou diurnes, les voleurs occasionnels ou d’habitude, les écumeurs nationaux ou étrangers, les faussaires en col blanc nourrissent l’intarissable discours sécuritaire. Dans notre société consumériste et d’assurance sur les biens et la vie, le voleur incarne l’ennemi public numéro 1 des petits et des grands propriétaires affolés. Il est la figure noire de la morale vertueuse. Celle qui depuis la Bible soude l’argent au labeur honnête.

Pluralité du vol

D’une plume leste, Arnaud-Dominique Houte, professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne-Université, écrit l’anthropologie culturelle et politique des appropriations illégales. Entre «exploits criminels des bandes organisées» et larcins minuscules qui détériorent la vie quotidienne des populations urbaines souvent les plus modestes, il suit les réactions sociales et politiques que suscite le vol. Souvent de nécessité selon le destin tragique du forçat hugolien Jean Valjean (Les Misérables), le vol est l’envers social de la civilisation propriétaire. En quelque sorte, il en est le corollaire inévitable qui ne pourra jamais disparaître. Depuis toujours, les enfants jouent au «gendarme et au voleur» ! En préférant le rôle du voleur.

Pluralité du vol : il y a mille manières de dérober le bien d’autrui. Grappiller la récolte, voler une poule, chaparder un pain sur l’étal du boulanger, subtiliser de la viande dans un supermarché, arracher un sac à main, voler une voiture, brigander sur le grand chemin, cambrioler un logis, dévaliser un commerce ou un bureau de poste, organiser le casse à main armée d’une banque, assaillir un véhicule blindé de transport d’espèces, pirater un navire : l’activité sociale des voleurs est multiple. Elle nourrit la légitime-défense, mobilise la police, inspire les fabricants de serrures, stimule l’industrie des systèmes de sécurité et enrichit les assurances. Le vol est le secteur gris et très rentable de l’économie capitaliste.

Les archives du vol

Ce livre original est fascinant. Au plus près des archives, il croise la matérialité des butins recelés ou des objets pillés en temps de paix ou de guerre ainsi que la culture sécuritaire des portes, des verrous, des chaînes de sécurité, des serrures et de la vidéo-surveillance qui tentent de prévenir matériellement le vol. Étatique ou privée, investigatrice ou brutale, l’activité policière oscille entre le recueil de la plainte victimaire, la poursuite des habiles malandrins et la quête scientifique des indices matériels ou des traces d’ADN sur les lieux de l’effraction plus ou moins bien assurés.

La vidéo-surveillance privée et publique se vend comme la panacée du vol. Voir pour prévoir…souvent en vain!

Menaces et police du vol, protection privée, lieux exposés à l’effraction, autodéfense des «voisins vigilants», mise en garde publique: l’histoire sociale du vol dessine ses «présences» constantes dans la civilisation propriétaire dont la morale commune repose sur le septième commandement («Tu ne voleras pas!»). La «propriété c’est le vol», certes ! Le célèbre slogan anarchiste de Joseph Proudhon montre que le désordre des voleurs renforce l’«ordre propriétaire». La causalité du vol y réside. Sa reproduction sécuritaire est socialement garantie par le vol. Inséparables gendarmes et voleurs!

Un beau livre à ne pas manquer!

Arnaud-Dominique Houte, Propriété défendue. La société française à l’épreuve du vol, Paris, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 2021, 379 p.

 

Richard Fleischer, Armored Car Robbery, 1950

https://www.youtube.com/watch?v=nSfAN79Pmi8

 

Henri Vernes, le père de Bob Morane fête son centième anniversaire

À Arsène –  dans l’aventure de la vie.

À Benoît – à l’autre bout du monde, voisin de la Manicouagan.

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Henri Vernes, Vous êtes né le 16 octobre 1918 à Ath en Belgique.

Bon anniversaire Henri Vernes !

Et merci !

Savez-vous Henri Vernes que des adultes présomptueux affirment que l’on sort de l’enfance le jour fatidique où l’on dépose tristement sur le trottoir pour s’en débarrasser un carton rempli des volumes de Bob Morane ? Ces aventures cosmopolites qui paraissent sous votre plume déjà aguerrie dans la collection populaire belge Marabout Junior en 1953 avec La Vallée infernale. Un aventurier est né.

L’aventurier

L’aventurier qu’incarne Claude Titre dans la série télévisée française en 26 épisodes réalisés avec des bouts de ficelle (Les Aventures de Bob Morane, 2 saisons 1964-1965). L’aventurier mis en onde radiophonique et que chante en 1982 le groupe Indochine en hommage fraternel. Héros d’une bonne centaine d’albums de BD, Bob Morane est l’héritier de la grande littérature populaire du XIXe siècle, de Jules Verne à Gaston Leroux.

Après La Vallée infernale : près de 250 romans en tout jusqu’à aujourd’hui. Traduits tout autour de la planète. À des millions d’exemplaires. Parmi eux, entre dévoilement du monde, récit policier, conte fantastique, croisade contre le mal ou space opera, d’inoubliables épisodes, dont La griffe de feu, Oasis K ne répond plus, La croisière du Mégophias, La marque de Kali, Le masque de jade, Les chasseurs de dinosaures, La cité des sables, ou encore L’orchidée noire, Les compagnons de Damballah, Le maître du silence, L’homme aux dents d’or, Les mangeurs d’atome, Le temple des crocodiles, Le masque bleu, Terreur à la Manicouagan, Le mystérieux docteur Xhatan, Organisation Smog, Le samouraï aux mille soleils, Le talisman des Voïvodes, Les cavernes de la nuit, Les spectres d’Atlantis – ou encore le cycle d’Ananké.

Depuis La couronne de Golconde, s’y ajoute la spectaculaire saga terrestre et intersidérale de l’Ombre jaune, alias Monsieur Ming, savant hors norme, quasi immortel et ambigu génie du mal. Avec ses Dacoïts et autres créatures ténébreuses, il mène la guerre totale contre l’humanité en raison du déclin matérialiste de l’Occident. Grâce à la complicité secrète et amoureuse de la splendide eurasienne Tania Orloff, nièce de Monsieur Ming, Morane le met invariablement en échec. Parfois en y laissant quasiment la vie.

Tout autour du monde

Autour de la planète bleue tellement malmenée aujourd’hui – mais aussi dans l’enchevêtrement temporel avec la Patrouille du temps du colonel Craig et dans les vestiges archéologiques de continents disparus comme l’Atlantide ou Mu avec son ami sexagénaire l’archéologue Aristide Clairembart – on y lit l’aventure sous toutes ses formes. La grande aventure qu’enfant vous quêtiez déjà dans les romans fleuves de Louis Boussenard comme Le Tour du Monde d’un gamin de Paris (1883). Celle plus noire que vous a insufflé votre ami Jean Ray (1887-1964), l’immense auteur gantois de chefs d’œuvre de la littérature fantastique comme Le Grand nocturne (1942) ou Malpertuis (1943).

Échos d’enfance

Savez-vous Henri Vernes que mes volumes jaunes puis blancs de la collection Marabout junior puis Pocket Marabout sont toujours religieusement classés dans l’une de mes dix bibliothèques ? À l’abri de la poussière. Dans la parage des collections d’ouvrages sur les Lumières, la criminologie ancienne ou la littérature ancienne et moderne. Comment en effet renoncer au prodigieux réservoir imaginaire de l’aventure selon Bob Morane ?

Y gisent épars des pans désinvoltes ou préoccupés de l’enfance. En émergent les odeurs fragiles et les souvenirs inaltérables de lectures diurnes et nocturnes. Du temps volé aux adultes lorsque avec Bob Morane on rêvait à un futur plus heureux qui n’arrivait pas.

Les années passent. Le médiocre papier d’imprimerie des aventures de Bob Morane se fissure sous l’éclat persistant des couvertures bariolées dessinées par Dino Attanasio ou Pierre Joubert. À chaque épisode, elles montrent l’héroïsme de l’aventurier au visage aquilin qui affronte le mal, le péril ou l’imminence de la mort : parachutage périlleux, noyade, crash aérien, assassinat, sacrifice rituel, lutte avec des fauves, corps à corps subaquatique, poursuites et joutes terrestres, maritimes et aériennes.

Combattre les raclures

https://live.staticflickr.com/1178/1289310435_fd07d3710e.jpgFlanqué de son faire-valoir le géant roux écossais Bill Ballantine – moderne Porthos – autant buveur de whisky que le capitaine Archibald Haddock, Bob Morane le polyglotte combat depuis 1953 les pires raclures de l’univers. Les ordures de tous les genres. Il les défie avec la force morale de l’aventurier inoxydable qui hésite à tuer et celle musculaire du jiu-jitsuan et karatéka hors pair. Sous toutes les latitudes, dans tous les bas fonds, tout y passe : écumeurs des mers, négriers, trafiquants de stupéfiants (La fleur du sommeil), kidnappeurs d’enfants, truands, marchands d’armes, saboteurs d’avions civils (Panique dans le ciel), espions tueurs, mafiosi (Échec à la main noire), braconniers d’espèces menacées (Le gorille blanc), pilleurs de vestiges archéologiques (Le secret des Mayas), tyran oppresseur (Le maître du silence) ou encore industriels pivots de dictatures militaires (Tempête sur les Andes), exploiteurs de misère, terroristes transnationaux du SMOG (Terreur à la Manicouagan), nostalgiques nazis avides de revanche raciste (Le cratère des immortels), politiciens corrompus.

 

L’éthos du justicier

Don Quichotte moderne fonçant en Jaguar Type E, Indiana Jones avant la date, redresseur de torts, protecteur de la veuve et de l’orphelin, le « commandant » Morane a un peu vieilli, malgré ses 33 ans. Comme tout un chacun. Parfois il se ressource dans son monastère médiéval auvergnat. Or est-il anachronique ce goût de l’aventure qui stimule l’ancien pilote militaire, polytechnicien, collectionneur d’ouvrages rares et journaliste intermittent au journal Reflets ? La quête du bien qui l’anime est-elle déplacée dans notre univers livré au mal multiforme qui jamais ne désarme ? Comme d’autres figures justicières, Bob Morane conforte l’imaginaire social d’un monde meilleur auquel nous rêvons faute de pouvoir l’édifier. Telle est la force libératrice de la fiction tout autour de l’éthos du justicier.

 

Prolongeons avec : Daniel Fano, Henri Vernes et Bob Morane, une double vie d’aventure, Bordeaux, 2007, Le Castor Astral ; Rémy Gallart et Francis Saint-Martin, Bob Morane, profession aventurier, Paris, Encrage 2007 ; Sylvain Venayre, La gloire de l’aventure : genèse d’une mystique moderne : 1850-1940, Aubier, coll. « Historique », 2002.

 

LDM 39

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