1984: le pire des mondes possibles

Big Brother, graffiti de rue, La Ferté-sous-Jouarre, Seine et Marne, 2012

«on croyait à l’époque que les portes donnant sur l’utopie étaient ouvertes et qu’on était au seuil d’un avenir resplendissant pour l’humanité.» Arthur Koestler, Le Zéro et l’Infini [1940], première  et remarquable traduction du manuscrit allemand par Olivier Mannoni, Calmann-Lévy, 2022, p. 185

 

«Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que les autres»: La ferme des animaux (Animal Farm. A Fairy Story) de George Orwell raille en 1945 le stalinisme. La fable animalière prélude son son chef d’œuvre Nineteen Eighty-Four, écrit en 1948, traduit partout, mis en bande dessinée, adapté 5 fois au cinéma entre 1956 et 2021, dont Brazil (1985) de Terry Gilliam.

Paru en 1949, 1984 suit la contre-utopie Nous autres (1924) d’Evgueni Zamiatine, admirateur de H.G. Wells (The Time Machine 1895), admiré d’Aldous Huxley (Brave New World 1932). Tuberculeux dès 1947, miné par le totalitarisme et l’échec du socialisme démocratique, informé par Arthur Koestler sur les procès de Moscou, George Orwell, l’ex-milicien antifranquiste de la guerre civile espagnole (1936) où il est blessé à la gorge, meurt en janvier 1950.

Aimer Big Brother

1984 ou la fiction politique de la manipulation mentale: l’État-parti d’Océanie (15% de la population) obéit au leader Big Brother, avatar du panoptisme, ou contrôle visuel permanent des individus. Est-il réel? Qui sait? Or, il voit et écoute tout sur les télécrans des lieux publics et privés, dont les rues de Londres. De la vie à la mort, chacun est épié.

«Deux Minutes de la Haine» préparent quotidiennement la «Semaine de la Haine». On y adule Big Brother. On y hurle le «chant de la Haine». On y vomit l’«ennemi du peuple», Emmanuel Goldstein, sosie de Léon Trotsky, auteur du brûlot: Théorie et Pratique du Collectivisme Oligarchique.

 

Michael Anderson, 1984, GB, 1956. “Les minutes de la haine” (© Columbia)

Si la «Mentopolice» traque le crime de la pensée, la délation apprise aux enfants pérennise la terreur. Le coït d’amour est illégal. Trahir l’Ingsoc, socialisme dictatorial, constitue un crime capital. Les ennemis de l’extérieur sont pendus dans la liesse populaire.

Le «doublepenser» appuie les quatre Ministères de la Vérité, de la Paix, de l’Amour, de l’Abondance. Le premier forge l’idéologie étatique en falsifiant les archives pour réécrire l’Histoire: «Qui contrôle le passé contrôle l’avenir: qui contrôle le présent contrôle le passé». Au second, incombe la guerre éternelle contre l’Eurasie et l’Estasie. Le troisième broie les déviants. Le dernier affame les 85% des individus. À pieds nus, ils végètent dans la promiscuité de logis «vétustes» avec du chou avarié et du gin infect.

Le «néoparler» manipule les Océaniens. Le matraquage étatique condense la doctrine totalitaire: «Guerre est Paix; Liberté est Servitude; Ignorance est Puissance». La révolution finira quand le «Sociang» purgera des esprits l’ancien lexique: «honneur», «justice», «moralité», «démocratie». Néoparler, doublepenser, malléabilité du passé: les «principes sacrés» du Sociang rendront inutiles la répression. Alors, confiant dans l’État, chacun aimera Big Brother, promu «Thor Gibber» en 1984 dans L’Esclavage c’est la liberté de la bédéiste Chantal Montellier.

Chantal Montellier, L’esclavage c’est la liberté, 1984, Les Humanoïdes associés, hommage crépusculaire à 1984, joug de Thor Gibber

Plumitif au Ministère de la Vérité, «gélatineux» de lassitude, non membre du parti, épris de sa collègue Julia, Winston Smith exècre ce monde. Rédigé hors champ du télécran domestique, son journal l’atteste: «À bas Big Brother».

Alors amants, Winston et Julia sont vendus par l’indicateur qui leur loue un cagibi. Ils sont écroués et interrogés au Ministère de l’Amour. Provocateur, ayant abusé Winston en l’affiliant à la Fraternité qui tramerait contre le Parti, O’Brien le «rééduque». Tabassages et tortures. In fine, il lui inflige sa «pire terreur»: des rats voraces dans une cage fixée au visage. Brisé, agréant le Parti qui «cherche le pouvoir en soi», Winston capitule. Il remporte la «victoire sur lui-même»: «Il aime Big Brother». Il trahit Julia.

Utopie-dystopie

Orwell croise les expériences totalitaires du XXe siècle: fascisme, stalinisme, et nazisme. Outre ce contexte politique, 1984 s’apparente au genre dystopique. Fiction pessimiste, la «dystopie» augure le pire des mondes possibles, celui de la dictature par la persécution. Owen à Winston: «Le but du pouvoir, c’est le pouvoir». S’inverse ainsi l’utopisme du bonheur né en 1516 avec L’Utopie du platonicien Thomas More.

Hors de l’Histoire, insulaire et souveraine, l’Utopie est le non-lieu de la félicité et de l’égalité obligées. Cédant les bébés à l’État, euthanasiant les «incurables», les purs Utopiens vivent en famille élargie. Si le gibet est aboli pour les crimes de droit commun, les rebelles sont tués comme des «fauves». Avant union, les fiancés passent le test médico-légal sur l’affinité des organes sexuels. More avoue: «en la République des Utopiens, il y a bien des choses que je désirerais voir en nos villes sans pourtant vraiment l’espérer».

Le XVIIIe siècle est l’âge d’or des utopies que moque Swift. En 1726, Gulliver’s Travel en ravage l’optimisme: géants et lilliputiens se valent en orgueil et en sottise. Les Houyhnhnms détiennent la vérité. Dotés de la parole, ces chevaux ignorent le mot «guerre» mais esclavagisent les humains. En leurs étables, Gulliver saisit la chimère de l’Eden terrestre.

Au soir des Lumières, l’utopisme croise l’uchronie. Louis-Sébastien Mercier affine ce genre matriciel de l’anticipation né à la Renaissance. En 1774, son best-seller L’An 2440 où rêve s’il n’en fût jamais prédit l’apothéose des Lumières…au XXVe siècle. Dès lors, si l’histoire améliore l’humanité, le meilleur des mondes est pour demain! Toujours recommencé, le mal ne cesse de miner la cité idéale.

Les utopies du mal

Au XXe siècle, entre scepticisme de Swift et uchronie de Mercier, les contre-utopies précédent et suivent 1984. Elles reflètent le gouffre moral avec l’humanisme des Lumières. Le bonheur collectif des Utopiens devient le joug d’État. Parmi d’autres, quelques textes classiques illustrent les utopies du mal sur l’horizon des guerres mondiales et du pouvoir totalitaire.

Jack London songe au pacte de la ploutocratie et du fascisme dans Le Talon de fer (The Iron Hell, 1908), cauchemar sur le pouvoir illimité du capitalisme. La Fin d’Illa (1925) de José Moselli brosse le monde des llliens. Au top du progrès scientifique, ils visent la pureté du sang comme marque du pouvoir hégémonique. Contre-utopie du taylorisme et du conditionnement humain, Le Meilleur des mondes (Brave New Word, 1932) d’Aldous Huxley suit l’État eugéniste dont le pouvoir va jusqu’à prédestiner chacun en classes Alpha, Bêta, Delta ou Epsilon selon l’utilité sociale.

Antinazie, la Suédoise Karin Boye publie en 1940, au seuil du suicide, son unique chef-d’œuvre La Kallocaïne (Kallocain). L’«État mondial» utilise cette drogue de la «délation civique» pour dominer les individus constamment épiés par l’«Œil et l’Oreille de la police», présage clair du télécran d’Orwell. En 1953, Ray Bradbury édite Fahrenheit 451, porté à l’écran en 1966 par François Truffaut et en 2018 par Ramin Bahrani. Futur incertain: l’État ordonne l’autodafé des livres, car l’amnésie culturelle renforce le pouvoir totalitaire. Les insoumis apprennent alors par cœur les classiques de la littérature mondiale.

Mis en film en 1976 par Michael Anderson, L’Âge de cristal (Logan’s Run, 1967) de William F. Nolan et George C. Jonhson, évoque le pouvoir létal d’une caste postapocalyptique. En 2116, quand leur implant palmaire s’assombrit, les individus âgés de 21 ans sont tués dans un rituel civique qui ranime la terreur d’État.

G. Lucas, THX1138, U.S.A. 1971 (© Warner Bros).

En amont et en aval d’Orwell, le meilleur des mondes possibles est la dictature d’une caste ou d’un parti unique qui remplace l’utopisme du bonheur commun par la coercition collective. Futuristes, les dystopies se polarisent sur celui que broie le pouvoir totalitaire qu’il défie, comme l’irréductible  THX 1138 dans le chef d’œuvre éponyme (1971) George Lucas qu’inspire 1984.

Selon 2084. La fin du monde (2015) de Boualem Sansal, toute dystopie jauge le mal en politique. Si Orwell déplore le joug du parti unique, Sansal, qui lui rend hommage, déploie celui de l’intégrisme islamiste.

Ainsi, la dystopie féconde la pensée politique. Imaginer la cité juste oblige à converser avec les contre-utopies. Le remède n’est-il pas dans l’imaginaire du mal? Orwell l’expose dans 1984 pour nous prévenir contre le pire des mondes possibles, là où le «pur pouvoir» est une fin en soi. D’une certaine manière, il n’a cessé de nous mettre en garde contre tout ce qui détruit lentement et sûrement la société libérale qui s’enracine dans les Lumières.

Vient de paraître :

Le point. Hors-série-Grandes biographies, 32, Novembre 2022 : George Orwell. Il nous avait prévenus.

«Ni théoricien ni philosophe, ce pamphlétaire génial s’est révélé l’un des grandes penseurs du totalitarisme. […] Un esprit lucide qu’il faut écouter pour mieux résister.» «Éditorial» de Laurence Moreau, Rédactrice en chef du Point hors-série, coordinatrice de ce remarquable numéro.

https://boutique.lepoint.fr/george-orwell-1915

Lectures: Karin Boye, La Kallocaïne (1940), traduit du suédois par M. Gay et G. de Mautort, Petite Bibliothèque des Ombres, 2014; Ray Bradbury, Fahrenheit 451, Gallimard, folio-sf, 2015; Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, Plon, feux croisés, 2013; Kack London, Le Talon de fer, Libertalia, 2016; Thomas More, L’Utopie, éd. Guillaume Narvaud, Gallimard, folio-classique, 2012; José Moselli, La fin d’Illia, Grama, 1994; William F. Nolan et George C. Jonhson, L’Âge de cristal, Denoël 2001; George Orwell, 1984, nouvelle traduction par Josée Kamoun, Gallimard, folio,2018; Boualem Sansal, 2084. La fin du monde, Gallimard, 1985; Christin, Verdier, Orwell. Étonien, flic, prolo, milicien, journaliste, révolté, romancier, excentrique, socialiste, patriote, jardinier, ermite, visionnaire, Dargaud, 2019 [Roman graphique].

LDM: 90

Ressentiment Péril et espoir démocratiques

«Les idéologies du ressentiment ont été et sont les grandes fabulatrices de raisonnements conspiratoires. Les adversaires qu’elles se donnent passent leur temps à ourdir des trames, ils n’ont de cesse de tendre des rets; et comme ces menées malveillantes ne sont guère confirmées par l’observation, il faut supposer une immense conspiration». Marc Angenot, Les Idéologies du ressentiment, 1996.

Le ressentiment désigne la rancune amalgamée avec de l’hostilité envers ce qui est reconnu comme la source d’un préjudice, d’un mal subi, d’une humiliation réelle ou ressentie, voire d’une injustice. Entre deux personnes, le ressentiment anime les conflits, embrase la jalousie, renforce l’agressivité, décuple la haine que le résilience peut aider à surmonter.

Messianisme

En dépassant l’acrimonie individuelle, passion litigieuse ou haineuse, le ressentiment sur le plan collectif anime les griefs de collectivités ou de communautés humaines envers des institutions, des régimes politiques, des étrangers ou d’autres groupes sociaux identifiés à l’altérité inassimilable voire au mal absolu. Souvent en falsifiant l’histoire, le ressentiment est alors récupéré par des prophètes et des dirigeants messianiques qui l’instrumentalisent pour asseoir leur pouvoir en mobilisant les foules, en motivant l’intolérance confessionnelle, en prônant la revanche politique contre les «privilégiés», en exhortant à la dénonciation de «boucs-émissaires» souvent démunis, en pratiquant la brutalisation sociale, en réveillant le nationalisme belliciste toujours assoupi, en justifiant la xénophobie, en organisant la mise au pas de la recherche académique, en poussant au durcissement identitaire mais aussi en rejouant le messianisme révolutionnaire sur l’air de 1789.

Parfois, le ressentiment est culturel et opportuniste lorsqu’on prétend faire le procès du passé en déboulonnant les statues et en renversant les portraits peints qui heurtent les subjectivités et les sensibilités du présentisme.

Guerres de religion, révolutions, régimes autoritaires et totalitaires rouges ou noirs, conflits mondiaux, Shoah, décolonisation: maintes fois, selon les régimes politiques et les moments particuliers, le ressentiment a mis le monde au bord de l’«apocalypse» et du «désapprentissage de la civilisation» comme l’illustrent au XXe siècle, après l’hécatombe de la Grande guerre, notamment la «révolution» fasciste en Italie,  la tragédie antisémite du nazisme exterminateur, les régimes de l’apartheid ou encore les effarantes guerres coloniales.

Doutes identitaires

Imaginaire social mobilisateur, le ressentiment serait la «construction à travers laquelle la société majoritaire, d’ordinaire une partie de cette société, exprime ses anxiétés et ses tensions et cherche à surmonter ses doutes identitaires» (Ph. Burrin, Ressentiment et apocalypse, p. 18). Depuis la fin des années 1980, peut-être accélérés par la mondialisation puis par la pandémie récente, les ressentiments abondent. Du terrorisme de masse au populisme antidémocratique via la désinformation ou les «infox», les symptômes persistants du ressentiment ne manquent pas.

Entre désarroi politique et social, l’émotion individuelle nourrit l’émoi collectif. L’accumulation de griefs antilibéraux instaure probablement le renouveau autoritaire et l’offensive contre la modernité démocratique héritée des Lumières et les acquis des droits individuels dans la vie privée. Comment comprendre autrement le tournant conservateur de la Cour suprême qui aujourd’hui «attaque les piliers progressistes des États-Unis»? Quels en seront les impacts symbolique et concrets en Europe? Quel est le périmètre vindicatif du ressentiment anti-démocratique dans la guerre de conquête que le président russe Vladimir Poutine mène depuis février en Ukraine?

Ressentiment envers la liberté humaine

Or, le ressentiment culmine plus d’une fois dans l’intolérance gratuite, aveugle et meurtrière envers la différence humaine. Pour s’en persuader, revoyons les 2 dernières et édifiantes minutes du road-movie «démocrate» de Denis Hopper Easy Rider (1969). Est-ce autre chose que son ressentiment envers la liberté humaine qui motive le «brave» paysan traditionaliste du Mississippi profond à abattre froidement à la Winchester depuis son pick-up les deux motards californiens Wyatt et Billy en quête de fraternité  et de sororité? Quelle est exactement la nature de sa haine meurtrière outre la conscience morbide de sa certitude identitaire qui n’autorise nulle concession altruiste?

Au bord d’un monde empli de nouveaux périls militaires, climatiques et antilibéraux, pour l’avenir des enfants qui en Ukraine payent le prix fort de la guerre injuste, comment la démocratie peut-elle combattre et déconstruire avec l’éducation et la culture les idéologies du ressentiment qui la menacent toujours plus ? Hors du bain de sang, il en va de son avenir.

 

 

A (re)lire: Philippe Burrin, Ressentiment et apocalypse. Essai sur l’antisémitisme nazi, Paris, Seuil. 2004.

Les Rencontres internationales de Genève consacrent leur session de septembre 2022 (lundi 26 à jeudi 29 inclus) au thème actuel de: Ressentiment. Péril et espoir démocratiques. Programme détaillé bientôt en ligne sur : http://www.rencontres-int-geneve.ch/

La Ligne de mire reprend courant août.

Tu la veux ta bonne fessée?

Le lendemain, comme Poil de Carotte rencontre Mathilde, elle lui dit:

—Ta maman est venue tout rapporter à ma maman et j’ai reçu une bonne fessée. Et toi?

Jules Renard, Poil de Carotte, 1894.

Mange pas tes ongles vilain
Va te laver les mains
Ne traverse pas la rue
Sinon panpan cucul.
(…)
Tu me fatigues, je n’en peux plus
Dis bonjour, dis bonsoir
Ne cours pas dans le couloir
Sinon panpan cucul
Jacques Dutronc, Fais pas ci, fais pas ça, 1968
La fustigation infamante des mères célibataires: modèle de la pédagogie de l’effroi pour la domestication de la correction paternelle ou conjugale. Gravure sur acier de D. Chodowiecki, fin XVIIIe s. (Coll. M.P.).

Corriger et humilier

Substantif féminin, la fessée désigne des coups répétés sur les fesses d’une personne en lieu et place de punition. On dit «administrer, donner, ficher une bonne fessée». Dans la plupart du temps,  on vise un enfant, fille ou garçon, qui fait des «bêtises» ou qui désobéit. La fessée est donc une brutalité exercée sur autrui dans le but douteux de dresser, de corriger, de punir voire d’éduquer et de rabaisser. Moins impulsive et plus longue que la gifle ou le soufflet, plus préméditée par l’adulte, la fessée reste la forme banale mais cependant cruelle du châtiment des polissonnes et des polissons. Durant des siècles, le «droit de correction» corporelle est ainsi un privilège de l’autorité parentale envers les «enfants récalcitrants».

Rituel, posture, souffrance: l’anthropologie de la fessée est celle de l’humiliation morale et physique de l’enfant. À mains nues, avec des verges, un ceinturon ou avec le martinet légendaire. Cul dénudé ou en slip, le bambin, plié sur le genou paternel ou étendu sur un lit, subit, intériorise et pleure la brutalité corporelle comme une norme punitive. Il faut relire les 49 chapitres du chef d’œuvre minimaliste Poil de Carotte de Jules Renard. Ce petit livre autobiographique donne sens à la culture de la brutalité parentale dans la famille Lepic. Dans ce cas, elle est maternelle contre l’enfant non désiré et souffre-douleur.

Violence éducative

 La fessée se ramène à ce que les spécialistes de la maltraitance des enfants nomment les «violences éducatives ordinaires» (VEO). Or, quarante ans après la Suède, patrie autoproclamée des droits de l’homme, la France devient le 56e État à prohiber les châtiments corporels avec la LOI n° 2019-721 du 10 juillet 2019 relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires. Dans l’Hexagone, 85% des parents sont adeptes de la violence éducative qui peut frôler la maltraitance voire aboutir au pire. Malgré le dernier débat parlementaire de décembre 2020, la Suisse reste la lanterne rouge du mouvement abolitionniste de la fessée qui est légalisé dans soixante États.  Au pays d’Heidi, un enfant âgé de moins de trois ans sur cinq subit des châtiments corporels (Association Terre des hommes), bien souvent dans une situation de dégradation familiale.

Une somme : 248 articles

Or, dans la longue durée des civilisations, l’anthropologie et l’histoire sociale, judiciaire et culturelle de la fessée, mais aussi des châtiments corporels, pénitentiels ou correctifs, sont complexes. Cet objet couvre un vaste champ factuel et imaginaire. Celui des pratiques, des normes et des représentations mentales qui nourrissent les arts plastiques, la fiction écrite ou le cinéma. Y reviennent  les 248 articles du Dictionnaire du fouet et de la fessée dirigé et publié en février 2022 par Isabelle Poutrin et Elisabeth Lusset. Une somme à ne pas manquer.

Florilège d’un copieux  menu intellectuel: «Abus et excès» de la violence ordinaire dont familiale; brutalité et «adultère»dans le christianisme ou le droit coranique; châtiments corporels de la discipline militaire ou envers les galériens de l’Ancien régime; autoflagellation des ascèses chrétiens; autorités maternelle et paternelle à l’épreuve de la violence éducative; bastonnades en Chine et ailleurs; bagnes coloniaux; discipline des cachots monastiques et carcéraux; «clubs de fessée» et autres érotisations du châtiment corporel depuis les libertins des Lumières jusqu’à prostitution et flagellation contemporaines; «correction maritale», féminicide ou «mariticide»; écoles médiévales, d’Ancien régime et contemporaines; enfance et enfants; esclaves et esclavages depuis l’Antiquité romaine; femmes tondues; fustigations judiciaires à Rome, en pays d’Islam et sous l’Ancien régime ou knout en Russie tsariste; éducation musclée, châtiments scolaire mais aussi  en hospices et maisons de retraite; sanction douloureuse de la masturbation et de la «nudité»; médecine légale des brutalités domestiques; pédagogie de la Renaissance au XXe siècle; mais aussi les gifles dans les séries télévisées, la guerre des sexes au cinéma, Harry Potter, Orange mécanique de Stanley Kubrick voire…«Hergé et la fessée». (Etc.)

Hergé, Tintin au pays de l’or noir, Casterman 1950, 58, 3-c (© Moulinsart).

Pédagogie de l’effroi

Tout au long de l’Ancien régime, la fustigation publique des voleurs ou des prostituées était une «pédagogie de l’effroi» visant le «peuple». Une leçon sociale et morale souvent imitée et qui légitimait les brutalités correctives dans la domus familiale. Or, les violences domestiques et familiales n’ont pas disparu comme le montre l’actualité de la maltraitance, accablante envers les adultes dévoyés. Durant longtemps, alors que le pouvoir du père reflétait celui du roi, elles complétaient dans leur différence sociale le monopole de la violence de l’État moderne. Militaire, pénale, pénitentiaire voire «pédagogique»: la violence institutionnelle, infligée à des degrés et selon des finalités non uniformes, visait la discipline sociale. Celle que Michel Foucault pointe en 1975 dans Surveiller et punir en ses dimensions punitives, carcérales, hospitalières, asilaires et scolaires ou encore manufacturières.

La brutalité individuelle ne tombe pas du ciel. Elle n’est pas innée. Elle se construit socialement. La culture de la violence privée s’articule avec la culture politique. Soit celle que l’État légitime ou met en œuvre. Même en Utopie, où elle est censée disparaitre des relations familiales et sociales, la brutalité humaine répercute celle de la loi idéale. Les régimes politiques non libéraux ou autoritaires et les normes morales du patriarcat ont durablement légitimé les excès dans les cadres familiaux et conjugaux.

Ainsi, la fessée reste l’emblème domestique de la violence institutionnelle qui a culminé longtemps dans le châtiment capital. Progressivement, le régime démocratique a rendu anachronique cette souffrance légale de la mort pénale, comme l’illustrent depuis le XIXe siècle les étapes européennes de l’abolition, précoce dans les États de la sociale démocratie, tardive dans les régimes monarchico-jacobins comme la France.

Dignité

L’histoire de la modération punitive et de l’empathie altruiste se radicalise en 1764 quand Cesare Beccaria publie à Livourne (Toscane) son incisif et célèbre Des délits et des peines. Dans ce pamphlet philosophique qui devient le best-seller des Lumières, il y fustige la peine de mort et les châtiments suppliciaires d’État qui dégradent l’individu mais ne le corrigent jamais. Il y place l’éducation avant la punition, le lien social avant la théologie morale de l’expiation doloriste. Il prône la fin de la souffrance corporelle en tant que sanction politique et modèle de la discipline domestique.

La grandeur du libéralisme politique et l’État de droit issus des Lumières ne peuvent que résider dans la fidélité démocratique à la modernité politique de Beccaria qui condamne définitivement la pédagogie de l’effroi. Les reconfigurations des seuils du sensible autour du respect de la personne ont petit à petit discrédité les châtiments corporels, objets de scandales publics ou privés, thèmes de mépris moral.

La famille sans fessée et comme la cité de la dignité humaine sans châtiments corporels.

De A jusqu’à presque Z, ce beau dictionnaire érudit le démontre pleinement. En le refermant, on reste songeur.

Pourquoi ne pas envisager un second tome intitulé : Dictionnaire du câlin et des caresses. Choyer et embrasser? Tout un programme bienvenu dans le marasme ambiant des corps malmenés et contrits.

Isabelle Poutrin et Élisabeth Lusset (direction), Dictionnaire du fouet et de la fessée. Corriger et punir, Paris, février 2022, puf, 773 pages.

 

La brutalité du vigile, le chagrin de l’enfant. Scène inquiétante de la vie quotidienne.

Arsène Doyon–Porret, dessin mine de plomb, crayon et feutres de couleurs, octobre 2021; © Poda.

Le 11 octobre 2021, la Tribune de Genève titrait sur les «dérapages» et les «incivilités» de «très jeunes mineurs» âgés de moins de 15 ans. Inquiétudes.

Inquiétudes morales aussi devant le spectacle navrant de la brutalité du vigile et du chagrin de l’enfant.

Crépuscule genevois

Témoignage d’enfant.

Début octobre, crépuscule genevois autour 17h30. Bus 7 vers le Lignon, à la périphérie ouest de Genève. Véhicule sans affluence de passagers. La routine vespérale. Arrêt. Un garçonnet d’une douzaine d’années, chargé d’un sac de sport, saute à bord. Essoufflements et sueur. Il a couru pour ne pas manquer le bus. Celui-ci repart en direction du stade de foot où il se rend.

Nouvelle station

Jaillis de l’ombre, deux vigiles sous uniforme paramilitaire de la compagnie de transport public genevois  sautent  à bord. Prêts à tout. Renfrognés. Mâchoires serrées. Spartiates. Comme sur une scène de guerre.

Contrôle routinier des quelques passagers couleur de cendre dont certains négocient la clémence du glaive. Au fond du bus, l’enfant s’agite. Son visage devient pénombre. Le duo sécuritaire s’approche à grands pas et encercle le petit passager. Ennemi public? Monologue indicible et mouvements confus dans le clair-obscur crépusculaire.

Le scénario du pire

«Ah ah mon gaillard, on n’a pas son ticket!»

Agacé mais heureux, Monsieur Vigile I verbalise le petit passager sans titre de transport. Il se défend  car il n’a «pas eu le temps de prendre le billet en montant au dernier moment dans le bus pour ne pas manquer l’entrainement du foot».

Assurant les arrières de son collègue, Monsieur Vigile II blâme le passager clandestin: «incivilités!»

Deux grands s’acharnent sur un petit!

Maintenant, le gosse fond inexorablement en larmes. Soubresauts d’abattement.

Chagrin d’enfant apeuré. Tête baissée. Chuchotements.

Triomphant, le nez jupitérien vers les étoiles, Monsieur Vigile I lui tend pompeusement la notification du PV qui l’amende et qui sera envoyé à ses parents.

Mission accomplie! On respire!

Pourtant l’atmosphère du bus est étouffante!

Messieurs Vigile I et Vigile II vocifèrent encore à bas régime. Soudain, ils laissent là l’enfant démoli avec à la main son amende. Ils se ruent hors de bus à l’arrêt, comme un mini commando intrépide, avec la bonne conscience du devoir accompli.

L’enfant de onze ans hoquète dans son coin. Gros bouillons de chagrin et de honte. Reniflements.

Tous les enfants, le «même sourire, les mêmes larmes».

Assises bien droites, le cœur à l’unisson, une mère et sa fille ado bien mises se gaussent du gamin humilié. Elles pouffent d’arrogance.

Témoin de la scène, journal de Spirou à la main, un copain de foot se trouve heureusement à bord du bus avec sa maman. Ils s’approchent fraternellement du désespéré. Ils le réconfortent délicatement en lui donnant un mouchoir pour essuyer ses larmes. Ils descendent ensemble du bus pour gagner le stade illuminé.

«100 francs, c’est beaucoup, mes parents ne sont pas riches» dit-il. Je «vais être grondé, mais je n’ai pas eu le temps de prendre mon ticket et je ne voulais pas arriver en retard à l’entraînement».

Sur la pelouse, toujours en larmes, ému et rabaissé, il est réconforté par ses copains en football qui rigolent un peu jaune : «T’en fais pas, ce sont des c***

Fraternité et liesse!

Autre scénario

Messieurs Vigiles I et Vigile II, rêvons à un autre scénario! Un scénario humain adapté à l’enfance du garçon sans titre de transport. Un scénario plutôt préventif que répressif.

Un scénario qui n’humilie pas un gosse honnête et sincère pour en faire un ennemi acharné du système.

Un contrôle à visage humain, quoi!

Autre scénario:

«Tu n’as pas ton ticket bonhomme! Flûte! Ce n’est pas bien. Tu sais que les bus ne sont pas gratuits à Genève. Bon, je comprends, le temps t’a manqué pour l’acheter et tu es monté en quatrième vitesse pour ne pas rater l’entrainement de foot! Je te crois. Je te crois. Important le foot! Voilà ce que nous allons faire: je passe l’éponge. N’aie pas peur! Aujourd’hui, tu n’auras pas d’amende. Je ne ferai pas le PV, mais que cela te serve d’avertissement. La prochaine fois, tu t’arranges pour acheter à temps ton titre de transport avant d’embarquer dans le bus. OK! Allez, salut! Et bon entraînement!»

Enfant radieux!

Messieurs Vigile I et Vigile II, est-ce si malaisé d’être ainsi un héros bienveillant et non punitif en apaisant un gosse apeuré de 11 ans qui n’a pas eu le temps d’acheter son titre de transport? Quel crime!

Évidemment, me direz-vous, la prévention optimale d’un tel délit consisterait à généraliser la gratuité des transports publics jusqu’à l’âge de 16 ans. Comme dans certaines villes européennes.

Messieurs Vigile I et Vigile II, vous conviendrez en effet que prévenir est toujours plus utile que punir. C’est moins onéreux et plus efficace.

C’est ainsi que vos pantomimes autoritaires ne feront plus sangloter les enfants.

En voiture, en voiture, «siouplait»!

 

LDM 79

Pandémie: résurgence de la haine

Michel Porret: “Effroi urbain” (Saint-Julien en Genevois, samedi 5 septembre 2021).

Comme l’écrit en 1978 l’historien du sentiment religieux Jean Delumeau dans La Peur en Occident, dès la fin du Moyen âge, la «cité est assiégée». S’y réitèrent «à intervalles plus ou moins rapprochés, des épisodes de panique collective, notamment lorsqu’une épidémie s’abattait sur une ville ou une région» (p.98). Après les mesures sanitaires étatiques du premier «confinement» (quarantaine domiciliaire) imposé un peu partout en Europe entre mars 2019 et mai 2020 contre la pandémie de la Covid-19, nous vivons méfiants, inquiets, apeurés et alarmés. La cité est assiégée, comme le rappellent les nouvelles mesures sanitaires édictées vendredi 8 septembre 2021 par le Conseil fédéral, pour application dès le 13 septembre.

https://www.academie-francaise.fr/le-covid-19-ou-la-covid-19: «l’emploi du féminin serait préférable; il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien».

Anthropologie de l’effroi

Masques, gestes barrières, désinfection quotidienne, écart corporel, dépistage manuel et automatisé par température: la nouvelle culture sanitaire augmente l’intolérance sensible au morbide, pour paraphraser Alain Corbin. Elle nous transforme en acteurs improvisés d’une histoire sociale et planétaire de la peur qu’accélère la médiatisation continuelle et irréfléchie de la forte mortalité due à la Covid-19, dont la courbe saisonnière oscille entre embellie et rechute. Cette anthropologie de l’effroi culmine avec les rituels du deuil escamoté qui marque le temps des catastrophes humaines, des épidémies aux guerres selon Alessandro Pastore. Peut-on oublier l’étreinte de la mort collective, les convois militaires funéraires et les inhumations solitaires en vrac à Bergame, épicentre pandémique en Italie?

La démocratie pandémique

Le régime d’«exception ordinaire», mis aux libertés individuelles et collectives, mène-t-il à la «démocratie en pandémie»? Peut-on associer ces deux termes? Le «Lock down» sanitaire, selon Xavier Tabet, est un moment politique inédit par son ampleur où le droit à la vie est ancré dans la biopolitique au profit de la majorité mais avec des risques liberticides. Comment l’État de droit va-t-il ajuster durablement le paramètre politique de la démocratie pandémique? À moyen terme, dans le pire des mondes possibles, entre macro-économie et discipline sociale, la «gouvernance de la peur» peut certainement rapprocher les États libéraux et autoritaires, comme parfois les guerres l’ont fait. Est-elle probable cette nouvelle alliance sanitaire du régime d’exception pour miner l’offensive pathologique de Covid-19? En Chine comme aux U.S.A., les lieux publics réservés aux personnes doublement vaccinées se multiplient. À New York, de nombreux commerces affichent «No mask. No Entry».

Mal pandémique, mal moral

Au risque contagieux, que depuis 6 mois endiguent les campagnes vaccinales sur fond de rivalités scientifiques et d’enjeux économiques colossaux entre trusts pharmaceutiques, suit la crainte anti-vaccin. L’auto-défense des «antivax» et des «anti-passes» dérive en refus «libertaire». Une minorité politiquement hétéroclite conteste l’État providence sanitaire. Le vaccin et le «passe sanitaire» symbolisent la tyrannie hygiénique. «Ma liberté » — dit-on— est «incompatible avec votre politique préventive». À bas la dictature sanitaire!

Dans ce contexte de délabrement moral et social, un problème crucial noircit l’horizon : le mal pandémique réveille le mal moral. Le libertarisme anti-sanitaire devient antisémite. En «retournant les stigmates» du mal, il brouille sciemment la mémoire collective du mal. «Non au passe nazitaire; Prochaine étape: rafle des non vaccinés» : sous de tels slogans, en France, mais aussi en Suisse et ailleurs, la mobilisation graduelle «anti-passes et anti-vaccins» a des relents nauséabonds. Numéros tatoués sur les avant-bras de manifestants qui arborent une étoile jaune, étoile de David peinte sur la façade d’un centre de vaccination (Neuillé-Pont-Pierre, Indre-et-Loire), huée contre les «empoisonneurs juifs» : l’hostilité anti-sanitaire emprunte le symbolisme concentrationnaire de l’antisémitisme nazi entre 1939 et 1945.

Résurgence de la haine

Ce «phénomène viral» canalise et attise la résurgence de la «haine antijuifs» (rancune confuse contre les «institutions de l’ordre établi»; haine trouble des élites, haine jalouse du cosmopolitisme). Selon Tal Bruttmann, remarquable historien de la Shoah, nous assistons sous la pandémie à l’inquiétante et décomplexée «jonction entre l’antisémitisme primaire de ceux qui pensent que le vaccin a été inventé par les juifs pour détruire les autres, et l’antisémitisme plus politique de ceux qui disent que les juifs contrôlent les médias, le pouvoir» (Le Monde, 19 août 2021). Dès l’aube de la pandémie, toujours complotistes, toujours marquées par les rumeurs invraisemblables, les démesurées «accusations à relents antisémites» sur les réseaux sociaux (Europe, Russie, États-Unis) renouent avec l’imaginaire criminel des «allégations d’empoisonnement» qui ont culminé au Moyen âge.

Cette constante de l’antisémitisme chrétien et politique né avec peste noire (mi-XIVe siècle), comme l’a montré le grand historien italien de la chasse aux sorcières Carlo Ginzburg, peut se banaliser dans le durcissement de la démocratie sanitaire. Or, il y a pire.

En comparant la politique sanitaire de l’État providence aux rafles antijuives et le président Macron ou le Conseil fédéral à Hitler et à l’État totalitaire, la mouvance antisémite des antivax et des anti-passes relativise la «barbarie nazie». Les droites nationalistes et extrêmes  hostiles à l’État libéral et à la culture de l’État providence trouvent leur compte dans la chimère pseudo libertaire.

La pandémie de la Covid-19 pose ainsi un double défi démocratique, complexe à résoudre, impératif pour l’avenir de nos enfants: sortir de la gouvernance de la peur en plaçant sans concessions autoritaires le droit à la vie sous le régime de l’État de droit; combattre le renversement des stigmates qui relativise et réactive le mal moral toujours assoupi. Un gros chantier pour abattre la populisme sanitaire et ses démons pestilentiels, spectres hideux d’un autre temps!

Lectures utiles:

Gastone Breccia, Andrea Frediani, Epidemie e Guerre che hanno cambiato il corso della storia,  Newton Compon, 2020;  Cécile Chambraud, Louise Couvelaire, « Mobilisations anti-passe sanitaire : l’antisémitisme d’extrême droite resurgit », Le Monde 19.08. 2021 (p. 8-9); Alain Corbin, Le Miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social 18e-19e siècles,  Aubier, 1982; Jean Delumeau, La Peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles). Une cité assiégée, Paris, Fayard, 1978; Carlo Ginzburg, Le Sabbat des sorcières, Paris, Gallimard, 1992; Marino Niola, « Perché oggi è cosi eguale a ieri », La Republica, Robinson, 243, 31.07.2021 (p. 4-5); Alessandro Pastore, Crimine e giustizia in tempo di peste nell’Europa moderna, Roma-Bari, Laterza, 1991; Corey Robin, La Peur, histoire d’une idée politique, Armand Colin, 2006; Barbara Stiegler, De la Démocratie en pandémie. Santé, recherche, éducation,  Tracts Gallimard (23), janvier 2021; Xavier Tabet, Lockdown. Diritto alla vita e biopolitica, s.l., Ronziani numeri, 2021.

Rappel : quelques offensives pandémiques

Peste d’Athènes : 430-426 av. J.C.
Peste antonine : 65-180
Peste justinienne : 542
Peste noire : 1347-1350
Peste d’Arles : 1579-1581
Peste de Londres : 1592-1593
Peste espagnole : 1596-1602
Peste italienne : 1629-1631
Grande peste de Naples. 1656
Grande peste de Séville : 1647-1652
Grande peste de Londres : 1665-1666
Grande peste de Vienne : 1679
Grande épidémie de variole en Islande : 1707-1709
Épidémie de peste de la Grande guerre du nord (Danemark, Suède) : 1710-1712
Peste de Marseille : 1720-1722
Grande peste des Balkans : 1738
Peste de Russie : 1770-1772
Peste de Perse : 1772-1773
Variole des Indiens des plaines : 1780-1782
Fièvre jaune des États-Unis : 1793-1798
Épidémie ottomane : 1812-1819
Première pandémie de choléra :1817-1824 (Afrique orientale, Asie mineure, Extrême-Orient)
Deuxième pandémie de choléra : 1829-1851 (Asie, Europe, U.S.A.)
Variole des grandes plaines (USA) : 1837-1838
Troisième pandémie de choléra : 1846-1860 (Monde)
Peste de Chine : 1855-1945 (Monde)
Quatrième pandémie de choléra : 1863-1875 (Europe, Afrique du Nord, Amérique du Sud)
Cinquième pandémie de choléra : 1881-1896 (Inde, Europe, Afrique)
Grippe russe : 1889-1990 (Monde)
Sixième pandémie de choléra : 1899-1923 (Europe, Asie, Afrique)
Grippe espagnole : 1918-1920 (Monde) : 50 à 100 millions de †
Grippe asiatique : 1957-1958 (Monde) : 1 à 4 millions de †
Septième pandémie de choléra : 1961-présent (Monde)
Grippe de Hong-Kong : 1968-1969 (Monde) : 1 à 4 millions de †
Grippe russe : 1977 (Monde)
SIDA (1920) : 1980-présent (Monde) : 32 millions de †
Grippe A (H1N1) : 2009-2010 (Monde)
Ebola : 2013, 2018 (Afrique de l’Ouest ;République/Congo)

LDM 76

Anatomie politique du COVID 19. Surveiller et endiguer

Arsène Doyon-Porret, “Stop!”; avril 2021 (© Poda – 2021)

Lever la quarantaine, que certains nomment curieusement «confinement»: cette décision politique, socialement plébiscitée, repose sur l’«avis scientifique» de comités d’experts ad hoc. Un peu partout, dans l’urgence de la guérilla anti-pandémique avec les vaccins en ligne de front comme les snipers en temps de guerre, la politique devient biopolitique.

Diversement motivée, souvent assénée, répercutée au diapason médiatique, assénée jour et nuit, la gouvernance de l’autorité biopolitique prend une ampleur sociale inédite depuis le XIXe siècle.

Il suffit d’écouter les radios nationales comme France Inter pour mesurer le périmètre croissant du consentement biopolitique et de la médiatisation incessante (tintamarresque) des variation sur la courbe démographique et pandémique. La France a peur tous les soirs à vingt heures!

Autorité biopolitique

Sa légitimité : le bien commun (antienne de la culture politique des Lumières).

Son objectif : retrouver la normalité sociale, soit la sociabilité démasquée que tous souhaitent avant l’été. Un état des choses notamment consumériste de biens matériels et culturels.

Le bien commun est l’enjeu biopolitique de la protection de la vie. Il faut «défendre la société» avec les instruments scientifiques et médicaux du contrôle social. Des instruments sophistiqués dont la complexité technologique surpasse les conséquences éthiques.

À part les conspirationnistes égarés qui confondent la dystopie et la réalité, le consensus est universel sur la nouvelle donne biopolitique de la défense sociale contre la pandémie. La sécurité prime pour défendre la vie.

La biopolitique contemporaine réverbère certainement la révolution pasteurienne et l’hygiénisme du XIXe siècle dont les campagnes massives sur les conditions de vie dans la société industrielle et urbaine, tout autour de l’insalubrité, de la morbidité, de la «dénatalité», de la «dégénérescence», de la violence familiale, de la «déviance» sexuelle, de l’alcoolisme ou du choléra. L’État de droit y devient un État médico-légal comme l’a magistralement rappelé Gérard Jorland dans son chef d’œuvre : Une société à soigner. Hygiène et salubrité publiques en France au XIXe siècle (Gallimard, 2010).

Temps pathologique

Depuis longtemps, la population pose les termes sociaux, politiques, statistiques et scientifiques de la gouvernance étatique. L’offensive pandémique est un élément aléatoire qui menace les données vitales de la gestion et de la police des êtres humains. Elle éprouve et inscrit la gouvernance dans la «durée non sociale et non politique» du temps pathologique. Ce moment d’incertitudes pèse sur les mécanismes régulateurs et disciplinaires d’endiguement de la morbidité que déclenche l’autorité politique.

Le temps du mal naturel ne recoupe pas celui du bien démocratique. Il détermine à l’infini les outils sécuritaires et technologiques qui tentent d’endiguer l’aléatoire pandémique. Des outils toujours et encore modulables au gré des avancées scientifiques et des marchés économiques. L’incertitude pathologique détermine désormais la temporalité biopolitique. Le temps politique s’essouffle, comme un grand corps malade.

Temps biopolitique

Avec COVID-19 (et autres variantes actuelles et futures), sommes-nous arrivés au point culminant de ce nouveau temps biopolitique? Celui de la «technologie individualisante du pouvoir» selon Michel Foucault. Une «technologie qui vise […] les individus jusque dans leur corps, dans leur comportement», dans leurs gestes, dans leurs désirs, dans leur devenir, dans leurs pathologies, dans leur mort.

Motivée par l’aléatoire biologique du virus virulent, cette nouvelle «anatomie politique» est devenue universelle. Désormais, elle normalise la population, soit les êtres humaines sains et malades que régissent les «lois biologiques», les taux de natalité et de mortalité, la morbidité.

Potentiellement contagieux

L’existence et le corps de chacun.e cordonnent le dessein de la biopolitique contemporaine qui doit surveiller pour endiguer.

Il faut discipliner les individus (potentiellement «infectables», potentiellement contagieux) contre la pandémie. La culture des «gestes-barrières» devient l’inédite anthropologie politique de la discipline sociale anti-infectieuse. Le masque sanitaire efface le genre. Le vaccin est le supplément thérapeutique (démocratique) du consentement bio-politique.

Le «dressage individuel» visera la sécurité sanitaire globale de la société : «Cet été, il faudra encore respecter les gestes barrières et porter le masque» affirme amèrement  l’épidémiologiste Antoine Flahault. Le vaccin ne changera pas grand-chose ajoute un autre expert!

Que répondre à l’injonction sanitaire et hygiéniste de l’expert qui veut infiniment surveiller pour toujours mieux endiguer?

Dans la longue durée, émerge peut-être la société masquée du sinistre zoom, du couvre-feu à répétition, du «distanciel» et des technologies individualisantes du pouvoir que concrétisent les premières et orwelliennes «Smart Cities», radicalement connectées pour centraliser et rationaliser le contrôle social, tout en individualisant en flagrant délit toute forme de pathologie ou de déviance repérables dans la communauté.

Recul de la souveraineté

La grande question ouverte par la pandémie 2020-2021 est celle de la puissance régulatrice de l’État de droit dans sa conception politique traditionnelle. Est-il vrai, doit-on demander avec Michel Foucault, que le «pouvoir de la souveraineté recule de plus en plus et qu’au contraire avance de plus en plus le bio-pouvoir disciplinaire et régulateur»?

Comment répondre sereinement à cette interrogation légitime sur l’effritement politique devant le biologique?

Cela revient à demander ce que deviendront, lors du retour à la normalité socialo-sanitaire, l’idéologie, le discours, la bureaucratie, les savoirs, la technologie individualisante, les gestes et les usages exacerbés du contrôle social, déployés de manière exponentielle pour surveiller et endiguer l’offensive de COVID-19? Les nouveaux experts du bio-pouvoir rentreront-ils dans les rangs ? Quel nouveau Léviathan se dresse sur l’horizon? De quoi demain sera faite la culture (bio)politique?

Le retour à l’insouciance sociale et à l’État de droit pré-pandémiques est un leurre. Le dispositif «sécuritaro-sanitaire» du biopolitique laissera de profonds sillons théoriques, pratiques et institutionnels dans le «monde d’après». Des blessures mal cicatrisables. Le discours préventif du risque pandémique peut devenir assez rapidement la matrice normative à tout dessein  sécuritaire dans le champ socio-politique.

Surveiller et endiguer la pandémie et ses vecteurs humains : telle est la donne sanitaire d’aujourd’hui.

Surveiller et endiguer les libertés, les contestations et les flux humains : telle peut être la donne sécuritaire du monde d’après.

Les instruments biopolitiques de la «technologie individualisante du pouvoir» sont désormais bien rodés. Ils sont opérationnels. Il suffit de les mettre en œuvre au moment sécuritaire opportun.

La pandémie 2020-2021 : un tournant historique entre l’État de droit et l’État biopolitique.

Toujours intellectuellement stimulant : Michel Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, 1976 ; Hautes études, Gallimard-Seuil, 1997.

MUTANTS : QUI-VIVE !

© Arsène Doyon–Porret (crayon de couleurs, papier extra-blanc 75 g/m²): mutants.

 

 

 

“What makes this fragile world go ’round ?”, Beach House, “Space Song” (2015).

Comme dans un excellent film d’anticipation « série B » des années 1950, dont Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel (1956; https://www.heidi.news/profil/michel-porret), COVID-19, notre redoutable ennemi invisible mute.

COVID-19 en pleine mutation.

Le virus « contre-attaque », si l’on peut dire, notamment avec les variantes britanniques, sud-africaines et brésiliennes.

Après l’Angleterre exsangue, l’Europe continentale est gangrénée. Ailleurs dans le monde, le virus marque des points. Les plus démunis payent un lourd tribut sanitaire.

Où serons-nous cet été ?

D’autres offensives sur l’horizon pandémique ? Plus virulentes, plus contagieuses moins propices à l’immunité humaine ? Nul le sait. Aucun scénario n’est écrit à l’avance.

Où serons-nous cet été ?

En quarantaine domiciliaire ou libres et ivres de soleil ?

COVID-19 transmute.

Peut-être est-ce nous les vrais mutants de l’histoire ?

La nonchalance démocratique s’effrite. La vigilance anxieuse s’affirme. Les corps se renfrognent. La prévision se rétrécit.

Vivre sur le qui-vive, ce n’est pas la vie.

Qui-vive ! : injonction de la sentinelle devant la présence suspecte.

Wer lebt ? Who lives ? Che vive? Quien vive?

Cri d’alarme universel.

Appel au branle-bas.

Sommation avant le coup de feu.

Gouvernance de la peur

À partir de 2001, nous vivons massivement sur le qui-vive ! Bientôt vingt ans : quasiment une génération de l’effroi.

La génération troublée de l’inquiétude et de l’anxiété. Plus d’une fois, les enfants nés après cette date le ressentent.

Aussitôt accompli le raid sur les Twin Towers du Word Trade Center, le terrorisme a engendré la gouvernance de la peur fondée sur les législations d’exception.

La gouvernance du qui-vive !

Avions, trains, aéroports, gares, bâtiments publics, boîtes de nuit, centres commerciaux, écoles, marchés, rédaction de médias, rues et places urbaines, terrasses des cafés : face à l’hydre terroriste, l’État sécuritaire avec la vie sur le qui-vive !

Vivre sur le qui-vive, quelle vie !

Printemps 2020-aube 2021 : vivre sur le qui-vive devient progressivement la nouvelle norme biopolitique de la sociabilité suspicieuse. Celle qu’instaurent l’éloignement social, le port du masque, le gel hydro-alcoolique et les gestes barrières : du télétravail aux répétés couvre-feu et isolement sanitaire à domicile prolongé, remis en œuvre ou abrogé.

La vie en chair et en os est éprouvante. Épouvante ?

Les hôpitaux tiendront-ils le coup ?

Cadence improvisée et alarmée de la vie sur le qui-vive avec la fermeture-réouverture-fermeture-réouverture des commerces « non essentiels » et des restaurants ou bars.

Le qui-vive toujours recommencé !

Le bio-Léviathan

Vivre sur le qui-vive : refrain sonore de l’anxiété dans les supermarchés : « Nous rappelons à notre aimable clientèle que dans ce magasin le port du masque est obligatoire même pour les enfants à partir de 12 ans. Veuillez svp respecter la distanciation sociale ». Même son de cloche tourmenté dans les gares, les aéroports et les transports publics.

Continuellement sur le qui-vive ! Le regard inquiet au dessus du masque FFP2 ou autre.

Dès lors, l’État retrouve une puissance morale et politique qui fait plier la réticence néo-libérale.

L’« État est méconnaissable : il dépense à tour de bras et déploie de grands programmes de vaccination et de soutien à l’emploi » (Charlotte Epstein, « Notre sécurité est devenue corporelle avant tout », Le Monde, « Idées », 15 janvier 2021, p. 27).

Diagnostiqué, traqué, ausculté, mesuré en ses minimes oscillations et ses fluctuations fiévreuses, vacciné, réexaminé : le corps biologique refonde plus fortement le corps politique. L’extension des mécaniques et des applications de surveillance individuelle et corporelle se normalise. Elle forge le consensus sécuritaire de la guerre sociale anti-virale qui radicalise le nouveau Léviathan du bio-pouvoir.

On peut imaginer une  forme radicale de contrôle social étendu à l’ensemble des individus d’une communauté politique : le pointage automatique de l’état fébrile en lieu et place de la la biométrie faciale !

Usual suspects ?

“37°6 de température: vous êtes en état d’arrestation sanitaire !

Toute opposition est louche : le pandémo-réticent est un allié potentiel du virus ! Donc – en forçant le trait – un ennemi public.

Prémonition dystopique !

La « sécurité corporelle » : prodigieux enjeu sanitaire au niveau planétaire, gigantesque marché médical et sécuritaire, fondement de la gouvernance du qui-vive.

Celle de la peur qui s’est fortement banalisée depuis 2001 avec l’impératif sécuritaire.

Comment en ressortir tous indemnes ?

Faut-il vraiment abandonner les réconforts du couvre-feu et du « confinement » ?

Bas les masques : l’espoir sanitaire est-il suffisant pour l’espoir démocratique ?

COVID-19 mute ! Il nous transmute progressivement dans l’incarnation morale et physique du qui-vive !

Bientôt, les anthropologues  de l’anxiété sociale et du régime sécuritaire pourront écrire des pages substantielles et inoubliables sur les mutations socio-mentales du début du XXIe siècle.

LM 67

Le Grand asservissement

 

 

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Dans le sédiment du silence et les bruits de la fortune.

Aux enfants blottis dans le cœur de la vie ou le ventre de leurs mères.

À tous ceux apaisés devant la menace armée.

Complices du rire, des nuages et des oiseaux : accaparons l’aurore !

 

L’épuisant moment pandémique du COVID 19 restera comme le temps exemplaire d’instauration politique de l’État sanitaire et sécuritaire en régime démocratique et libéral.

Par sécurité : partout, l’impératif préventif scande l’espace public et devient le refrain social de la ville meurtrie.

La ville meurtrie avec l’héroïsme hospitalier.

Certains nomment cette période précautionneuse : « état de guerre ». Ils oublient que la guerre implique la volonté humaine belliciste, le déterminisme non naturel, la stratégie rationnelle, le concept offensif, le savoir-faire balistique.

Isolement domiciliaire (hâtivement nommé « confinement ») volontaire voire obligatoire, couvre-feu, état d‘urgence, laisser-passer, réduction de la libre-circulation des individus : avec le renforcement périmétral du contrôle social, la fin du mal pandémique justifie tous les moyens pour le contenir. Une politique souvent improvisée d’endiguement qui libère les empoignades et les résistances hétéroclites, sectorielles, libertaires, parfois « anti-complotistes ».

Le miasme affole

L’extension croissante du télétravail et des affligeantes « zoom-relations » accentuent la décomposition de la sociabilité la plus sommaire, celle de la démocratie.

En présentiel (vocable insensé) ou à distance ?

La clôture des lieux de vie coutumière renforce ce désarroi social.

Le « geste-barrière » disqualifie le « geste-de bienvenue ». Il dénigre l’hospitalité. Il normalise l’écartement au loin du corps, à nouveau incarnation du mal. L’ordre comportemental en pandémie légitime la défiance réciproque.

Nous vivons de reculade en reculade ! Stricto sensu.

La contagion rôde.

Elle s’éternise avec le cortège morbide de la vulnérabilité sanitaire.

La fraternité de l’embrassade dégoûte.

Le baiser tourmente.

Le souffle de l’autre répugne.

Le miasme affole.

Le postillon terrifie.

La sueur palmaire épouvante.

Astiquons, brossons, décapons, décrassons, javellisons, lessivons : qu’advienne l’Ère du suprême hygiénisme.

Le mal mine la ville navrée dans l’état sanitaire.

Que dire des faméliques masqués aux dispensaires de la dernière chance ?

Que dire des comblés démasqués dans les SUV anachroniques ?

Et les ribambelles enfantines à visages découverts  sur les préaux ?

Et les oiseaux argentins dans le ciel crépusculaire ?

On voit vos narines !

Avec son masque mal ajusté, l’ennemi public tousse, éternue, se mouche sans plier le coude. Pire, il néglige de purifier ses mains en entrant au supermarché. Sur le quai de gare, devenu agent sanitaire casqué et masqué, le pandore ferroviaire  sanctionne vertement, le majeur menaçant :

« Eh vous là-bas ! Votre masque est de travers ! On voit vos narines ! On sent votre souffle !! Circulez !!! » (Gare de Lausanne, jeudi matin 19 novembre, vers 10 heures).

Suspect habituel. Individu inconscient. Œil de la police.

Suspect du régime sanitaire ou avatar du « boute-peste », tant redouté durant les pandémies de l’Ancien régime ?

Chirurgical ou à la mode, de tissu, de papier ou en plexiglas, le masque facial, nommé parfois muselière sanitaire, condamne le visage à découvert.

Le visage dévoilé que refusent à la fois les  justiciers (Zorro), les supers héros (Batman) et les supers criminels (Fantômas). Ils agissent à visages  masqués. Ils suscitent l’effroi pour sidérer l’adversaire et jouir de l’impunité.

Nous nous masquons pour profiter de la vie. C’est ainsi !

Boostant le capitalisme sanitaire comme le fera le vaccin, le gel hydro-alcoolique instaure la société morbide de la suspicion universelle.

Vivement le dégel pandémique de tous les abandons.

L’ère insalubre remplace le temps démocratique du flux social et de l’insouciance gestuelle et charnelle.

Le temps béni du flux et du reflux quand le bain de foule redevient un petit bonheur social.

Social-zoom !

Actuellement, les moins optimistes s’alarment.

Les plus lucides mettent en garde.

Les grincheux grinchent.

Tous parient sur la montée inexorable de l’assujettissement généralisé qu’oblige la gestion politique de la pandémie.

Selon eux, la contamination biologique de l’ennemi invisible précède la pestilence politico-sociale du Grand asservissement.

On pourrait le qualifier comme le contrat social dévoyé par la peur et l’insécurité : « La peur est le plus puissant des moteurs. La peur transforme les hommes. Elle peut les détruire, ou bien les rendre invulnérables. La peur dope les esprits, ou les réduit en bouillie. Elle est instrument d’asservissement, elle n’a pas de limite. Qui contrôle la peur, contrôle l’homme, voire des foules entières » (Maxime Chattam).

Impératif de l’imaginaire « risque zéro »: l’excessive exigence sociale de sécurité gommera bientôt les libertés fondamentales.

Le Grand asservissement politico-biologique illustre la condition non citoyenne des dystopies sécuritaires du contrôle social radical de l’individu confiné dans le pire des mondes possibles.

Pour s’en convaincre :

(re)lisons le chef-d’œuvre trop oublié La Kallocaïne que l’ingénieuse et désespérée écrivaine suédoise Karin Boye (1900-1941) publie en 1940, un peu avant son suicide.

(Re)lisons 1984 (1949) de George Orwell avec Le meilleur des Mondes (1932) d’Aldous Huxley

(Re)lisons L’âge de cristal (1967) de William Francis Nolan et George Clayton Jonhson.

(Re)voyons THX 1138 (1971) de George Lucas, synthèse filmique du totalitarisme dystopique.

Pivot de l’imaginaire dystopique, le Grand asservissement émerge lentement aujourd’hui du mal invisible et de l’offensive pandémique.

Nous ressortirons peut-être indemnes du laboratoire sanitaire de la discipline sociale qui depuis mars 2020 contraint les esprits et éloigne les corps. Or, la démocratie du « social-zoom » ne pose-t-elle pas déjà insidieusement les fondements juridiques, moraux et pratiques de  la « démocratie illibérale » du Grand asservissement basé sur la distanciation sociale, la permanence et l’extension extraordinaire du contrôle des individus  ?

La gestion de la pandémie  est un modèle de gouvernance. Ses conséquences et son impact dépasseront certainement la fin de la pandémie.

Alors,  pour l’instant, vivons coude à coude !

Imaginaire du Grand asservissement :

Karine Boye, La Kallocaïne (1940, en suédois), Éditions Ombres (Petite Bibliothèque Ombres), 2015 (191 p.)

George Lucas, THX 1138, 1971:

https://duckduckgo.com/?t=ffnt&q=THX+1138&atb=v208-1&iax=videos&iai=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv%3Dcjtj-w5dx9k&ia=videos

LDM62

Bianca Castafiore en grève avec les femmes ?

 

 

 

 

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© Moulinsart.

Amicalement à Pierre Fresnault-Deruelle.

 

« Je ne sais pas pourquoi, mais chaque fois que je l’entends, je pense à ce cyclone qui s’est un jour abattu sur mon bateau, alors que je naviguais dans la mer des Antilles…. », Haddock à Tintin, Music-Hall Palace, Hergé, Les 7 boules de cristal (1948).

Vendredi 14 juin, dans l’embellie estivale, lors de la parade colorée des femmes pour l’égalité, à la terrasse d’une notoire brasserie sise au Rond-Point de Plainpalais, parmi les buveurs éméchés et enfumés, un ombrageux hausse le ton. En coq irrité, il gausse sans élégance le cortège : « Il ne manquerait plus que la Castafiore dans ce défilé d’excitées ! » Rires gras des potes le museau bien enfoncé dans le pichet mousseux !

AFP, jeudi 15 juin 2019, midi : « La célèbre diva italienne Bianca Castafiore, a interrompu vendredi 14 juin sa performance de Marguerite dans le Faust de Charles Gounod à l’affiche de l’opéra de Genève du 10 au 30 juin. Les représentations de l’opéra créé en 1859 avec l’Air des bijoux pour soprano sont à guichet fermé. Dans sa suite moderne du 5e étage de l’hôtel Cornavin, entourée de roses blanches, vêtue d’un immaculé tailleur Croco Chenal, paré de bijoux colorés, entre deux rires cristallins, la diva se confie aux journalistes Jaques-Vincent Monnerard du magazine universitaire Macpus et Jean-Loup de la Battelerie de Paris-Flash, prix Albert Londres 2018 pour son livre-reportage sur Les embouteillages urbains ou la naissance de l’automobilocratie (éditions GROGE). — Oui, j’ai fait grève par solidarité avec les femmes grévistes de Genève qui réclament l’égalité avec les hommes. Madre mia ! Elles ont raison ! Chacune a le droit d’être cantatrice ! — »

Un peu provocatrice la diva !

Un castrat ?

Pour certains, la diva ne serait pas une femme. Ainsi, Albert Algoud suggère que sous son apparence de femme, Bianca Castafiore n’en est pas une (La Castafiore : une biographie non autorisée). Blondeur et rondeurs cacheraient un secret d’adolescence. Fils unique de Bianca Spumanta et du miroitier napolitain Cesare Casta ruiné par la rivalité vénitienne, Fiorentino bientôt Bianca Castafiore serait le dernier castrat de l’histoire de la musique. Castrat : soit chanteur né masculin ayant subi la castration avant la puberté afin de préserver l’acuité du registre vocal (contralto, soprano), tout en conservant la puissance thoracique et sonore de l’adulte.

Une hypothèse entre deux genres ?

Quoiqu’il en soit, Bianca Castafiore comme femme en impose aux plus circonspects qui remarquent que sensible devant la violence elle s’évanouit souvent. Sous ses airs de mondaine orgueilleuse, snob et narcissique, tyrannique envers le pianiste Igor Wagner et l’habilleuse Irma, la diva est une inflexible femme de tête. Elle ne cesse d’ailleurs d’écorcher le viril patronyme  de Haddock, avec qui elle a peut-être une liaison dangereuse au château de Moulinsart, malgré la jambe plâtrée de l’ex-capitaine au long cours : Balzack, Bardock, Bartock, Hablock, Haddack, Hammock, Harrock, Hoklock, Kappock, Kapstock, Karbock, Karnack, Koddack, Kolback, Kornack, Kosack, Maggock, Mastock, Medock, Paddock.

Femme de tête

La diva est fière de sa carrière dont la réussite s’impute au volontarisme et au talent mondialement célébré.

Lors de sa première apparition dans l’affaire du Sceptre d’Ottokar (1939), à bord d’une puissante voiture, la diva recueille Tintin que talonnent les sbires de Müsttler, agitateur fasciste contre la couronne syldave. Elle se produit alors au Kursaal de Klow. Relayé par la radio nationale (« Klow, PTT), L’Air des bijoux qu’elle entonne toujours à pleins poumons éveille Tintin écroué dans les geôles policières, avant la levée d’écrou, prélude de son assassinat politique raté. Le lendemain soir, flanquée du pianiste Wagner, dans une longue et  éblouissante robe glamour de couleur aubergine échancrée sur les épaules, le cou ceint d’une rangée de perles, gantée de blanc, un plumet sur la tête, elle chante devant Muskar XII et la cour à la galerie des fêtes du palais royal de Klow, copie conforme de celui de Bruxelles.

Avec panache, inflexible, la cantatrice ne cesse de braver les hommes les plus autoritaires.

Militaires, policiers, procureur et dictateurs croisés lors des tournées mondiales — Europe, Inde, U.S.A, Amérique du Sud. Hors scène, elle y joue l’écervelée grande bourgeoise pour enjôler les hôtes belliqueux qui l’adulent à l’instar du colonel Sponsz, rigide chef de la Police bordure, pivot du régime maréchaliste de Pleksy-Gladz, mais fredonnant volontiers l’Air des bijoux.

Les 7 boules de cristal, L’Affaire Tournesol, Coke en stock, Les bijoux de la Castafiore, Les Picaros : la cantatrice blonde revient 5 fois en personne dans la saga du reporter sans plume. Lorsqu’elle est absente, sa voix est radiophonique (Au pays de l’or noir, Au Tibet), voire ironiquement singée par Haddock. Devant la table de commande du prototype lunaire X-FLR6, le loup de mer retraité chantonne le « grand air des bijoux de Faust » (Objectif lune).

La Castafiore est arrêtée 

Frivole au point de changer sa robe chaque jour, ne tolérant que les pâtes cuites al dente, VIP sur le yacht Schéhérazade durant la croisière mondaine qu’organise en Mer rouge le marquis de Gorgonzola (alias le forban cosmopolite Roberto Rastopopoulos, Coke en stock), la diva est souvent héroïque. À l’Opéra de Szohôd, où elle triomphe à nouveau en Marguerite de Faust, elle soustrait Tintin et Haddock aux recherches de la ZEP (Police d’État). Recevant dans sa loge la visite flatteuse du courtois colonel Sponsz, elle les met à l’abri de la penderie. Dans la capote du militaire, ils y récupèrent le sauf-conduit pour délivrer Tournesol détenu au secret dans la sinistre forteresse de Bakhine. Y croupissent peut-être les opposants du régime stalino-moustachiste.

Durant sa tournée triomphale en Amérique latine, à l’étape de San Theodoros, au terme de la soirée de gala donnée à Tapiocapolis devant le dictateur Tapioca, malgré la garde vigilante des « détectives » Dupond-Dupont, la diva est arrêtée par les services du colonel Sponz. Disgracié en Bordurie, comme beaucoup d’autres sbires du totalitarisme, il est devenu conseiller sécuritaire du régime militaire sous le nom d’Esponja.

La sirène vipérine

La cantatrice est accusée de participer au complot fomenté à Moulinsart pour renverser le caudillo en faveur du général Alcazar que paierait l’International Banana Company. La diva ignore qu’elle est le pivot du guet-apens machiavélique machiné par Esponja pour attirer à Tapiocapolis Tintin et ses amis en froide vengeance de l’échec subi lors de l’Affaire Tournesol.

Parodie de justice : le procureur militaire réclame et obtient la peine de mort contre les Dupond-Dupont. Virilement, il y ajoute la prison perpétuelle pour le « véritable cerveau du complot » : une « femme… une femme — on devrait dire un monstre et qui a mis son talent, son incontestable talent, au service de la haine : j’ai nommé Bianca Castafiore ‘le Rossignol milanais’ !… cette sirène au cœur de vipère ».

Le rire salvateur !

À la barre des accusés, flamboyante, coiffée d’un chatoyant chapeau fleuri, vêtue d’un tailleur rose, poudrier doré en mains, les yeux à demi-clos, la cantatrice brocarde le magistrat : « La prison à vie ? … Ai-je bien entendu ?… Mais vous êtes grotesque militaire ! … Ou alors fou à lier, mon pauvre ami ! … » Elle rit des documents « fabriqués de toutes pièces » qui la chargent comme dans tout bon procès politique. Elle rit de la dictature. Elle en rit à gorge déployée. Elle en rit au point d’entamer à pleins poumons son tube… l’Air des bijoux (« Ah ! je ris de me voir si belle en ce miroir »). Lancinant refrain narcissique qui mène à l’évacuation de la salle d’audience du tribunal fantoche où la tyrannie se mire sans tolérer le rire.

Le rire salvateur de la cantatrice fictionnelle ne saurait éteindre la mal politique et social de l’injustice et des inégalités que souvent fustige l’humaniste catholique Hergé. Or, l’imaginaire de la dérision n’est certainement pas sans effet subversif sur le conservatisme inégalitaire des injustices. L’histoire de la censure prouve cette vérité culturelle. De même qu’une joyeuse parade féminine pour l’égalité est parfois redoutable sur le conservatisme « viril » qui entre deux tournées pavane au Café du Commerce ! Comme en 14.

 

Faust – Air des Bijoux (Grand Théâtre de Genève)

Ruzan Mantashyan (Marguerite) interprète l’Air des bijoux dans la nouvelle mise en scène de Georges Lavaudant du Faust de Charles Gounod pour le Grand Théâtre de Genève (2018).

Le devoir d’intervenir

LDM 45

Épier et contrôler

« L’inspection : voilà le principe unique, et pour établir l’ordre, et pour le conserver ; mais une inspection d’un genre nouveau, qui frappe l’imagination plutôt que les sens, qui mette des centaines d’hommes dans la dépendance d’un seul, en donnant à ce seul homme une sorte de présence universelle dans son domaine. » Jeremy Bentham, Le Panoptique (1791).

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Lehigh Valley Vanguard | Marlana Eck, “Modern Discipline and Panopticism in the United States

Partout, silencieusement, en catimini, jour après jour, la vidéo-surveillance augmente son emprise quotidienne sur l’espace public des villes contemporaines. La cartographie sécuritaire implique le panoptisme urbain pour l’imaginaire du « risque zéro ». La crue est aussi forte que celle des polices privées ou encore des logiciels de géolocalisation et de « prédiction du crime » dans les forces de police nord-américaines. Les machines visent à objectiver le « hot spot » du crime (Risk Terrain Modeling) pour prévenir le passage à l’acte comme dans Minority Report de Steven Spielberg (2002).

Eldorado sécuritaire

La caméra automatisée s’impose comme le banal objet du mobilier urbain et du panoptisme généralisé. À Genève, même si quatre caméras de vidéo-surveillance sont vandalisées (8-9 janvier 2018) près de l’école des Pâquis, elles s’insèrent en un « dispositif global de sécurité » voulu par la municipalité.

Comme le portique de prévention qui grâce au terrorisme gagne les gares européennes (Italie, France, etc.), le marché du sécuritaire visuel est l’Eldorado pour l’industrie de la sécurité urbaine (année 2014: 15,9 milliards de dollars, contre 14,1 milliards en 2013). En se miniaturisant, la vidéo-surveillance est aussi accessible à tout particulier pour surveiller son domicile à distance.

Panoptisme

Objectif politique avoué : endiguer les incivilités, faire reculer les illégalismes, lutter contre le trafic des stupéfiants, prévenir le crime et augmenter les capacités d’intervention policière. Voir c’est savoir ce qui se trame ! Voir c’est vouloir cartographier le risque. S’y ajoute aussi le visionnement direct de la fluidité automobile en ville, sur les grands axes et les tunnels routiers. Pour renforcer le sentiment de sécurité de la population, le panoptisme condense le contrôle social préventif.

Épier c’est prévenir ! Ce contrôle social automatisé réduit drastiquement la police de proximité en milieu urbain — comme le montre le cas genevois. La quasi-seule présence policière dans la cité lémanique : d’éclatantes voitures de police  gyrophares en fête  qui filent à grande vitesse le long des artères avec des agents enfermés à double tour à l’intérieur ! « Papa, pourquoi le policier dans la voiture il a peur de nous ? » — me demande mon fils au retour de l’école par les rues de Saint-Jean, devant une voiture de police qui pile au dernier instant devant un passage jaune !

La caméra protège la caméra

Certaines municipalités veulent protéger les caméras de surveillance —  plutôt fragiles — par d’autres caméras de surveillance. L’œil électronique protège l’œil automatique qui nuit et jour épie les humains pour les défendre. Le panoptisme en boucle fermée : la nouvelle garantie technologique de la société libérale. Les périmètres prioritaires de la vidéo-surveillance recoupent souvent les zones prestigieuses de la cité, bien qu’en Italie, — par exemple — la vidéo-surveillance balaie maintenant les wagons ferroviaires.

Dans plusieurs villes françaises, si l’accès au centre de visionnage est limité, la police nationale et la gendarmerie peuvent accéder aux bandes enregistrées du panoptisme urbain pour le besoin d’enquêtes judiciaires. Une nouvelle juridiction de la pièce à conviction visuelle émerge.

Break the cameras !

Or, maints faits divers montrent que le panoptisme urbain ne protège pas toujours les sites vidéo-surveillés— à voir notamment la « vandalisation » en récidive (3 janvier 2018) du collège Georges-Brassens (Villeneuve-le-Roi), « protégé » par la vidéo-surveillance. Au contraire, écho lointain du luddisme — au XIXe siècle les ouvriers anglais cassaient les machines de la révolution industrielle — la détérioration des caméras urbaines semble émerger socialement comme la « violence logique » qu’induit la vidéo-surveillance contre le lien social de proximité. Briser l’œil  du pouvoir : quel sens à cette révolte désespérée ?

Et le lien social de proximité ?

L’idéologie politique et technocratique de la vidéo-surveillance conforte certainement la désespérance insécuritaire via la démagogie populiste de l’autoritarisme politique. L’étape suivante : la vidéo-surveillance “améliorée” par la reconnaissance  faciale.  La crise du lien social de proximité alimente la vidéo-surveillance comme inspection perpétuelle des individus. La détérioration du premier explique la puissance croissante de la seconde.

Matrice d’autoritarisme et d’antilibéralisme, le risque zéro nourrit l’utopie sécuritaire de la vidéo-surveillance que survolent silencieusement les drones du panoptisme généralisé comme soi-disant “dernier rempart de la démocratie” ! Le triomphe du panoptisme contemporain : chacun intègrera l’idée qu’il est l’objet d’une continuelle inspection visuelle. Chimère dystopique ou principe de réalité ?

Lire et relire : Jeremy Bentham, Le Panoptique, précédé par l’œil du pouvoir, entretien avec Michel Foucault, postface de Michelle Perrot, Paris, Belfond, 1977.