Sergio Leone, Il buono, il brutto, il cattivo, Italie, 1966, 175 min., © PEA. Zooms: « duel final » à trois.
Avec la pandémie COVID19 (et autres variables virales), zoomer, verbe intransitif du 1er groupe conjugué avec l’auxiliaire avoir, désigne la bureaucratie planétaire des vidéoconférences insaturées au moyen de logiciels dédiés dans les établissements d’enseignement obligatoires, les universités et les hautes-écoles, les administrations publiques ou privées ainsi que dans les entreprises.
Zoomer instaure en temps réel la communication et la discussion entre des personnes physiquement éloignées, car bien souvent mises en quarantaine chez eux (« confinement »). Mais aussi pour leur contrôle que les zoomers, en fait, savent de mieux en mieux déjouer.
Le «distanciel» (pour relations sociales dans la distance) remplace le «présentiel» (pour relations sociales en chair et en os). Depuis 18 mois environ, ce nouveau mode de sociabilité virtuelle dans l’éloignement se banalise.
«Une fois les choses redevenues normales», comme le dit souvent mon aimable facteur sous le masque qui l’étouffe, le vie en zoom va-t-elle se pérenniser?
D’un point de vue pragmatique et utilitaire, beaucoup de choses militent pour ancrer durablement le zoonage (néologisme) dans l’économie et le contrôle social: gain temporel (donc financier), autorité, technocratie, flexibilité, mondialisation des normes bureaucratiques, discipline individuelle, ordre collectif.
Zoom pour un ! Tous pour Zoom!
Or, ce zoom-là, on ne l’aime guère. On s’y habitue car il n’est que la prothèse obligatoire et virtuelle de la vie sociale. Sa modernité que certains exaltent nous étouffe.
Ce zoom-là usurpe la place d’un autre!
Celui qui fait rêver. Celui de la grande aventure.
Dans le langage visuel (photographique puis filmique), zoomer signifie photographier ou filmer en opérant un gros plan (focalisation) au moyen d’un appareil spécifique ou d’une mécanique particulière de prises de vue («zoom»).
Zoomer : isoler et amplifier un détail. Le grossir. Lui donner un sens saillant. L’amplification visuelle réverbère le gros plan d’un objet, d’un visage, d’un corps, d’un lieu.
Le bon, la brute et le truand (1966) : en conclusion de son chef d’œuvre sur la «mystique du colt», Sergio Leone multiplie et accélère les zooms sur les protagonistes du duel (triel) suprême. Entre éclat solaire, sonorité des cuivres, croassements de corbeaux et ombre de la mort qui va happer l’un d’eux dans le cercle sépulcral des tombes environnantes, les zooms répétés scandent la vigilance, la ruse et la bravoure (ultime) des duellistes.
Une des plus belles scènes de toute l’histoire du cinéma après 1945.
Visages burinés, yeux méfiants, fatalistes ou sarcastiques, paupières agitées, ceinture lourde de munition, main prête à saisir la crosse du colt: zooms en chaîne, la mort est en marche dans le temps suspendu.
Zooms enchaînés comme des clignement d’yeux.
Le zoom accroît la tension et annonce le dénouement du feu pour Sentenza (Lee Van Cleef). Il est mis en tombe par les deux balles consécutives du cynique Biondo (Clint Eastwood) qui a pris soin de vider nuitamment le colt du troisième larron (Tuco Ramirez).
Au zoom, suit le plan général sur les survivants du duel à trois. Le retour au plan large suspend pour un temps le face à face mortel.
Face à face virtuel.
Le zoom accentue l’isolement dans la dureté pandémique qui semble aujourd’hui marquer le pas. Le dispositif visuel grossit les traits du visage mis en ligne virtuelle. Pour atténuer l’incursion panopticale dans leur univers domestique, maints zoomers changent l’écran en fond noir ou en photographie exotique.
D’autres mettent leur cravate pour être présentable. D’autres encore, leur chapeau à fleur voire leur voilette.
Genèses de fiction: ouvrir zoom, agir en zoomers, cadrer, fermer, enregistrer.
Western solaire de Sergio Leone: splendeur du zoom filmique, le desperado meurt dans un combat homérique. Les murailles de Troie sont remplacées par les rangées de pierres tombales.
Quotidienneté des gestes barrières: grisaille du zoom hygiéniste, la sociabilité agonise dans la trivialité de la désincarnation.
On s’y habitue? Pas de résignation!
Être desperado ou ne pas être socialisé dans la virtualité? Telle est la question.
A quand le retour au plan large?
Il Buono, Il Brutto e il Cattivo: colonne sonore
https://www.youtube.com/watch?v=d6RL67BMtiM
LDM 72