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Dans le sédiment du silence et les bruits de la fortune.
Aux enfants blottis dans le cœur de la vie ou le ventre de leurs mères.
À tous ceux apaisés devant la menace armée.
Complices du rire, des nuages et des oiseaux : accaparons l’aurore !
L’épuisant moment pandémique du COVID 19 restera comme le temps exemplaire d’instauration politique de l’État sanitaire et sécuritaire en régime démocratique et libéral.
Par sécurité : partout, l’impératif préventif scande l’espace public et devient le refrain social de la ville meurtrie.
La ville meurtrie avec l’héroïsme hospitalier.
Certains nomment cette période précautionneuse : « état de guerre ». Ils oublient que la guerre implique la volonté humaine belliciste, le déterminisme non naturel, la stratégie rationnelle, le concept offensif, le savoir-faire balistique.
Isolement domiciliaire (hâtivement nommé « confinement ») volontaire voire obligatoire, couvre-feu, état d‘urgence, laisser-passer, réduction de la libre-circulation des individus : avec le renforcement périmétral du contrôle social, la fin du mal pandémique justifie tous les moyens pour le contenir. Une politique souvent improvisée d’endiguement qui libère les empoignades et les résistances hétéroclites, sectorielles, libertaires, parfois « anti-complotistes ».
Le miasme affole
L’extension croissante du télétravail et des affligeantes « zoom-relations » accentuent la décomposition de la sociabilité la plus sommaire, celle de la démocratie.
En présentiel (vocable insensé) ou à distance ?
La clôture des lieux de vie coutumière renforce ce désarroi social.
Le « geste-barrière » disqualifie le « geste-de bienvenue ». Il dénigre l’hospitalité. Il normalise l’écartement au loin du corps, à nouveau incarnation du mal. L’ordre comportemental en pandémie légitime la défiance réciproque.
Nous vivons de reculade en reculade ! Stricto sensu.
La contagion rôde.
Elle s’éternise avec le cortège morbide de la vulnérabilité sanitaire.
La fraternité de l’embrassade dégoûte.
Le baiser tourmente.
Le souffle de l’autre répugne.
Le miasme affole.
Le postillon terrifie.
La sueur palmaire épouvante.
Astiquons, brossons, décapons, décrassons, javellisons, lessivons : qu’advienne l’Ère du suprême hygiénisme.
Le mal mine la ville navrée dans l’état sanitaire.
Que dire des faméliques masqués aux dispensaires de la dernière chance ?
Que dire des comblés démasqués dans les SUV anachroniques ?
Et les ribambelles enfantines à visages découverts sur les préaux ?
Et les oiseaux argentins dans le ciel crépusculaire ?
On voit vos narines !
Avec son masque mal ajusté, l’ennemi public tousse, éternue, se mouche sans plier le coude. Pire, il néglige de purifier ses mains en entrant au supermarché. Sur le quai de gare, devenu agent sanitaire casqué et masqué, le pandore ferroviaire sanctionne vertement, le majeur menaçant :
« Eh vous là-bas ! Votre masque est de travers ! On voit vos narines ! On sent votre souffle !! Circulez !!! » (Gare de Lausanne, jeudi matin 19 novembre, vers 10 heures).
Suspect habituel. Individu inconscient. Œil de la police.
Suspect du régime sanitaire ou avatar du « boute-peste », tant redouté durant les pandémies de l’Ancien régime ?
Chirurgical ou à la mode, de tissu, de papier ou en plexiglas, le masque facial, nommé parfois muselière sanitaire, condamne le visage à découvert.
Le visage dévoilé que refusent à la fois les justiciers (Zorro), les supers héros (Batman) et les supers criminels (Fantômas). Ils agissent à visages masqués. Ils suscitent l’effroi pour sidérer l’adversaire et jouir de l’impunité.
Nous nous masquons pour profiter de la vie. C’est ainsi !
Boostant le capitalisme sanitaire comme le fera le vaccin, le gel hydro-alcoolique instaure la société morbide de la suspicion universelle.
Vivement le dégel pandémique de tous les abandons.
L’ère insalubre remplace le temps démocratique du flux social et de l’insouciance gestuelle et charnelle.
Le temps béni du flux et du reflux quand le bain de foule redevient un petit bonheur social.
Social-zoom !
Actuellement, les moins optimistes s’alarment.
Les plus lucides mettent en garde.
Les grincheux grinchent.
Tous parient sur la montée inexorable de l’assujettissement généralisé qu’oblige la gestion politique de la pandémie.
Selon eux, la contamination biologique de l’ennemi invisible précède la pestilence politico-sociale du Grand asservissement.
On pourrait le qualifier comme le contrat social dévoyé par la peur et l’insécurité : « La peur est le plus puissant des moteurs. La peur transforme les hommes. Elle peut les détruire, ou bien les rendre invulnérables. La peur dope les esprits, ou les réduit en bouillie. Elle est instrument d’asservissement, elle n’a pas de limite. Qui contrôle la peur, contrôle l’homme, voire des foules entières » (Maxime Chattam).
Impératif de l’imaginaire « risque zéro »: l’excessive exigence sociale de sécurité gommera bientôt les libertés fondamentales.
Le Grand asservissement politico-biologique illustre la condition non citoyenne des dystopies sécuritaires du contrôle social radical de l’individu confiné dans le pire des mondes possibles.
Pour s’en convaincre :
(re)lisons le chef-d’œuvre trop oublié La Kallocaïne que l’ingénieuse et désespérée écrivaine suédoise Karin Boye (1900-1941) publie en 1940, un peu avant son suicide.
(Re)lisons 1984 (1949) de George Orwell avec Le meilleur des Mondes (1932) d’Aldous Huxley
(Re)lisons L’âge de cristal (1967) de William Francis Nolan et George Clayton Jonhson.
(Re)voyons THX 1138 (1971) de George Lucas, synthèse filmique du totalitarisme dystopique.
Pivot de l’imaginaire dystopique, le Grand asservissement émerge lentement aujourd’hui du mal invisible et de l’offensive pandémique.
Nous ressortirons peut-être indemnes du laboratoire sanitaire de la discipline sociale qui depuis mars 2020 contraint les esprits et éloigne les corps. Or, la démocratie du « social-zoom » ne pose-t-elle pas déjà insidieusement les fondements juridiques, moraux et pratiques de la « démocratie illibérale » du Grand asservissement basé sur la distanciation sociale, la permanence et l’extension extraordinaire du contrôle des individus ?
La gestion de la pandémie est un modèle de gouvernance. Ses conséquences et son impact dépasseront certainement la fin de la pandémie.
Alors, pour l’instant, vivons coude à coude !
Imaginaire du Grand asservissement :
Karine Boye, La Kallocaïne (1940, en suédois), Éditions Ombres (Petite Bibliothèque Ombres), 2015 (191 p.)
George Lucas, THX 1138, 1971:
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